Choix de Lecture

TROISIÈME PARTIE.
Depuis l'annexion à la Savoie, en 1388,
jusqu'au traité d'Utrecht, en 1713.

CHAPITRE VII.

1.Le duc de Savoie épouse une nièce de Louis XIV.

2. Fondation dite Pré-de-Dieu.

3. Erection des paroisses de la Beaumelle et de Bouchiers.

4. Chapelle de Saint-Antoine de Padoue à Chauvet et dans l'église paroissiale d'Allos.

5. Catinat s'empare de la Savoie et de Nice; les Autro-Sardes prennent Embrun et brûlent Gap..

6. Les Français envahissent la vallée de Barcelonnette; le marquis de Parelles la reprend.

7. Siège de Colmars; Villars-Colmars, Beauvezer et Allos, livrés aux flammes.

8.Combats à Barcelonnette; contributions de guerres à Allos.

9.Démolition du clocher d'Allos.

10. Les dragons de Berwik campent à Allos.

11.Magasins de foin à Allos et à la Foux; fin de la domination de la Savoie sur nous.

(1675-1713.)

1.- Nous touchons au dernier quart de siècle de la domination des princes de Savoie sur nos contrées.
Le jeune duc Victor-Amédée II, qui venait de prendre possession de son trône, et Louis XIV, dont il épousa la nièce, Anne d'Orléans, ne descendront dans la tombe qu'après le retour des habitants de Barcelonnette et d'Allos à la France.

Mais avant de parler des événements qui, pendant le règne de ces souverains, attirèrent sur nos pères de douloureuses épreuves et les détachèrent définitivement de la Savoie, je reviens sur quelques faits qui n'ont pas encore trouvé leur place dans mon récit et qui donnent une idée exacte des mœurs, de la foi et même du langage de cette époque.

2.- Au-dessus du masage (hameau) de la Foux, terroir d'Allos, se trouve une montagne, ou quartier d'herbage, appelé l'Adrech de Juvellet et Serre-Guimbert, et un pré appelé Pré-de-Dieu....

De temps immémorial, les possesseurs d'icelle montagne ont annuellement fait faire, le jour de la feste Dieu, au retour de la procession...., une oraison générale, ou soit requiem pour les morts, et payé aux RR. curé et prestres qui assistent à cette prière leurs chandelles, aussi bien qu'au sonneur des cloches, porteur d'eau bénite, porteur de la croix, et depuis, payé aux sieurs baile et consuls, défenseurs et secrétaire de la communauté, le disner honeste. .

Or, il arriva qu'en 1660 les prêtres, de concert avec les administrateurs civils, prétendirent que le Pré-de-Dieu appartenait à la communauté et qu'ils pouvaient en employer le produit comme ils l'entendaient, par exemple le donner à l'église paroissiale.

Cette prétention fut cause d'un procès devant le Sénat de Nice, et ce procès était encore pendant, le 20 juillet 1670.. lorsque entre les RR. curé et chapelains de la paroissiale du lieu d'Allos, jointe la communauté dudit lieu, d'une part, et les sieurs Jacques Gariel, docteur médecin, Pierre et Jacques Gariel frères et Me Pol, d'autre part, fut convenue la transaction suivante :
.1° Que doive cesser ledit procès et soit non avenu;
2° Que lesdits oncle et neveux Gariel, comme possesseurs de la montagne de Juvel, leur père, et par conséquent du pré nommé Pré-de-Dieu..., et leurs successeurs continueront annuellement et perpétuellement à faire faire. ledit jour de la feste Dieu ladite oraison, sur le cimetière de ladite paroisse, au retour de la procession; et payeront pour icelle, au sieur curé et autres prêtres qui s'y trouveront, cinq soldis, monnaie ducale, pour chascun, cinq autres soldis au sonneur des cloches, un sol au porteur de la croix et demi-sol à celui qui porte l'eau bénite; et, outre ce, payeront aux sieurs baile et consuls, défenseurs et secrétaire, le disner honeste, selon la qualité du lieu..., dans la maison propre d'iceux Gariel frères,ou dans une des hostelleries.
Note (1)

L'acte fut fait et publié à Allos, devant la chapelle du Jésus, en présence des sieurs Laurent Fortoul, de Jausiers, Claude, notaire, et Jean-Baptiste Amelly, d'Allos .

Les auteurs de cette pieuse fondation l'établirent au chef-Iieu de la communauté, soit parce qu'ils y étaient domiciliés, soit parce que Allos était l'église matrice.
C'est ce qui explique pourquoi il n'est pas question de la paroisse de la Foux, qui cependant avait été érigée avant cette époque.

