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TOME II
CINQUIEME PARTIE
Description physique, productions.
Cours d'eau, lacs et glaciers.
Etude géologique des terrains. - Faune et Flore.
HOMMES REMARQUABLES.-
Eglises et chapelles.
Anciennes fortifications.
Routes, postes et télégraphes, instruction publique.
Dames de charité, bureau de bienfaisance.
Langue et religion.

CHAPITRE IV

HOMMES REMARQUABLES.

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1.-Alexandre Piny, religieux dominicain, auteur de nombreux ouvrages.

Alexandre PINY, religieux dominicain, professeur de théologie et auteur de nombreux ouvrages de philosophie, de théologie et de piété, naquit à Allos, en 1640.
Son père, Esprit Piny, était notaire et originaire du quartier des Guinans, non loin d'Allos; sa mère appartenait à la famille Pascalis.

Il fit ses études à Draguignan et il se consacra à Dieu, dans la chapelle des Dominicains de cette ville.
Avec la collaboration de deux prédicateurs de son Ordre, il évangélisa la vallée de Barcelonnette et probablement son pays natal.
"Il y a eu, dit l'abbé Albert, dans le couvent (des Dominicains de Draguignan), de grands sujets, et il y en a encore aujourd'hui, qui se distinguent, par leurs talents et par leur zèle, dans le ministère de la chaire.
On parlera longtemps des RR.PP. Piny, Lions et Arnaud.
Le premier, natif d'Allos, est l'auteur d'une Théologie, qui est imprimée."
Note (1)

Il enseigna avec distinction la philosophie à Marseille et la théologie à Aix, où il reçut le diplôme de docteur, en 1672.

Ces succés ayant attiré sur lui l'attention de ses supérieurs, il fut appelé à Paris, où on lui confia la chaire du collège Saint-Jacques, illustrée par saint Thomas d'Aquin.
Il l'occupa pendant seize ans.

Il écrivait alors et il publia son Cours de Théologie,qui est la quintessence de la Somme de saint Thomas.
Déjà il avait publié un Cours de Philosophie,dont le seul défaut, d'après le P. Touron, est d'être trop élevé pour les esprits médiocres.

Ces travaux ayant affaibli sa santé, on lui offrit un repos relatif, dans le couvent de Saint-Honoré; mais là,comme à Saint-Jacques, il travailla sans relâche, pendant une deuxième période de seize ans.

Tous ceux que ses prédications et la sainteté de sa vie avaient touchés venaient achever leur conversion auprès de lui.
Il recevait les riches et les pauvres, les princes et le peuple, et il ne craignait pas de dire à tous de salutaires vérités.
Il osa même, en 1699, se plaindre au roi de la misère du peuple.
Note (2)

Alexandre Piny est l'auteur des ouvrages suivants :
1°.Cours de Philosophie selon saint Thomas.(5 volumes en latin).
2°.Cours de Théologie, résumé de la somme du Docteur angélique ( en latin).
3°.Vie de la Vénérable Madeleine de la Trinité.
4°.Eloge de la Bienheureuse Rose,etc. ( en latin ).
5°.La clef du pur amour.
6°.L'Oraison du coeur ou la manière de faire l'Oraison,etc.
7°.Les trois différentes manières de se rendre intérieurement Dieu présent.
8°.Le plus parfait, ou voies intérieures,etc.
9°.La Vie cachée, ou Pratiques intérieures.
10°.Poésies diverses.

Il mourut en odeur de sainteté, le 20 janvier, pendant l'hiver rigoureux de 1709.

2.-Pascalis, de la Sestrière, son frère et ses deux fils.

JEAN-DOMINIQUE PASCALIS père, d'abord procureur du roi à Barcelonnette, fut ensuite commissaire de guerre, subdélégué de l'intendant de la province et conseiller du roi.

Comme administrateur civil et militaire, il eut, pendant près d'un demi-siècle, une influence considérable dans les affaires heureuses ou malheureuses de notre pays.

En 1745, il offrait à la municipalité un moyen ingénieux pour doter la commune d'une maison de ville.
Deux ans après, il faisait la répartition de l'indemnité accordée par le roi aux victimes de l'incendie d'Allos en 1747.
En tout temps, il avait la difficile mission de faire payer les contributions de guerre, d'obtenir de l'Etat les indemnités duesaux habitants pour fournitures militaires.
Transféré, dans la suite, à Bayonne, il ne perdit pas de vue les intérêts de son pays natal.

