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TOME II

QUATRIEME PARTIE

Depuis le traité d'Utrecht, en 1713, jusqu'à nos jours.

CHAPITRE Ier

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(1713-1730.)

 

1.-La paix fut établie par le traité d'Utrecht, conclu entre la France (11 avril 1713) et l'Espagne (13 juillet) d'une part, et, d'autre part, l'Angleterre, le Portugal, la Savoie, la Prusse et la Hollande.

Ce traité donna la Sicile et le titre de roi à Victor-Amédée, lui restitua ce que les Français occupaient en Savoie, en Piémont, etc.., et nous rendit à la France dans des circonstances mémorables.
Le duc de Berwick survint pendant les dernières délibérations et plaida notre cause :
"A mon arrivée,
dit-il, je trouvai que les articles de paix étaient sur le point d'être réglés...Je conseillai de demander la vallée de Barcelonnette, qui nous était d'un si grand avantage pour défendre l'entrée de la Provence et du Dauphiné.
Le roi et ses ministres n'avaient nulle envie de faire la proposition, de crainte qu'elle ne retardât la conclusion de la paix, mais enfin j'insistai si fort qu'on y consentit.
Le duc de Savoie, qui, de son côté , craignait que, s'il faisait le difficile, les autres alliés ne signassent sans lui et qui, de plus, ne connaissait pas l'importance de ce qu'on lui demandait, ne fit aucune difficulté; et de cette manière la France a gagné une vallée abondante et composée de douze communautés."

Note (1)
Nous devons donc notre retour à la France, en 1713, à l'intervention d'un militaire diplomate, connaissant par expérience les avantages qu'offre la vallée de l'Ubaye au point de vue stratégique, et à l'ignorance de Victor-Amédée, à ce sujet.

2- Le 30 décembre 1714, Louis XIV réunit la vallée de Barcelonnette et ses dépendances à la Provence, dont elles faisaient partie autrefois et à laquelle elles revenaient, comme à leur origine et à leur principe.
Une autre déclaration du roi du 21 février 1716 et un arrêté de son conseil d'Etat du 11 janvier de la même année réglèrent la juridiction de la vallée de Barcelonnette.

La fixation des nouvelles limites, entre nos pays et le Piémont, demanda un temps considérable et n'eut pas lieu sans difficultés.
Les commissaires spéciaux, nommés par les gouvernements de France et de Savoie, devaient établir la ligne de frontière des Alpes de manière à éviter, à l'avenir, tout prétexte de guerre.
Leur mission était, en conséquence, aussi importante que difficile, car, selon un historien de nos jours, Il n'est pas de ville en Provence qui ait plus souffert que Barcelonnette des guerres de frontières, et les communautés de son district ont naturellement partagé ses épreuves.
La convention de 1713 ne put en résoudre toutes les difficultés, et le traité conclu à Turin, le 24 mars 1760, s'en occupait encore en ces termes :
"Pour ce qui concerne la limitation établie par le traité d'Utrecht et par la convention de 1718, entre le Piémont et le Dauphiné et, successivement, entre la vallée de Barcelonnette et d'Entraunes, les neiges qui couvrent cette frontière ne nous ayant pas permis de la parcourir, dès que cet obstacle sera levé, nous nous réservons de donner des dispositions convenables."
Note (2)

Cependant notre réunion définitive à la France était un fait accompli, et chacune des parties contractantes avait pris possession des territoires qui étaient cédés et évacué les pays qui avaient cessé de lui appartenir.

Chose singulière ! Les registres des délibérations de la communauté, où l'on trouve l'histoire d'Allos, sans interruption, depuis 1709, sont muets sur cet évènement si heureux pour nous ! Il paraît que les dépenses occasionnées par le logement des troupes françaises depuis 1690, les contributions de guerre.
Note (3) et la misère des habitants paralysaient l'enthousiasme et empêchaient les réjouissances populaires.