3. -L'érection des paroisses de la Beaumelle et de Bouchiers eut lieu trois ans après la conclusion du procès du Pré-de-Dieu.

Les habitants des quartiers .de la Baume, de la Beaumelle, de 1'Hubac ,
Note (2) de Valboyère et du Collet avaient dejà fait présenter à ce sujet une requête à l'évêque de Senez, lorsque, le 24 octobre 1672, ils se réunirent au hameau du Collet de la Siacrète (?), à l'aire d'Henri Motet, par-devant Me Pierre de Blieux, notaire ducal, constituèrent leurs procureurs :
Marc-Antoine, avocat, Sébasien Millou, Antoine Pelat, etc., et les chargèrent de présenter une nouvelle requête à leur évêque, alors à Allos, en cours de visite pastorale.

Par une ordonnance du 6 octobre 1673, Mgr. Louis- Anne de Villeserin déclara églises paroissiales la nouvelle église construite au lieu de la Beaumelle et une autre au forestage de Bouchiers, ordonnant que tous les sacrements y seront administrés et que les morts seront inhumés aux cimetières, près lesdites églises.

Par respect pour l'église matrice et pour marquer la dépendance des nouvelles paroisses, le prélat statua que les habitants de la Beaumelle et de Bouchiers demanderaient, chaque année, au vicaire d'Allos la permission de faire la communion pascale dans leurs églises respectives et qu'ils assisteraient, le jour de la.Fête-Dieu, aux offices et à la procession du Saint Sacrement, à Allos.

En vertu de ce principe, ils étaient aussi obligés de faire de même le jour de l'Assomption, fête patronale d'Allos, et des vestiges de cet usage se sont conservés jusqu'à nos jours.

Il fut convenu, en outre, qu'on ne pourrait jamais rien demander aux décimateurs ,
Note (3) ni aux vicaires d'allos ; que l'entretien des curés, les ornements, la construction et les réparations de leurs églises seraient à la charge des nouveaux paroissiens.

On indemnisa même le vicaire perpétuel d'Allos, qui était alors Pierre Pascalis.
A cause du casuel qu'il perdait. les différents quartiers de la Beaumelle lui payèrent la somme . de deux cent cinquante livres. et Bouchiers cent cinquante, une fois payées, pour être par lui: employées à l'acquisition de fonds ou de cens annuels qui devaient demeurer perpétuellement unis au bénéfice de la vicairie d'allos. pour les revenus être: perçus par le vicaire et ses succeseurs.

4. -Pour grouper ici les oeuvres pies établies dans la vallée de la Beaumelle et de la Foux, avant la fin de ce siècle, ajoutons la fondation d'une chapelle de Saint-Antoine de Padoue dans un hameau de la Foux.

Antoine Pascalis, de Chauvet, considérant que les habitants de ce lieu ont à faire un trajet difficile et quelquefois impossible en hiver pour se rendre à l'église paroissiale, surtout lorsqu'ils sont malades ou infirmes, eut la pensée de faire bâtir une chapelle "audit forestage, au devant des maisons. où il sera trouvé à propos de la faire, de deux cannes de long et d'une canne et demie de large, sous le titre de saint Antoine de Padoa, de sainte Brigide (sic) ; et pour telle fondation donna deux sesterées de la terre appelée les Rousses ."
Il établit en même temps une fondation de douze messes par an, qui devaient être dites dans cette chapelle, tous les quinze jours, pendant les mois de mai, de juin, de juillet, d'août et de septembre, pour la rémission des péchés du fondateur.
Fait et publié au masage de Chauvet. dans la maison dudit Me Antoine Pascalis, en présence de messire Jean Martin, curé 'de la Foux, etc., le 7 janvier 1692.
Note (4)
Le notaire Honoré Pascalis prend le titre de notaire royal, parce que, pendant les guerres. dont nous allons parler, l'administration française avait encore repris possession de notre région.

Peu de temps après, l'église paroissiale d'Allos, Notre-Dame de Valvert, fut aussi dotée d'une fondation, sous le vocable de saint Antoine de Padoue,mais sans l'adjonction du nom de sainte Brigitte.

La dévotion à ce saint, si populaire aujourd'hui, n'était donc pas inconnue de nos ancêtres.

5. -Les Vaudois, dits Barbets, chassés du Piémont en 1686, voulurent y rentrer en 1690.

"Si le duc de Savoie ne fit pas naître ce projet, dit le comte de Saluces, il y a du moins apparence qu'il le favorisa : le retour de ces montagnards courageux, devenus les ennemis de la France, ne pouvait qu'être uitle à Victor-Amédée ."
Note (5)

Dès que Louis XIV eut appris que son neveu avait adhéré à la ligue d'Augsbourg, il lui déclara la guerre, le 20 juin 1690.