Son frère, Charles Pascalis, prieur de la commanderie de Notre-Dame de Moulanès, fit aussi bénéficier son pays du crédit que lui donnaient ses talents, sa situation et la confiance de ses concitoyens.
Il fut envoyé à Paris, comme député, pour y négocier les payements promis depuis si longtemps par le gouvernement aux habitants d'Allos.

Le fils aîné de Jean-Dominique Pascalis lui succéda comme commissaire de guerre, et il devint commissaire ordonnateur de l'armée des Alpes, à Grenoble.
C'est en cette qualité qu'il forma à Allos deux compagnies, sous les ordres des capitaines Pellissier et Jaubert, et qu'il présenta, le 10 septembre 1789, un projet de confédération avec les communes de Colmars, de Beauvezer, de Thorame-Haute et de Thorame-Basse, pour la défense de la haute vallée du Verdon, menacée d'une invasion de brigands.

Antoine Pascalis, son frère cadet, fut d'abord enrôlé dans la garde royale, appelée garde du corps, prit part ensuite à différentes expéditions militaires et parvint au grade de général.

D'après la tradition, c'est le général Antoine Pascalis qui a fait bâtir ou transformer la maison qui a appartenu ensuite à la famille de Hyacinthe Gariel, conseiller à la Cour de Grenoble, et dans la cour de laquelle la municipalité a fait construire une fontaine depuis 1884.

Le général Pascalis était un fervent chrétien; il mourut à Marseille en odeur de sainteté.

3.-Jacques Arvel, de la Foux, chef de bataillon.

JACQUES ARVEL, chef de bataillon, né à Allos, en 1756, débuta dans l'armée, en 1792, en qualité d'adjoint à l'état-major général.

Il était capitaine dès l'année suivante, pendant laquelle il fit sa première campagne qui fut suivie, sans interruption, de sept autres campagnes dans l'armée d'Italie.

En 1798, le général Grouchy signa, au quartier général, à Turin, sa promotion au grade de chef de bataillon, et, le premier jour complémentaire de la même année,
Note (3)   il fut envoyé à Sisteron, pour concourir à la formation d'un bataillon auxiliaire des Basses-Alpes.

Il commandait le premier bataillon de la subdivision du département, lorsque son général lui ordonna de partir de Digne, le lendemain, pour se rendre à Chambéry.

Aux termes de cet ordre du jour, Jacques Arvel était un "ex-chef de bataillon des troupes piémontaises au service de la République française"; il avait donc été enrôlé, non en France, mais dans les Etats du duc de Savoie, lorsqu'ils furent envahis par les Français.
Il appartenait, en effet, d'après la tradition, à une famille originaire de la Foux d'Allos,
Note (4)   qui faisait le commerce à Turin.

"En 1800, il fut nommé commandant d'armes à Forli, chef-lieu d'une province d'Italie, avec la difficile mission d'exercer la police militaire, de maintenir l'ordre et de faire respecter les personnes et les propriétés."

Après cette huitième et dernière campagne, son corps d'armée ayant été transformé, il se retira dans ses foyers, pour y jouir de sa retraite.

4.-Hyacinthe Gariel, conseiller à la Cour de Grenoble.

JEAN-BAPTISTE-ANTOINE-HYACINTHE-CLAUDE GARIEL, conseiller à la Cour de Grenoble, naquit à Allos, le 4 juillet 1778, de Jean-Hyacinthe Gariel,avocat en la Cour, et de Marie-Thérèse Pascalis.

Il fut baptisé le jour même de sa naissance par Alexandre Guieu, vicaire perpétuel.
Son parrain fut son oncle Pascalis, de la Sestrière, commissaire des guerres, et sa marraine sa tante Thérèse Pascalis.

Il commença ses études de bonne heure, chez le secondaire de la paroisse, et il les continua, jusqu'à la rhétorique inclusivement, au collège de Draguignan.

Tonsuré par l'évêque de Senez, à l'âge de 10 ans révolus, il obtint de l'évêque de Fréjus une bourse qui lui permettait de faire à Avignon son cours de philosophie et de théologie.
Ses parents le destinaient donc à l'état ecclésiastique, lorsque les troubles avant-coureurs de la Révolution changèrent leurs projets et obligèrent le jeune Gariel à revenir, en 1791, dans son pays natal.

