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TOME II

CINQUIEME PARTIE

Description physique, productions.
Cours d'eau, lacs et glaciers.
Etude géologique des terrains. -
FAUNE ET FLORE.
Hommes remarquables.- Eglises et chapelles.
Anciennes fortifications.
Routes, postes et télégraphes, instruction publique.
Dames de charité, bureau de bienfaisance.
Langue et religion.


CHAPITRE III

FAUNE ET FLORE.

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1.-Faune ancienne d'Allos : Ammonites, Bélemnites, Nummulites, etc.
Les animaux et les végétaux étant les principales ressources et la vie de nos montagnes, il convient que mes lecteurs trouvent ici quelques notions sur la Faune et la Flore d'Allos.

Commençons par la partie la plus ancienne de la Faune : les Fossiles.
Les restes des animaux enfouis sous le sol, les inscrustations de leurs débris, leur empreinte, etc.,
"ne sauraient nous être indifférents, nous dit un de nos plus savants compatriotes.
Bien que, comme matière, ils ne nous disent plus rien, ils n'en doivent pas moins être considérés comme les dates, les inscriptions et les chartes des temps antérieurs...
Ils sont pour nous l'histoire matérielle des siècles qui ont précédé l'histoire écrite; ce sont ces restes qui servent aux géologues à fixer les époques, à caractériser les terrains et à distinguer les couches par la nature même de leur composition.

"Ces fossiles ou pétrifications sont si abondantes dans notre département que, sous ce rapport, il peut être considéré comme un des plus riches."
Note (1)

La haute vallée du Verdon n'est pas très riche en fossiles, il est vrai, comme Castellane,
Note (2) et d'autres régions bas-alpines, mais elle n'en est cependant pas dépourvue.
Il y a, en effet, des Mollusques céphalopodes, des Ammonites, des Bélemnites et des Nummulites.

On trouve des Mollusques céphalopodes dans les dépôts de terrains néocomiens des environs d'Allos et de Colmars.
Ces Mollusques jouent un rôle important dans les études géologiques, selon l'expression d'un auteur contemporain, même quand on ne trouve pas dans les rochers les coquilles qui les enveloppaient, mais seulement leur moulage, c'est-à-dire la partie intérieure de ces coquilles remplie d'une matière minérale qui reproduit la forme de ces animaux.

Les coquillages fossiles nommés Ammonites, à cause de leurs spirales, qui ressemblent aux cornes de Jupiter Ammon, faux dieu des Egyptiens, et les Bélemnites, ainsi appelées parce qu'elles ont la forme d'un trait, se trouvent dans les terrains néocomiens d'Allos, de Colmars, de Mariaud, de Seyne, etc.; mais M. Kilian fait remarquer qu'ils y sont plus rares que dans les contrées classiques de Barrême et de Sisteron.
J'ai déjà dit, d'après le même auteur, que la limite extrême des affleurements du même terrain est aux environs d'Allos et du Lauzanier (Larche) , où le Néocomien supérieur à Ammonites infundibulum, Belemnites grasianus et crioceras, se présente sous la forme de calcaires, etc.
On voit aussi des traces de Bélemnites au sud du lac d'Allos.

Enfin, les fossiles connus sous le nom de Nummulites, parce que la carapace ou cuirasse qui les recouvre ressemble à une pièce de monnaie appelée en latin nummus, existent dans les terrains tertiaires en maints endroits de notre territoire, aux alentours du lac, où elles sont de petite dimension, près du mont Pelat, sur Rochecline et Roche-grand.

"Les montagnes entourant la vallée du Verdon sont, pour la plupart, coiffées d'une calotte de nummulitiques, témoin d'un recouvrement général.

"Dans les environs de Colmars et d'Allos, le nummulitique repose le plus souvent sur les calcaires à Inocérames Sénoniens ; mais, en d'autres points, il repose sur le Cénomanien et sur l'Aptien, ainsi que M. Kilian et moi nous avons pu nous en assurer en septembre 1888."
Note (3)

Enfin, les mêmes géologues ont constaté l'existence, dans notre territoire et en quelques autres régions montagneuses, de Nummulites très rares dans les Alpes.
"Il faut noter, disent-ils, la présence, aux Séolanes, au Mourre-Haut, au Gerbier et près de la Cabane de Talon, de couches à grandes Nummulites (N. perforata) inconnues dans cette partie des Alpes et plus anciennes que les calcaires à Nummulites des Hautes-Alpes et des environs même du Lauzet.
Ces couches ne se retrouvent que sur le versant italien du côté de Demonte."
Note (4)

Tels sont les fossiles que l'on trouve à Allos, précieux vestiges de notre ancienne Faune,rares témoins des ères géologiques, que le docteur Honnorat appelle dates, inscriptions et chartes des siècles qui ont précédé l'histoire écrite et la création de l'homme.

2.-Faune actuelle : poissons, animaux domestiques. Animaux sauvages mammifères.

Quoique notre Faune actuelle n'offre rien de particulier, dit encore l'érudit docteur, elle ne doit pas être négligée; ce serait une lacune dans notre histoire."

Il ajoute que, "dans le lac d'Allos, il existe, sinon des espèces particulières de Truites, du moins des variétés fort remarquables qui diffèrent beaucoup de celles du lac du Lauzanier et de celles des rivières."
On les divise en Truites saumonées et non saumonées.
Celles qui ressemblent au saumon, le roi des poissons d'eau douce, ont la tête plus petite, en forme de coin, et les côtés parsemés d'un plus grand nombre de taches.

On pêche les unes et les autres à la ligne, au fusil et avec différents filets.
Pendant l'hiver, les pêcheurs percent la couche de glace qui couvre le lac, et ils font passer les filets par cette ouverture.
Il y a aussi des Truites dans le Verdon, Chadoulin et Bouchiers; celles de ce dernier cours d'eau sont les plus recherchées.

Sur les bords du Verdon, nous trouvons la Loutre, Luria, que l'on a appelée un représentant aquatique de la famille des Martres, des Belettes, etc.
Son poil, qui est estimé pour les fourrures, a la propriété de certains oiseaux aquatiques :
il ne s'imprègne pas d'eau, tant que l'animal est vivant.

La Loutre se nourrit surtout de poissons, et sa chair est un mets maigre.

Les animaux domestiques, que je me contente de nommer, sont les Chevaux, les Mules et Mulets, les Poules, etc.

Parmi les animaux sauvages mammifères, on remarque :
le Chamois, le Renard,
Note (5) la Marmotte, le Blaireau, le Lièvre, l'Ecureuil, la Martre, la Fouine, la Belette, la Taupe, le Mulot, etc.

