MONOGRAPHIE BAS-ALPINE
HISTOIRE D'ALLOS
depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours
par
L'Abbé J.-E. PELLISSIER
Vicaire général de Mgr. l'Evêque de Digne

Itte terrarum mihi praeter omnesAngulus ridet.
Plus que tout autre ce petit coin
de terre a pour moi des charmes.
(Horace.)

Et pius patriae facta referre labor.
Redire le passé de son pays est
une oeuvre de piété filiale.
(Ovide.)

TABLE DES MATIERES

TOME I

PREMIERE PARTIE.
DEPUIS L'AN 1100 AV. J.-C. A L'AN 1000 DE L'ERE CHRETIENNE.

CHAPITRE Ier.
1.-Nom et origine des premiers habitants
2.-Territoire qu'ils occupaient.
3.-Leurs moeurs et leurs coutumes.
4.-Leur religion.
5.-Leur langue.
(1100-600 avant Jésus-Christ.)

CHAPITRE II.
1.-Moyens de défense des Gallitae.
2.-Leur attitude pendant les guerres puniques.
3.-Combats sur les bords du Var; deux victoires remportées sur les Romains.
4.-Soulèvement des peuples des Alpes par le roi des Allobroges.
5.-Les Gallitae au siège de Marseille.
6.-Conquête partielle des Alpes par Jules César.
(600-49 avant Jésus-Christ)

CHAPITRE III.
1.Peuplades des Alpes subjuguées par Auguste.
2.Trophée de la Turbie ; sa célèbre inscription.
3.Place qu'y occupaient les Gallitae et leurs voisins.
4.Annexion à la province Narbonnaise.
5.La province des Alpes-Maritimes, avec Cimiez pour capitale.
6.La religion et les lois des Romains imposées à leurs sujets.
7.Origine des communes.
8.Impôts ; esclavage.
9.Embrun, métropole civile des Alpes-Maritimes.
(13 avant Jésus-Christ. - 480 après Jésus-Christ.)

CHAPITRE IV.
1.Trois prédications évangéliques successives dans nos Alpes.
2.Celle de saint-Nazaire et de saint Celse, au Ier siècle.
3.Celle de saint Pons, au IIIe siècle.
4.Celle de saint Domnin,de saint Vincent, etc., au IVe siècle.
5.Allos a toujours fait partie du diocèse de Senez, qui relevait de la métropole d'Embrun.
(60- 350.)

CHAPITRE V.
1.La Gaule ravagée par les Barbares du Nord.
2.Irruption des Vandales en Provence.
3.Les Bourguignons dans les vallées de Barcelonnette, de la Bléone, du Verdon, etc.
4.Domination des Visigoths dans les mêmes régions.
5.Théodoric, roi des Ostrogoths, et les bergers des Alpes.
6.Domination des Francs.
7.Invasions des Lombards et des Saxons.
(406 - 578.)

CHAPITRE VI.
1.Les invasions des Sarrasins en Provence, divisées en trois périodes.
2.Leurs conquêtes en Espagne et dans le Midi de la France.
3.Ils ravagent la vallée du Rhône avant la bataille de Poitiers.
4.Ils s'emparent de la Provence, en 737, par la trahison de Mauronte.
5.Première expédition de Charles Martel en Provence ;nouveaux massacres après son départ.
6.Charles Martel et Luitprand délivrent la Provence.
7.Les habitants d'Allos réfugiés à Saint-Pierre ;leur église paroissiale et leur cimetière en ce lieu.
(711-739.)

CHAPITRE VII
1.Les Sarrasins s'établissent au Fraxinet, d'où ils ravagent toute la Provence.
2.Ils se dirigent de préférence vers les montagnes, les uns par le Var et le Verdon, les autres par la Durance et l'Ubaye.
3.Vestiges de leur séjour dans la haute Provence ; une tombe sarrasine à Allos.
4.Ils perdent et reprennent le Fraxinet, pendant le règne du roi Hugues.
5.Etat lamentable de Barcelonnette, d'Allos et de toute la Provence.
6.Sa délivrance par le comte Guillaume et ses lieutenants.
(885-1000.)

DEUXIEME PARTIE
DEPUIS L'AN 1000 JUSQU'A L'ANNEXION A LA SAVOIE, EN 1388.

CHAPITRE Ier.
1.Le XIe siècle répare les désastres du Xe.
2.Ce que firent les religieux et le clergé séculier pour réorganiser l'état social si profondément troublé en Provence.
3.Donation de la dîme des fromages des montagnes de Colmars et d'Allos aux moines de Saint- Victor de Marseille.
4.Importance historique de cette donation
5.Etymologie du nom d'Allos.
6.Donation faite aux moines de Lérins par une famille originaire d'Allos.
(1000-1101.)

CHAPITRE II.
1.Fondation de Barcelonnette.
2.Obligation d'accompagner le comte dans les cavalcades jusqu'à Allos inclusivement.
3.Règlements établis en Provence pour les cavalcades.
4.Contingent à fournir par chaque communauté.
5.Valeur du terroir d'Allos, au XII° siècle, d'après le nombre de feux.
6.Impôt foncier payé par les habitants d'Allos.
(1231-1233.)

CHAPITRE III.
1.Nos souverains depuis la séparation de la Provence du reste de la France.
2.Charte de Raymond-Bérenger établissant le consulat à Allos.
3.Les seigneurs et les prud'hommes d'Allos.
4.Organisation du consulat et étendue de sa juridiction.
5.Les fonctions des consuls indirectement rétribuées.
6.Impôts que se réservait le comte.
7.Mort de Raymond-Bérenger.
(1233-1245.)

CHAPITRE IV.
1.Les princes d'Anjou règnent en Provence.
2.Charles Ier et Charles II; visite de Charles II à Allos.
3.Robert et son fils Charles, duc de Calabre.
4.Les habitants de Colmars, d'Allos et de Beauvezer prêtent serment de fidélité à ces deux princes.
5.La reine Jeanne; son buste dans l'église paroissiale d'Allos.
6.Hommage et serment de fidélité de la communauté d'Allos à la reine Jeanne et à Louis de Tarente, son deuxième époux.
(1245-1314.)

CHAPITRE V.
1.Le droit d'albergue; en quoi il consistait.
2.Sa transformation en redevance fiscale.
3.Perception de cet impôt à Allos, au XIV° siècle.
4.Noms des chefs de famille de la communauté d'Allos, à cette époque.
5.La population d'alors beaucoup plus nombreuse que celle d'aujourd'hui.
6.Noms qui n'ont pas changé.
(1344)

CHAPITRE VI.
1.La reine Jeanne, Charles de Duras et Louis, duc d'Anjou.
2.Mort violente de la reine Jeanne.
3.Louis d'Anjou meurt en Italie, en poursuivant son compétiteur.
4.Triste état de la Provence pendant la minorite de Louis II.
5.Soumission de nos pays à Charles de Duras et à son fils.
6.Balthazard Spinola et le statut d'Allos.
7.Serment conditionnel.
8.Craintes de nos ancêtres ; deux amnisties.
(1363-1385.)

CHAPITRE VII.
1.Juridiction des consuls d'Allos en matière criminelle et civile.
2.Le tribunal du juge établi à Allos par le comte.
3.Les consuls chargés d'administrer et de défendre le pays en temps de paix.
4.Les ouvrages de défense et les dégâts en temps de guerre exclusivement à la charge du trésor royal.
5.Les tours des remparts, la porte Boucheria, le port d'armes libre.
6.Suppression de quelques impôts; reddition des comptes du clavaire.
7.Des seigneurs d'Allos, de la délivrance des captifs.
8.Du transport des marchandises, des pâturages, des foires, des troupeaux, du sel, de l'irrigation des champs.
9.Syndicat et bailliage d'Allos.
Préliminaires de l'annexion à la Savoie.
(1385-1388.)

TROISIÈME PARTIE.
DEPUIS L'ANNEXION A LA SAVOIE, EN 1388,
JUSQU'AU TRAITE d'UTRECHT, en 1713.

CHAPITRE I.
1.Nice appelle à son secours le comte de Savoie.
2.Convention préliminaire entre ce prince et les députés de Nice.
3.Charte de donation signée à Nice.
4.Les députés de Barcelonnette et d'Allos se rendent dans cette ville.
5.Le comte de Savoie à Barcelonnette.
6.Fâcheux résultats de notre séparation de la Provence.
7.Raymond de Turenne ravage la vallée du Verdon.
8.Trêves de 1389 et de 1400.
9.Amédée VIII et la reine Yolande.
10.Terre-Neuve.
11.Les premiers princes de Savoie qui régnèrent sur nous.
(1388-1472.)

CHAPITRE II.
1.Philibert Ier, fils du bienheureux Amédée ; régence de sa mère Yolande.
2.Louis XI devient comte de Provence ; craintes de la cour de Savoie.
3.Charles Ier, Charles II, Philippe II, Philibert II, Charles III.
4.François Ier ; ses milices dans la vallée de Barcelonnette.
5.Charles-Quint envahit la Provence.
6.L'évêque de Senez réfugié à Allos.
7.La domination française rétablie à Barcelonnette.
(1472-1551.)

CHAPITRE III.
1.LeDauphiné convoite Barcelonnette et son district ; édit d'annexion en 1537.
2.Protestation contre cet édit et remontrance de 1713.
3.Documents sur Barcelonnette, Allos et Saint-Martin d'Entraunes depuis 1537 jusqu'en 1559.
4.Maintien des anciens privilèges, libertés, franchises, etc.
5.Edit de Villers-Cotterets.
6.Guerre en Piémont; traité de Crespy et convention de Cagnes ; exonération d'impôts.
7.Mort de Francois Ier et du duc de Savoie.
8.Traité de Cateau-Cambrésis; cession de Barcelonnette, d'Allos et de Saint-Martin d'Entraunes à la Savoie.
(1537-1559.)

