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TOME II

CINQUIEME PARTIE

Description physique, productions.
Cours d'eau, lacs et glaciers.
Etude géologique des terrains. - Faune et Flore.
Hommes remarquables.- Eglises et chapelles.
Anciennes fortifications.
Routes, postes et télégraphes, instruction publique.
Dames de charité, bureau de bienfaisance.
Langue et religion.


CHAPITRE VII

Langue et religion.

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1.-Il y avait autrefois des écoles temporaires jusque dans les petits hameaux.
En compulsant les anciens documents des archives municipales, on voit qu'il y avait des écoles primaires au chef-lieu et dans les hameaux et que ces écoles étaient aussi nombreuses que celles d'aujourd'hui.
Aux approches de l'hiver, les chef de famille s'entendaient pour choisir dans le pays ou ailleurs un maître , qui, moyennant un modique traitement, s'engageait à réunir les enfants, pendant un nombre de mois convenu, pour leur apprendre à lire, à écrire, à calculer, etc.
Ces modestes instituteurs n'étaient pas sans doute munis des diplômes exigés aujourd'hui, mais ils savaient enseigner les éléments de la grammaire, de la géographie, de l'arithmétique, etc.
Ils apprenaient à leurs élèves la calligraphie, la lecture des vieux contrats, l'histoire sainte, l'histoire de France, le catéchisme, et les élèves intelligents qui fréquentaient ces écoles devenaient capables de faire une lettre, même une convention et de tenir les comptes usuels.
Note (1)
J'ai dit, plus haut, qu'en 1610 plusieurs habitants d'Allos, voyant la négligence des consuls à nommer un maître d'école, les menacèrent d'en "prendre un aux frais de la communauté ".
( Cliquez ici pour relire ce passage.)
Il fallait que la coutume dont ils demandaient le maintien fût bien établie pour qu'ils pussent en parler en ces termes.
L'auteur de l'Instruction publique à Barcelonnette
Note (2)   donne le texte d'une convention passée à Allos, en 1619, entre les habitants et le sieur Pons Guirand.
Note (3)
Il fait remarquer avec raison " l'importantance que l'on attribuait à la simple nomination d'un maître d'école pour une seule année".
"Tout cela, ajoute-t-il, après avoir mentionné plusieurs autres conventions passées à Saint-Paul, à Faucon, à Barcelonnette, etc.., nous montre un pays en pleine possession, depuis des siècles, d'une instruction primaire organisée jusque dans les plus petits hameaux."

2.-Allos a eu pendant longtemps une école de latin.

Les habitants d'Allos s'occupaient également de l'instruction secondaire.
La communauté s'engagea à payer 100 ducatons , c'est-à-dire 600 livres, monnaie de France, pour le collège de Barcelonnette, fondé en 1646.
En 1807, au contraire, elle repoussa absolument la demande de subsides pour cet établissement parce qu'il n'avait pas d'élèves de la haute vallée du Verdon.
"Les jeunes gens d'Allos, disait-elle, ne vont pas au collège de cette ville, qui existait avant la Révolution, ni à l'école secondaire établie depuis quelques années; au contraire, leurs parents sont obligés, à cause de la situation du pays, de se procurer des instituteurs à leurs frais."
Note (4)
Il y avait donc à Allos, avant 1807 et probablement depuis longtemps, une école de latin.
Cette école a continué d'exister jusqu'à nos jours, malgré quelques intermittences.
Elle a été dirigée, successivement, par MM. Vinay, Brun, Guirand, Barbaroux, etc.
M. Brun, jeune ecclésiastique comme son prédécesseur, avait dix élèves; M. Guirand, prêtre originaire du pays, en avait trente, se destinant presque tous à l'état ecclésiastique; M. Barbaroux, curé doyen d'Allos ( 1851 - 1868 ) , avait aussi une nombreuse école.
Note (5)
Il y a aujourd'hui, dans le canton d'Allos, une école enfantine et huit écoles primaires, dont deux au chef-lieu et six dans les hameaux.
L'école de latin n'existe plus.

3.-Association de Dames de Charité établie par les évêques de Senez.