En effet, les douze compagnies du régiment, commandé par le colonel Blansac, envoyées à Allos en 1712, y étaient encore, en quartier d'hiver, au printemps de 1713, lorsqu'on signa le traité d'Utrecht.
Le colonel avait exigé du bois pour la construction d'un corps de garde; il avait placé les chevaux de ses éqipages jusque dans les hameaux et demandé des mules aux habitants pour le transport du pain de munition de Colmars à Allos.
Ajoutons que le quartier dit de Ville était en procès avec le Seignus, Bouchiers-Villard et la Foux, à cause des logements militaires, depuis la guerre de 1690 à 1696.

Toutes ces affaires furent traitées dans le conseil du 6 novembre 1712,assemblé dans la chapelle de Saint-Joseph, près du portail bas, dit portail Brayon,et l'importante délibération de ce jour se termina par l'adoption de quelques moyens pratiques pour empêcher désormais tout différend entre la Ville et les hameaux d'Allos, comme entre cette communauté et celles d'Entraunes et Saint-Martin.

3.-Les délibérations de 1713 et des années suivantes, jusqu'en 1716, ont en général pour objet des difficultés financières que la communauté s'efforçait de résoudre, tantôt par des impositions, tantôt par des emprunts.
Contentons-nous de mentionner celle du 6 juillet 1714,où l'on s'occupa de la réparation du pont de l'Abrau qui menaçait ruine, et du chemin de Preinier, qui avait été agrandi afin que les troupes y pussent commodément passer.
Les contingents militaires qui étaient envoyés chez nous ne suivaient donc alors ni le chemin du lieutenant de Lesdiguières, venant faire le siège d'Allos, ni celui de Bachasse.

4.-L'évènement le plus important pour nous, de l'année 1716, fut la promulgation de la déclaration de Louis XIV et l'arrêté de son conseil d'Etat, pour l'organisation de l'administration française dans la vallée de Barcelonnette, d'Allos et du haut-Var.

Les habitants d'Allos, satisfaits d'une concession matérielle qui les intéressait beaucoup, en témoignèrent aussitôt à leur nouveau souverain la plus vive reconnaissance, en ces termes :
"Le roi ayant fait la grâce à cette vallée de Barcelonnette de lui accorder du sel pour l'usage de ses habitants à seize deniers la livre et, en particulier, à cette communauté de lui accorder un gabelier, sur le lieu, pour la commodité des peuples, pour estre la montagne de Barcelonnette impraticable pendant huit mois de l'année, les habitantsd'Allos, pour mériter la continuation des grâces de Sa Majesté, doivent, non seulement se donner garde d'en mal user, en versant (portant) ledit sel sur la frontière,mais encore prendre toutes les mesures imaginables pour que les faux-sauniers du Piémont et comté de Nice, etc.., ne continuent de passer dans ce territoire, pour introduire leur sel en Provence,ce qui pourrait attirer à cette communauté une augmentation du prix du sel, qui ruinerait entièrement les habitantset les obligerait à abandonner leurs biens."
Note (4)

Le conseil de la communauté d'Allos décida, enconséquence, que les particuliers convaincus d'avoir vendu du sel à des étrangers seraient contraints au payement de trois cents livres d'amende aux dénonciateurs.
Il confirma, en outre, une autre amende de deux cents livres portée, la même année, par le conseil du 13 du mois d'avril prochain passé , contre quiconque aurait aubergé et donné retraite, secours, assistance à quelque faux-saunier piémontais du comté de Nice, etc.
La communauté elle-même était obligée, sauf recours aux délinquants, de payer ces amendes aux dénonciateurs, dès qu'ils avaient constaté le délit par des preuves suffisantes.

Il paraît que ce système de repression, qui aurait pu facilement devenir un encouragement à la délation, rendait la faux-saunerie ou contrebande du sel difficile et presque impossible, parce que les habitants étaient intéressés à la combattre et à la dénoncer.
En effet, ils étaient possesseurs de troupeaux nombreux, et comment auraient-ils pu pourvoir à leur alimentation, si l'Etat avait cessé de leur procurer le sel à un prix modéré ?

Les ducs de Savoie le leur livraient, de temps immémorial, à six livres le minot
Note (5) et il y en avait, à ce prix, un dépôt chez nous, en 1654.
Noble Jean-Ange Pascalis avait promis, devant un juge ducal nommé Balthazard Furno, d'accomplir et d'observer ce qui serait nécessaire pour la conduite et la distribution des sels au banc d'Allos.
Lorsque en 1696 Victor-Amédée voulut augmenter le prix du sel, dans la partie méridionale du comté de Nice, il le diminua, au contraire, d'un liard, dans la vallée de Barcelonnette et son district.