CHAPITRE IV.
1.Le protestantisme et les vestiges des Vaudois dans les Alpes.
2.Troubles et ravages à Castellane, à Senez, à Barrême, à Digne , dans la vallée du Verdon, etc..
3.Mort du duc de Savoie ; les guerres de religion ; la Ligue.
4.Dévastations à Annot à Thorame-Haute à Tartonne; siège de Colmars.
5.Le nouveau duc de Savoie défend la Ligue en Provence.
6.Tristes vicissitudes dans le district de Barcelonnette ; siège de cette ville par Lesdiguières
7.Siège d'Allos par un de ses lieutenants.
8.Vigoureuse défense du capitaine Sicard; capitulation ; calamités publiques ; le traité de Vervins
(1559 - 1598.)

CHAPITRE V .
1.Courte durée de la paix de Vervins ; traité de Lyon ; l'armée de Lesdiguières à Barcelonnette.
2.Le duc de Savoie établit les insinuations dans ses États.
3.L'enseignement libre à Allos, en 1610.
4.Préfecture de Barcelonnette.
5.Le Sénat souverain de Nice approuve les contributions de guerre imposées à Allos.
6.Impôts, donatifs, dettes , emprunts , trésoriers communaux, etc..
7.Vente conditionnelle des montagnes du Laus, de Valplane , etc...
8.Disette générale.
(1598-1628.)

CHAPITRE VI .
1.Le marquis d'Uxelles, général de l'armée du duc de Nevers, ravage la vallée de Barcelonnette et les pays voisins.
2.Allos saccagé et brûlé.
3.Louis XIII marche contre le duc de Savoie et réunit Barcelonnette, Allos, etc., à la France.
4.La peste de 1630, à Barcelonnette, à Allos; chapelles de Saint-Roch, à la Beaumelle et à Allos.
5.Gouverneurs et garnison de l'église d'Allos.
6.Ordre de démolir les remparts; la Savoie reprend possession de nos pays.
7.Dissenssions à la cour de Savoie; réconciliation des princes.
8.Monopole de la boucherie à Allos; conditions de ce monopole.
9.Fondation du collège de Barcelonnette.
10.Les habitants de la vallée victimes des prêts usuraires des juifs.
11.Officialité d'Allos.
12.Commanderie de Saint-Pierre d'Allos.
13.Paix des Pyrénées; mort du duc de Savoie.
(1628-1675.)

CHAPITRE VII.
1.Le duc de Savoie épouse une nièce de Louis XIV.
2.Fondation dite Pré-de-Dieu.
3.Erection des paroisses de la Beaumelle et de Bouchiers.
4.Chapelle de Saint-Antoine de Padoue à Chauvet et dans l'église paroissiale d'Allos.
5.Catinat s'empare de la Savoie et de Nice; les Autro-Sardes prennent Embrun et brûlent Gap.
6.Les Français envahissent la vallée de Barcelonnette; le marquis de Parelles la reprend.
7.Siège de Colmars; Villars-Colmars, Beauvezer et Allos, livrés aux flammes.
8.Combats à Barcelonnette; contributions de guerres à Allos.
9.Démolition du clocher d'Allos.
10.Les dragons de Berwik campent à Allos.
11.Magasins de foin à Allos et à la Foux; fin de la domination de la Savoie sur nous.
(1675-1713.)

TOME II

QUATRIEME PARTIE
DEPUIS LE TRAITE D'UTRECHT,EN 1713,JUSQU'A NOS JOURS

CHAPITRE Ier
1.-Notre réunion à la Provence et le duc de Berwick.
2.-Frontières naturelles rétablies, depuis les sources d'Ubaye jusqu'à celles du Var.
3.-Le chemin de Preinier et le passage des troupes.
4.-Déclarations royales de 1714 et de 1716; grenier à sel établi à Allos.
5.-Elections municipales de 1718 et de 1719.
6.-Inféodation d'Allos.
7.-Incendie de 1718.
8.-Peste de 1720; comment Allos en fut préservé.
9.-La dîme; différend entre l'évêque de Senez et la communauté d'Allos.
10.-Exemption du service militaire.
(1713-1730.)

CHAPITRE II
1.-Réparation de la voûte de l'église d'Allos; revendication du chemin de ronde
2.-Vente définitive de la montagne de Preinier
3.-Entretien des chemins
4.-Contributions et exactions, pendant les guerres de la succession d'Autriche; les Austro-Sardes à Castellane; transport du foin d'Allos à Digne
5.-Incendie d'Allos et de Notre-Dame de Valvert
6.-Une tour des remparts transformée en clocher; acquisition d'une horloge
7.-Réouverture de la plâtrière du Laus
8.-Un nouvel impôt
9.-Période de paix; revendication de la Chalenche et du Laus
10.-Suspension des élections consulaires; nouvelle loi municipale; élection restreinte
11.-Location d'une maison de ville; encore le transport des fournitures militaires; reboisement des montagnes
(1730-1767.)

CHAPITRE III
1.-Croix plantées sur les sommets de Valgelaye, pour guider les voyageurs; visite de Mgr d'Amat à Allos.
2.-Incendie d'un quartier d'Allos; nouveau projet d'annexion au Dauphiné.
3.-La pêche dans les eaux du lac d'Allos; construction d'une barque.
4.-Le Villard veut être érigé en paroisse; le chaperon des consuls d'Allos.
5.-Avènement de Louis XVI; messe de l'aurore; réfection des cadastres.
6.-La bravade; les pouvoirs du premier consul.
7.-Draps fabriqués à Allos; incendie du Seignus.
8.-Payement des fournitures de guerre; maintien des privilèges.
9.Fondation d'une mission; suppression du bailliage.
10.-Cahier des doléances; menace des brigands; confédération de la vallée du Verdon.
(1767-1789.)

CHAPITRE IV
1.-La révolution française; nouvelle organisation municipale; suppression du consulat.
2.-Projet de séparer le hameau de la Foux de la commune d'Allos.
3.-Les prêtres d'Allos prêtent serment à la constitution civile du clergé; rétractation et exil du curé d'Allos.
4.-Accueil fait aux prêtres constitutionnels par les femmes d'Allos;Tante Trésor..
5.-Nouvelle et éphémère division de notre territoire.
6.-La garde nationale; plantation de l'arbre de la liberté; millésime et calendrier républicain.
(1789-1793.)

CHAPITRE V
1.-La circonscription militaire et le tirage au sort; les hommes d'Allos gardent les passages du Laus et de Rochecline; ceux de Clignon, le col de Champ.
2.-La garnison de Colmars arrête les muletiers d'Allos.
3.-Le régime de la terreur; les suspects aux arrêts; les églises fermées; les cloches et les vases sacrés brisés; tout acte religieux interdit.
4.-Prêtres réfugiés au Villard-Haut, à Baumes, aux Foulons.
5.-Les émigrés d'Allos.
6.-Les cultivateurs privés de leur liberté; saisie des pailles et foins; emprunt forcé.
7.-Mort de Robespierre; ouverture momentanée des églises.
(1789-1793.)

CHAPITRE VI
1.-Continuation de la persécution et des fêtes révolutionnaires; prêtres cachés au quartier du Foreston.
2.-Les habitants d'Allos obligés de porter du foin et de la paille à Barcelonnette et à Colmars.
3.-Un piquet de dix hommes à la cabane du Laus ; un poste de cinq hommes à Valgelaye ; appel aux armes contre les Barbets.
4.-Concordat de 1801 ; rétablissement du culte catholique ; joie des habitants d'Allos.
5.-Suppression de l'évêche de Senez ; Pierre Bès, curé d'Allos.
6.-Hyacinthe Gariel, maire ; son administration ; le hameau de Champrichard détruit par une avalanche ; entretien des routes et du collège de Barcelonnette.
7.-Allos veut un bureau d'enregistrement et repousse le projet d'annexion à Castellane.
8.-Un piéton-courrier d'Allos à Colmars ; un piéton-messager d'Allos à Barcelonnette.
(1796-1815.)

CHAPITRE VII
1.Incendie d'Allos en 1833.
2.La commune propriétaire du bois d'Autapie et du Pré du Saint-Esprit..
3.Allos depuis 1833 jusqu'en 1848; la zone des douanes.
4.L'Iscle du Verdon; menaces d'une visionnaire; achat d'une pompe à incendie.
5.Fondation d'un bureau de bienfaisance à Allos.
6.Incendie de la Foux en 1878.
7.Progrès de la vie chrétienne, après les derniers vestiges du jansénisme; progrès matériel.
8.Routes; bureau des postes; fontaines; reboisement des montagnes.
(1833-1899.)

CINQUIEME PARTIE

DESCRIPTION PHYSIQUE, PRODUCTIONS.
COURS D'EAU, LACS ET GLACIERS.
ETUDE GEOLOGIQUE DES TERRAINS. - FAUNE ET FLORE.
HOMMES REMARQUABLES.- EGLISES ET CHAPELLES.
ANCIENNES FORTIFICATIONS.
ROUTES, POSTES ET TELEGRAPHES, INSTRUCTION PUBLIQUE.
DAMES DE CHARITE, BUREAU DE BIENFAISANCE.
LANGUE ET RELIGION.

CHAPITRE Ier
1.-Topographie d'Allos; cirque formé par les montagnes.
2.-Pâturages; anciens troupeaux transhumants; vente des montagnes; le reboisement.
3.-Culture et production des vallées; élevage des bêtes à laine.
4.-Cours d'eau; canaux d'irrigation.
5.-Le lac d'Allos; ses dimensions, son déversoir; projet d'en faire un étang; barque et cabane du pêcheur.

CHAPITRE II
1.-Glaciers de la Durance, de l'Ubaye, de la vallée de Seyne et de la haute vallée du Verdon.
dépôts glaciaires à Poussendriou, au Fanguet, à la Rouine, au Bruisset et à Vacheresse;
moraines à Chaumie.

2.-Etude des terrains; le jurassique supérieur au hameau de Bouchiers, à Clignon, entre Allos et Seyne.
3.-La carrière de pierres à tailler, au pied de la Côte-Haute, Saint-Pierre, etc.., appartiennent au crétacé inférieur aptien; la mer occupait alors nos contrées.
Le fond des vallées du Verdon, de Chadoulin, de Bouchiers et les versants inférieurs de ces vallées sont des roches calcaires.
Rochegrand, Rochecline, etc.., des escarpements du crétacé supérieur.

