CHANTS de PROVENCE
de FREDERIC MISTRAL

Liste des Chants :

  • A Lamartine
  • Vincent
  • Magali
  • Les Amours de Vincent et de Mireille
  • Refus des parents et désespoir de Mireille
  • La Mort de Mireille
  • La Coupe
  • Les Grillons
  • Le Lion d'Arles

 

Refus des parents et désespoir de Mireille.

Ero l'ouro que lis Ensigne
I barquejaire fan bèu signe.
De l'Aiglo de san Jan,que se vèn d'ajouca,
I pèd de soun Evangelisto,
Sus li tres astre mounte elo isto,
Se vesié trantraia la visto;
Lou tèms èro seren,e sol, e 'sperluca.


Et dans les plaines étoilées
précipitant ses roues ailées,
le grand Char des Ames,
dans les profondeurs célestes,du Paradis
prenait la montée brillante,
avec sa charge bienheureuse;
et les montagnes sombres
regardaient passer le Char volant.


Mireille allait devant elle,
comme jadis Maguelonne,celle
qui chercha si longtemps,éplorée,dans les bois,
son ami Pierre de Provence,
qui,emporté par la fureur
des flots,l'avait laissée abandonnée.
Cependant aux limites du terroir cultivé.


E dins lou pargue recampaire,
I'avié li pastre de soun paire
Qu'anavon dejo mouse;e d'uni, 'mé la man,
Tenènt li fedo pèr lou mourre,
Immoubile davans li fourre,
Fasien teta lis agnèu bourre
E de-longo entendias quauco fedo bramant...


D'autres chassaient les mères qui n'ont plus d'agneau
vers le trayeur : dans l'obscurité,
assis sur une pierre, et muet comme la nuit,
des mamelles gonflées celui-ci exprimait
le bon lait chaud;le lait jaillissant
à longs traits, s'élevait
dans les bords écumeux de la seille, à vue d'oeil.


Li chin èron coucha,tranquile;
Li bèu chinas,blanc coume d'ile,
Jasien de-long dou cast,e lou mourre alounga
Dins li ferigoulo;calaumo
Tout à l'entour,e som,e chaumo
Dins lou campas que sènt qu'embaumo...
Lou tèms èro seren, e sol,e 'sperluca.


Et comme un éclair, à ras des claies
Mireille passe : patres et brebis,
comme lorsque leur courbe la tête un soudain tourbillon,
s'agglomèrèrent. Mais la jeune fille :
"Avec moi, aux Saintes-Maries
nul ne veut venir,d'entre les bergers ?"
Et devant eux,elle fila comme un esprit.


Li chin dou mas la couneiguèron,
E dou repaus noun bouleguèron.
Mai elo, dis avaus frustrant li cabassou,
Es deja liuencho; e sus li mato
Di panicaut,di canfourato,
Aquèu perdigalet de chato
Lando,lando ! Si pèd toucavon pas lou sou.


Souvent, à son passage,
les courlis, qui dans les herbes,
au pied des chêneteaux, dormaient blottis,
troublés dans leur sommeil,
soudain partaient à grande volée,
et dans la Crau sombre et nue
criaient : Courreli ! courreli ! courreli !


Emé si péu lusènt d'eigagno,
L'Aubo, entremen, de la mountagno
Se vesié pau-à-pau devala dins lou plan;
E di calandro capeludo
Lou vou cantaire la saludo;
E de l'Aupiho baumeludo
Semblavo qu'au soulèu se mouvien li calanc.


Inculte et aride,
L'immense Crau la Crau pierreuse
Au matin peu à peu se découvrait;
La Crau antique, où, des ancêtres
Si les récits sont dignes de foi,
sous un déluge accablant
Les géants orgueilleux furent ensevelis.


Ni d'aubre,ni d'oumbro, ni d'amo !
Car, de l'estiéu fugènt la flamo,
Li noumbrous abeié que rasclou, dins l'iver,
L'erbeto courto, mai goustouso,
Is Aupo fresco e sanitouso
Èron ana cerca de pasquié sèmpre verd.


Sous les feux que juin verse,
comme l'éclair Mireille court,et court, et court.
Et les grands lézards gris,au rebord de leurs trous,
disaient entre eux :Il faut être folle pour vaguer dans les cailloux,
par un soleil qui sur les collines
fait danser les morvens, et les galets dans la Crau !


E li prègo-Dièu, à l'oumbrino
Dis argelas : O pelerino,
Entourno, entourno-te ! ié disien.
Lou bon Diéu a mes i font d'aigo clareto,
Au front dis aubre a mes d'oumbreto
Pèr apara ti couloureto,
E tu, rimes ta caro à l'uscle de l'estieu !