Après le traité d'Utrecht, on eut le projet d'élever le prix du sel à dix francs le minot, mais M. de Granval, qui avait parcouru la vallée, pour étudier ce projet, déclara que les troupeaux, surtout ceux que l'on nourrit, pendant l'hiver, de fourrages secs, en consommaient une quantité considérable, qu'en le vendant à un prix plus élevé on ruinerait les habitants du pays et on écarterait de nos montagnes les bergers de basse Provence.
L'avis de M. de Granval prévalut :
Louis XIV, par l'article 14 de sa déclaration du 21 février 1716, maintint l'ancien privilège et accorda à Barcelonnette et à Allos un grenier de sel.
"Ordonnons, dit-il, qu'à la diligence de Paul Mainet, fermier général des fermes-unies, il sera incessamment établi un grenier à sel dans la ville de Barcelonnette, et un autre dans le lieu d'Allos, avec le nombre d'employés et officiers nécessaires pour la distribution du sel, qui y sera vendu et livré aux habitants de la dite vallée, à raison de seize deniers la livre, poids et monnaie de France; leur faisant défense d'user d'autre sel, pour leur pot, salière et grosses salaisons, de le verser en Dauphiné et Provence, à peine d'être punis suivant la rigueur des ordonnances."

Pour que ce privilège considérable ne fût pas une occasion d'abus, on ajouta, dans la délibération, les dispositions suivantes :
" Les consuls de chaque communauté de la dite vallée remettront sans frais aux receveurs des dits greniers, chacun en ce qui les concerne, au 1er octobre et au 1er avril de chaque année, un état signé et certifié d'eux, contenant les noms, qualités et emplois de chaque habitant et le nombre de personnes dont la famille sera composée; ensemble la quantité de bétail, à peine de vingt francs d'amende."

Pour en finir avec la question du sel, je dois dire encore ici, par anticipation, dans quelles conditions l'ont acheté nos pères, depuis 1716 jusqu'à aujourd'hui.

La guerre de la succession d'Espagne ayant fait augmenter les frais de transport en Provence,l'administration que nous appelons aujourd'hui les contributions indirectes demanda, en 1744, une augmentation du prix du sel.
Cette première augmentation fut suivie de plusieurs autres, de telle sorte que, dans la vallée de Barcelonnette, à Allos, etc.;le prix du sel était doublé en 1789, et qu'il s'élevait jusqu'à vingt-cinq francs le minot, en 1849.
On supprima alors les droits, et le commerce vend aujourd'hui le sel à vingt francs les cent kilos, ou soit à dix francs le minot.

Il y a à Allos, depuis 1895, un entrepôt de sel dénaturé.

Dans sa déclaration de 1714, qui nous réunit à la Provence, le roi de France s'exprime en ces termes:
"Nous déclarons et ordonnons que la vallée de Barcelonnetteet ses dépendances soit et demeure réunie à notre pays et Comté de Provence et au ressort de nos cours de parlement, comptes, aides et finances, à Aix.
"Voulons que les habitants desdites vallées jouissent des mêmes privilèges, immunités, franchises et libertés dont jouit notre dit pays et comté...à la charge qu'ils n'auront point d'entrée dans les assemblées des communautés de Provence et qu'ils payeront séparément leurs impositions, comme terres adjacentes.
"Donné à Versailles, le 30 décembre de l'an de grâce 1714 et de notre règne le 72eme.
Signé: Louis."

Le danger qui, après le traité d'Utrecht, comme autrefois sous François Ier, effrayait les populations du haut comté de Nice, fut donc de nouveau conjuré:
nos pays ne furent pas annexés au Dauphiné, et voici, d'après les cahiers des doléances de la ville et des communautés de Barcelonnette, dans quel régime ou gouvernement particulier elles furent maintenues :
"La déclaration du 30 décembre 1714 unit cette vallée à la Provence; mais, par ses dispositions, elle continue de l'en séparer, puisqu'elle porte qu'elle n'aura point entrée dans les assemblées des communautés de la Provence et qu'elle payera ses impositions comme les terres adjacentes.
L'intérêt et la localité (la situation particulière du pays ) furent les motifs qui déterminèrent Sa Majesté à cette séparation partielle."
Note (6)

La deuxième déclaration (21 février 1716 ) règle la juridiction de la vallée et de ses dépendances.