Le Chamois est semblable à la Chèvre, mais ses jambes sont plus longues et il est d'une agilité extraordinaire.
Il habite les hauteurs, et de préférence les lieux inaccessibles.
C'est là que les chasseurs tâchent de la surprendre.
"Les Chamois vivent en société sur les montagnes de Barcelonnette, d'Allos, de Prads, de Colmars, etc."
(Docteur Honnorat.)

Le Renard, que l'on pourrait nommer Chien sauvage, est l'emblème de la ruse et de la finesse.
Il se nourrit de Lièvres, de Lapins, de Taupes, de Mulots, d'oiseaux de toute espèce, et les poulaillers où il peut s'introduire sont bientôt dépeuplés.
Il est donc plus nuisible qu'utile, et c'est pourquoi on lui fait une guerre d'extermination.

La Marmotte, en espagnol et en provençal Marmota , est de la famille des rongeurs.
Elle entre dans son terrier vers la fin du mois de septembre et y demeure pendant sept ou huit mois.
Elle se replie sur elle-même et demeure là, engourdie, vivant de sa propre graisse, qui se consume lentement, et ne faisant un peu de mouvement que lorsque la lune se renouvelle.
La chaleur du printemps la fait sortir de sa longue léthargie, et bientôt elle fait entendre ses sifflements aigus.

Le Blaireau ou Tesson a quelque ressemblance avec l'Ours et le Cochon.
Il rend des services à l'agriculture en détruisant les Hannetons, les Guêpes et beaucoup d'insectes, mais il se nourrit aussi de fruits et il dévore les oeufs des oiseaux.
On se demande cependant si ces dégâts justifient la loi ou règlement du 1er germinal an XIII, qui traite le Blaireau comme un animal nuisible.

Le Lièvre est timide et inoffensif.
Ordinairement, il dort dans son gîte pendant le jour et il se promène pendant la nuit.
C'est à l'occasion de ses courses nocturnes qu'il peut faire quelques dégâts dans les campagnes; mais il n'est pas malfaisant et, si on le tue, c'est comme gibier recherché.

L'écureuil est un petit rongeur, très commun dans nos montagnes, qui construit son nid au sommet d'un arbre élevé, et si ingénieusement qu'il préserve ses petits de la pluie. ( Docteur Honnorat.)
Il a le tort de manger les oeufs et même les petits des oiseaux.

La Martre et la Fouine ne diffèrent que par la couleur du poil qu'elles ont sous la gorge.
Ce poil est blanc chez la Fouine, et jaune chez la Martre.
L'une et l'autre dévorent le menu gibier et dépeuplent les basses-cours.

La Belette, au contraire, détruit le Mulot et autres animaux nuisibles.

La Taupe dévore également beaucoup de petits insectes nuisibles.
Si elle contrarie les agriculteurs en creusant des galeries dans le sous-sol, comme les Mulots, elle fait, en même temps, un drainage utile et dont bénéficieront les futures récoltes.
Ces petits rongeurs ne sont donc pas toujours malfaisants.

3.-Oiseaux de proie. Oiseaux qui émigrent et ceux qui n'émigrent pas. Petits oiseaux. Reptiles.

Ajoutons quelques notions sommaires sur les oiseaux sauvages, qu'il faut diviser en deux classes :
ceux qui habitent constamment chez nous et ceux que nous ne voyons que pendant la belle saison.
(Docteur Honnorat.)

L'Aigle établit son nid dans les anfractuosités des rochers de nos plus hautes montagnes, où, malgré sa vigilance et la puissance de ses serres, des chasseurs s'emparent quelquefois de ses petits.

Il est, avec le Faucon, la terreur des Poules, qui, en les voyant fondre sur elles, jettent un cri d'effroi et se cachent dans les buissons.

L'Epervier est également rapace, mais plus petit, puisqu'on donne en général ce nom à toutes les petites espèces du genre Faucon.
(Docteur Honnorat.)

La Pie, comparable à l'Epervier par sa voracité, fait de tout sa nourriture.
Elle est criarde, querelleuse, et on l'accuse d'être voleuse.
Elle n'émigre jamais, et elle rend des services à l'agriculture en dévorant beaucoup de petits animaux nuisibles.

Le Geai, criard comme la Pie, se nourrit surtout de graines, d'insectes et de baies de fruits.
Il ne marche qu'en sautant, comme quelques autres oiseaux.

Le Corbeau, solitaire et vorace, se nourrit de fruits et de petis animaux nuisibles ou utiles jusqu'à la grosseur des Levrauts (Joigneaux) ; mais sa nourriture de prédilection est la chair des cadavres.
Comme la Pie et le Geai, le Corbeau n'émigre jamais.

Le Faisan, que l'on trouve dans les forêts d'Allos, particulièrement à Valsibière, n'est pas le Faisan proprement dit que les Grecs, revenant de la conquête de la Toison d'Or, rapportèrent des bords du Phase, d'où vient le nom de Faisan qu'il faudrait orthographier autrement; c'est le Coq de bruyère ou petit Tetras, nommé Faisan de montagne dans la Haute Provence.

La Perdrix blanche ou Lagopède, que l'on rencontre à Allos, à Colmars, à Barles, à la Colle-Saint-Michel, porte le nom de Gealabra, parce que ce gallinacé habite les montagnes les plus froides.
Le nom de Perdrix blanche ne lui convient bien qu'en hiver, car, pendant l'été, son plumage est presque tout gris.
(Docteur Honnorat.)

Le Pivert ou Pic-Vert, en provençal Picatas, est un oiseau à plumage vert et jaune, dont la langue longue et visqueuse saisit facilement dans les troncs d'arbres les insectes qui y sont cachés.
Lorsque le Pivert a frappé d'un coup de bec un côté de l'arbre, il se transporte lestement sur le côté opposé pour ne pas laisser échapper les insectes qui vont en sortir.

Le Pigeon ramier (Pigeon favart) vit dans nos bois à l'état sauvage.
Il est beaucoup plus gros que le pigeon ordinaire.
On remarque son nid au sommet des mélèzes, dans les forêts d'Allos.

Disons enfin que la tribu nombreuse des petits oiseaux, comme les appelle M. Joigneaux
Note (6) dans son excellent Livre de la ferme, n'est pas la partie la moins utile, ni la moins intéressante de notre faune, cum rerum natura nusquam magis quam in minimis, tota sit. (Pline, lib. XI, c. 2. )

Les Hirondelles, dit-il et les Gobe-Mouches font pendant le jour, autour de nos habitations, la même chasse incessante que les Chauve-Souris pendant la nuit....
Ces oiseaux prennent les insectes au vol....