La sécurité relative dont il y jouit ne fut pas de longue durée.
En 1793, pour échapper aux dangers qui menaçaient les suspects, il demanda un certificat de civisme, qui lui fut refusé par le conseil municipal.
Note (5)
Il pria aussitôt son père, qui avait trouvé, dans un emploi à l'armée, un abri contre la persécution, de lui assurer ailleurs des occupations pouvant lui ouvrir une carrière.

"Mon père me répondit, dit-il dans ses mémoires, qu'il n'y avait plus d'autre état que l'art de guérir."
Il fallut donc, malgré une invincible répugnance, commencer l'étude de la médecine à Grenoble.
Mais les audiences des tribunaux avaient pour lui beaucoup plus d'attrait que les séances à l'amphithéâtre.
Afin de se procurer des ressources qui lui permissent d'embrasser une profession selon son goût, "il entra, en 1795, dans les bureaux de son oncle et parrain Pascalis, commissaire des guerres et ordonnateur de l'armée des Alpes.
Il était encore là, en 1798, comme chef de la correspondance, lorsque la conscription vint le saisir, et il rejoignit, à Turin, l'armée d'Italie.
Successivement, secrétaire du commissaire des guerres et de l'état-major du général Grouchy, il fut ensuite renvoyé dans ses foyers par le général Moreau, qui voulait éloigner de Coni, ville alors en état de siège, les bouches inutiles.

"Gariel revint à Grenoble, dans les bureaux de son oncle.
La carrière du commissariat des guerres lui était ouverte; mais, dit-il , ce que j'avais vu en Italie m'en dégoûtait.

"Le barreau, au contraire, l'attirait.
Il étudia donc le droit, tout en continuant de travailler dans les bureaux militaires, et, en 1801, il fut lauréat de l'école centrale de législation de Grenoble.
Vers la fin de 1802, il alla en Suisse, comme secrétaire de l'ordonnateur aux guerres, et il fut nommé inspecteur des services militaires à Berne.
C'est alors qu'il préluda aux luttes du barreau, en défendant éloquemment et avec succès un soldat traduit au conseil de guerre."
Note (6)

En 1804, Alexandre de Lameth, préfet des Basses-Alpes, le nomma maire d'Allos.
Nous avons déjà dit avec quelle énergie il travailla, pendant sa gestion, pour la conservation la restauration des forêts, ainsi que pour rétablir l'ordre dans l'administration de la commune.
Note (7)

Nous le retrouvons :
en 1813, juge au tribunal de Barcelonnette,
en 1816, procureur du roi à Briançon, et enfin,
en 1818, conseiller à la Cour royale de Grenoble.

La perspicacité avec laquelle il présidait les Cours d'assises fut bientôt remarquée.
Il prédit un jour aux juges qui acquittaient trop facilement un accusé :
"Vous aurez à punir bientôt un grand coupable."
L'avenir prouva la vérité de sa prévision.

Scrupuleusement dévoué à la royauté légitime, Gariel se démit de ses fonctions de conseiller en 1830, et il se retira à Allos, où il mourut en 1849.

Pendant cette dernière période de sa vie, il consacra son temps au bien de ses concitoyens, en les représentant au Conseil général des Basses-Alpes, et à l'étude des livres de sa riche et curieuse bibliothèque.

Il était d'une modestie et d'une érudition remarquables.
Il avait complété lui-même son instruction pendant les temps troublés de la Révolution.
Droit, littérature, poésie, antiquités, sciences politiques, langues étrangères, rien ne lui était étranger.
Nous avons de lui un code forestier qui a été publié, plusieurs manuscrits et divers poèmes.

Ses heureuses dispositions pour la poésie se manifestèrent de bonne heure.
Il est regrettable que la crainte de compromettre sa famille l'ait obligé à brûler plusieurs poèmes anti-révolutionnaires.

Un jeune prêtre qui l'aimait et l'admirait
Note (8)   écrivit sur la croix de sa tombe :

Il était cher au pauvre, au pieux, au savant;
Son nom inspire encor de la crainte au méchant.