4.-Roches de l'ère tertiaire à Montgros, au Cheval-de-Bois, à Talon, au Vallonnet, au mont Pelat, à Monier; grès d'Annot au fond du lac; il forme deux îlots.
5.-Soulèvement des Alpes; retrait de la mer.
.6.-Moyen de connaître les sous-sols des terres arables.

CHAPITRE III
1.-Faune ancienne d'Allos : Ammonites, Bélemnites, Nummulites, etc.
2.-Faune actuelle : poissons, animaux domestiques.animaux sauvages mammifères.
3.-Oiseaux de proie.oiseaux qui émigrent et ceux qui n'émigrent pas.petits oiseaux; reptiles.
4.-Flore de la vallée du Verdon.Les forêts de Lambruisse, de Chamatte, de Monier.Les éléments floristiques méditerranéens plus fréquents dans la vallée du Verdon que dans celles de la Bléone et de l'Ubaye.
5.-Flore spéciale d'Allos.Les forêts de Vacheresse, du Villard, etc...On trouve toutes les espèces alpines dans le bassin de Chadoulin.Liste générale des espèces de la région du lac.Utilité du reboisement.

CHAPITRE IV
1.-Alexandre Piny, religieux dominicain, auteur de nombreux ouvrages.
2.-Pascalis, de la Sestrière, son frère et ses deux fils.
3.-Jacques Arvel, de la Foux, chef de bataillon.
4.-Hyacinthe Gariel, conseiller à la Cour de Grenoble.
5.-Simon-Jude Honnorat, savant naturaliste et lexicographe.
6.-Alphonse Guieu, avocat à la Cour d'appel d'Aix.
7.-Le général Pellissier, député de Saône-et-Loire à l'Assemblée nationale.

CHAPITRE V
1.-Notre-Dame de Valvert, église paroissiale d'Allos.
Pourquoi a-t-elle été bâtie hors du bourg ?

2.-Elle est classée parmi les monuments historiques.
Elle remonte au XI° siècle.
Ecole d'architecture à laquelle elle appartient.
Ce qui la caractérise et la distingue des édifices religieux de la Provence.

3.-Sa toiture primitive et son ancien clocher.
4.-Sa restauration à la fin du XIX° siècle.
5.-Notre-Dame de Valvert était un prieuré-cure administré par un vicaire perpétuel.
6.-Eglises succursales de la Foux, de Bouchiers et de la Beaumelle.
7.-Chapelles et chapellenies.

CHAPITRE VI
1.-Les remparts d'Allos. Les tours du Portail-Bas, du Portail-Bouchiers, du Portail du Nord. La citadelle.
2.-Forts de la Côte-Haute et de Peyroni. Tours de la Colette et de Vacheresse.
3.-Anciens chemins établis et entretenus aux frais de la communauté.
Organisation de l'administration des ponts et chaussées. Suppression de l'impôts communal pour les chemins.

4.-Construction des routes du Détroit à Allos et d'Allos à Barcelonnette.
5.-Traîneux chasse-neige. Cables porteurs.
6.-Organisation tardive du service des postes.
7.-Une brigade de gendarmerie remplace celle des douanes.

CHAPITRE VII
1.-Il y avait autrefois des écoles temporaires jusque dans les petits hameaux.
2.-Allos a eu pendant longtemps une école de latin.
3.-Association de Dames de Charité établie par les évêques de Senez.
4.-Legs faits aux pauvres. Projet d'établir un hôpital. Etablissement d'un bureau de bienfaisance.
5.-Langue vulgaire. Spécimen du provençal tel qu'on le parlait à Allos. Particularités qui le distinguent.
6.-La foi chrétienne, prêchée dans la vallée du Verdon par trois missions successives, n'a jamais cessé d'y être vivante.


APPENDICE
1.- Visite de Mgr Jean SOANEN.Evêque de Senez ( en 1699 ).
2.- Visite de Mgr Jean-Baptiste-Charles-Marie DE BEAUVAIS (en 1775 ).
3.- Hommes Remarquables d'Allos (supplément ).
4.- Curés, Procurés, Secondaires ou Vicaires d'Allos.
5.- Maires d'Allos.


TABLE ALPHABETIQUE


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DIGNE

IMPRIMERIE CHASPOUL ET Vve. BARBAROUX
20, Place de l'Evêché, 20
1901



Choix de Lecture

PREMIERE PARTIE

Depuis l'an 1100 avant Jésus-Christ jusqu'à l'an 1000 de l'ère chrétienne

CHAPITRE Ier

1.-Nom et origine des premiers habitants

2.-Territoire qu'ils occupaient.

3.-Leurs moeurs et leurs coutumes.

4.-Leur religion.

5.-Leur langue.

(1100-600 avant Jésus-Christ.)

 

1.-Les premiers habitants connus d'Allos sont les Gallitae, petits Gaulois. Ils sont ainsi nommés, sans doute, parce qu'ils formaient une peuplade détachée de ce grand peuple qui a donné le nom de Gaule à notre patrie. Cette peuplade est non seulement gauloise, mais elle appartient aux Gaulois les plus anciens, à ceux qui envahirent l'Espagne (XVIe siècle avant Jésus-Christ) et plus particulièrement à ceux qui firent irruption en Italie, deux cents ans plus tard, et que les auteurs latins appellent " Vieux Galls " Veteres Galli.

Pour arriver à sa première origine, il faudrait donc remonter à l'aurore des temps historiques, à cette époque primitive où les peuples d'origine indo-germanique s'établirent dans les contrées occidentales de l'Europe, occupées aujourd'hui par les Français, les Suisses, les Belges, etc.
Mais comment les Gallitae sont-ils venus s'établir dans les Alpes ?
A quelle époque ce petit rameau d'un si grand arbre a-t-il été transplanté sur les rives du Verdon ?
Deux faits constatés, empruntés, l'un à l'histoire des Gaulois, l'autre à l'histoire romaine et à l'histoire de Provence, répondent à ces deux questions:
1° Une invasion gauloise, organisée sous le nom collectif d'Ombres (Ambra ! les vaillants), traversa les Alpes, vers l'an 1400 avant Jésus-Christ, et alla se fixer dans l'Italie centrale, sur les terres occupées par des peuplades appelées Sicules. Ceux-ci opposèrent une résistance désespérée, et les combats dans lesquels ils se mesurèrent avec leurs envahisseurs furent, au dire des anciens historiens, les plus sanglants dont l'Italie eût encore été le théâtre. Les Sicules furent vaincus et ils se retirèrent dans la grande île nommée depuis, à cause de leur nom, la Sicile. Les Gaulois Ombriens jouirent de leur conquête pendant trois siècles, après lesquels ils furent dépossédés, à leur tour, par d'autres peuples appelés Rasènes et, plus tard, Etrusques. Ils reprirent, pour la plupart, le chemin de la Gaule et s'établirent, les uns en Suisse, les autres sur les bords de la Saône.
Mais, parmi eux, " plusieurs " , dit Amédée Thierry, citant des auteurs grecs et latins
Note (1), se réfugièrent dans les vallées des Alpes, parmi les nations liguriennes, qui commençaient à s'étendre sur le versant occidental de ces montagnes et vécurent au milieu d'elles, sans se confondre, sans jamais perdre ni le souvenir de leur nation, ni le nom de leurs pères. Bien des siècles après, le voyageur pouvait distinguer encore des autres populations alpines la race de ces exilés de l'Isombrie, Insubrium exules (Pline, III, 17 20)
Note (2)

2° Le trophée de la Turbie, monument des victoires d'Auguste sur les peuples des Alpes, portait une inscription célèbre, qu'Honoré Bouche appelle la première lumière, le premier flambeau de la description ancienne de la Provence. Or, cette inscription donne le nom des peuplades vaincues, dans leur ordre géographique, et la place qu'y occupent les Gallitae prouve qu'ils habitaient Allos et Colmars. En effet, ils se trouvent placés, comme nous le dirons plus loin, en parlant de la domination romaine, entre les habitants des vallées de la Bléone, de Seyne, de l'Ubaye, d'un côté, et ceux du Haut-Var, d'Annot, de Vergons et d'Allons, de l'autre. On ne pouvait pas dire avec plus de précision que leur territoire était dans la vallée du Verdon. Il faut ajouter que leur nom est évidemment gaulois et le plus manifestement gaulois du trophée de la Turbie et de l'arc de Suse, comme il est facile de s'en convaincre, en lisant les deux inscriptions.

La conclusion qui se détache du rapprochement de ces faits, est que l'origine gallo-ombrienne des Gallitae est établie par les titres les plus incontestables et que l'histoire d'Allos remonte à l'arrivée des Gaulois-Ombriens dans les Alpes et, par conséquent, à 1100 avant Jésus-Christ.

2- Le territoire qu'ils occupaient comprenait tout le canton actuel d'Allos et la plus grande partie de celui de Colmars, depuis le Riou dou traou,
Note (3) en face du village d'Ondres, jusqu'à la principale source du Verdon, dans la montagne de la Sestrière, et même, d'après certains auteurs, sur le versant septentrional de cette montagne.
L'un de ces auteurs, M. Charles Chappuis ,
Note (4) après avoir rappelé l'opinion de ceux qui reconnaissent le nom de Gallitae dans le mot Allos, ajoute   " Ne la reconnaît-on pas encore mieux aux Gays, dans la paroisse de Bouchiers, et aux Gays, dans la paroisse de la Foux ? Et même vers le haut du Laverq, après avoir passé les Routes et les Vies, qui indiquent d'anciens chemins aujourd'hui détruits, nous retrouvons encore les Gays. Les Gallitae auraient donc, à une certaine époque, empiété sur la vallée de l'Ubaye, c'est-à-dire sur le territoire des Nemolani ou des Esubiani. ". Les peuples celtiques habitaient, en général, non les vallées, mais les lieux élevés, et, pour s'y défendre plus facilement, ils tâchaient de posséder les villages des environs.

Sous les Romains et au moyen âge, ces lieux ont reçu le nom de Castellum, Castrum. Le pic de Pra-Chastel, Pratum Castellum, au nord-est d'Allos, était-il un lieu fortifié, un refuge de cette nature ?