Si l'on veut se reporter aux chartes de Reymond-Béranger et de Balthazard de Spinellis, dont j'ai parlé plus haut, avec quelques développements, on comprendra sans peine ce que Louis XIV a conservé de ces anciennes chartes, pour tout ce qui regarde la justice, l'administration civile, la police, les impôts, etc.,

Voici huit articles de la déclaration de 1716 :
"Art.1er.- Les communautés de Barcelonnette, Allos, Jausiers, Meyronnes, Larche, Saint-Paul, Méolans, Revel, Chatelard, Lauzet, Entraunes et Saint-Martin, qui composent ladite vallée, continueront, dans l'usage où elles sont, d'élire et nommer, chaque année, des consuls, des bailes et autres officiers municipaux, et les consuls de Barcelonnette porteront le chaperon, à l'instar des autres villes royales de Provence."
Note (7)

"Art. 2.- Les consuls continueront de connaître en première instance, sauf l'appel à la juridiction du préfet, de la police, observation des statuts municipaux, des tutelles, curatelles et des inventaires.

"Art. 3.- Les consuls de Barcelonnette, les bailes des autres communautés de ladite vallée connaîtront en première instance de toutes matières réglées, personnelles et mixtes, à la charge de l'appel par devant le préfet.

"Art. 4.- Le juge ordinaire de la vallée connaîtra des mêmes matières , concurremment avec les consuls de Barcelonnette et les bailes des communautés.

"Art. 5.- Nous nous réservons la nomination du préfet, qui sera renouvelé tous les trois ans et ne pourra être originaire de ladite vallée, suivant l'usage observé jusqu'à présent.

"Art. 6.- Le préfet connaîtra par appel de toutes les causes dont la connaissance a été ci-dessus réservée au juge ordinaire, aux consuls, aux bailes, en matière civile, et concurremment avec ledit juge en première instance des matières criminelles, à la charge de l'appel au Parlement de Provence....

"Art. 8.- Le préfet, outre le logement qui lui est affecté dans le lieu de Barcelonnette, jouira de huit cents livres par an, qui lui seront payées par les communautés de ladite vallée, suivant la répartition qui en sera faite entre elles et à proportion de la force de chaque communauté.
Il sera payé aussi par lesdites communautés la somme de cent soixante livres, annuellement, pour les gages de deux soldats de justice, dont l'un est chargé de la garde des prisons....
......

"Art. 12.- Les communautés de la vallée nommeront à l'ordinaire leurs trésoriers particuliers ou receveurs, pour le recouvrement des tailles et autres impositions, lesquels seront tenus d'en porter les deniers, sans aucun divertissement, à la caisse du receveur des terres adjacentes ; et ceux des droits d'albergue, cavalcades et commis, au receveur des domaines, à la déduction de cinquante livres pour les flambeaux qu'on a accoutumé de donner aux officiers de justice pour la procession du Saint Sacrement."

5.- Les registres des délibérations de la communauté d'Allos nous ont conservé un récit intéressant des élections du baile, des consuls, des défenseurs et des auditeurs, en 1718 et en 1719.

Les quatre consuls, les deux défenseurs, les conseillers, ainsi que les chefs de famille, réunis en conseil général, au nombre cent neuf,
" ont tous unanimement délibéré de procéder à la nouvelle création des officiers de communauté, suivant l'usage du lieu et la disposition des règlements.
A ces fins, les quartiers qui composent cette communauté se sont tous quatre séparés, pour faire choix de leurs électeurs, et, s'étant après réunis en conseil,
"ils ont proclamé les noms de seize électeurs, dont quatre pour chaque quartier.
"Laquelle élection ainsi faite a été généralement approuvée par tous les assistants."
Note (8)

Les électeurs ont alors fait serment, entre les mains du baile, de faire choix des officiers municipaux selon Dieu et la conscience, et ils se sont, à leur tour, retirés par quartiers, pour préparer leurs bulletins de vote.