Le général de Catinat lui infligea une sanglante défaite à Staffarde, occupa toute la Savoie et s'empara de Nice, après un siège de deux jours.

En 1692, ce général étant rentré en France, le duc de Savoie et le prince Eugène, à la tête des Austro-Sardes, envahirent le Dauphiné et s'emparèrent d'Embrun et de Gap ,
Note (6) mais leur armée fut bientôt obligée de battre en retraite.

Catinat reprit l'offensive en 1693, et, le 4 octobre, il remporta, dans les plaines de la Marsaille, entre Turin et Pignerol, une victoire décisive.

On commença alors à préparer la paix.
Le duc de Savoie poursuivit les négociations jusqu'en 1696.
Malgré l'empereur d'Autriche et le roi d'Espagne ses alliés, un traité de paix entre la France et la Savoie fut signé à Turin, le 29 août, et ce traité fut confirmé à Riswich, en 1697.
Les sujets de Victor-Amédée purent enfin respirer, après six ans de guerres et de malheurs; mais hâtons-nous de dire quelles furent les épreuves des habitants du haut comté de Nice, pendant les campagnes de Catinat, en Piémont, en Savoie, etc.

6. -Le général de Larray, qui commandait un corps d'armmée dans le Dauphiné, voulut faire contribuer les communautés de Barcelonnette à l'entretien de l'armée française.
C'était leur offrir la puissante protection de Louis XIV, pendant la guerre qui commençait en 1690.
Les habitants de la vallée, au lieu de répondre à cette invitation, appelèrent à leur secours Victor-Amédée II, duc de Savoie, leur souverain, qui envoya un officier général, avec mission d'organiser la résistance à l'invasion française.
"Tout l'été se passa en alarmes.
Les Piémontais épuisèrent les ressources du pays à amasser des provisions et des munitions, à des travaux de fortifications ."
Note (7)

Cependant ce furent les Français, dit le comte de Saluces, " qui se mirent les premiers en mouvement et chassèrent les Savoyards de la vallée de Barcelonnette ".
Note (8)
Ils étaient commandés par les généraux de Larray et de Bachevilliers.
Leur séjour dans la vallée ne se prolongea pas au delà d'une semaine (du 17 au 24 novembre).
Les contributions de guerre qu'ils imposèrent aux habitants étaient fort lourdes, mais ils n'eurent pas le temps de les percevoir intégralement et ils emmenèrent des otages pour assurer le payement de celles de Barcelonnette, des Thuiles, etc.

Aussitôt après leur départ, le génaral de Parelles arriva à Barcelonnette par Larche, avec une armée de plus de cinq mille hommes, qui acheva de ruiner la ville et la vallée.

Le conseil des quatre quartiers de Barcelonnette (14 janvier 1691) fait un exposé navrant " de la misère et calamité dans laquelle se trouve ce pays, tant d'abord par l'entrée de l'armée française, saccage, payement de contributions et séjour d'icelle pendant sept jours, que par l'entrée et secours des troupes de Son Altesse Royale, le 24 novembre (1690), excédant cinq mille hommes; ce qui réduit les pauvres habitants aux abois, se trouvant destitués de tout ce qui est requis pour la vie humaine et pour la subsistance des bestiaux".
Le conseil énumère ensuite et règle les dépenses de la guerre :
trente-deux mille rups de foin, mille émines d'avoine, vingt cannes de bois, cent charges de blé et cent pistoles par quartier.
Enfin il nomme des députés chargés de demander au duc de Savoie le déplacement des troupes laissées pour la défense de la vallée, dont l'entretien coûte, outre le bois, six sols par soldat, chaque jour, payables par anticipation .
Note (9)

Après avoir rétabli l'autorité savoyarde dans toute la vallée, le général de Parelles envahit le territoire français, en s'emparant d'Ubaye et de Saint-Vincent.
Il voulait aussi s'emparer de Seyne, mais il craignit d'être enveloppé par les troupes françaises et il rentra à Barcelonnette, après avoir rançonné et brûlé plusieurs villages.