Jamais éloge funèbre ne fut mieux mérité.
Avec Hyacinthe Gariel, sa famille disparut d'Allos.
Son neveu et héritier, Paul Gariel, avocat à la Cour d'appel de Grenoble, est mort en 1891, laissant deux fils, MM. Georges et Maurice Gariel.

C'est à l'obligeance de M. Georges Gariel que je dois les éléments de cette biographie.

5.-Simon-Jude Honnorat, savant naturaliste et lexicographe.

Docteur en médecine, savant naturaliste et lexicographe.

Simon-Jude Honnorat appartient à une ancienne famille d'Allos, dont on voit encore la maison, au hameau minuscule appelé Haut-Villard.
Il naquit le 3 avril 1783.

Il avait commencé ses études, lorsque la Révolution l'obligea à les interrompre.
A l'âge de 16 ans, il épousa Marie-Rose Véronique Gariel, soeur de Jean Baptiste Antoine Hyacinthe Claude Gariel.

A 18 ans, il étudiait la médecine à Grenoble, et il se livrait avec tant d'ardeur à l'étude de la botanique et de la chimie qu'il obtint les premiers prix à l'école centrale.

Il alla ensuite à Paris, pour continuer et compléter ces mêmes études.
Il prolongea son séjour pendant cinq ans et revint avec le titre de docteur.
Après son retour de Paris, il exerça la médecine pendant un an, dans son pays natal, et il vint ensuite se fixer définitivement à Digne.

En 1815, il refusa une sous-préfecture; mais il accepta, peu de temps après, les fonctions de directeur des postes à Digne, parce qu'elles n'étaient pas incompatibles avec ses travaux scientifiques.

En 1830, ses opinions politiques l'éloignèrent de l'administration des postes et le rendirent tout entier à ses chères études.

Il fut le principal fondateur des Annales des Basses-Alpes, et sa plume fournit un grand nombre d'articles à cette publication.

Son érudition pour tout ce qui regarde la langue, l'histoire et les productions du sol de la Provence est véritablement étonnante.
Il a cultivé avec persévérance et succès toutes les branches des sciences naturelles......

" Son herbier provençal est très complet et admirablement tenu; son cabinet d'histoire naturelle, très riche...;
sa collection d'insectes, fort belle.
Il en a découvert plusieurs espèces nouvelles :
c'est à lui que les amateurs doivent la connaissance du beau papillon Alexanor et de la Thais Honnoratii .
Sa collection des fossiles des Alpes est très curieuse.
La science a donné à quelques-uns le nom du laborieux docteur."
Note (9)

Mais l'ouvrage le plus important du docteur Honnorat est :
le DICTIONNAIRE PROVENCAL-FRANCAIS
ou DICTIONNAIRE DE LA LANGUE D'OC, ANCIENNE ET MODERNE,
en trois volumes in-4°,
" contenant :
1° tous les mots de ses différents dialectes que l'auteur a pu connaître (100.000), leur prononciation figurée, leurs synonymes, leurs équivalents italiens, espagnols, portugais, catalans, allemands, etc..., quand ils ont le même radical.
2° les radicaux, avec l'indication des langues qui les ont fournis et la liste des mots qu'ils ont concouru à former.
3° les prépositions et les désinences, avec l'explication du sens qu'elles ajoutent aux radicaux.
4° l'énumération des parties qui entrent dans la composition de chaque outil, instruments, machine, arme, habillement, etc....
5° les provençalismes et les gasconismes corrigés.
6° les origines des principales coutumes et institutions.
7° les dates des découvertes et des inventions les plus remarquables, avec le nom de leurs auteurs.
8° les noms provençaux, français et scientifiques des différents êtres dont se composent les trois règnes de la nature, avec les indications des genres, des ordres et des classes auxquels ils appartiennent, etc...

Rien ne nous dit mieux que ce titre les recherches innombrables, l'opiniâtre labeur, la patience à toute épreuve que ce grand travail a exigés.
L'auteur déclare qu'il a consacré près de quarante ans de sa vie à en recueillir les matériaux, et, pour les recueillir, il a dû connaître tous les dialectes du midi, toutes les langues néo-latines, etc, etc...

Le docteur Honnorat était donc un véritable savant, et il a eu, en outre, le mérite d'unir la modestie à la science.
Note (10)

Il a constamment refusé les invitations des sociétés savantes qui auraient voulu le compter parmi leurs membres.