Lorsqu'ils sont revenus au milieu du conseil général, les bulletins de la section du Seignus ont été mis dans un sac et on les a fait tirer par la main d'un enfant.
La proclamation des noms a fait connaître le consul, le trésorier et les deux auditeurs de cette section.
La même opération a eu lieu pour Bouchiers et le Villard, la Foux et la Ville.

La nomination du baile et des défenseurs a été faite à part, après les quatre autres,
" et lesdits consuls et défenseurs nouvellement crées ont juré, entre les mains du sieur baile, d'exercer fidèlement leur charge et d'avoir en recommandation le service de Dieu, celui du souverain et le bien public."

6.- Le projet d'inféoder le haut comté de Nice fut annoncé officiellement à Allos par des lettres d'assignation, lues dans le conseil du 13 septembre 1716
Note (9), invitant la communauté à se faire représenter, le lendemain, au conseil général de Barcelonnette.

Joseph Pascalis, député à ce conseil, rendit compte de son mandat, à son retour de Barcelonnette.
"Il a été délibéré, dit-il, de s'opposer vivement à l'inféodation et de prendre tous les expédients convenables pour soutenir les privilèges de cette vallée et la conserver dans l'indépendance des seigneurs particuliers et unie au direct domaine du roi."

Les consuls, après avoir entendu la relation de Joseph Pascalis, reçurent une nouvelle assignation, portant expressément que le maréchal de Villars avait obtenu l'investiture de cette vallée et que, de ce chef, les habitants devaient lui payer annuellement la somme de six mille francs.
Le conseil se réunit immédiatement pour délibérer sur ce grave évènement, et voici la remarquable conclusion de sa délibération du 20 septembre 1716 :
Le sentiment de cette communauté n'est pas d'entrer dans aucune contestation avec Mgr. le maréchal de Villars, s'il est vrai qu'il ait obtenu l'investiture, mais, au contraire, de lui donner des marques de notre reconnaissance et de tâcher de mériter la continuation de sa puissante protection...;
de lui présenter humblement les justes raisons que cette communauté a de s'opposer à une inféodation à laquelle elle n'a jamais été soumise, de lui envoyer copie de tous (ses) privilèges et concessions...
et lui offrir en même temps notre consentement , aux conditions que ledit seigneur et ses successeurs laisseront jouir, à perpétuité, les habitants de tous les droits, libertés et franchises dont ils ont joui jusqu'à aujourd'hui, tant pour la justice, nomination des juges, qu'autres...;
que ledit seigneur ne pourra faire lever aucune imposition ni droits, etc.;
mais qu'elle restera toujours attachée à sa famille, et sous les autres conditions à exprimer dans une transaction en forme, qui précède (précèdera) l'exécution de ladite inféodation."

La personnalité du seigneur imposé à nos vallées et les bienfaits dont elles lui étaient redevables avaient donc subitement diminué les craintes que l'inféodation inspirait à nos pères, et ils substituaient eux-mêmes un projet de transaction à la vive opposition de la première heure.

Cependant cette opposition existait encore et ses partisans firent des démarches, à Aix, pour empêcher l'enregistrement de l'arrêt du conseil du roi, ordonnant le payement, par les douze communautés de la vallée de Barcelonnette, des six mille francs attribués au maréchal de Villars.

La communauté d'Allos, par délibération du 26 septembre 1717, promit de payer son contingent, si les autres communautés entraient, comme elle, dans cette voie d'accommodement.

Et, en effet, le 17 juillet 1718, elle paya les trois annuités échues.
L'inféodation était donc un fait accompli, mais dans des conditions qui ne promettaient pas une longue durée.

7.- Le 13 octobre 1718, les habitants d'Allos furent victimes d'un incendie.
Louis XV leur accorda un secours de 7500 francs, qui ne fut distribué que le 13 octobre de l'année suivante, dans des circonstances qui font honneur à la religion, à la reconnaissance et à la charité de nos ancêtres.