7. - De Parelles fit aussi une expédition dans la vallée du Verdon, pour surprendre Colmars, le premier pays de France dans cette vallée.
Mais le col de Bachasse, qu'il fallait franchir, était déjà couvert de neige, et on obligea les habitants des pays voisins à ouvrir le passage.
Le départ de cette colonne, composée en grande partie de religionnaires, c'est-à-dire de protestants ou de Vaudois, répandit la terreur jusqu'à Castellane et dans la véllée de l'Asse.
"Soudain le bruit se répand, dit le chanoine Cruvellier, que les Huguenots sont à Colmars.
Toute la population est dans l'alarme; on s'arme à la hâte; les sieurs de Moriez, de la Forest, etc., sont envoyé en éclaireurs à la frontière, et, bientôt après, sur l'ordre du comte de Grignan, gouverneur de Provence, on lève, dans le val de Barrême, une compagnie de quarante-huit hommes, avec un tambour et deux sergents, sous la conduite du capitaine de la Forest.
Ils partirent le 27 août 1690 .
Note (10)

"Il n'y avit pas de temps à perdre...; un corps de troupes débouchait par Allos et venait mettre le siège devant Colmars, qui oppose aux Piémontais une vigoureuse résistance.
En revanche, l'ennemei saccage le Villars-Colmars et Beauvezer.
En route,la petite troupe, grossie par les volontaires des autres communes, refoule vers Colmars les pillards étrangers, et, de son côté, la garnison de la place, avertie de l'approche des renforts, tombe à l'improviste sur les assiégeants, qui, se voyant pris entre deux feux, sont mis en déroute... et rejetés au delà de la frontière."

La frontière était alors le détroit entre Colmars et Allos, et c'est vraisemblablement en poursuivant les vaincus que les milices victorieuses, pour venger les villages incendiés, souillèrent leur victoire en brûlant et saccageant la communauté d'Allos .
Note (11)

Il n'est malheureusement pas possible de révoquer en doute la réalité de ce désastre immérité et que nos ancêtres eurent à subir à cause de leur nationalité ou parce que plusieurs d'entre eux avaient été entraînés par la violence avec la colonne du marquis de Parelles.

Ainsi finit, pour la vallée du Verdon, la campagne de 1690.
On répondait au pillage et à l'incendie par d'autres pillages et d'autres incendies.

8. - Les campagnes de 1691 à 1694, sans être pour notre pays aussi désastreuses que celles de 1690, furent pleines de troubles, de craintes et d'épreuves.
"Au commencement de 1691, le marquis de Vins, lieutenant-général des armées du roi de France, était à Seyne, à la tête d'un corps de quatre mille hommes.
Il fit sommer les communautés de la vallée de Barcelonnette de se soumettre et de se préparer à le recevoir.
Des députés furent, en conséquence, envoyés à Seyne, où ils s'entendirent avec les commissaires français ."
Note (12)

Nous lisons, dans le manuscrit de M. Gariel, d'Allos, que " les communautés obéirent à ces ordres avec beaucoup d'exactitude.
M. de Julien, qui y commandait les troupes ducales, se retira, avec tout son monde, à la barricade de Meyronnes, par ordre de la cour de Turin, sur l'appréhension qu'on avait que ses troupes ne fussent surprises et environnées.
Le 19 avril, le marquis de Vins entra dans la vallée et il campa le même soir à Barcelonnette, sans désordre, publiant partout qu'on n'avait rien à craindre et qu'on pouvait vivre en toute sorte de sûreté."

Il attaqua l'ennemi dans ses retranchements de Meyronnes, l'en délogea, non sans peine, et l'obligea à repasser la frontière.
Malheureusement, il fut inhumain à l'égard des populations de la vallée, après les avoir soumises à l'autorité française.
S'il faut en croire l'auteur dudit manuscrit d'Allos et d'autres historiens, il brûla Meyronnes, pendant que le général de Larray brûlait Saint-Paul.
.Il saccagea ensuite les Gleisoles, le Châtelard, Jausiers, Barcelonnette, Revel, Méolans et le Lauzet.
Les Français possédèrent nos pays jusqu'au mois de juillet 1692.

Quoique protégée par les montagnes contre les dévastations dont Barcelonnette était le théâtre, la vallée d'Allos ne put en être entièrement préservée.
Lorsque Catinat assiégea Coni, le duc de Savoie appela aux armes toutes ses milices et toutes les forces de ses vassaux .
Note (13)

Dès les premières campagnes de la guerre de 1690, Allos eut donc à fournir son contingent de troupes et à payer des subsides et des contributions de guerre tantôt à Victor-Amédée, tantôt à Louis XIV, suivant les vicissitudes de la vallée.
Ajoutons que nos pères étaient trop rapprochés de la vallée de l'Ubaye pour n'être pas victimes des maraudeurs qui accompagnaient les armées et pour n'avoir pas à souffrir du passage et du logement des troupes.
Nous savons , en effet, par l'Histoire de Barrême, que, le 21 mars 1691, le conseil de cette communauté se plaignait d'avoir trop souvent à loger des soldats par centaines et par milliers, qu'il n'y avait plus dans le pays ni vivres, ni crédit, et que, pour échapper aux charges écrasantes qui pesaient sur eux, les habitants s'expatriaient.
Nous allons voir bientôt que les habitants d'Allos imitèrent ceux de Barrême.