L'amour de son pays l'a toujours retenu dans les Alpes, dont il est un des hommes les plus célèbres par ses talents et par ses oeuvres.

Il mourut à Digne, en 1850.

6.-Alphonse Guieu, avocat à la Cour d'appel d'Aix.

ALPHONSE GUIEU, avocat à la Cour d'appel d'Aix, naquit en 1812, à Castellane, ville natale de sa mère, Thérèse Poilroux.

Son père, Jean-Ange Guieu, né à Allos en 1768,
Note (11) s'étant établi à Castellane, après son union à la famille Poilroux, y exerça les fonctions d'avoué depuis 1801 jusqu'en 1831.
Il appartenait à la branche aînée des Guieu, qui quitta la dernière le sol natal.
Note (12)
Les intérêts de sa famille, qui furent la cause de son exode, motivèrent plus tard son départ pour Aix, après un séjour de plus d'un quart de siècle à Castellane.

Alphonse, le seul survivant de ses enfants, trouva dans cette ville un milieu plus favorable à sa formation intellectuelle et professionnelle.

Après avoir complété ses études classiques, il suivit avec succès le cours de la faculté de droit, et il obtint le diplôme de licencié, à peine âgé de 20 ans.
Inscrit au tableau des avocats en 1835, il conquit bientôt au barreau une situation prépondérante.
En effet, en 1836, il était appelé, par délibération du conseil de l'Ordre, à faire partie du bureau des consultations gratuites; trois ans après, il était élu membre de ce conseil, et enfin, son talent grandissant toujours, il fut bâtonnier de l'ordre des avocats ( 1848- 1850).

Le gouvernement lui offrit alors, en février 1852, un mandat législatif; mais la crainte de s'éloigner de son père octogénaire, son amour pour la vie de famille et son dévouement à la profession d'avocat lui dictèrent un refus aussi correct que modeste.

L'éloge prononcé, le 4 novembre de la même année, à l'audience solennelle de rentrée de la Cour impériale d'Aix, par le premier avocat général,
Note (13)
nous dit magistralement son genre de talent et la noblesse de son caractère :
"Il n'était pas nécessaire d'entendre longtemps Me.Guieu, dit M. Saubreuil, pour s'apercevoir que, chez lui, la parole avait rencontré un maître.
"Rien qu'à le voir, après quelques mots d'exorde toujours simple, esquisser sa cause à larges traits, tracer les grandes lignes de sa controverse, indiquer d'avance avec précision les enseignements qui s'en déduisaient comme d'eux-mêmes et, avec non moins de sûreté, les conséquences finales de ce beau plan de discussion, il était aisé de pressentir une intelligence supérieure, dominant son sujet et le maniant avec aisance, un esprit doué de la plus rare puissance de généralisation, discipliné par la méthode, assoupli par l'expérience; et, de même que dans un édifice bien ordonné, le péristyle fait deviner le monument, de même, sur ce premier exposé d'ordinaire assez développé, on pouvait se faire une idée du discours qui s'y mêlait avec une sorte de grandeur imposante.
"Mais alors il fallait suivre l'orateur.
Rien de ce qu'il avait annoncé n'était omis.
Après une narration, qui avait à la fois l'ampleur et la mesure voulues, chaque ordre de preuve arrivait à sa place, chaque argument prenait son rang, soldat fidèle, aguerri, rompu à la manoeuvre, et tout cet ensemble de dispositions formait comme un vaste corps de bataille, prêt à fondre sur l'ennemi, au premier signal, et à le vaincre.
"Et qu'on ne se figure pas qu'avec cette savante ordonnance les plaidoyers de Me Guieu eussent la froideur et la sécheresse des exposés didactiques.
Quelle variété ! Quel coloris, au contraire ! Comme la vie circule dans ses discours ! Comme la passion les anime, non la passion acrimonieuse, qui a son siège et puise son aliment dans les côtés inférieurs du coeur humain, qui n'engendre que l'invective ou la poignante ironie, mais cettenoble et sainte passion de la vérité, qui, dans les âmes généreuses, naît de la conviction, dont l'orateur a le droit de faire passer les élans dans son oeuvre et qui est en même temps la puissance et l'honneur de l'éloquence !
Note (14)
"Que dirai-je de plus ?
Pendant vingt ans, vous avez vu Me Guieu à l'oeuvre.
Le sophisme a t-il jamais rencontré un adversaire plus redoutable, la fraude une âme plus indignée, le droit un défenseur plus résolu et plus intrépide ?
"Me. Guieu s'était préparé de bonne heure par des études laborieuses à l'exercice de sa profession, et, peu séduit par l'attrait trompeur des triomphes prématurés, il avait volontairement retardé ses débuts, afin de les rendre plus dignes de lui.
Depuis, les rares loisirs qui lui sont restés, il les a consacrés encore à des lectures austères.
On ne saurait dire ce qu'il ignorait :
histoire, philosophie, systèmes économiques, sciences exactes, sciences physiques, arts mécaniques, architecture, constructions navales, industrie, commerce....
A l'entendre parler de tout avec tant d'autorité, on eût dit qu'il avait tout approfondi.
Aussi, quoi qu'il sût au besoin descendre aux plus humbles détails et en tirer partie, s'arrêtait-il de préférence aux principes.
C'est là surtout que son talent, si plein de sève, si robuste, si élevé, se déployait à l'aise et se montrait dans tout son éclat.