"La grande division des oiseaux appelés Becs-fins détruisent une quantité incroyable d'insectes.
Ce sont les Bergeronnettes, les Rouge-Queues, les Rouges-Gorges, les Rossignols, les Fauvettes, les Roitelets, etc.

"Ces innocents petits oiseaux purgent nos jardins, nos près et nos bois des ennemis de nos cultures et remplissent nos bosquets de leur chant gracieux et varié.
Presque tous nous quittent pendant la mauvaise saison, lorsque le manque d'insectes les force à émigrer vers le sud; il ne nous reste que le Roitelet, le Rouge-Gorge, le Grimpereau, etc...
Note (7)
La disparition des insectes parfaits,pendant l'hiver, pousse les insectivores qui nous restent à la recherche des oeufs et des larves engourdies....
"Si on voit les Mésanges grignoter les bourgeons dans les vergers, que l'on ne s'effraye point :
le plus souvent, c'est que le bourgeon renferme de petites larves.
Note (8)

"Les Alouettes, quoiqu'en partie granivores, sont très friandes d'insectes.
Elles détruisent une quantité de cécydomies (mouches de Hesse) et de larves d'élatérides (taupins), ces deux fléaux du blé.
Les Grives et les Merles sont de grandes Fauvettes; elles en ont le chant et la nourriture....

"Il faut encore recommander comme grands destructeurs de larves deux oiseaux plus grands, la Huppe et le Coucou.
Le dernier a pour mission, ainsi que le rappelle le docteur Turrel, de se nourrir de grosses chenilles velues que peu d'autres oiseaux peuvent digérer, et l'on prétend qu'il en détruit cent soixante-dix par jour.

"Les petits oiseaux nommés en général Gros-Becs et granivores vivent, la plupart, de semences, de plantes sauvages ou de graines cultivées tombées à terre qui, sans eux, resteraient sans emploi, et ces oiseaux sont presque exclusivement insectivores dans leur jeune âge.
Paix donc aux Chardonnerets, Linottes, Pinsons, Becs-Croisés.....

"Les Moineaux, qui sont partout les compagnons de l'homme, sont sans doute incommodes lorsqu'ils dévalisent nos cerisiers, nos petits pois ou les céréales semées trop près des habitations; mais, d'un autre côté, on a constaté le nombre étonnant de chenilles et autres insectes nuisibles qu'un Moineau porte à ses petits, pendant les trois ou quatre couvées qu'il élève dans l'année....

"L'Etourneau est un oiseau précieux, grand amateur de chenilles, de vers et de limaçons.
On ne peut lui reprocher que son goût pour les cerises."

Parmi les reptiles, la Vipère est le seul venimeux que l'on rencontre à Allos et que l'on doive détruire, par conséquent.

Les Couleuvres et les Crapauds sont éminemment uitles pour préserver les jardins des larves et des limaçons.

4.-Flore de la vallée du Verdon. Les forêts de Lambruisse, de Chamatte, de Monier. Les éléments floristiques méditerranéens plus fréquents dans la vallée du Verdon que dans celles de la Bléone et de l'Ubaye.

Il n'est peut-être pas, en France, de vallée dont le développement soit plus complexe et plus inattendu que celle du Verdon.
Note (9)
Le voyageur qui, de la ligne ferrée de Marseille à Grenoble par Veynes, voit, au voisinage de la gare de Corbières, les grèves de la Durance s'étendre vers l'Est, au pied du plateau monotone de Riez, ne se doute pas des surprises qui l'attendraient s'il songeait à remonter la vallée qui se perd dans la Durance au voisinage de Vinon.
Le régime étrange du Verdon s'accuse au delà de Gréoulx; il s'affirme à mesure qu'on en remonte le cours.
Pour être exact, il convient de le dire, on ne le remonte qu'avec des écarts importants, destinés à tourner des difficultés insurmontables.
Si, d'ordinaire, les vallées sont les voies de la civilisation, ce n'est sûrement pas en suivant l'affluent le plus important de la Durance que les maîtres de la Méditerrannée ont imposé leur domination aux habitants de la vallée supérieure du Verdon.
Le géographe qui en suit les méandres pour en connaître le régime va d'étonnement en surprise et se croirait souvent égaré sans les cartes qui le guident.
C'est un dédale hydrographique.

M.Zürcher a bien montré comment s'est formé le relief de la région à travers laquelle les eaux du Verdon ont dû se frayer un lit;
Note (10) il explique cette énorme nappe de déjections miocènes constituant le plateau de Riez, sillonné par les eaux de l'Asse et longé par le cours inférieur du Verdon.
Il montre par quels puissants efforts orogéniques les masses rigides des dépôts calcaires et dolomitiques jurassiques, les masses flexibles des marnes et calcaires marneux jurassiques et crétacés durent se prêter à la nécessité d'occuper une moindre étendue; il établit comment l'effort de striction ralenti, puis arrêté, recommença après le dépôt de nouvelles couches.
Les portions les plus rigides furent faiblement disloquées; elles forment aujourd'hui la zone des Causses.
Les bandes les plus souples, comprimées par les premières, subirent des plissements d'une puissance extrême; après des modifications profondes contemporaines de l'édification définitive du massif des Alpes ou postérieures, elles constituent la zone des Barres.

Les cours d'eau venant des grands massifs, pour se frayer une voie vers la mer, ont emprunté successivement des dépressions d'origine diverse; elles étaient mal raccordées ou ne se raccordaient pas; c'est après un long travail et très varié, suivant la zone qu'ils avaient à traverser, qu'ils ont fini par établir leur cours actuel.

Aucun ne présente, à cet égard, plus de variété que le Verdon.
Le botaniste est, en sa présence, comme le géologue.
Il n'y voit pas une vallée naturelle, mais une série de bassins d'écoulement reliés les uns aux autres.
L'ensemble n'en saurait être étudié d'une manière synthétique par le botaniste, comme les vallées du Var ou de l'Ubaye.
Celle du Verdon est un sillon irrégulier dans les chaînes subalpines et les Préalpes de Provence, qui forment un ensemble tout à fait naturel au point de vue de la géographie botanique.

C'est à Saint-André de Méouilles que le Verdon sort de la zone des Grands Massifs, pour s'insinuer dans la zone disloquée où nous ne le suivrons pas.
Jusqu'à Thorame-Haute encore, il présente une particularité.
Tout porte à croire qu'il suivait jadis la large dépression de Thorame-Haute à la Batie, pour suivre le thalweg de l'Issole et retrouver son lit actuel près de Saint-André; le défilé de Branchaï paraît avoir été creusé tardivement.