Le marquis de Parelles reprit Barcelonnette en 1692, mais il essaya en vain d'aller plus loin.
"Pendant que le gros de l'armée des alliés faisait la guerre en Dauphiné, dit le comte de Saluces, il tenta de pénétrer en Provence depuis Barcelonnette.Il fut repoussé à l'attaque d'Ubaye et il dut se faire transporter à Saluces, où il mourut de ses blessures."

La colonne qu'il commandait prit ses quartiers d'hiver dans la vallée.
Elle en fut chassée, en 1693, par l'armée française, qui l'occupa jusqu'au traité de paix de Ryswick.

La campagne de 1694 n'a rien de particulier pour notre histoire.
Mais voici une délibération de 1695 que je reproduis,parte in quâ , même avec ses incorrections, parce qu'elle est un exposé aussi touchant que fidèle de la situation de nos pères, pendant la guerre de 1690-1696 :

"L'an 1695 et le sèze jour du mois de feuvrier, dans la maison du sieur Jean Piny, notaire, et par-devant et par licence d'honnête Laurens Millou, baile et juge ordinaire en cette ville et communauté d'Allos, s'est assemblé les hommes et particuliers raillables du quartier du Seignus, membre et quarte part de cette communauté
Note (14).............

"Etant informés d'une lettre de Son Excellence Mgr. le maréchal de Catinat, qu'ils n'auraient plus à chercher de ressources et qu'il fallait se mettre en état de payer les six mille livres auxquelles cette communauté avait été réglée, à considération du quartier d'hiver des troupes, dans la vallée de Barcelonnette; informés d'ailleurs et voyant que le service du roy ne pouvait être que retardé, si les six mille cinq cents livres qui les concernent à payer doivent venir des impositions faites ou à faire; attendu la saison à laquelle nous sommes, étant impossible aux trésoriers de faire procéder aux exécutions contre les retardataires et faire transmarcher les bestiaux, au lieu du tribunal, pour les faire inquanter; outre qu'il y a une bonne partie des taillables hors du lieu pour gagner leur vie, et des autres qui y possèdent les meilleurs biens et habitent les uns à Nice, les autres en la ville de Barcelonne et sa vallée.
Il faudrait de trop grands frais pour les aller rechercher, outre la difficulté qu'ils font de payer et la précaution qu'ils ont que leurs deniers soient divertis comme il est arrivé, etc...,
délibèrent de payer les cinq cents escus qui les touchent par voie d'emprunt, après l'emploi des deniers que le sieur Honoré Pascal se trouvera avoir exigé et non payé, de la taille de vingt sols par once que lui ordonné par le seigneur préfet de Barcelonnette, de lever sur les habitants audit quartier."

Les trois autres quartiers d'Allos délibérèrent également, pendant l'année 1695, sur les moyens à prendre pour assurer le payement des contributions de guerre exigées par le maréchal de Catinat.

La délibération du conseil de la Foux est semblable, dans la première partie, à celle du Seignus, mais elle se transforme ensuite en requête suppliante et habile et elle contient des détails dont l'importance, pour notre histoire, n'échappera pas à mes lecteurs.
Après avoir choisi comme député Joseph Bourillon et Pierre Gariel, avec mission de se transporter à Barcelonnette et d'y emprunter de qui ils pourront , les habitants de la Foux, présents au conseil, les chargent " de représenter à nos seigneurs les commandants pour Sa Majesté, en la vallée de Barcelonne, que de tout temps immémorial cette communauté d'Allos a eu quatre quartiers, savoir la Ville, le Villar, le Seignus et la Foux, qui est le plus pauvre des quatre, pour être situé sur la montagne, et subjet à la gelée, et a souffert, des quatre parts les trois, du logement des dragons de M. de Valanée; que les quartiers ont leur cadastre séparé, qu'ils font la création d'un consul séparément...,
suppliant très humblement de les laisser, dans leurs anciennes coutumes
leur consul (étant) aussi bien que les autres, trésorier nay (né), etc."

La Ville, le Villard et Bouchiers votèrent une taille de vingt sous, au lieu de recourir à un emprunt.
La base de cette taille était, on le sait, la contenance et la valeur des propriétés de chaque habitant; c'est ce que l'on appelait impôt par once de registre , c'est à dire taille cadastrale.

L'année suivante amena des charges plus lourdes encore.