Tous les incendiés offrirent généreusement "la somme de 2000 livres à prendre sur le total de 7500 livres accordées par sa Majesté, pour être employées au rétablissement de la chapelle de Saint-Sébastien, aussi détruite par l'incendie,
Note (10) aux conditions que la communauté les tiendra acquittés du prix du bois qui leur a été ci-devant fourni et qu'elle leur fournira suffisamment pour se rétablir, et à condition finalement que les frères pénitents blancs, qui font leurs offices dans ladite chapelle, feront célébrer perpétuellement, tous les ans, une messe le 1er dimanche de juillet, et feront, le même jour, leurs prières ordinaires....
pour le roi et ses successeurs."
Avec la même générosité, les victimes de l'incendie donnèrent 11 livres pour habiller un pauvre mendiant étranger, nommé Pierre, qui se trouvait alors à Allos.
Note (11)

La répartition générale du 13 octobre fut présidée par le sieur Saint-Jean, délégué de l'intendant du roi dans nos contrées.

8.- La peste a souvent ravagé la Provence.
Nous l'avons vu régner, dit Papon, plus de dix fois dans moins de cinquante ans.
Mais celle qui dépeupla Marseille, en 1720, dépassa toutes les autres calamités.
La nouvelle de ce fléau se répandit jusque chez nous, dans les premiers jours du mois d'août, et les populations furent saisies d'effroi, comme avant 1630.
Des milices improvisées " gardaient le Verdon, avec munitions, pelles, pioches,haches, etc.,
afin d'expulser les fugitifs, ou les arrêter, leur faire faire quarantaine à leurs frais et dépens." ( Histoire de Barrême.)

Dès le 11 août, à Allos, comme à Barrême, il était défendu de recevoir personne, sans billet de santé.
"Les gardes, pour le poste du détroit ou de Saint-Roch, auront attention de faire arrêter, à vingt pas loin de leur poste, tous ceux qui s'y présenteront, et, s'ils n'ont pas de certificats visés à Colmars, il les arrêteront à leur poste jusqu'à ce que lesdits gardes soient venus avertir les consuls et qu'ils aient reçu leurs ordres."

"Les hommes commandés pour garder les postes de Siolane, Auriac, Valdemars, Autapie et les Sagnes ne laisseront absolument passer aucune personne par lesdits chemins obliques, soit que ceux qui s'y présenteront aient des billets de santé ou non, et cela par la raison qu'il n'est pas possible que lesdits gardes puissent d'eux-mêmes vérifier si les certificats sont véritables ou faux."Note (12)
Il fallait donc, pour arriver à Allos, passer par les chemins royaux de Barcelonnette ou de Colmars et avoir un certificat visé dans l'une ou l'autre de ces deux villes.

Les consuls demandèrent des fusils, de la poudre et des balles, pour armer les hommes chargés de garder les postes.

L'année 1720 s'acheva ainsi dans les alarmes, qui ne manquèrent pas de se renouveler l'année suivante et jusqu'au mois de juin 1722.

Le 12 janvier 1721, le conseil, voyant qu'il y avait toujours lieu de craindre que la maladie ne se communiquât dans cette communauté, organisa " huit compagnies, composées d'un major, de huit capitaines en chef, de huit en second, de vingt-quatre sergents, de la quantité de caporaux qui sera trouvée nécessaire et de la huitième de tous les hommes et garçons propres à monter la garde".

Le 9 février, le conseil défendit absolument " à toutes les femmes et filles de cette communauté d'en sortir et aux étrangères d'y entrer (même avec des billets de santé), parce que la bienséance défend de les faire fouiller dans les corps de garde".

Ajoutons enfin, que le 28 juin 1722, la communauté procéda à l'élection de ses officiers; et que cette élection eut lieu d'une manière très restreinte, à cause de la contagion dont elle est avoisinée et assiégée.

C'étaient les dernières nouvelles alarmantes que recevaient les habitants :
le fléau avait cessé de ravager la Provence, et chacun recouvrait la liberté et la tranquilité.