Honoré Bouche a supposé que Colmars était le chef-lieu des Gallitae ; mais Papon donne la préférence à Allos, parce que Colmars est un nom romain et non gaulois. L'opinion de Papon a prévalu, et Henri, dans ses Recherches, affirme que la géographie ancienne donne le nom caractéristique de Gallita au chef lieu actuel du canton d'Allos
Note (5).

3.- Les Ligures, avec lesquels les Gaulois Ombriens habitaient nos montagnes, étaient originaires d'Espagne et ils avaient été obligés de s'expatrier par suite de l'invasion gauloise qui traversa les Pyrénées vers l'an 1600. Ils étaient plus civilisés que les Gaulois, puisque, chez eux, les femmes, au lieu d'être esclaves, étaient souvent appelées dans les délibérations les plus importantes, surtout lorsque ces délibérations avaient pour objet la paix ou la guerre.
Annibal lui-même, en traversant le midi de la Gaule, se soumit à un tribunal composé de femmes liguriennes à demi-sauvages, et il n'eut qu'à s'en féliciter, selon le témoignage de Plutarque. L'exemple donné par les Ligures devait avoir tôt ou tard d'heureux effets sur nos ancêtres, en leur inspirant le respect pour les faibles et en les excitant à cultiver les germes de civilisation qu'ils avaient apportés de l'Italie. Les habitants de nos Alpes eurent aussi sans doute des rapports avec d'autres anciens peuples venus, comme eux, de bonne heure en Provence. Dès le XIe; siècle, les Phéniciens étaient établis sur les bords de la Méditerranée, et leurs colons, s'il faut en croire les auteurs anciens, exploitaient les mines d'or, d'argent et surtout de fer, dans les Alpes, les Cévennes, etc. Ils pénétraient jusque dans les endroits les plus isolés, pour échanger contre les produits des régions qu'ils parcouraient leurs articles de commerce, les tissus de laine, le verre, les métaux ouvrés, les instruments de travail et surtout les armes.

Le commerce florissant et si étendu des Phéniciens passa plus tard entre les mains des Rhodiens, et enfin les Phocéens se fixèrent à Marseille, vers l'an 600 avant Jésus-Christ.
Ces derniers, "à peine établis, dit l'auteur de l'Histoire de Barrême, se mirent en rapport avec les peuples de l'intérieur et ne tardèrent pas à pénétrer jusqu'au fond de nos agrestes vallées. Les montagnards, de leur côté, suivant leur goût naturel pour la vie nomade ou bien simplement poussés, comme nos bergers des Alpes, par le besoin d'aller chercher, en hiver, un climat moins rigoureux pour leurs troupeaux, furent heureux de trouver des alliés, dans les nouveaux venus et, de là, naquirent entre eux des relations d'échange et de commerce. Les innombrables médailles ou monnaies marseillaises découvertes dans le terroir de Barrême en sont la preuve manifeste. "
En effet, ces monnaies d'argent en quantité inconcevable, selon l'expression d'Honoré Bouche, prouvent qu'avant les Romains il y avait entre les montagnards alpins et les Phocéens de Marseille des rapports plus fréquents que l'on n'aurait osé le supposer.
Un autre élément de civilisation pour les Gallitae était leur séjour permanent dans leur nouveau territoire.

Pendant leur retour d'Italie, ils avaient repris pour un temps la vie nomade et aventureuse ; mais désormais ils sont fixés définitivement dans les Alpes.
Or, dit judicieusement un historien, "les peuples fixés dans un endroit contractent des habitudes de calme, de douceur, et vivent tranquilles ". Ne nous plaignons donc pas trop du silence qui les enveloppe comme dans un nuage, pendant des siècles, jusqu'à leurs premières guerres avec les Romains. L'histoire de ces peuples guerriers n'est que le récit de leurs combats.
Lorsqu'ils ne font pas parler d'eux, ils vivent en paix, s'occupent d'agriculture, etc., et c'est dans ce sens qu'il faut entendre l'adage : Heureux les peuples qui n'ont point d'histoire.

Malgré cela, nos pères étaient encore bien éloignés de la vraie civilisation. "  Les habitants des Alpes, dit Papon,
Note (6) en parlant des moeurs des Provençaux de cette époque, étaient grossiers et barbares.
L'habitude de vivre de chasse et d'être dans une espèce de guerre continuelle avec les animaux les plus féroces les rendait sauvages. "


Jules César dit à peu près la même chose des Albiciens, parmi lesquels se trouvaient des Gallitae, au siège de Marseille, et Papon paraît s'être inspiré du jugement sévère porté par l'historien conquérant.

Parmi ces peuplades, comme dans toute l'antiquité païenne, l'esclavage était, hélas ! communément établi. Les femmes et les enfants étaient esclaves, et le chef de famille avait sur eux droit de vie et de mort
Note (7)

Le vêtement ordinaire des Gaulois de Provence était composé d'une sorte de pantalon ou braie et d'une veste ou saie qui, chez les pauvres, était une peau de bête. Ces vêtements étaient toujours les mêmes du temps des Romains, puisque Cicéron, défendant Fontéïus,
Note (8) appelle dédaigneusement les Provençaux des hommes couverts de saies et de braies, sagatos bracatosque.
De là est venu le nom de Gallia bracata, c'est-à-dire dont les habitants portaient des braies.

4.-Les Gaulois étaient religieux, - quoi qu'en disent quelques auteurs latins, - malgré les fanfaronnades qu'ils se permettaient, par exemple en lançant des flèches contre les nuages, pendant les tempêtes. Ils savaient reconnaître une intelligence suprême au milieu des éléments de la nature, et leur croyance à la vie future était telle qu'ils se prêtaient de l'argent payable dans l'autre vie,
negotiorum ratio et etiam exactio crediti differabatur ad inferos
Note (9)

Les Gallitae ont-ils gardé ces grandes vérités dans leur pureté primitive ou bien les ont-ils souillées par des pratiques idolâtriques, en rendant un culte superstitieux aux arbres, aux vents, aux montagnes, aux pierres, aux lacs, au soleil, etc. ?

César Cantu
Note (10) dit que, dans les Alpes, l'Etre suprême était adoré, du temps des Gaulois, sous le nom de Penninus, c'est-à-dire, en langue celtique, Dieu des montagnes. Ce nom, que nos pères donnaient au vrai Dieu, ne prouve pas qu'ils fussent idolâtres, car les montagnes, comme toutes choses, sont l'oeuvre du créateur et, par leur élévation et leur masse imposante, elles nous donnent quelque idée de sa grandeur,
et altitudines montium ipsius sunt.

Mais, si nos pères n'ont pas été idolâtres, n'ont-ils pas pris part aux abominables sacrifices humains de la religion druidique ?

Note (11) M.J.-M. Cruvellier croit que Soanem, évêque de Senez, visitant la paroisse de Barrême en 1703, y trouva un reste de monument druidique. C'était une grande pierre de la colline de Saint-Jean que le prélat fit briser et jeter dans la rivière, parce qu'elle paraissait
avoir été très longtemps l'objet d'un culte de superstition par des restes de paganisme.

Henri va plus loin : il affirme que "  les nombreuses et épaisses forêts qui couvrent les Basses-Alpes durent souvent voir se renouveler, sous leurs silencieux ombrages, les mystérieuses pratiques du druidisme, et ces pierres énormes, par lesquelles la divinité était symboliquement représentée, durent s'y trouver en grand nombre "
Note (12)

L'opinion de cet archéologue paraît excessive et même erronée, surtout pour ce qui concerne Barcelonnette et Allos. En effet, d'après les historiens les plus autorisés, la religion druidique a été importée en Europe, selon l'expression d'Amédée Thierry, 700 ans environ avant Jésus-Christ, par l'invasion kimrique ou des Cimbres, qui porte le nom de deuxième rameau gaulois.

Elle ne pouvait donc pas être connue des Gaulois-Ombriens, venus dans les Alpes 400 ans avant l'arrivée des Cimbres en Gaule. Il est vrai qu'il y eut plus tard des prêtres druides chez les Ligures, mais nous avons déjà fait remarquer avec quel zèle religieux et patriotique les gaulois alpins vivaient séparés de leurs voisins, sans se confondre jamais avec eux. Ils conservèrent donc la religion gauloise primitive telle qu'ils l'avaient reçue de leurs pères, et il y a lieu de croire qu'ils ne la modifièrent pas jusqu'à la domination romaine et peut-être jusqu'à la prédication de l'évangile.

Les recherches archéologiques viennent, d'ailleurs, nous confirmer dans cette persuasion. M. Tisserand affirme que, dans la Provence, "  on trouve moins que dans le Nord de ces pierres druidiques théâtres d'horribles sacrifices
Note (13)
"Il en signale cependant quelques vestiges, en particulier à Draguignan. M. Charles Chappuis, envoyé en mission scientifique dans les Alpes, en 1859 et en 1861, a trouvé, dans la vallée de Barcelonnette, beaucoup d'objets de l'âge celtique et, dans le canton d'Allos, des noms rappelant celui des Gallitae ; mais il n'a rencontré, ni à Barcelonnette, ni à Allos, la moindre trace de monuments druidiques.

5.- L'attachement des Gallitae à leur nationalité, à leurs coutumes et à leur religion nous dit avec quel soin ils durent garder leur idiome national, leur langue gauloise.

Ils imitaient en cela les autres Gaulois et, en particulier, ceux qui, après avoir séjourné plus ou moins longtemps sur les bords du Danube, en Grèce, etc. ; s'établirent en Orient , 300 ans avant Jésus-Christ, dans une région appelée depuis de leur nom Galatie. Saint-Jérôme, qui avait été en Gaule, sur les bords du Rhin, et qui se trouvait en Asie Mineure, à la fin du IVe siècle et au commencement du Ve, nous apprend que ces Gaulois étaient les seuls, parmi les peuples asiatiques, qui ne parlassent pas le grec. Ils avaient conservé, dit-il , leur langue particulière, et cette langue était celle qu'il avait entendu parler à Trèves, sur les rives de la Moselle. Ainsi, depuis leur départ de la Gaule, vers l'an 400 avant Jésus-Christ, jusqu'à la fin du IVe siècle de l'ère chrétienne, ils avaient conservé, à travers l'Europe et l'Asie , leur langue maternelle
Note (14)

Les Gallitae et les autres peuplades alpines de la même origine ont été, comme les Galates, soumis à la domination romaine vers l'an 15 avant Jésus-Christ, et tout nous porte à croire que, pour elles aussi, la langue maternelle a survécu à leur indépendance.