La vie de Me Alphonse Guieu s'est écoulée entre le palais et sa famille, qu'il chérissait.
La vie publique n'eut point d'attrait pour lui.
Une seule chose l'eût tenté sans doute un jour, c'est cette pourpre qu'il était digne de porter et sous laquelle il eût trouvé le repos avec la dignité.
La Cour eût été heureuse de l'accueillir, de s'éclairer de ses lumières, et la justice n'aurait peut-être pas à pleurer aujourd'hui un de ses plus purs, un de ses plus fervents disciples.
"Homme de bien, grand avocat, recevez ici, par ma voix, le dernier adieu d'une Compagnie où votre nom vivra comme l'image de la droiture, du savoir et de l'éloquence !"

Un certain nombre de savants mémoires et consultations de Me Guieu ont été imprimés.
Cette collection est une source précieuse d'enseignements et un modèle d'études pratiques pour les jeunes générations d'avocats.

Alphonse Guieu épousa, le 27 septembre 1847, Mlle. Marie Féraud.
Il a eu plusieurs enfants, dont la seule survivante est Mme Thérèse de Giraud d'Agay.

7.-Le général Pellissier, député de Saône-et-Loire à l'Assemblée nationale.

VICTOR-ADOLPHE PELLISSIER, général de division auxiliaire et député de Saône-et-Loire, appartient à une famille originaire du hameau d'Allos appelé Montgros.
Il naquit en 1811, à Mâcon, où Jean-Jacques, son père avait fixé sa résidence et s'était fait une position honorable dans le commerce.
Jean-Jacques Pellissier avait deux frères.
Le cadet le suivit à Mâcon.
L'aîné fut juge de paix à Allos,
Note (15)
et se fit remarquer par la prudence et la sagesse de ses jugements dont on parle encore aujourd'hui.
Jean-Jacques eut cinq enfants,
Note (16)
dont l'un, le futur général, reçut au baptême le nom de Victor-Adolphe et voulut être soldat, tandis que son frère Antoine se destinait à l'état ecclésiastique, devenait prêtre de Saint-Sulpice et aumônier d'une maison religieuse à Angers, après avoir passé de longues années au Canada.

Victor-Adolphe fit ses études au collège des Jésuites de Dôle (Jura), entra à l'Ecole Polytechnique en 1832, en sortit sous-lieutenant d'artillerie et fut envoyé à Metz.
En 1845, il était capitaine, et il fut chargé d'examiner les fortifications des Alpes.
C'est pendant le cours de cette inspection militaire qu'il visita, pour la première fois, le pays natal de son père.
Il était chef d'escadron en retraite, lorsque la guerre éclata, en 1870, entre la France et la Prusse.
Le patriotisme dont il était animé ne lui permettant pas de laisser son épée dans le fourreau, au moment où la France était exposée aux plus grands dangers, il reprit du service, malgré ses 59 ans, fut nommé colonel et général de brigade en 1870, général de division, en face de l'ennemi, en 1871.