9.- Le conseil général d'Allos s'occupa, en 1726, d'un projet de transaction entre la communauté et Mgr. l'évêque de Senez, relativement à la dîme.
Voici quel était ce projet, d'après la délibération du 29 janvier :
"Les habitants des paroisses de la Ville, de la Foux, Bouchiers et la Beaumelle s'obligent de payer :
celle de la Ville, la rétribution du secondaire de ladite paroisse, par imposition sur les chefs de famille, sans pouvoir la rejeter sur la taille, au préjudice des habitants des paroisses susdites; et les habitants de la Foux, la Beaumelle et Bouchiers s'obligent pareillement à payer, comme ils ont fait par le passé, les gages ou rétribution de leurs curés respectivement, comme ils y sont obligés par leur sentenière d'érection de leurs cures et à tenir le corps de la communauté en général garanti et déchargé , tant desdits gages et rétribution que de l'entretien de leurs églises et maisons claustrales (presbytères ), pendant tout le temps que le corps de la communauté restera saisi de la dîme en espèces, au moyen d'une pension annuelle de 800 francs qu'elle payera au seigneur évêque."

Les habitants de Bouchiers s'opposèrent formellement à ce projet, parce qu'il ne limitait pas suffisamment les obligations qu'ils allaient contracter, en signant la transaction.
Pour triompher de leur opposition, le conseil général se contenta d'un engagement plus restreint, qui est résumé en ces termes dans la délibération du 5 février 1726 :
"Ils se sont tous volontairement obligés de payer à Hyéronime Chaix, curé actuel de Bouchiers, la somme de 200 livres et trente-quatre charges de bois par an, ou soit une charge de bois pour chaque habitant, payables, les 200 francs et le bois, la moitié à Pâques et l'autre moitié à la Toussaint.
Moyennant quoi, et les autres droits casuels accoutumés et l'entretien convenable de son habitation, le R. Hyéronime Chaix ne pourrait autre chose demander, pour ses droits:
sauf recours à (pour) la communauté, au cas qu'elle soit obligée de faire ledit payement, de lever les droits décimaux sur ladite paroisse, suivant le pouvoir qui lui en sera conféré par Mgr. l'évêque dans la transaction."

Après cet accord, la transaction fut signée, le 11 février de la même année; mais elle n'empêcha pas les nouvelles contestations qui ne tardèrent pas à se produire.
En effet, le 26 novembre 1727, le conseil de la communauté envoya à Castellane Jean-Hyacinthe Pascalis, auprès de M. l'abbé de Saléon, vicaire général du diocèse,
Note (13) afin de conférer avec lui sur les moyens à prendre pour faire cesser ces dissensions.
Le 5 juillet 1728 et le 15 septembre 1729, il délibéra sur le procès qu'il soutenait contre Hyéronime Chaix, curé de Bouchiers.

Enfin, nous lisons, dans la délibération du 12 janvier 1730, que, " pour éviter à la communauté et aux habitants des trois paroisses succursales les frais de la poursuite d'un procès, les membres dudit conseil avaient fait présenter par Me. Jean-Dominique Pascalis un mémoire à Mgr. le Cardinal, premier ministre,
Note (14) et supplié Son Eminence de nous accorder le sursis du jugement du procès jusqu'à ce qu'il y ait un évêque, dans le diocèse, en état de soutenir ses droits, qui sont unis à ceux de la communauté en général et à ceux des particuliers d'icelle, paroissiens desdites succusales.

Le chef-lieu était donc alors en procès avec la Foux, la Beaumelle et Bouchiers, pour la répartition de la partie de la dîme qui devait être employée au traitement des prêtres et à l'entretien des églises et des presbytères ou maisons claustrales.
Ces facheuses divisions n'offrent qu'un avantage, c'est de nous faire connaître, sous le rapport financier, l'administration communale et l'administration paroissiale, à cette époque.

Ajoutons par anticipation, comment la dîme fut perçue et employée chez nous jusqu'au jour où, vers la fin de ce siècle, elle fut abolie, comme tant d'autres choses, par la Révolution française.