Il est donc très probable que les habitants d'Allos parlaient encore la langue gauloise lorsqu'ils ont entendu les premiers missionnaires qui ont prêché chez nous l'Evangile. Cette langue aurait donc été parlée par nos pères pendant les quinze siècles écoulés entre leur arrivée dans les Alpes et la fin de la domination romaine !
Il n'y a vraiment pas lieu de s'étonner, après cela, que les philologues trouvent des mots d'origine gauloise dans le provençal que l'on parle à Allos, plus que dans celui que l'on parle ailleurs.

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(1) Plut. In Mar.19; - Diod. Sic. XIV,113.
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(2) Histoire des Gaulois, par Amédée Thierry, t.I,pp.130-131.
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(3) Voir Henri, Recherches sur les antiquités des Basses-Alpes,p.22:- Papon.T.I,p.111;- les Notes historiques de la famille Guieu.
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(4) Etude archéologique, etc., sur la vallée de Barcelonnette à l'époque celtique.
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(5) L'étymologie de Galitae est évidente, celle d'Allos est difficile. Voir chapitre Ier de la deuxième partie de cet ouvrage.
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(6) Histoire de Provence, t. I, p. 493.
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(7) Viri in uxores sicut in liberos vitoe necisque potestatem habent.(Jules César)
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(8) Fontéïus Marcus, questeur romain en Provence (76-73 avant Jésus-Christ), poursuivi pour ses rapines, fut défendu par Cicéron en 69.
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(9) Jules César.
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(10) Histoire universelle, par Cantu, t.IV, p. 173.
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(11) Histoire de Barrême, in fol. manuscr. t. I,p.10.
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(12) Recherche sur la géographie ancienne et les antiquités des Basses-Alpes.p.25.
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(13) On ne peut donc pas admettre, même avec sa forme dubitative, la parole de l'historien Papon, parlant des Phocéens de Marseille : "Peut-être faut-il leur attribuer l'origine des sacrifices humains qui fit couler tant de sang dans les Gaules." Si les Phocéens avaient introduit ces abominables sacrifices chez les Gaulois, on trouverait beaucoup plus de pierres druidiques en Provence qu'ailleurs. Or, c'est le contraire que constate l'histoire.
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(14)Galatas excepto sermone groeco, quo omnis oriens loquitur, propriam linguam camdem penè habere quam Treviros. (Hieron. prol. comm. in Epist. ad Galatas, ci  3.)
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Table des Matières


 

Choix de Lecture

CHAPITRE II.

1.-Moyens de défense des Gallitae.

2.-Leur attitude pendant les guerres puniques.

3.-Combats sur les bords du Var; deux victoires remportées sur les Romains.

4.-Soulèvement des peuples des Alpes par le roi des Allobroges.

5.-Les Gallitae au siège de Marseille.

6.-Conquête partielle des Alpes par Jules César.

(600-49 avant Jésus-Christ)

 

1.- Les Gallitae trouvèrent, avons-nous dit, un élément de civilisation dans leur fixation définitive sur les bords du Verdon. A partir de cette époque, ils ne reprirent les armes que pour protéger leurs foyers, pour aller au secours de leurs alliés ou pour se venger de leurs ennemis ; à leur vie nomade et guerrière, succéda donc une vie plus tranquille et plus douce. Comme moyen de défense du territoire dont les produits devenaient pour eux le principal et peut-être l’unique moyen d’existence, ils n’eurent d’abord que des forteresses improvisées, communes à tous les Gaulois qui s’établissaient dans les montagnes
Note (1)
C’étaient des enclos entourés d’abatis d’arbres, croisés en tous sens et dissimulés dans les forêts. C’est là qu’au premier signal du danger la peuplade, désertant ses chétives cabanes, allait s’enfermer avec ses meubles et ses troupeaux. La sécurité que trouvaient en cet endroit les femmes, les enfants et les vieillards permettait aux hommes valides de poursuivre les ennemis. A ces primitifs moyens de défense, on substitua, dès qu’on le put, des ouvrages en maçonnerie, derrière lesquels la résistance était plus facile et plus efficace.
2 - Les Romains ne pardonnèrent jamais aux Gaulois d’avoir fondé en Italie, sous le nom de Gaule Cisalpine, une puissance rivale de Rome, et ils leur jurèrent une haine implacable parce qu’ils s’étaient montrés sympathiques à Annibal, lorsqu’il traversa la Gaule.
Les Gaulois leur rendirent haine, pour haine et cet antagonisme, qui éclata sur tous les champs de bataille de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, eut son contre-coup jusque dans les montagnes des Alpes. C’est ce qui explique pourquoi les expéditions guerrières auxquelles les Gallitae prirent part avec plusieurs autres peuples alpins, depuis l’an 600 jusqu’à 49 avant Jésus-Christ, et dont l’histoire a gardé le souvenir, furent toutes dirigées contre les Romains. On sait que les guerres puniques commencèrent en 264 et finirent en 146 et que l’armée carthaginoise traversa les Alpes pendant la deuxième de ces guerres (218-201).
Or, d’après l’auteur de l’Histoire et Géographie des Basses-Alpes
Note (2) une partie de l’armée d’Annibal aurait campé sur une hauteur près de Thorame-Haute et laissé un souvenir de son passage dans les montagnes de Fours. L’aile droite de son armée aurait donc remonté le Verdon jusqu’à Allos ; le centre aurait suivi l’Ubaye, tandis que l’aile gauche arrivait dans le pays des Allobroges par la Durance ou l’Isère. Quoi qu’il en soit et sans vouloir attribuer à cette opinion une valeur historique qu’elle n’a probablement pas, il est certain que le passage d’une puissante armée , marchant vers Rome pour s’en emparer et commandée par un chef, ennemi juré du nom romain, n’a pas pu trouver indifférents les Gaulois alpins. En effet, ces peuples saisirent avec empressement cette occasion pour se déclarer les amis des ennemis des Romains, et, s’il faut en croire un historien de Nice
Note (3) l’enthousiasme fut tel que toutes les peuplades des Alpes répondirent par un formidable cri de guerre à l’appel du grand capitaine africain.
On le voit, qu’Annibal ait passé près ou loin de chez nous, qu’il ait foulé ou non notre territoire, il a fait bouillonner dans les veines le sang gaulois, et comment avec leur tempérament belliqueux, nos ancêtres auraient-ils pu résister à l’entraînement général ?
Faut-il ajouter, avec l'auteur dont je viens d’invoquer le témoignage, que nos pères, malgré quelques ébauches de civilisation, étaient encore barbares, à cette époque, et qu’à leur ardeur guerrière venait, hélas ! s’ajouter la soif du pillage et de la dévastation. «
Ces barbares, dit-il, rentrèrent presque tous dans leurs foyers chargés de butin, et ils renouvelèrent les mêmes rapines douze ans après, au passage d’Astrubal, qui conduisait des renforts au secours de son frère
Note (4)

3- Pendant l’intervalle entre la deuxième et la troisième guerre punique (201-149), les peuples d’une partie des Alpes se coalisèrent, sous le nom de Gallo-Ligures, pour la défense de leurs territoires, et se portèrent sur les bords du Var, d’où venait le danger. Les faits d’armes les plus remarquables de cette campagne eurent lieu de 180 à 185 avant Jésus-Christ, et ils ont été écrits par Tite-Live, Paul Orose et les historiens de Provence.
Le prêteur Laelius Baebius, qui se dirigeait vers l’Espagne à la tête de quelques légions, s’arrêta dans les Alpes-Maritimes, par ordre du Sénat, pour châtier et soumettre les habitants de cette région. Il s’empara de la ville de Cimiez et la saccagea ; il entra dans Nice, qui ne fit aucune résistance, et après avoir passé le Var, il campa à droite de ce fleuve, pour laisser reposer ses troupes avant de les engager dans les gorges des montagnes où se tenaient en observation les Oxibiens, les Décéates, les Ligaunes, les Bérites, les Nérusiens, les Gallitae, les Triullati, les Eguitures, etc. Tous ces peuples, que le danger commun avait réunis, depuis les sources de la Vaïre, du Verdon, du Var et de la Tinée, jusqu’aux rivages de la Méditerranée, surveillaient, des hauteurs de l’Estérel, les mouvements de l’armée romaine, lorsque tout à coup, pendant une nuit obscure, elles se précipitèrent comme un torrent dans le camp du général romain, qui pris à l’improviste, fut égorgé avec tous ses soldats
Note (5)
Quelques auteurs prétendent que ce combat eut lieu en Italie, c’est-à-dire dans la Gaule Cisalpine, comme on disait alors ; mais ils sont dans l’erreur, car Tite-Live (lib.IV) dit avec une remarquable précision qu’il eut lieu près du Var et de Nice, circa Vari et Nicae confinia actum, et Paul Orose le raconte en ces termes : «  Laelius Baebius, partant pour l’Espagne, fut enveloppé par les Ligures et tué avec ses soldats dont pas un ne survécut, de sorte que la nouvelle de ce désastre fut envoyée à Rome par les habitants de Marseille, alliés des Romains.
Note (6)
Des Italiens et non des  Marseillais auraient annoncé ce désastre à Rome, s’il avait eu lieu en Italie.
Orose raconte ensuite que les mêmes peuplades gallo-liguriennes livrèrent encore bataille, quelque temps après avec le même succès, au consul Quintus Marcius, envoyé pour venger la mort de Baebius. Elles lui tuèrent, dit-il, quatre mille hommes et elles l’auraient tué lui-même, avec tous ses soldats, s’il ne s’était hâté prudemment de battre en retraite et de s’enfermer dans son camp :
Q. Marcius, consul adversus Liguras profectus superatusque, quatuor millia militum amisit et, nisi victus celeritate refugisset in castra, eamdem internecionis cladem quam Baebius ab  eisdem hostibus acceperat pertulisset.
Orose fait remarquer que Baebius et Marcius furent vaincus par les mêmes ennemis, c’est-à-dire par les mêmes peuplades gallo-liguriennes.
Les Gallitae, les Triullati, les Eguituri, les Esubiani, qui avaient pris part au premier combat, prirent donc également part au deuxième.
M. Tisserand prétend, il est vrai, que l’on ne doit pas entendre ici Gallitae ceux qui étaient fixés à Allos et à Colmars, mais les habitants de Gillètes, aujourd’hui commune du canton de Roquestéron, dans les Alpes-Maritimes, soit à cause de la similitude du nom, soit parce que Gillètes est un pays voisin des lieux où Baebius et Marcius furent vaincus, tandis que Colmars et Allos sont dans les montagnes des Alpes.br>Mais l’opinion de cet historien est inadmissible, car la tradition, les  historiens de Provence et surtout la teneur de l’inscription de la Turbie ne permettent pas, comme nous le verrons bientôt, en parlant de la conquête des Alpes par l’empereur Auguste, qu’on place les Gallitae hors de la vallée du Verdon. La situation géographique n’offre pas une difficulté plus sérieuse, puisque, d’après M. Tisserand lui-même, les habitants de la Tinée, les Eguituri, les Triullati, etc. . , voisins d’Allos et de Colmars, combattaient à côté des Gallitae. Les uns et les autres, par une tactique habile, étaient donc allés, loin de leurs foyers, combattre les ennemis implacables du nom gaulois.
C’est en réunissant ainsi leurs forces qu’ils purent, selon la remarque d’un autre historien de Nice
Note (7) résister aux légions romaines et conserver encore leur indépendance pendant de longues années.