La communauté contracta une obligation de deux mille livres pour délivrer divers habitants d'Allos, " retenus otages et prisonniers au camp de Sainte-Brigide et à la prison de Coni, d'où ils ne furent élargis qu'en payant la susdite somme, à laquelle la communauté avait été taxée, pour raison des hommes qu'elle devait fournir à la milice de toute la vallée".
Le camp ou plutôt le fort de Sainte-Brigide était dans les environs de Pignerol.
Il fut pris par les Français, puis repris par l'armée du duc de Savoie et enfin entièrement détruit.
Note (15)

Le 6 novembre 1695, les consuls reçurent l'ordre de pourvoir au logement des troupes de MM. de Julien et de Berri, qui venaient prendre leurs quartiers d'hiver à Allos.
Leur tâche était difficile, car un nombre considérable d'habitants étaient absents et d'autres étaient dépourvus des ressources nécessaires pour loger les soldats et fournir le foin des chevaux.

Le conseil communal, voyant que la plupart des familles étaient surchargées et que la situation devenait intolérable, se réunit sur la palce voisine du portail de France, appelée, jusqu'à nos jours, lou Pourtaou, et imposa une taille de douze sous par once, destinée à couvrir
" tous les frais soufferts par les habitants, s'élevant à onze mille deux cents livres, soit pour les quartiers d'hiver des troupes de M. de Julien et de M. de Berri, soit pour le port des fusils et des soliers et les frais des ustensiles ".
Note (16)

Le 24 juin suivant, cete taille fut élevée à trois livres six sols et elle fut ensuite soumise au conseil des quartiers.

Les conseils des quartiers de la Ville, de Bouchiers-Villard, du Seignus et de la Foux n'acceptèrent, pour leurs sections respectives, ni l'une ni l'autre de ces tailles :
la première leur parut insuffisante; celle du 24 juin, excessive, et ils votèrent une imposition de quarante sous par once.

La campagne de 1696 fut la dernière de la guerre de 1690, mais elle ne fut pas la fin des embarras financiers de nos pays.
Même après le traité de Turin (octobre 1696) et de celui de Rysvick (1697), qui replacèrent Barcelonnette et Allos sous la domination de la Savoie, il fallut établir de nouveaux impôts, pour éteindre les dettes contractées pendant la guerre.
Allos, Bouchiers-Villard, le Seignus et la Foux établirent une taille de trente-quatre sous par once.

9. - Ajoutons, enfin, qu'un des effets, les plus regrettables pour nous, de la guerre de 1690-1696 fut la destruction du clocher de Notre-Dame de Valvert.

"Ce clocher d'une belle et ancienne structure, qu'on a cru de Charlemagne, comme celui de Digne, fut démoli par un ordre trop précipité, dans la dernière guerre, qui finit en 1696, et sa chute ruina la voûte."

Soanen, évêque de Senez, auquel j'emprunte cette citation ,
Note (17) ajoute que "la voûte du sanctuaire de Notre-Dame de Valvert a été plusieurs fois démolie par les guerres, comme il paraît dans la visite de 1602".

Ce n'était donc pas la première fois que l'église paroissiale d'Allos avait à souffrir des guerres de cette époque.

Il est fâcheux que le procès-verbal de la visite de 1602 n'existe plus dans les archives de Senez.
Il nous dirait peut-être si la voût du sanctuaire de Notre-Dame de Valvert a été détruite par le marquis d'Uxelles, par les troupes du général de Parelles ou par d'autres.
Nous savons, d'ailleurs, par des documents historiques de 1630 et de 1640, que notre église paroissiale était alors occupée par des munitions de guerre et par des soldats et que leur chef était commandant dans l'église d'Allos.

Malgré les prescriptions du zélé prélat, disant que s'il n'y était remédié la chute du clocher gâterait tout, la communauté n'osa pas entreprendre la réparation des dégats, soit parce qu'elle n'en avait pas les moyens, soit à cause de la multiplicité des affaires qu'elle avait à traiter, dans ces temps troublés.

Il y avait, en effet, toujours des troubles.
Une nouvelle et longue guerre désolait alors l'Italie et les Alpes et mettait nos pères dans l'impossibilité de réparer les désastres de celle de 1690-1696.

Charles II, roi d'Espagne, qui mourut le 1er novembre 1700, n'ayant point d'héritiers, avait légué ses Etats au duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV.
Ce prince fut proclamé roi à Madrid, à Naples, à Milan, etc.
L'empereur d'Allemagne protesta immédiatement, déclara qu'il revendiquerait par les armes la couronne de Charles II et forma une nouvelle coalition contre Louis XIV.
Ce fut le commencement de la guerre de la succession d'Espagne, qui dura treize ans (1701-1713).
Victor-Amédée combattit d'abord avec les Français, pendant les campagnes de 1701 et de 1702; mais, en 1703, il se déclara pour leurs ennemis.