Le 8 février 1871, les concitoyens du général Pellissier, persuadés qu'il saurait les défendre au Conseil général et à la Chambre des députés comme sur les champs de bataille, le nommèrent membre du Conseil général et député à l'Assemblée nationale.
Ils ne furent point déçus dans leurs espérances; le général savait, tour à tour, porter la parole et l'épée, et l'on ne peut lire sans émotion,notamment, le discours qu'il prononça à la tribune, le 19 juillet 1873, sur l'organisation du service religieux dans l'armée de terre :
"Messieurs, dit-il, le projet de loi présentement soumis à vos délibérations a pour but de remplir une lacune qui existait, depuis plusieurs années, dans notre organisation militaire et de donner satisfaction aux justes réclamations d'un grand nombre de citoyens français...,
qui demandent une institution pour faciliter à leurs enfants les moyens de conserver à l'armée les principes qu'ils ont reçus dans leur famille....
"La partie importante du culte religieux ne consiste-t-elle pas dans les instructions et les exhortations qui doivent entretenir et raviver dans l'âme les germes qui ont été déposés par une éducation religieuse ?
"Sans doute, le militaire pourrait entendre les instructions faites dans les églises paroissiales où il a accès.
Mais ces instructions sont-elles bien à son usage.
Que pourrait-il s'approprier dans ces enseignements adressés à une population si différente de lui par ses devoirs, ses moeurs et sa manière de vivre ?
"Et, d'autre part, éloignés de leurs confidents naturels, nos pauvres soldats n'ont-ils jamais besoin de ces épanchements intimes, de ces consolations particulières qui, dans les moments pénibles, aident à supporter l'existence ?
Le malheur, hélas ! n'épargne personne; à plus forte raison, doit-il atteindre ces malheureux jeunes gens, enlevés si brusquement à leurs habitudes et à leurs familles, qui, dans les premiers moments, ne pouvant en comprendre la portée, ne voient dans la discipline militaire que l'inflexible niveau de l'esclavage ?...
"C'est pour remédier à ces inconvénients que les pétitionnaires vous demandent la création de paroisses militaires et l'organisation du service religieux dans tous les lieux de rassemblement des troupes.
"Messieurs, le principe de la liberté de conscience une fois admis et la liberté individuelle assurée, quel inconvénient trouvez-vous donc à ce que chacun fasse connaître ses idées (par la profession de sa foi et la fidélité à la religion) ?
"Pour assurer au sceptique l'incognito , faudra-t-il que le croyant mette sa conscience dans sa poche, et devrait-il renoncer aux avantages que lui procure le service religieux ?"

Le général Victor Pellissier aimait donc les soldats comme un père aime ses enfants, et il voulait leur assurer les conseils et les encouragements des aumôniers militaires, dans les épreuves qui les attendent, surtout à l'arrivée au régiment.

En 1872, il visita de nouveau les Alpes et séjourna à Allos, où il voulut voir tous ses parents.

Quoiqu'il ne fit plus partie de l'armée active, il s'occupait toujours, depuis l'amputation de l'Alsace et de la Lorraine, de l'organisation de la défense de nos frontières de l'Est.
Il était encouragé et aidé, dans cette patriotique entreprise, par deux de ses anciens camarades de l'Ecole Polytechnique :
les généraux Charreton, du génie, et de Cissey, ministre de la guerre.

En 1875, lorsque la France craignait une nouvelle agression prussienne, le ministre de la guerre fit appel à son dévouement pour organiser le 8° régiment territorial à Bourges.
Il accepta sans hésiter, ne voyant, dans ce qu'on lui proposait, que le bien de son pays, et il y consacra ses soins jusqu'en 1878, où il renonça définitivement au service militaire.

Le général Pellissier a écrit l'Histoire des Mobilisés de Saône-et-Loire (1870-71), et cet ouvrage lui a ouvert les portes de l'Académie de Mâcon.
Ses rapports avec Garibaldi, qui alors commandait, hélas ! les mobiles des Basses-Alpes, ne furent pas toujours faciles, surtout depuis le jour où il fit rendre à l'évêque d'Autun les chevaux qu'on lui avait pris :
c'était la lutte entre la justice et la spoliation.
Son corps repose dans le modeste cimetière du village de Chaintré, où il est mort en 1884.
Il laisse un fils adoptif, M. Saint-Remy Pellissier établi à Marseille depuis 1871.