4.- En 61 avant l’ère chrétienne, par conséquent 150 ans environ après le massacre des légions de Laelius Baebius et la défaite de Quintus Marcius sur les bords du Var, Cotugnat ou Cottius, roi des Allobroges, appela aux armes tous les habitants des Alpes occidentales. Ce roi possédait douze tribus ou cantons depuis la Suisse jusqu’à Embrun, et il gémissait de voir ses sujets accablés d’impôts et de vexations par les questeurs romains. Cet appel fut entendu, et les Gallitae, comme les peuplades voisines, se préparèrent à la guerre parce qu’elles étaient menacées du joug sous lequel gémissaient les Allobroges.
Lorsque les Romains eurent connaissance de ce mouvement, qui se produisait en même temps chez les peuplades qui leur étaient déjà soumises, comme les Allobroges, et parmi celles qui étaient encore indépendantes, comme la confédération des Albiciens, le prêteur Promptinus dirigea aussitôt contre elles son lieutenant Manlius Lentius.
Celui-ci, après avoir établi des garnisons à Nice et à Antibes, marcha vers Vence et il s’empara de cette ville. Mais, attaqué par les tribus de cette région et des pays voisins, il fut obligé de s’éloigner et il se vengea en ravageant les campagnes.
Cependant  Cotugnat, sachant par des émissaires que les peuples alpins avaient répondu à son appel et étaient sur le pied de guerre, essaya d’opérer sa jonction avec eux.
Note (8)
Il remontait la Durance et le Verdon, lorsqu’il fut arrêté dans sa marche par Promptinus, qui venait de recevoir de nouvelles troupes de Rome, et il revint dans ses Etats.

5- Douze ans s’étaient à peine écoulés depuis l’appel aux armes du roi des Allobroges, lorsque les Gallitae furent de nouveau  appelés à combattre contre les Romains, au siège de Marseille ; voici dans quelles circonstances. L’an 49, Jules César se rendait en Espagne pour y apaiser un soulèvement contre la domination romaine. En traversant la Provence, il voulut obliger les Marseillais à renoncer entièrement au parti de Pompée, son rival. Sur leur refus, il assiégea Marseille, et comme il prévoyait que le siège pouvait être long, il en confia les opérations à ses lieutenants et il continua sa marche vers l’Espagne.
Les assiégés résistèrent longtemps, grâce au secours de leurs alliés, les audacieux et intrépides montagnards connus sous le nom d’Albiques ou Albiciens. Ils formaient une confédération composée de huit peuplades, savoir : les Blodontii ou Bledontii, chef-lieu Digne ; les Avantici, sur le Vançon ;
Note (9) les Gallitae, chef-lieu Allos ; les Veamini, chef-lieu Thorame ; les Verguni, chef-lieu Vergons ; les Suetri ou Salinae Suetriorum, aujourd’hui Castellane ; les Sentii, chef-lieu Senez, et les Reienses, chef-lieu Riez, capitale de la confédération.
«  Cette manière d’envisager les Albiciens comme un peuple collectif, dit Henri, s’accorde avec Strabon, qui n’a placé que deux peuples au nord  des Salyens, et avec le récit de Jules César, qui, dans ses Commentaires, fait des Albiciens les habitants des montagnes situées au delà de Marseille…....
Comment supposer, en effet, que les habitants de cette ville eussent appelé à leur secours quelques villageois qui auraient suffi à peine pour remplir un vaisseau.
Le recrutement fait parmi les Albiciens fut très considérable, puisqu’on put embarquer un grand nombre de soldats sur toutes les galères de la flotte marseillaise dont ils faisaient la principale force, et que sans doute il devait en rester encore des cohortes dans la ville.
Note (10)

La peuplade des Gallitae a donc pris part au siège de Marseille, avec les autres peuplades de la confédération, et César lui-même a été forcé de faire ainsi l’éloge de leur bravoure :
Note (11)
"On combattit de part et d’autre, tant sur terre que sur mer, avec un courage et une ardeur incroyables. Les Albiciens, montagnards endurcis et exercés au métier des armes, ne le cédaient pas de beaucoup aux  nôtres en intrépidité. »
Toutes les fois qu’il fallait combattre de près ou faire des sorties, c’était à leur valeur qu’avaient recours les assiégés.
A la fin pourtant, la tactique romaine l’emporta, et Jules César, de retour d’Espagne, paraissait sous les murs de Marseille pour recevoir la soumission des habitants, les désarmer et leur imposer une garnison romaine. Non content de la soumission de la ville assiégée, le conquérant, irrité contre les âpres montagnards dont la bravoure avait si longtemps prolongé le siège, détacha une partie de ses légions pour venir attaquer ces tribus chez elles.

6- Les Reienses reçurent le premier choc, soit parce que leur territoire se trouvait le premier sur le passage de la colonne romaine, soit parce que leur chef-lieu était la capitale des Albiciens. Ils se défendirent vaillamment, mais ils furent écrasés par le nombre , et les guerriers de la confédération qui combattaient avec eux se replièrent vers les montagnes, pour défendre leurs foyers. Les Romains voulaient soumettre non seulement les Reienses, mais toutes les tribus confédérées, par conséquent toute la région qui s’étend depuis Riez jusqu’à Allos et depuis Sisteron jusqu’à Castellane, et ils remontèrent la Durance et le Verdon, ayant, dit-on à leur tête le conquérant de la Gaule lui-même.
En effet, d’après l’historien de Barrême, "  c’est une tradition constante, dans nos pays, que César les aurait visités en personne. Digne, par exemple, l’aurait vu et reçu en ennemi, et celui-ci l’aurait caractérisée en termes plus que sévères. Le village de Champtercier devrait son nom à un champ de bataille  où César aurait vaincu, pour la troisième fois, les peuples des Alpes (campus tertius), ou bien à une station militaire établie pour en garder les passages. Plus loin, le pont Julien, sur le Verdon, entre Saint-André-de-Méouilles et Castellane, porterait encore le prénom (Julius ) du grand capitaine qui l’aurait jadis fait construire pour donner passage à la voie prétorienne que suivaient ses légions
Note (12)
Ce pont, reconstruit plus d’une fois, garde toujours son nom, et le voisinage de Vergons, où passait la voie prétorienne, nous porte à croire qu’il est un témoin de la conquête partielle de nos Alpes par Jules César.
Mais cette conquête ne fut définitive que pour Riez et les environs de cette ville ; la soumission des autres peuplades albiciennes et de toutes les Alpes était réservée à l’empereur Auguste, neveu de Jules César.

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(1) Amédée Thierry, t. I, p. 436, de l' Histoire des Gaulois
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(2) M. l'abbé Féraud dit, dans cette Histoire, p.8 : " La tradition et deux monuments plus ou moins authentiques nous apprennent que le sol bas-alpin, fut foulé par l'armée carthaginoise conduite par Annibal... Le plateau de la montagne de Serpégier, dans la commune de Thorame-Haute, retient encore le nom de camp d'Annibal, et la montagne entre Fours et Saint-Dalmas conserve une large et belle pierre dite Table d'Annibal."
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(3) Durante, t.I, p. 32.
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(4) Le même, t I, p. 33.
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(5) Voir Histoire civile et religieuse de Nice et du département, par M. Tisserand, t. I, p. 21.
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(6)  Loelius Boebius, in Hispaniam proficiscens, a Liguribus circumventus, cum universo exercitu occisus est; unde adeo ne unum quidem superfuisse constat, ut internecionem ipsam Romoe, Massilienses nuntiare curaverint. (Lib.IV, c. 20.)
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(7) Durante,Histoire de Nice, t. I, pp.34-37.
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(8) Histoire civile et religieuse de Nice et du département des Alpes-Maritimes,par M. Tisserand, t. I, p. 26.
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(9) Petit cours d'eau qui se jette dans la Durance, entre Sisteron et Volonne. D'après l'opinion de Papon, beaucoup plus probable que celle qui les place à Avançon, village voisin de Chorges, les Avantici possédaient les cantons actuels de Turriers, de la Motte, de Volonne et la partie de celui de Sisteron qui se trouve sur la rive gauche de la Durance.
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(10) Albicos, barbaros homines qui in eorum fide antiquitùs erant, montesque quoe suprà Massiliam incolebant, ad se vocaverunt.
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(11) Pugnatum est utrinque fortissimè atque acerrimè, neque multùm Albici nostris virtute cedebant, homines asperi et montani exercitati in armis. (Comment. Caesaris.)
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(12) Histoire de Barrême,t. I,p.15.
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Choix de Lecture

CHAPITRE III.