En amont de Thorame-Haute, la vallée appartient définitivement au type le plus simple; c'est une vallée synclinale comprise entre la chaîne du Cheval-Blanc, à l'Ouest, et la chaîne à laquelle appartiennent le Cheval-de-Bois (2841 mètres), le Pelat (3053 mètres), les Grandes-Tours (2745 mètres) et la Tête-de-l'Encombrette (2682 mètres).

Cette même portion du cours de la rivière offre aux études du botaniste des conditions comparables.
Elle a une direction générale Nord-Sud; elle subit le même éclairement; elle est exposée d'une manière uniforme aux rayons calorifiques.
Les contreforts qui épaulent les deux chaînes limites ont, au contraire, un versant à l'adrech et l'autre l'ubac; il en résulte de remarquables différences entre ces deux versants.

Le noeud orographique du bassin du Verdon est le massif de Siolane; plus exactement, c'est la fourche comprise entre le pic des Trois-Evêchés et la Sestrière.
C'est la voie qu'avec raison les ingénieurs ont choisi pour établir la route d'Allos à Barcelonnette, profitant de la dépression du col de Valgelaye pour descendre au plus près dans le vallon du Bâchelard.
Les botanistes n'ont pas le même intérêt à remonter le Verdon jusqu'à ses sources.
Le cirque des montagnes qui les dominent, exposé au Sud, a fourni de temps immémorial un abri aux troupeaux, qui peuvent, à conditions égales, s'y élever plus haut et y demeurer plus longtemps qu'ailleurs.
Les arbres en ont à peu près disparu; la flore alpine s'y développe moins que sur d'autres versants, en raison de l'exposition chaude, et elle est appauvrie par le parcours des troupeaux.
Il en est de même de la crête qui se développe de la Sestrière au Cimet et de son versant méridional.
Le vallon du Bouchier, au contraire, et mieux encore le bassin du Chadoulin offrent aux botanistes les observations les plus intéressantes.
Le Cimet et le Pelat dépassent 3000 mètres d'altitude; la chaîne qui sépare le Chadoulin du Var, avec ses beaux lacs, ses crêtes abruptes et ses cimes décharnées, présente une variété de stations favorables à la diversité de la flore.
De plus, les vallées qui s'ouvrent directement sur la Méditerranée, comme celle du Var, ont un caractère floristique particulier, qui n'est pas sans influence sur les vallées les plus voisines.

C'est bien encore aux Alpes méditerranéennes ou maritimes que la flore rattache la vallée supérieure du Verdon; mais le caractère méditerranéen y est moins accusé déjà que dans la vallée du Var.
A altitude égale, on trouve plus d'espèces propres aux vallées chaudes dans le bassin du Var que dans celui du Verdon.
Par contre, les éléments floristiques méditerranéens sont plus fréquents dans la vallée du Verdon que dans celle de la Bléone ou de l'Ubaye.
Les unes et les autres appartiennent au Secteur austro-occidental du Domaine floristique des Alpes.
La vallé supérieure du Verdon, avec les vallées supérieures des Alpes maritimes, constituent un district bien défini de ce secteur, le district floristique des Alpes méditerranéennes.

Les personnes les moins familiarisées avec la géographie botanique reconnaissent sans effort que la végétation varie beaucoup avec l'altitude.

Aux environs de Saint-André et et dans tous les vallons qui aboutissent au Verdon non loin de ce bourg, la flore appartient évidemment à l'association florale du Chêne rouvre (Quercus sessiliflora var. pubescens) ; mais le chêne y est rare comme tous les arbres feuillus; le Noisetier, le Cerisier Mahaleb, l'Amélanchier sont rares en bien des points, par suite de la dénudation occasionnée par les abus d'exploitation et de pâturages.
Il existe des peuplements satisfaisants de Chênes dans la vallée de l'Issole, sur les territoires de Lambruisse ( à l'adrech) et de Thorame-Basse, entre 1000 et 1400 mètres.
Nous avons observé un Chêne buissonnant à 1470 mètres, dans la forêt de Lambruisse.
En somme, les Chênes sont rares dans le fond de la vallée et au voisinage des agglomérations.
Dans le voisinage des exploitations, ils sont presque toujours tallés en têtards.
Ils fournissent le fourrage que les près ne donnent plus.

Que le Chêne existe ou non, c'est bien l'association du Chêne rouvre qui occupe le fond de la vallée.
Le Buis, la Lavande (Lavandula vera) et le Genêt cendré sont les arbrisseaux dominants; mais depuis la limite ordinaire des cultures, vers 960 mètres, jusqu'à 1600 mètres, le Pin sylvestre a envahi la plus grande partie du territoire.
Il s'y comporte comme dans toutes les Alpes méridionales, tendant à envahir les terrains dépouillés de forêts.
Le besoin de bois et l'abus du pâturage finissent par en avoir raison, malgré sa résistance exceptionnelle; c'est ainsi que d'énormes surfaces demeurent improductives.
Les étrangers qui parcourent ce pays s'étonnent qu'il existe en France des contrées aussi abandonnées et que les représentants des Alpes dans les conseils de la nation n'agissent pas de tout leur pouvoir pour obtenir des lois une protection efficace contre la ruine des contrées qui leur confient leurs intérêts.

La forêt de la Mure (960-1370 mètres) nous donne une bonne idée de l'association du Chêne rouvre dans la vallée; l'Erable champêtre, l'Erable à feuilles d'Obier, le Genêt cendré, le Cerisier Mahaleb, l'Alisier blanc, l'Amélanchier, le Groseillier épineux, le Viorne flexible, le Buis et le Genévrier commun forment les sous-bois.
Dans les clairières et les points les plus ensoleillés, on trouve le Thym, la Sariette, la Lavande, le Lis pourpre, Silene Otites, S.italica, Helianthemum canum, H.italicum, H.polifolium, Dianthus longicaulis, Sedum nicoense,Echinops Ritro, Leuzea conifera, Melica ciliata, Aegilops ovata.
Plusieurs de ces espèces dépassent l'altitude de 1600 mètres; la Lavande atteint même 1700 mètres.

Parmi les espèces moins exigeantes au point de vue de la lumière, signalons seulement les plus remarquables :
Ranunculus monspeliacus, Hypericum hyssopifolium, Ononis cenisia, O. fruticosa, Anthyllis montana, Astragalus, Vicia onobrychioides, Lonicera Xylosteum, Carlina acaulis, Inula montana, Hieracium staticefolium, Campanula rapunculoides, Cerinthe minor, Linaria supina, Nepeta lanceolata, Allium sphoerocephalum, Lasiagrostis Calamagrostis.