Le 28 mai 1775, Mgr de Beauvais était dans nos murs en cours de visite pastorale, et il s'occupa notamment des oeuvres de charité à l'égard des pauvres.
J'emprunte ça et là au procès-verbal de cette visite les passages qui leur sont consacrés, parce qu'ils appartiennent au livre d'or des actions vertueuses de nos ancêtres :
Note (6)
"Sur les 3 heures de relevée, MM. le maire et consuls et principaux habitants se sont assemblés, dans notre appartement, et, après avoir conféré avec eux des différentes affaires concernant le bien de la communauté, nous leur aurions demandé quels étaient les moyens établis, dans cette paroisse, pour soulager les pauvres et surout les malades.
Ils nous auraient répondu qu'il n'y avait aucuns fonds destinés en leur faveur, mais que la charité des particuliers y avait suppléé par ses secours, qui jamais ne leur ont manqué, surtout lorsqu'ils ont été malades.
"Ayant témoigné à la communauté combien nous étions édifié de sa charité, nous lui aurions fait part du projet d'établir dans cette ville une société de Dames de Charité; mais, comme il n'y a point de revenu affecté pour cette bonne oeuvre, nous espérons que la communauté voudra bien joindre ses secours aux nôtres.
Notre confiance est fondée sur tout ce que nous avons appris, avec la plus grande satisfaction, de la charité de cette ville pour les malheureux.
"Notre proposition ayant été adoptée d'un consentement unanime, après avoir conféré avec M.le curé, nous avons établi Dames de Charité :
Mesdames Pascalis de la Sestrière, Pascalis du Laus, Pascalis de Valplane, Mesdames Pellissier, Guieu, Guirand, Jaubert et les demoiselles Valplane et Gariel, dont toute la paroisse connaît le zèle et la charité; lesquelles dames visiteront les malades, etc."
Le 30 avril suivant, le conseil municipal délibéra sur la proposition faite par le prélat et s'engagea à payer annuellement 100 francs pour les pauvres.
Il proposa, en outre, d'établir un mont de piété de blé, pour secourir les pauvres, dans les années de disette.
MM. Guirand, premier consul, Gariel, Pascalis, de Valplane, Pascalis, du Laus, et Guieu, furent chargés " de dresser un projet de l'établissement de ladite oeuvre pie".
Dix ans après, un autre évêque de Senez, Mgr de Castellane, s'occupa avec le même zèle de l'association des Dames de Charité, pendant sa visite pastorale à Allos, le 24 et le 25 juin 1785.
"Quelle n'a pas été notre satisfaction, dit-il, d'apprendre que le conseil de la communauté avait délibéré de donner annuellement 50 livres pour cette bonne oeuvre.....
Nous avons proposé, comme notre prédécesseur, de donner tous les ans la même somme que donnerait la communauté.....
"Nous avons proposé aux dames d'Allos de renouveler l'association des Dames de Charité.....
Nous avons choisi parmi elles deux infirmières, une lingère, une trésorière, etc....
Elles nous ont désigné des femmes distinguées par leurs vertus, dans les différents hameaux de la campagne, qui visiteront comme elles les pauvres, dans leurs maladies, et leur rendront compte de la situation de ces malades.
Nous avons laissé un règlement dont nous leur recommandons l'exécution."
L'association des Dames de Charité disparut, pendant la tourmente révolutionnaire, comme tant d'autres associations pieuses; mais la charité privée, qui, avant cette institution, pourvoyait aux besoins des pauvres malades, a su la suppléer, après sa disparition, et les femmes d'Allos méritent encore aujourd'hui les éloges que les évêques de Senez adressaient à leurs devancières, en 1775 et en 1785.

4.-Legs faits aux pauvres. Projet d'établir un hôpital. Etablissement d'un bureau de bienfaisance.

L'abbé Augier, orivinaire d'Allos, et sa soeur, Célestine Augier, voulurent doter leur pays natal d'un hôpital et instituèrent la commune héritière universelle de leurs biens par un testament olographe du 5 décembre 1866.
J'ai dit plus haut qu'un décret impérial du 15 mai 1873 autorisa l'acceptation du legs
Augier, mais que, déduction faite des frais et legs particuliers, la somme reçue par la commune se trouva réduite à 4.073 francs.
Un hôpital ne pouvant pas être fondé, on se contenta d'établir un bureau de bienfaisance.Ce bureau fut créé, en effet, par un décret du président de la République, le 17 août 1885, grâce à la donation faite par Colette Michel, le 3O septembre 1883, de l'universalité de ses biens aux pauvres d'Allos.

5.-Langue vulgaire. Spécimen du provençal tel qu'on le parlait à Allos. Particularités qui le distinguent.