1.Peuplades des Alpes subjuguées par Auguste.

2.Trophée de la Turbie ; sa célèbre inscription.

3.Place qu'y occupaient les Gallitae et leurs voisins.

4.Annexion à la province Narbonnaise.

5.La province des Alpes-Maritimes, avec Cimiez pour capitale.

6.La religion et les lois des Romains imposées à leurs sujets.

7.Origine des communes.

8.Impôts ; esclavage.

9.Embrun, métropole civile des Alpes-Maritimes.

  (13 avant Jésus-Christ. - 480 après Jésus-Christ.)

 

1 - Les habitants de nos Alpes ne furent soumis à la domination romaine qu'assez longtemps après les autres peuples gaulois.
Grâce aux vallées profondes et aux montagnes élevées dont ils surent se faire de redoutables moyens de défense, ils étaient encore en possession de leur indépendance lorsque le nord et le centre de la Gaule avaient été réduits en provinces romaines depuis cinquante ans, et la Provence, avec presque tout le midi, depuis plus de cent ans.

"  Le Sénat romain, dit Papon, aima mieux leur laisser la liberté que d'envoyer des troupes dans les défilés des Alpes, où elles auraient péri, tandis qu'elles pouvaient faire ailleurs des conquêtes plus faciles. "

Les Romains ne traitaient donc pas les Gaulois alpins comme quantités négligeables, mais comme de courageux ennemis, capables de tenir en échec les légions romaines et même de les exterminer, ainsi que cela eut lieu pour les légions de Laelius Baebius.

Cependant Rome, pour avoir des communications directes et sûres avec ses possessions en Occident, devait posséder les Alpes et la conquête de cette région s'imposait à sa politique.

C'est pourquoi l'empereur Auguste "  engagea, tant par lui que par ses généraux, une lutte opiniâtre avec les tribus montagnardes.
Toutes celles qui s'étaient, jusque là, maintenues indépendantes furent soumises et le plus souvent exterminées par des mesures cruelles, mais nécessaires au but que Rome se proposait  ".
Note (1)

Auguste dirigea donc en personne une partie de ces opérations militaires et, sans doute, celles qui eurent pour théâtre les Alpes provençales, puisque le principal trophée de ses victoires fut érigé sur le sol provençal.

En effet, si cet empereur avait été à la tête de la légion qui vainquit et massacra les Salasses, dans la vallée d'Aoste, le Sénat romain aurait fait placer sa statue à Suse et non à la Turbie.

Mais, s'il est certain que l'empereur Auguste a guerroyé dans les Alpes, comme son oncle Jules César, nous ne savons pas quelles régions il a parcourues, car la tradition, qui a gardé le souvenir du passage de l'oncle, est muette sur celui de son neveu.

2- Quant au trophée de la Turbie, qui a une importance capitale pour notre histoire, faut-il l'appeler, avec un auteur de nos jours, une pierre milliaire, surmontée d'une statue impériale ?

Non, certes, car les auteurs anciens et modernes affirment , au contraire, que c'était un superbe monument, digne du Sénat romain, qui en avait ordonné l'érection, et de l'empereur, en l'honneur duquel il fut érigé.

"  Ce colossal édifice, dit Durante, était quadrangulaire ; un circuit de colonnes, de cent pieds de périmètre, en soutenait l'entablement. Le ciseau romain avait représenté, par autant de statues, les peuplades vaincues, dans l'attitude de la supplication, implorant la clémence du vainqueur. "

Sur les côtés, on lisait les noms des peuplades soumises au joug romain, depuis le sommet des Alpes jusqu'à la Méditerranée.
Le monument était couronné par la statue de l'empereur, en marbre blanc.
On arrivait aux pieds de la statue par un escalier intérieur, et, de cette hauteur, la vue planait sur la mer jusque vers les rivages d'Afrique, sur la Ligurie italienne et vers la Gaule.

Cet édifice, en partie détruit par les barbares du Nord, fut occupé, dans la suite des siècles, par les Sarrasins, les Guelfes, les Gibelins, etc.
Au XVII° siècle, un général français, le maréchal de Villars, essaya de le raser, mais les mines ne purent renverser le pan colossal de muraille qui restait encore.

3- Les Gallitae étaient représentés au trophée de la Turbie par une des quarante-cinq statues, et cette statue occupait le trente-sixième rang.
Leur nom est précédé de ceux des Bledontii, riverains de la Bléone, des Edenates, des Nemolani, des Esubiani, habitants, comme les noms l'indiquent, de Seyne, de Méolans et de la haute vallée de l'Ubaye, des Veamini, habitants de la vallée de Thorame-Basse et de Thorame-Haute.
Note (2)
Il est suivi des Triullati, des Verguni, des Ectini, etc.peuplades qui habitaient Vergons, Allons, Annot et le Haut-Var.
Le lecteur constatera facilement lui-même que toutes ces peuplades étaient voisines de celle dont j'écris l'histoire.
En effet, le territoire des Gallitae qui, avons-nous dit, s'étendait dans la vallée du Verdon, depuis la source de cette rivière jusqu'à Thorame, confine avec la Bléone par les montagnes de Prads et du Cheval-Blanc; avec Seyne, par celle de la Blanche ; avec Méolans, par le Laverc et Siolane ; avec la vallée de l'Ubaye, par le col de Chancelaïe, dit col d'Allos ; avec Vergons et Annot, par Allons, Sarpégier, la montagne du Grand-Cohier, et enfin avec la vallée du Var, par le col du Champ et la montagne du Laus.
On voit par-là qu'ils sont complètement dans l'erreur ceux qui ont placé les Gallitae à Gillètes, dans le canton actuel de Roquestéron, sur les bords du Var, ou à Guillestre, dans les Hautes-Alpes, ou ailleurs.
Non seulement ils sont en opposition avec les historiens les plus autorisés, mais ils font violence à l'inscription de la Turbie, qui énumère les peuplades dont nous venons de parler selon leur situation géographique et qui deviendrait inintelligible si on plaçait les Gallitae hors de la haute vallée du Verdon.

D'après la chronologie de Papon, que j'ai suivie en général dans cette histoire, l'an 13, la soumission des Alpes était un fait accompli, et cependant l'inauguration du trophée de la Turbie, qui devait immortaliser le souvenir de cet événement, n'eut lieu que l'an 7 avant Jésus-Christ.
On travailla, par conséquent, pendant six ans à la préparation ou à la construction de ce monument.

La domination romaine fut donc établie, chez nous, l'an 13 avant l'ère chrétienne, et nous dirons bientôt qu'elle durera, dans notre contrée, jusqu'à l'an 480.
Que devinrent nos pères en perdant cette indépendance qui leur était si chère, pour disparaître dans cet immense empire romain, comme une goutte d'eau dans la mer ?
Quelle action a été exercée sur eux, pendant cinq cent ans, par la législation, par l'administration, par les événements heureux ou malheureuxde cette époque ?
Voici, sur cette partie de notre histoire, le peu qu'il a été possible de recueillir, j'allais dire de glaner, à travers les annales des peuples voisins et des traditions locales.

4. -Après la conquête des Alpes, Auguste alla à Narbonne, où il s'occupa de l'administration romaine dans les Gaules, soit pour la compléter, soit pour la réorganiser.
Il régla, en particulier, ce qui concernait sa nouvelle conquête, en annexant cette région à la province dire Narbonnaise, qui comprenait une grande partie du midi de la Gaule.

Cette annexion fut la première phase de notre situation, sous la domination romaine, mais elle ne fut pas de longue durée, puisqu'elle commença après l'an 13 avant Jésus-Christ et finit l'an 14 de l'ère chrétienne.
C'est vers le milieu de ce quart de siècle qu'eut lieu la naissance de Jésus-Christ, cet événement incomparable qui allait faire converger vers lui toutes les dates de l'histoire, tous les autres événements du monde.
Il fut précédé par le dénombrement de tous les habitants de l'empire romain, auquel nos pères durent prendre part, inconsciemment sans doute, comme tant d'autres. Mais la domination romaine, qui commençait à peine pour eux, ne devait pas finir sans qu'ils eussent une véritable connaissance de la rédemption du monde par la prédication de l'Evangile.

5. - Cependant, l'empereur Auguste allait bientôt arriver au terme de sa vie mortelle, et, l'an 14 après Jésus-Christ, l'année même de sa mort, il s'occupa de nouveau des régions alpines, pour les détacher de la Gaule Narbonnaise et en faire une nouvelle province, à laquelle il donna le nom d'Alpes-Maritimes.
Cette petite province s'étendait, de notre côté, depuis Nice jusqu'à Digne et de Digne jusqu'à Embrun ; du côté de l'Italie, depuis Gênes jusqu'au Mont-Viso.
On appelait Liguriens Chevelus, Ligures Capillati ,
Note (3) dit Pline l'Historien, les habitants des montagnes où sont les diocèses de Nice, de Glandèves et de Senez. Il me semble que, si nos ancêtres méritaient le nom de Chevelus parce qu'ils portaient les cheveux longs, ils étaient improprement appelés Ligures, puisque ce mot signifie Hommes de mer.
Sans doute, ils devaient cette appellation aux habitants des côtes méditerranéennes dont ils partageaient le sort.

On donna pour capitale aux Alpes-Maritimes la ville de Cimiez
Note (4) qui devint, comme par enchantement, une grande et florissante cité par sa population, ses établissements et le séjour du président ou commandant de la province, dont l'autorité s'exerçait, nous dit Papon, d'un côté, depuis Gênes jusqu'à Digne et, de l'autre côté, depuis Vence jusqu'au sommet des Alpes..
D'après le même historien, on avait établi dans la capitale des Alpes-Maritimes trois centres de direction, qu'il appelle collèges de la religion, de la police et de la justice.