Le 4 mars 1770, eut lieu, pour neuf ans, l'arrentement de la dîme de tout le territoire d'Allos, à percevoir selon l'usage, tant en grains qu'en agneaux, etc.
Mgr. d'Amat de Volx, évêque de Senez (1757-1771 ), chargea Jean-Jacques Guirand, notaire, Jean-Hyacinthe Gariel, notaire, et Joseph Guirand, médecin, d'exiger la partie des produits appelés décimaux et tous les revenus des terres appartenant au prieuré nouvellement délaissées par l'option du curé d'Allos, et de faire, chaque année, les payements suivants, savoir :
500 livres à M. le curé d'Allos;
800 livres, aux quatre secondaires;
Note (15)
90 livres, pour le prédicateur, et 1800 livres, au seigneur évêque.
Les fermiers de la dîme pourvoyaient, en outre, à l'entretien de la lampe du Saint Sacrement et laissaient jouir le clerc-sonneur de la terre qui lui est affectée pour son service.

10.- La communauté d'Allos avait en même temps à défendre des intérêts encore plus importants :
ses privilèges relatifs à la justice et à la milice.

Dans le conseil du 13 octobre 1726, les consuls déclarent que plusieurs étrangers, ayant des différends avec les habitants du pays, s'adressent aux juges circonvoisins, lorsque le baile, ou juge ordinaire d'Allos, est absent ou empêché.
L'assemblée proteste unanimement contre cet abus, disant que la communauté nomme chaque année son baile, que celui-ci nomme à son tour un ou plusieurs suppléants appelés ses lieutenants, auxquels il communique sa juridiction pour le remplacer quand il y a lieu, en vertu des privilèges et des anciens usages du pays et de la déclaration du roi, réglant la juridiction de la vallée de Barcelonnette (21 février 1716.).
Elle charge les consuls d'envoyer à son procureur, à Digne et à Aix, les pièces nécessaires pour soutenir à ce sujet, les droits de la communauté.

 

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(1) Mémoires du maréchal de Berwick, t.II, pp. 159-160.
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(2) Annexe au traité de Turin de 1760, n° 7.
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(3) Le commandant des troupes françaises dans la vallée de Barcelonnette faisait plus d'une fois ce qu'on appelait, à cette époque, des exécutions militaires.Pour faire payer les contributions de guerre, il envoyait par exemple vingt soldats à Allos, et ils y demeuraient, aux frais du pays, jusqu'à ce que les habitants eussent payé ces contributions
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(4) Délibération de la communauté d'Allos du 10 juin 1716.
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(5) Le minot contenait la moitié d'une mine, et la mine un demi-setier.
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(6) Cahiers de doléances du 2 avril 1789.
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(7) Les consuls d'Aix portaient aussi le chaperon; mais, s'il est facile de prouver l'existence de ce privilège, puisqu'il est dit, dans les procès-verbaux des évêques de Senez, que nos consuls les recevaient en chaperon, il est bien difficile d'en préciser l'origine.
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(8) Délibération du 25 juin 1719.
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(9) Dès l'année 1697, Victor-Amédée, duc de Savoie, avait fait un essai d'inféodation. Pour subvenir à des besoins urgents d'argent, il voulut inféoder et aliéner les terres et juridictions de la vallée. Déjà, il avait disposé des pays de Larche, de Meyronnes et de Jausiers. Les peuples de la vallée invoquèrent les traités, les concessions solennellement confirmées par tous les princes à qui ils avaient successivement appartenus. Par un édit de 1700, le duc de Savoie reconnut et confirma les privilèges de la vallée. (Cahier des doléances de la ville et des communautés de Barcelonnette.)
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(10) La voûte de la chapelle de Saint-Sébastien ne fut reconstruite qu'en 1727. On employa à cette reconstruction le produit d'une amende imposée à trois particuliers qui avaient fait des dégâts dans les forêts de la communauté.
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(11) Délibération du conseil du 1er.octobre et répartition du 13 octobre 1719.
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(12) Délibération du conseil de la communauté d'Allos du 25 août 1720.p.25.
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(13) L'abbé de Saléon était vicaire général de Mgr. Soanen. Il devint administrateur du diocèse de Senez, après la condamnation de son évêque. Soanen fut condamné par le Concile d'Embrun, le 20 septembre 1727, à cause de ses erreurs, et interné par ordre du roi à la Chaise-Dieu, le 11 octobre suivant. Le pape approuva le jugement du Concile d'Embrun.
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(14) Le cardinal Fleury, évêque de Fréjus, ministre de Louis XV ( 1726-17443 ).
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(15) Le premier secondaire était vicaire à Allos; les trois autres, desservants des paroises succursales.
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