10. - En 1705, le duc de Berwik s'empara de tout le comté de Nice et rasa les fortifications du château de cette ville.
Voici comment, d'après ses mémoires ,
Note (18) il organisa ensuite la défense des Alpes :
"Je me fis, dit-il,l'idée d'une ligne dont le centre avançait, et la droite et la gauche étaient en arrière, en sorte que je faisais toujours la corde et que les ennemis nécessairement faisaient l'arc.
Je pris Briançon pour le point fixe de ce centre du gros de mes troupes, d'où je devais les faire filer sur la droite ou sur la gauche.
Ma ligne droite passait par la vallée de Barcelonnette et tombait, par le col de la Caillole, dans la vallée d'Entraunes.
Pour assurer mes communications de ce côté, je fis faire un camp retranché à Tournoux.

J'arrivai à Briançon le 27 juin 1710...Je donnai à M. d'Artagnan, lieutenant-général, six bataillons et deux régiments de dragons, pour la défense du Var; je mis à Seyne deux régiments de dragons; dans le camp de Tournoux, en Barcelonnette,, dix bataillons...
Je fis venir en Provence, à Colmars, le sieur d'Artagnan avec trois bataillons et deux régiments de dragons, afin de tenir en communication libre, de ce côté-là, le camp de Tournoux."

Par cet envoi de troupes dans la vallée du Verdon, le maréchal de Berwik modifiait, par une amélioration notable, sa ligne de défense à droite, car il était plus uitle et plus facile de relier Tournoux au Var, par Allos et Colmars, que par la Caillole et Entraunes.
On peut même dire qu'une nouvelle ligne de défense était en quelque sorte substituée à la première et qu'il y a lieu également de substituer ici le nom d'Allos à celui de Colmars.
C'est ce qui résulte des délibérations de la communauté d'Allos, en 1710 et en 1711 :
" Des troupes, composées tant de dragons que d'infanterie, passant en cette ville (et y) ayant séjourné, leur a fallu fournir du foin et paille, ayant les consuls fait faucher beaucoup de près...,
lesquelles ont causé beaucoup d'autres désordres aux blés et marsailles, spécialement d'iceux qui sont auprès du campement
Note (19)..."
De plus, obtenu de M. d'Artagnan ordre aux communautés d'Entraunes et Saint-Martin de payer, à proportion des frais des troupes qui ont passé, séjourné et campé ici.
Comment M. d'Artagnan aurait-il pu faire rembourser ces frais à Allos, si ces troupes n'y avaient pas été envoyées ?

Le procès-verbal de la délibération de 18 janvier 1711 nous donne des détails empreints de tant de droiture et de bonne foi qu'ils ne pourraient permettre le plus léger soupçon à ce sujet.
Le marquis Leguerchois appela auprès de lui deux consuls d'Allos, "avec pouvoir de transiger, par-devant ledit seigneur, et recevoir sa justice pour les mille cent livres environ que cette communauté est à recevoir de celles d'Entraunes et Saint-Martin, pour reste de fournitures par celle-ci faites, par ordre, à son relèvement, de Mgr. le comte d'Artagnan.
Celle-ci a supporté tous les fardeaux de la guerre, tandis que celle-là n'a supporté aucun faix...
Et qu'ainsi il ne resta pas d'autre moyen à cette communauté d'Allos, pour satisfaire au payement de son fourrage demandé par le magazin de Barcelonne, que l'exaction de cette somme, tous les fourrages ayant été consommés, tandis que ces communautés-là ont sauvé jusqu'à la dernière plante et n'ont pas souffert la perte d'un chou."

11. - La question de la fourniture des fourrages avait alors une telle importance qu'on établit à Allos et à la Foux des magasins pouvant en contenir neuf cent cinquante quintaux.
La communauté fournissait aussi des bois, contribuait à l'entretien de l'hôpital de Barcelonnette, du fort de Larche, du Castellet, etc.
En 1710, elle fut chargée du transport de cent trente-huit plaches destinées aux fortifications de Larche.

Le marquis de Leguerchois, maréchal de camp, dont on rencontre si souvent le nom dans les ordres de contributions de guerre envoyés à la communauté d'Allos, était commandant ordinaire des troupes françaises dans la vallée de Barcelonnette, pendant que Berwik commandait en chef l'armée chargée de la défense des Alpes.

Le général italien de Thaun pénétra dans la vallée en 1710, s'empara du château de Larche, campa à Fouillouse, etc.; mais cette occupation ne fut pas de longue durée, et le maréchal de Berwik se contenta de surveiller cette colonne, pour l'empêcher de pénétrer dans la basse Provence, en suivant l'Ubaye, les rives du Verdon ou le Var.