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Notes:

(1) Histoire du diocèse d'Embrun, t. II, p. 383.
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(2) Cette démarche, qui honore le père Piny, étonna Louis XIV.
Elle a été faussement attribuée à Racine.
(Bulletin de la Société scientifique t. IV, p. 120, citant M. Tamizey de Larroque.)
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(3) Les mois étant tous de trente jours, dans le calendrier républicain, on ajoutait, après le dernier mois, cinq ou six jours appelés pour cela complémentaires, pour avoir 36 jours ou 366 pour l'année bissextile.
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(4) Vers 1780, Dominique Bourrillon et Jean-Baptiste Arvel, oncle et neveu, négociants et banquiers à Turin, léguèrent :
le premier, mille livres,
le second, deux mille quatre cents livres à l'église de la Foux,
sous la condition que ladite église serait rebâtie à neuf.
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(5) Séance du 2 thermidor an II.
Le refus fut voté par neuf voix contre quatre,
sur treize votants.
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(6) Archives de la famille Gariel, à Grenoble.
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(7) Voir plus haut, pages 433-434.
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(8) M. Signoret, curé de la Foux d'Allos, mort curé de Castellane en 1897.
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(9) Les auteurs de la Biographie des Hommes remarquables des Basses-Alpes, auxquels j\'emprunte cet éloge, écrivaient du vivant du docteur Honnorat, et c\'est contre son gré qu\'ils inscrivirent son nom dans le catalogue des célébrités bas-alpines.
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(10) Appelé en qualité de témoin en Cour d'assises, à Digne, deux ans avant sa mort, il s'y présenta si simplement vêtu que le président le prit pour un cultivateur illetré et l'interrogea en provençal :
D.-Temoui, voueste noun e prenoum ?
R.-Simoun-Jude Hounourat.
D.-Voueste agi ?
R.- Màngi dins mei septanta an.
D.- Vouesta demoura ?
R.- A Digne, boulevard Gassèndi.
D.- Vouesta proufessien ?
R.- Medecin de moun mestier.
D.- Seriez-vous M. le docteur Honnorat ?
R.- Oui, Monsieur le Président.

Ce trait peint parfaitement notre modeste et savant compatriote.
Simon-Jude Honnorat.Coll.musée de Digne
Simon-Jude Honnorat.Coll.musée de Digne.
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(11) Sa maison, aujourd'hui l'hôtel Pascal, est au nord de la Placette.
Il était aussi propriétaire du quartier Sainte-Brigitte, qu'il a possédé jusqu'en 1857.
Il visitait avec bonheur cette terre de ses aïeux et, lorsqu'il partait pour Aix, il la bénissait avec émotion, à la manière des patriarches.
Sa famille a fourni des notaires royaux et ducaux et des curés d'Allos pendant plus de cent ans.
Elle a eu, pendant plusieurs siècles, de fréquentes alliances avec les familles :
Piny, Pascalis, Honnorat, Poilroux, Pellissier et Feraud.
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(12) Les autres branches, dont l'émigration avait eu lieu antérieurement, s'étaient dirigées, paraît-il, vers Marseille.
Elles occupent une place d'honneur dans les chroniques de cette ville.
Jean-Louis Guieu était directeur de l'Hôtel-Dieu pendant la peste de 1720, et ce nom est gravé sur la colonne dite de la sanré, élevé en l'honneur des personnes qui se dévouèrent pendant la contagion.
A Aix, en 1789, on trouve Me. Guieu, avocat, qui devint plus tard conseiller à la Cour de cassation, à Paris.
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(13) M. Saubreuil, qui est devenu plus tard premier président de la Cour d'Amiens.
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(14) Un avocat général poursuivait à outrance un jeune homme qui s'était rendu coupable de vol dans le cas d'extrême nécessité.
Alphonse Guieu, justement étonné de la sévérité excessive du magistrat accusateur, qui revenait sans cesse à la charge pour obtenir une condamnation exemplaire, s'écria avec un geste superbe d'indignation :
Si vous le croyez coupable, jetez-lui la première pierre !"
Cette éloquente apostrophe, empruntée à l'Evangile, fit acquitter son client.
Il fit aussitôt une quête et lui en remit le montant, qui s'élevait à 40 francs.
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(15) Mme la comtesse du Chaffaut, née Pellissier, est sa petite-fille.
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(16) Trois garçons et deux filles, dont l'aînée, nommée Laure, épousa Etienne Guirand, originaire d'Allos, fabricant de draps à Vienne.
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