Sur l'autre rive du Verdon, en face et un peu en amont de la Mure, une forêt de Chênes en bon état, en mélange avec le Hêtre, le Pin sylvestre et le Noisetier, permet d'ajouter à cette liste quelques espèces :
l'Ancolie commune, la Mercuriale vivace, le Sceau de Salomon, la Bourdaine des Alpes, le Groseillier des Alpes, l'Esparcette des rochers, la Coronille arbrisseau, avec Saponaria ocymoides, Molopospernum cicutarium, Chrysanthemum corymbosum, Teucrium Botrys et Euphorbia dulcis.
Un simple coup d'oeil jeté sur cette courte liste nous avertirait que nous sommes bien dans un pays de Chênes rouvres, alors qu'il n'existerait plus un seul individu de cette précieuse essence.

La montagne de la Chamatte nous fournit l'occasion d'étudier la zone du Hêtre; elle y occupe surtout le versant exposé au levant et l'ubac des bois d'Allons, mais aussi, à une altitude bien plus élevée, l'adrech de la Chamatte, de 1350 à 1670 mètres.
Le Framboisier, le Sorbier des oiseleurs, le Noisetier sont abondants; le Pin sylvestre, plus abondant que le Hêtre, révèle que des abus d'exploitation se sont produits pendant longtemps.
La flore herbacée est caractéristique.
Il suffit d'en signaler les espèces les plus notables.
L'anémone des Alpes et l'A. hépatique, la Valériane des montagnes; les Campanules à feuilles de pêcher, à feuilles rondes, à feuilles de lin, la Centaurée des montagnes, la Primevère officinale, le Lis pourpre, les Dianthus silvestris, Hypericum hyssopifolium, Linum suffruticosum, Alchemilla vulgaris, Saxifraga granulata, Homogyne alpina, Leucanthemum maximum, Monotropa hypopitys, Androsace Chaixi, Veronica fruticulosa, Phalangium Liliago, Allium paniculatum et Stipa pennata.

Le sommet de la Mure, de 1650 à 1775 mètres, et celui de Chamatte, de 1650 à 1880 mètres, sont occupés par des prairies d'aspect alpin et qu'un oeil peu exercé prendrait pour des prairies alpines fauchables.
Des prairies de même nature, avec la même composition florale, occupent la faîte de la plupart des Préalpes provençales, dès qu'elles approchent de l'altitude de 1600 mètres ou la dépassent.
Dans quelques cas même, la prairie pseudo-alpine couvre des sommets de plus faible élévation, comme la Blache au Nord de Castellane (1313 mètres).
Une étude attentive permet de reconnaître que l'abaissement de la limite supérieure de la végétation arborescente est normal; il ne faut pas l'attribuer à la destruction de forêts par l'imprudence de l'homme; les vents qui balaient ces sommets sont d'autant plus violents que les cimes sont plus hautes et plus isolées; ils sont d'autant plus secs, les autres conditions étant égales, qu'ils appartiennent au revers méditerranéen des Alpes.
On sait que les arbres peuvent être tués par l'excès de la transpiration sur l'absorption par les racines; c'est en exagérant la transpiration par rapport à l'absorption, que les vents froids d'hiver comme les vents secsd'été brûlent les rameaux des arbres et les ramènent sans cesse à des formes rabougries.
Ce phénomène se produit partout où les vents sont en même temps secs et forts.
Nous l'avons observé sur les bords de la mer du Nord comme sur les rivages de la Méditerrannée, sur les sommets des Préalpes comme aux cols des Alpes élevées; dans leur voisinage, la végétation arborescente atteint un niveau inférieur à celui auquel elle arrive sur les versants abrités contre les vents.

La Chamatte nous en fournit, du reste, une démonstration éclatante.
L'administration forestière y a planté des Pins Cembros, entre 1700 et 1880 mètres; le Pin Cembro est de tous les arbres des montagnes d'Europe celui qui vient volontiers le plus haut.
Dans nos Alpes, la limite supérieure dépasse de 200 mètres celle de toute autre espèce arborescente, c'est-à-dire 2400 mètres au pic de Dourmiouze, par exemple.
Or, ces arbres meurent à Chamatte, brûlés par les vents du nord, à 700 mètres au-dessous de leur limite ordinaire.

D'ailleurs, les prairies pseudo-alpines de Chamatte, de la Mure, de Lambruisse, de Cordoeil comprennent une majorité d'espèces de la zone du Hêtre avec un nombre relativement faible d'espèces alpines; ce sont à Chamatte :
Draba aizoides, Iberis saxatilis, Arenaria aggregata, Alsine Villarsii, Antennaria dioica, Saxifraga oppositifolia, Galium anisophyllum, Aster alpinus, Gregoria vitaliana, Pedicularis verticillata, Veronica Allionii, Plantago alpina.
A côté de ces espèces, signalons seulement, pour confirmer qu'il s'agit là d'une apparence de prairies alpines :
Astragalus Onobrychis, A. aristatus et Scabiosa graminifolia.
En réalité, on n'atteint la région alpine que vers les crêtes du Cheval-Blanc, du Courradour et du Grand-Goyer.

L'ubac de la forêt communale de Lambruisse possède une belle forêt de Sapins (Abies pectinata) ; au plus près du village, des abus d'exploitation d'ancienne date ont mis le Pin sylvestre à la place du Sapin.
Dans la forêt, il y a quelques enclaves jadis cultivées, abandonnées maintenant; elles sont envahies par le Pin sylvestre, sous lequel se fait un peuplement abondant de Sapin; c'est une indication précieuse.
Pour s'assurer, dans l'avenir, un revenu supérieur, la commune de Lambruisse devrait repeupler les vides en Epicéas ou en Pins sylvestres, considérés comme essences temporaires; à leur abri, le Sapin se multiplierait, et des coupes d'éclaircies échelonnées compléteraient la forêt sous sa forme normale.
Le Sapin descend jusqu'à 1025 mètres dans les alluvions de l'Issole.
Signalons seulement, dans la forêt de Sapins de Lambruisse, le Tilleul (Tilia intermedia) , la Bourdaine des Alpes, la Pivoine (Poeonia peregrina) , le Cytise des Alpes, les Saxifraga Aizoon, Prenanthes purpurea, Campanula persicoefolia, Phyteuma spicatum, Pyrola secunda, Androsace Chaixi, Veronica urticoefolia, Calamintha grandiflora, Euphorbia dulcis, Neottia nidus-avis, Luzula maxima, Melica uniflora.