Cependant la longueur de la guerre de la succession d'Espagne, le manque de récoltes, la famine, qui imposa de si dures privations, pendant et après l'année 1709, faisaient désirer la paix, et les chefs des peuples la préparaient dans leurs conseils.
Tandis qu'on discutait les articles du traité d'Utrecht, nos pères se demandaient avec anxiété s'ils continueraient d'être sujets du duc de Savoie ou s'ils redeviendraient Français.
Le maréchal de Berwik, qui avait protégé leurs foyers, en défendant les Alpes avec autant d'habileté que de vaillance, sut encore les défendre dans les négociations de la paix.
Grâce à son intervention, Barcelonnette et ses douze communautés allaient être rendues à la France.

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(1)Archives départementales des Basses-Àlpes, B, 34, 335-337.
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(2) L'Hubac ne serait-il pas le hameau de Primien ?
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(3) Les décimateurs étaient l'évêque de Senez et le curé d'Al!os. Le produit de la dîme, qui a été si injustement critiquée, leur permettait de contribuer à la réparation des édifices consacrés à Dieu, de fournir ce qui était nécessaire au culte divin et d'assurer aux prêtres un modeste traitement; ,lorsque les bénéfices dont ils étaient pourvus étaient insuffisants.
Comme les autres articles du budget ordinaire, la dime était votée par le conseil de la communauté, divisé en autant de sections que de quartiers : la Ville, le Villard et Bouchiers, le Seignus et Primin, la Foux et la Beaumelle.
On donnait dix agneaux au vicaire perpétuel d'Allos.
Voici d'ailleurs, à ce sujet, un extrait d'une délibération du conseil d'Allos, en date du 25 juin 1678, sur les dépenses de la communauté.
" Pour payement à faire à celui qui fait brusler la lampe (du Saint-Sacrement), au sonneur des cloches, pour le maintien de la fontaine, pour les agneaux au R. viquaire (sic), pour le R.P. prédicateur, pour l'horloge et réparation d'icelui, pour les stipendis au seigneur préfet et pour les soldats de justice, pour les donatifs à Son Altesse le duc de Savoie, pour le dixme à Mgr. de Senez, pour le maintien des chemins, pour la poudre, le jour de la feste Dieu, pour le maintien des ponts, etc...
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(4)Archives départementales, B, 38, fol.64, verso, in fine.
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(5)Histoire militaire du Piémont, t. V, p, 6.
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(6)"On sait, dit M. l'abbé Guillaume, archiviste des Hautes-Alpes, que le duc de Savoie, après avoir pénétré dans le Haut-Dauphiné par le col de Vars (26 juillet 1692), s'empara successivement de Guillestre ( 1er août), d'Embrun (16 août) et de Gap (19 aouût), qu'il incendia, ainsi qu'une infinité de bourgs et de villages, en se retirant, en septembre de la même année."
Histoire générale des Alpes-Maritimes, par Fournier, t.III, p. 102, note 4.
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(7) Annales des Basses-Alpes, t. II, p. 90.
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(8) Histoire militaire du Piémont, t. V, p. 67.
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(9)Archives départementales, B, 216, fol. 432.
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(10) Le marquis de Parelles arriva à Barcelonnette le 24 novembre 1690.
La délibération des quatre quartiers de Barcelonnette ne permet pas le moindre doute sur cette date.
On ne peut donc pas dire, avec l'auteur de l'Histoire de Barrême, auquel je vais emprunter une citation importante, que le départ des volontaires et le siège de Colmars ont eu lieu au mois d'août.
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(11) Ainsi s'exprime M. Jullien, ancien inspecteur des monuments des Basses-Alpes, résumant un manuscrit que lui avait confié M. Gariel, d'Allos, ancien conseiller à la cour de Grenoble.
M. Jullien l'appelle avec raison " un magistrat aussi recommandable par son profond savoir que par la loyauté de son caractère".
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(12) M. Julien, inspecteur des monuments dans les Basses-Alpes.
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(13)Histoire militaire du Piémont, t. V, p. 42.
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(14) La vallée d'Allos était divisée en quatre parties, savoir:
la Ville (quartier de), au midi; Bouchiers et le Villard, au levant; le Seignus et Primin, au couchant, et la Foux et la Beaumelle, au nord.
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(15)Histoire militaire du Piémont, t. V, p. 73.
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(16)Archives des Basses-Alpes, B, 39, fol.3.
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(17) Visite pastorale à Allos, en 1712.
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(18)Mémoires du Maréchal de Berwik, t. II, p. 66.
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(19) Ces troupes campèrent au Plan d'Allos, dans les terres du sieur Pascalis, consul. (Délibération du 31 août 1710.)
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