J'ai dit avec quel soin les premiers habitants de notre pays gardèrent, pendant de longs siècles, leur langue maternelle et comment cette langue survécut à leur indépendance.
Cliquez pour revoir ce passage.
Note (7)
Je n'essayerai pas de suivre, à travers les siècles postérieurs à la victoire de Jules César et de son neveu, l'empereur Auguste, sur les peuplades des Alpes, les transformations que cette langue a subies, sous la domination romaine, pendant l'invasion des barbares du nord, des Sarrasins, etc.
Mais je me demande ce qu'il y a encore, de la langue gauloise, dans le provençal tel qu'on le parle aujourd'hui à Allos et quelles sont les particularités qui le distinguent.
Afin que mes lecteurs puissent constater eux-mêmes quels sont ces vestiges celtiques
Note (8)    et en quoi consistent ces particularités, je leur offre ici un spécimen de notre idiome vulgaire :

L'ESTIVALHA DAS TROUPEUS TRANSHUMANTS.

De tout tems, de troupèus de regas de la Bassa-Prouvença an estivà sus las mountagnas d'Aroues.
Un escabouet de sièi mila manjava la mountagna dou Laus, e d'autres escabouets parquejavon à
Taroun, à Preinié, à Poussendriéu, à la Sestriera, à l'Aguilha, à Vaudemars e Autapié.
Aquelas regas èron menaus
Note (9)    par de bailes, de souta bailes, de menaires e de pastres.
De grosses chins de garda, de la coumpagna, las preservavon dou dangié de la sauvajuna e das maufatans;
lous
Note (10)    ases carrejavon lou tapàgi e de prouvisiens; lous menouns, fièrs de pourtar au couel de larges
chambis
Note (11)    e de grosses redouns, marchavon en tèsta de l'aver.
L'estivailha coumençava par sant Jan e prenié fin quoura las nevaihaus de l'autoun enmantelavon las auturas.
Aloura, lou baile endicava lou depart, e lou menaire ensounalhava menouns, arets e feas
Note (12)    en etat de pourtar sounalha en Crau.
Tout aco es feni, despèi quauques ans.
Lou gouvernament a croumpà las mountagnas d'Aroues ( 1894 - 1896 ) ,
e l'aministracien fourestiera li semena de granas e li planta d'aubrilhouns, que se faran grands, se lou Bouen Diéu lous presta vida.

6.-La foi chrétienne, prêchée dans la vallée du Verdon par trois missions successives, n'a jamais cessé d'y être vivante.

La religion des Gallitae, comme leur langue, paraît avoir survécu à leur indépendance.
Rome, il est vrai, imposa ses lois et sa religion aux peuplades des Alpes, comme elle les imposait à tous les nouveaux sujets de son vaste empire; mais, pour la religion, elle se contentait souvent d'un changement superficiel :
les Gaulois vaincus donnèrent à leurs divinités les noms des divinités romaines, et ils gardèrent leurs croyances avec leurs anciennes cérémonies religieuses.
Il est donc probable que les pratiques du culte national des Gaulois Alpins ne disparurent entièrement qu'à la clarté de la foi chrétienne, comme les ombres disparaissent lorsque le soleil s'empare de l'horizon.
La vallée du Verdon, comme les vallées voisines, entendit la prédication de l'Evangile du Ier au IV° siècle, par les missions successives de saint Nazaire et de saint Celse, de saint Pons et de son ami Valère et de saint Domnin, apôtre d'Allons.
La foi implantée par ce triple ensemencement évangélique n'y a jamais été défaillante, malgré la domination des barbares du Nord, les ravages des Sarrasins, les horreurs des guerres de religion et les violences de la Terreur, pendant la Révolution française.
Par une disposition providentielle, juste compensation établie en faveur des habitants des hautes montagnes,
Note (13)   les nuages de l'erreur les enveloppent difficilement, et on dirait que les attaques dont leurs croyances sont l'objet les fortifient, comme le vent du Nord enracine plus profondément les arbres des forêts alpestres.
Et en effet, " sur les montagnes, l'âme se met à l'unisson des objets qui l'entourent ".(Ramond.)
"Au-dessus des nues et des tempêtes, elle trouve la sérénité, dans sa hauteur, et ne perd aucun rayon de la lumière qui l'environne." (Bossuet.)
L'Auteur de ces puissants moyens de conservation est admirable.
Mirabilis in altis Dominus !
En écrivant ces dernières lignes de l'histoire d'Allos, je souhaite que la lumière de l'Evangile éclaire toujours les habitants des rives du Verdon, et je dis à mes chers compatriotes, avec Montesquieu :
"La religion chrétienne, qui semble n'avoir pour objet que la félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci";
et avec Fénelon :
"Aimez et observez la religion; le reste meurt, elle ne meurt jamais."