Revenons à la vallée principale, pour nous engager dans sa partie supérieure entre les deux chaînes alpines.
Le Noyer (Juglans regia) est toujours largement associé aux cultures, et, jusqu'à Beauvezer, les pentes de la rive droite sont occupées par le Chêne rouvre jusqu'à 1200 mètres environ; au delà de ce village, il disparaît; nous ne le retrouverons que sur les coteaux au Nord de Colmars, en amont du fort de Savoie.
Il y forme 20 pour cent du peuplement, associé au Pin sylvestre, au Peuplier tremble, au Buis.
Avec eux, nous avons vu l'Alisier blanc, le Cytise à feuilles sessiles, le Noisetier, la Bourdaine des Alpes, le Bouleau et le Prunier de Briançon aux fruits acerbes mûrissant en automne.
Le Buis cesse définitivement vers 1400 mètres; le Chêne à 1410 mètres; le Noyer est cultivé en amont d'Allos jusqu'à 1480 mètres.

Dès qu'on s'élève un peu au-dessus de Colmars, à l'ubac surtout, on est dans la zone des forêts subalpines.
La belle forêt communale de Monier s'étend entre 1350 et 2500 mètres; elle comprend du Pin sylvestre en bas, du Sapin et de l'Epicéa dans les parties moyennes et du Mélèze, qui forme 70 pour cent de l'ensemble et occupe les hauteurs, à l'exclusion des espèces précédentes, associé seulement à quelques Pins Cembros.
Sous la futaie, les espèces les plus répandues jusqu'à 1630 mètres sont le Buis, l'Amélanchier, les Cotonéasters commun et cotonneux, le Framboisier, le Myrtille, le Cytise à feuilles sessiles, le Serpolet, Veronica urticoefolia, Lonicera Xylosteum, Oxalis acetosella, Bupleurum gramineum, Teucrium lucidum, Rosa graveolens, Campanula rotundifolia, Calamintha grandiflora.
Avec ces espèces dominantes, d'autres méritent qu'on les signale :
le Sureau à grappes, le Chêvre-feuille des Alpes, la Myrrhe odorante, la Fritillaire du Dauphiné, l'Aconit paniculé et l'Aconit tue-loup, la Rose des Alpes, l'Astragale pourpré, Hypericum montanum, Lathyrus vernus, Trociscanthes nodiflorus, Molopospermum cicutarium, Galium loevigatum, Saxifraga lingulata, Senecio soeracenicus, Bellidiastum Michelii, Maianthemum biflorum; avec cela, quelques espèces alpines.
C'est à peu près exactement la flore de la forêt de Gache, dans la vallée du Bachelard.

5.-Flore spéciale d'Allos. Les forêts de Vacheresse, du Villard, etc...
On trouve toutes les espèces alpines dans le bassin de Chadoulin.
Liste générale des espèces de la région du lac. Utilité du reboisement.


Le vallon de Clignon conduit au col des Champs (2190 mètres).
Traversons la zone forestière, où nous observons les derniers Chênes; elle a les mêmes caractères qu'au bas du bois de Monier, mais elle a été altérée par l'intervention de l'homme.
Notons encore dans les broussailles, les clairières, sur les rochers et les coteaux dénudés, au-dessus du fort de Savoie :
le Genêt cendré avec Malva Alcea, Rubus saxatilis, Lathyrus latifolius, Buphtalmum salicifolium, Echinops sphoerocephalus, Pyrola secunda, Cerinthe minor, Antirrhinum latifolium et polygonatum verticillatum.
A partir du plateau où est établi le camp des chasseurs, les aspèces alpines apparaissent et deviennent de plus en plus nombreuses; nous les retrouverons toutes dans le bassin du Chadoulin; négligeons-les pour l'instant et arrivons à Allos.

C'est la vallée du Chadoulin qui nous attire surtout aux environs d'Allos; un faible détour nous permettra de remonter le vallon de Bouchiers, pour explorer le bois de Vacheresse peuplé de Mélèzes et revenir au Chadoulin par le Brec.
Le bois de Villard et le bois de Vacheresse ont la même flore subalpine, de même composition ou peu s'en faut que le bois de Monier, près de Colmars.
Les terres à l'adrech du Brec et de Champ-Richard sont pour la plupart livrées au parcours et la flore en est appauvrie.
On y remarque que quelques espèces amies du soleil y viennent très haut, comme la Lavande (1690 mètres), la Sariette (1920 mètres), le Genêt cendré (1700 mètres).
Signalons encore Koeleria valesiaca, Onosma echioides, Ononis cenisia, Hypericum Coris, Viola biflora, Hippophae rhamnoides, Saxifraga lingulata et l'If (Taxus baccata ), representé par quelques rares exemplaires.

La cabane du Laus est à 2140 mètres; nous avons atteint la zone alpine inférieure; les espèces dominantes en sont presque toutes caractéristiques.
Telles sont :
Ranunculus montanus, Lotus corniculatus, Potentilla grandiflora, Alchemilla montana, Cirsium acaule, Thymus Serpyllum, Plantago alpina, Nardus stricta.
Les rochers plus ou moins escarpés, comme ceux que nous venons de longer sous la Tête-Ronde, les Sagnes, qui s'étendent en face même de la cabane, les éboulis sous le Tête-de-Monier ou tout autour du lac, les pelouses, les grèves limoneuses des ruisseaux se déversant dans le lac, sont autant de stations dont chacune a sa flore particulière.
Nous ne saurions les détailler ici, la liste générale en est nombreuse; mais il ne nous a pas paru que nous devions l'écourter :