 

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Table des Matières

Notes : ( 13 notes dans ce chapitre )

(1) Les vieillards n'ont pas oublié que, pour exciter l'émulation, le maître faisait de temps en temps porter les compositions de ses élèves aux habitants voisins de l'école, qui étaient priés de classer selon leur appréciation, les dictées, les pages de calligraphie, etc.
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(2) M. François Arnaud, notaire.
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(3) Pons Guirand s'engageait " de bien duement et de tout son pouvoir instruire les enfants des particuliers, manants et habitants de la présente ville ( Allos ) qui iront au collège que ledit sieur Guirand, à tel effet, dressera en ladite ville, l'année prochainement suivante, commençant aujourd'hui ( 8 octobre 1619 ) et finisssant à la fin du prochain mois d'août ".
La teneur de cette partie de la convention n'indique-t-elle pas que Pons Guirand donnait l'instruction secondaire au moins à quelques uns de ses élèves ?
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(4) Extrait des délibérations du 13 et du 15 mai 1807, déjà cité.
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(5) C'est avec ou sans autorisation expresse que les prêtres ou d'autres ecclésiastiques dirigeaient l'école secondaire d'Allos.
En 1824, le recteur de l'académie d'Aix informa Mgr l'Evêque de Digne qu'il y avait cinq écoles non autorisées dans l'arrondissement de Barcelonnette, dont l'une à Allos, tenue par l'abbé Brun.
M. Barbaroux fut contraint de réduire le nombre de ses élèves, comme l'a voulu la loi de 1850.
Actuellement, les pères de famille sont obligés d'envoyer leurs enfants au petit séminaire, au lycée ou au collège d'Annot, même pour les classes élémentaires.
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(6) Ce procès-verbal, dicté à l'abbé Pontius, secrétaire du prélat, fut lu à haute voix, devant tous les fidèles assemblés dans l'église.
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(7) Rien ne se détruit plus difficilement qu'une langue...
Nous ne renonçons qu'avec peine aux mots qui ont été les premiers interprètes de notre amour pour nos parents, de leur tendresse pour nous et des besoins de notre enfance...
Voilà ce qui consacre une langue chez un peuple, en assure la durée; son abolition totale est l'ouvrage des révolutions et de plusieurs siècles. (Papon, t. II, pp. 112 -113.).
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(8) Je n'ose pas dire, comme M. Arnaud, de Forcalquier :
Nous parlons encore la langue de nos pères, car plus de la moitié de notre langue est celtique.
(Histoire de la Viguerie de Forcalquier,
t. I, p. 125.).
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(9) Le féminin au, aus, est particulier aux vallées du Verdon, de la Vaïre, du Haut-Var jusqu'à Entrevaux et de l'Asse jusqu'à Barrême inclusivement.
A Barcelonnette, à Seyne, au Puget, on dit menaîa, menaias ; à Digne, mena, menas , pour les deux genres, et, plus bas, menada, menadas..
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(10) Les articles le, la, les, se traduisent par lou, la, et, au pluriel, lous, las, à Allos, à Barcelonnette, à Sisteron, etc.
Du côté du midi et du sud ouest, au contraire, on dit les ou leis , même dans le canton de Colmars, limitrophe d'Allos.
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(11) La syllabe qui compose la première partie de ce mot est appelée chuintante ( du cri de la chouette ).
Cette substitution du ch au c dur est très fréquente, non seulement à Allos, mais à Seyne, dans les vallées de l'Ubaye et de la Durance jusqu'à Sisteron inclusivement.
Du côté du couchant et du midi, le chuintement s'étend plus ou moins complet jusqu'à Digne, où l'on prononce, chat,chouchar, etc.; mais il ne va pas juqu'à Entrevaux.
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(12) Contraction de feda
( Docteur Honnorat.).
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(13) Ces pics, clochers du monde où sonne la tempête,
Devant qui l'homme à peine ose lever la tête,
Tant Dieu lui paraît grand, tant il se sent petit !
( V. Hugo.).
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