Ranunculus pyrenaeus.     Bupleurum petraeum.
Anemone baldensis.     Athamanta cretensis.
Anemone alpina.     Galium helveticum.
Delphinium elatum.     Galium anisophyllum.
Aconitum Lycoctonum.     Valeriana saliunca.
Arabis alpina.     Homogyne alpina.
Hutchinsia alpina.     Adenostyles albifrons.
Viola biflora.     Adenostyles alpina.
Dianthus neglectus.     Erigeron alpinus.
Arenaria lanceolata.     Aster alpinus.
Silene acaulis.     Aronicum scorpioides.
Linum alpinum.     Arnica montana.
Hypericum Richeri.     Senecio incanus.
Helianthemum oelandicum.     Leucanthemum alpinum.
Trifolium alpinum.     Leucanthemum coronopifolium.
Trifolium badium.     Gnaphalium supinum.
Hedysarum obscurum.     Achillea nana.
Oxytropis Gaudini.     Cirsium spinosissimum.
Phaca australis.     Carduus carlinaefolius.
Sibbaldia procumbens.     Berardia subacaulis.
Dryas octopetala.     Leontodon Taraxaci.
Sempervivum tectorum.     Crepis pymaea.
Sempervivum montanum.     Saussurea depressa.
Sempervivum arachnoideum.     Hieracium glaciale.
Saxifraga rotundifolia.     Hieracium tomentosum.
Saxifraga muscoides.     Campanula pusilla.
Saxifraga oppositifolia.     Campanula Allionii.
Saxifraga Aizoon.     Phyteuma pauciflorum.
Laserpitium Panax.     Vaccinium uliginosum.
Rhododendron ferrugineum.     Salix serpyllifolia.
Primula Marginata.     Salix reticulata.
Primula farinosa.     Salix herbacea.
Soldanella alpina.     Veratrum album.
Gentiana lutea.     Allium Schaenoprasum.
Gentiana acaulis.     Juncus alpinus.
Gentiana verna.     Luzula lutea.
Gentiana campestris.     Luzula spadicea.
Gentiana nivalis.     Scirpus compressus.
Gregoria vitaliana.     Carex migra.
Swertia perennis.     Carex atrata.
Myosotis alpestris.     Avena distichophylla.
Scutellaria alpina.     Festuca violacea.
Linaria alpina.     Agrostis alpina.
Veronica Allionii.     Agrostis rupestris.
Veronica alpina     Sesleria caerula.
Veronica aphylla.     Alopecurus Gerardi.
Bartsia alpina.     Phleum alpinum.
Euphrasia alpina.     Polypodium Dryopteris.
Pedicularis rostrata.     Aspidium Lonchitis.
Armeria alpina.     Cystopteris fragilis.
Ixyria digyna.     Asplenium viride.
Polygonum viviparum.     Asplenium septentrionale.
Rumex arifolius.     Botrychium Lunaria.
Daphne Mezereum.     Equisetum hyemale.

Le Genévrier commun, sous sa forme naine, cesse à 2200 mètres.
Nous avons rencontré deux exemplaires de Pin Cembro vers 2400 mètrtes à l'ubac de la tête de Monier, sur des pentes rocheuses où abondent les Marmottes.

Cette excursion doit être complétée par une exploration de la zone alpine supérieure.
De la cabane du Laus, on atteint aisément le col de la petite Cayolle (2642 mètres), le sommet et le petit lac du Garret, le pas de Lausson et le sommet du même nom (2755 mètres).
De là, on peut redescendre le long d'un ravin jusqu'à l'extrémité méridionale du lac d'Allos.
En outre de la plupart des espèces qui viennent d'être mentionnées, nous y avons recueilli :
Ranunculus Seguieri, R. glacialis, Viola cenisia, Cerastium latifolium, Arenaria ciliata, Geum reptans, Saxifraga bryoides, Sedum atratum, Artemisia spicata (l'une des espèces constituant le Génépi) , Adenostyles leucophylla, Androsace carnea, Juncus triglumis.
Par contre, nous n'y avons pas rencontré quelques espèces qui peuvent s'y trouver pourtant, mais que notre ami M.L. Legré a recueillies au sommet du Pelat ou dans son voisinage immédiat :
Cardamine alpina, C.resedifolia, Draba tomentosa, Thlaspi rotundifolium, Viola calcarata, Leontopodium alpinum, Saxifraga androsacea, Cirsium spinosissimum, Androsace helvetica, Pedicularis verticillata, Veronica fruticulosa.

Nous avons expliqué plus haut pourquoi ce n'est pas aux sources du Verdon qu'il faut chercher les espèces alpines de la haute vallée.
On en rencontrera beaucoup en remontant du fond de la vallée au col de Valgelaye; on n'en trouvera nulle part (dans cette vallée) en aussi grand nombre que dans le beau groupe de montagnes qui entoure le plus beau lac des Alpes françaises.

En résumé, la flore de la vallée supérieure du Verdon se décompose en :
1° Zone alpine supérieure, commençant vers 2400 mètres, à la limite supérieure du Pin Cembro.
2° Zone alpine inférieure, s'étendant de 2000 mètres environ à 2400 mètres, c'est-à-dire de la limite des forêts continues de Mélèzes à la limite supérieure possible du Pin Cembro (devenu malheureusement très rare dans le pays).
3° Zone subalpine, commençant vers 1300 mètres à l'ubac, vers 1600 mètres à l'adrech, avec des forêts d'Epicéas et de Mélèzes.
Le Pin sylvestre leur est associé dans les forêts qui ont été plus ou moins détruites.
Le Sapin s'y trouve à titre exceptionnel.
4° Zone forestière montagneuse élevée, caractérisée par les forêts de Hêtres ou de Sapins, s'étendant, suivant l'exposition, de 1000 mètres, plus souvent de 1300 mètres à 1600 mètres.
5° Zone forestière montagneuse inférieure, caractérisée par le Chêne rouvre; le Pin sylvestre tend à envahir tous les sols déboisés depuis cette zone jusqu'à la zone subalpine inclusivement.

Les longs détails que nous venons de donner intéressent les botanistes, mais ils n'ont, par eux-mêmes, aucun attrait pour les personnes étrangères à la science; notre but n'a pas été de les fatiguer, et nous nous excusons de l'avoir fait; mais ce nous est un devoir de dire quelques mots du but que nous poursuivons.
Ce n'est pas pour satisfaire une vaine curiosité ou pour accroître nos collections que, depuis de longues années, nous parcourons les montagnes de France.
Nous cherchons à retrouver, sous les transformations déterminées par l'homme, l'ordre de la nature.
Cet ordre est immuable.
Chaque espèce a sa place marquée par des lois auxquelles l'homme ne saurait rien changer, sans préparer sa propre ruine.
Ce n'est pas à dire que nous devions vivre à côté de la nature sans lui demander de nous nourrir, qu'il faille laisser envahir nos champs par le chiendent et les orties.
L'expérience apprit de bonne heure que certains végétaux se correspondent dans l'économie de la nature; les céréales remplacent les prairies naturelles sans troubler l'ordre; la Vigne, l'Olivier, l'Amandier remplacent les bois de Chênes verts; le Noyer et les arbres fruitiers remplacent le Chêne rouvre, sans porter le désordre dans la nature, car ces végétaux répondent aux mêmes exigences climatiques.

Mais lorsque les populations plus denses s'étendirent plus haut vers les montagnes, lorsque les troupeaux se multiplièrent, il fallut étendre les pâturages.
Les forêts qui couvraient les pentes furent entamées à la fois par en bas et par en haut.
Au pied des montagnes les limites de la zone cultivée s'élevaient peu à peu, repoussant de plus en plus vers le haut la limite inférieure de la forêt.
En haut, les bergers et les troupeaux réussissaient mieux encore à détruire la végétation arborescente et à étendre la zone des prairies.
La zone des forêts, réduite ainsi de siècle en siècle, a fini par disparaître sur des massifs très étendus.
Il est à peine douteux aujourd'hui que tout autour de notre Méditerrenée, ce berceau commun des civilisations européennes, la ruine successive des empires ait été précipitée par les abus de la vie pastorale.
Cette conviction s'est emparée d'une foule d'esprits éminents.
Depuis le XVI° siècle, savants et ministres d'Etat ont exprimé les mêmes craintes, ont tenté les mêmes efforts.
Il a fallu arriver jusqu'à la fin de notre siècle pour les réaliser dans une mesure beaucoup trop faible encore.

Mais, si la science révèle la cause du mal et si les gouvernements s'efforcent d'y remédier, les populations des montagnes les ignorent trop souvent, refusant d'ouvrir les yeux à l'évidence.
Pourquoi la commune d'Allos a-t-elle, depuis moins d'un siècle, perdu un tiers de sa population ?
Pourquoi en est-il de même de presque tous les villages des Alpes ?
C'est que là, comme en Palestine, comme en Turquie, en Grèce et en Espagne, comme dans notre Algérie (jadis le grenier de Rome ), les forêts ont été détruites.
Les montagnes sans forêts sont privées de vie; elles étendent le désert autour d'elles.
Nous n'avons pas à citer d'exemples aux habitants des Alpes; ils en ont partout sous les yeux.

Ce mal est-il sans remède?
Non!
L'homme, qui a accumulé les ruines autour de lui, peut réparer le mal qu'il a fait.
Le moment viendra sûrement où les agriculteurs de nos montagnes reconnaîtront l'impossibilité de lutter contre les céréales produites dans les plaines, que le fauchage des près aux hautes altitudes ne saurait être rémunérateur, que le libre parcours des troupeaux à travers les montagnes cause la perte de presque tout l'engrais; emporté par les pluies, il va fertiliser les plaines de la basse Durance et de la Camargue.

Les agriculteurs des Alpes apprendront qu'au lieu de demander aux arbres d'émonde un mauvais fourrage, ils doivent rétablir les anciens canaux d'irrigation, étendre les prairies qui fourniront plus de fourrages à utiliser sur place et permettront d'élever plus de bétail.
Il faut que la culture devienne intensive au lieu d'être extensive, qu'on demande à la terre ce qu'elle peut produire aux moindres frais, en plus grande quantité et de qualité supérieure.

Ce n'est pas le lieu d'insister sur l'augmentation de population dont cette révolution agricole deviendrait le point de départ.
Au lieu de voir les enfants quitter les vallées pour n'y plus revenir et les familles se disperser, les fils demeureraient auprès de leurs parents, améliorant le patrimoine, accroissant les revenus de l'héritage, et l'émigration s'arrêterait.

Si l'agriculture occupait la place qui lui revient dans nos vallées, nous verrions, développés dans chaque village, le commerce des bois et les industries annexes.
Aux scieries s'associeraient les fabriques de papier de bois; le sabotage, la fabrication des échalas, l'industrie des bois de charronage, du tournage, la fabrication des boîtes et des bibelots utiliseraient les bras et les intelligences, comme dans les vallées du Jura et de Suisse, et le bonheur reviendrait, avec le travail et la sécurité, dans ces vallées ruinées.

Nous n'oublions pas quel charme ce fut pour nous de trouver jadis, au coeur des forêts les plus profondes de la Scandinavie, des bûcherons sculptant, à la veillée, des meubles élégants pour l'agrément de leur foyer et pour la vente.

Sauver de la ruine de belles provinces de notre France, garder à de vaillants Français les champs de leurs pères, c'est le but que nous poursuivons de tous nos efforts.
Les générations prochaines verront peut-être le bien-être où nous ne voyons que sujets de désolation.
Ils béniront alors ceux qui auront lutté en faveur de la grande oeuvre de restauration des montagnes.

 

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(1) Simon-Jude Honnorat, docteur en médecine. - Voir, plus loin, son nom parmi les hommes remarquables d'Allos .
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(2) M. Emeric, natif des environs de Castellane, botaniste distingué et contemporain du docteur Honnorat, écrivait, en 1838, la note suivante :
M. Cordier, professeur de géologie au Muséum d'histoire naturelle, qui avait depuis peu traversé le département des Basses-Alpes, dit, en 1828, au célèbre Cuvier, en ma présence, parlant de M. le docteur Honnorat et de moi, qu'il avait honoré d'une visite :
Ces messieurs de la Haute-Provence n'ont pas des cabinets où l'on ne trouve qu'un petit nombre d'objets d'histoire naturelle; mais ils ont des magasins.
M. Cordier avait raison, parce que, nous occupant à faire des collections et placés sur le point propice, il n'y a rien d'étonnant que des milliers d'individus d'un même genre soient à notre disposition...
Et que serait-ce si nous n'avions pas fait parvenir de pleines tonnes de fossiles à nos amis les Parisiens.
(Annales des Basses-Alpes, tome Ier. pp. 281, 282).
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(3) Chaînes subalpines, par M. Haug, page 124, note.
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(4) Notice géologique sur la vallée de Barcelonnette, publiée en 1898.
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(5) Le Loup a disparu de notre région, et le Sanglier n'y a existé que grâce au roman Paulus, que les lecteurs de la Croix n'ont sans doute pas oublié.
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(6) Auteur du Livre de la ferme et des maisons de campagne.
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(7) Le Grimpereau, appelé Cura partus ou partius, est continuellement occupé à saisir des insectes dans les trous de muraille des habitations.
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(8) M. Koltz affirme qu'une Mésange consomme trois cent mille oeufs d'insectes par an.
M. Tschudi rapporte qu'en quelques heures une Mésange nonnette nettoya un rosier qu'infestaient deux mille pucerons.
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(9) M.Ch.Flahaut, professeur de botanique à la Faculté des sciences de l'Université de Montpellier, a bien voulu écrire pour mes lecteurs la Flore de la vallée supérieure du Verdon.
Je le prie d'agréer l'expression de ma vive reconnaissance.
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(10) Ph.Zürcher, Annales de Géographie, VII, 1898, pp. 308-328.
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