6. -"Afin d'assurer sa conquête, la politique romaine n'avait pas trouvé de moyen plus puissant que de substituer, de gré ou de force, sa langue et sa religion à celles des peuples vaincus. Nos pays, les derniers subjugués, furent aussi les derniers à adopter les croyances et le culte des vainqueurs, et encore le changement n'eut lieu que par une sorte de compromis ou de fusion entre les deux partis. Les Gaulois gardèrent leurs divinités ; celles-ci reçurent des noms grecs et romains, et la paix fut conclue.
Note (5)

Grâce à ce changement fictif les habitants des Alpes purent garder leur religion gauloise jusqu'à la prédication de l'Evangile, qui allait bientôt avoir lieu.
Cependant sur un point, les Romains ne voulurent ni paix ni trêve avec la religion des Gaulois : ils se déclarèrent les adversaires implacables du culte druidique, dont les sacrifices humains outrageaient l'humanité, et les empereurs Tibère, Claude, Néron, Vespasien, etc., le noyèrent dans le sang.

Mais ce combat à mort entre les partisans et les adversaires des sacrifices humains ne dut pas avoir lieu chez nos ancêtres, puisque, fidèles à la religion de leurs pères, ils demeurèrent toujours étrangers au culte druidique.

Les Romains nous imposèrent leurs lois, soit en matière civile, soit en matière criminelle : lois fiscales, lois de police, etc., parce qu'ils étaient devenus nos maître et que l'exercice de la justice et l'établissement des lois sont des attributs de la souveraineté.

Pendant le règne de l'empereur Néron, qui dura de 54 à 68 après Jésus-Christ, le droit latin était reçu dans toute la contrée, depuis Embrun jusqu'à Nice.
L'existence et l'application de ce droit, en vertu duquel les nouveaux sujets de l'empire romain étaient exempts des tributs imposés pour le payement des troupes et pouvaient devenir citoyens romains, après avoir passé par les premières charges dans leur patrie, prouvent que déjà les autres lois romaines étaient en vigueur parmi eux.

7. - Vers l'an 212, tous les hommes libres de l'empire devinrent citoyens romains, et l'auteur de cette loi d'équité et d'égalité naturelle est Caracalla, empereur cruel et cupide, qui l'établit pour augmenter le produit de certains impôts qui n'étaient dus que par ceux qui avaient cette qualité.

Voici d'après M. de Laplane, historien de Sisteron, quelle était la situation de nos pays, à cette époque, sous le rapport de l'administration locale, des différentes classes d'hommes libres, des esclaves, etc. :
"Chaque cité avait sa curie ou petit Sénat et ses magistrats....
A côté des duumvirs, dont les fonctions répondaient à celles de consuls, était le défenseur, chargé comme le tribun, des intérêts du peuple, qui, à ce titre, prenait part à son élection.
Par une conséquence naturelle..., le défenseur ne devait pas être tiré du sein de la curie.
A ce corps étaient exclusivement réservées les autres magistratures (fonctions judiciaires, administratives, de police, etc.) ; ce qui lui donnait une grande importance dans la cité, dont il était, suivant les termes même de la loi, comme les nerfs et les entrailles...

Il fallait, pour faire partie de la curie, être âgé de 25 ans, n'exercer aucun métier et posséder au moins vingt-cinq journaux de terres.
Les membres de la curie constituaient la deuxième classe des citoyens.
Les artisans (opifices), divisés, depuis Alexandre Sévère, en collèges ou corporations, formaient la troisième et dernière classe.
Tout le reste était esclave et attaché à la culture des terres
Note (6)

Nous voilà à l'origine des communes et des conseils municipaux, sous le nom de curie, à moins qu'on ne fasse remonter cette origine plus haut et jusqu'à ces ébauches de conseil d'administration que les peuplades gauloises, nomades ou fixes, se donnaient en mettant à leur tête les guerriers les plus habiles pour régler les différends, diriger la peuplade, etc.

Cependant, à ces éléments constitutifs de la commune, manquait quelque chose que ne pouvait donner l'antiquité payenne.

Il y avait des esclaves chez les Barbares comme chez les Romains, et ces esclaves, qui n'étaient comptés pour rien dans la société, étaient souvent plus nombreux que les hommes libres.
Mais, déjà, la religion chrétienne, par son esprit de vérité et de justice, combattait l'esclavage et rétablissait peu à peu l'égalité naturelle parmi les hommes devenus chrétiens.
Ajoutons que les réunionsdans les églises durent singulièrement favoriser les réunions communales ou séances des conseils municipaux, qui souvent avaient lieu le dimanche et devant la porte de l'église. La commune est donc un composé de moeurs gauloises, d'institutions romaines et d'égalité chrétienne. Elle acheva son organisation au XIe siècle, se développa pendant le XIIe et parvint à son apogée dans le cours du XIIIe, sous la protection et avec l'appui des rois de France et de Provence.

8. - En fait de lois fiscales, les revenus de l'Etat étaient, du temps de la république :
la capitation, l'impôt foncier des provinces, le produit du domaine public, les amendes, les confiscations, les douanes, le vingtième des affranchissements et l'héritage, par l'Etat, des citoyens morts sans héritiers.
L'empereur Auguste ajouta, en outre :
1° l'impôt du centième sur les marchandises vendues aux enchères ;
2° celui du vingtième sur les héritages ;
3° celui du cinquantième sur le prix des esclaves.
Le lecteur remarquera que l'on percevait un impôt considérable lorsque les esclaves recevaient la liberté et une taxe énorme lorsqu'on les vendait.
Cette double taxe était un obstacle de plus à l'affranchissement, parce que l'administration du fisc ne se privait pas facilement de ce revenu.

Il y avait deux sortes d'esclavages :
celui qu'on appelait la servitude réelle et qui attachait pour toujours l'esclave à la terre qu'il cultivait, et l'esclavage personnel, semblable à celui des nègres d'Amérique.
Les premiers devaient à leur maître une certaine quantité de bétail, de blé ou d'argent ; le produit du travail des seconds appartenait tout entier au maître.

Et cependant nos ancêtres furent relativement heureux sous la domination romaine.
La perte de l'indépendance politique eut donc pour eux des compensations, soit sous le rapport de la tranquillité publique, soit à cause des communications, des rapports commerciaux qu'ils purent établir avec leurs voisins et même avec les habitants des villes maritimes de la province. En effet, par leur situation géographique, ils n'étaient pas exposés à ces guerres périodiques et presque continuelles qui désolaient les frontières de l'empire.
Les routes établies par Auguste permettaient aux habitants d'Allos, éloignés de 130 kilomètres environ de la Méditerranée, en suivant le Var, d'aller assez facilement, grâce à la voie prétorienne, à Cimiez, centre des études, des arts, de l'industrie, etc., pour toute la région.

9. - Cette ville fut la capitale de la province des Alpes-Maritimes, pendant le règne des empereurs payens, qui dura jusqu'en 312.
En cette année, justement célèbre par la conversion de l'empereur Constantin le Grand, elle perdit son titre et ses prérogatives, qui furent transférées à Embrun.
Cette ville devint donc, presque en même temps, métropole civile et métropole ecclésiastique. Mais n'anticipons pas en parlant ici de la prédication de l'Evangile, de l'établissement et de l'organisation de la religion chrétienne, etc. Ces événements de notre histoire religieuse, contemporains des faits que nous venons de raconter, sont d'une importance telle qu'ils doivent avoir une place à part, dans le chapitre suivant.

Ajoutons cependant que le monde romain, qui par son étendue et sa colossale puissance, avait servi, sous l'action de la Providence, pour préparer l'univers à la naissance de Jésus-Christ et à la prédication de son Evangile, venait d'achever sa mission.
Il fléchissait sous le poids de sa propre grandeur, de ses divisions intestines et de ses iniquités, car il avait cruellement persécuté les chrétiens, pendant trois cents ans.
En Gaule et ailleurs, la chute de l'empire d'Occident eut lieu l'an 476, sous l'empereur Augustule ; chez nous, dans la région comprise entre la Durance et le Var, dont la vallée du Verdon fait partie, la domination romaine ne cessa définitivement que quatre ans plus tard, par conséquent l'an 480, après une durée de 493 ans.

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(1) Amédée Thierry, à qui j'emprunte ces paroles, ne veut pas dire, sans doute, dans son Histoire des Gaulois,que la fin justifie les moyens, mais que ces exterminations répondaient au but de la politique romaine.
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(2) J'ai suivi ici l'opinion de Papon, de Méry, de Garcin, etc.... D'après une autre opinion, suivie par Henry, le docteur Ollivier, etc...., ils habitaient Fours. H. Bouche les place à Barrême, et M. Chappuis, aux Orres et à Mélezen, entre Barcelonnette et Embrun.
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(3) C'est le nom que leur donne Pline l'Historien.
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(4) Ville qui n'existe plus depuis longtemps.
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(5) Histoire de Barrême, par M. Cruvellier, t. I, p.18.
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(6) Histoire de Sisteron, par Ed. de Laplane, t. I, pp.16-17.
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Choix de Lecture

CHAPITRE IV.

1.-Trois prédications évangéliques successives dans nos Alpes.

2.-Celle de saint-Nazaire et de saint Celse, au Ier siècle.

3.-Celle de saint Pons, au IIIe siècle.

4.-Celle de saint Domnin,de saint Vincent, etc., au IVe siècle.

5.-Allos a toujours fait partie du diocèse de Senez, qui relevait de la métropole d'Embrun.

(60 - 350.)

1.La prédication de l'évangile, dans la vallée du Verdon, a eu lieu certainement pendant la domination romaine, et le christianisme paraît avoir été établi chez les Gallitae, comme chez les peuples voisins, par trois missions successives : celle de saint Nazaire et de saint Celse, au siècle apostolique ; celle de saint Pons et de son ami Valère, au IIIe siècle, et celle de saint Domnin à Allons et des missionnaires qui préparèrent l'établissement de l'évêché de Senez, au IV siècle.

2. Saint Nazaire naquit à Rome, vers l'an 30 de l'ère chrétienne. Son père, nommé Africanus, était d'origine juive ; sa mère, Perpétue, fut baptisée par saint Pierre, de l'an 42 à l'an 47. Africanus, ne voulant pas que son fils fût chrétien, celui-ci ne reçut le baptême que vers l'an 48, par saint Lin, coadjuteur de saint Pierre, avant d'être son successeur. Saint Lin le prépara à l'apostolat et le chargea de prêcher dans différentes villes et bourgades d'Italie. Cette mission dura dix ans, après lesquels il dirigea ses pas vers la Gaule. Au moment du départ, sa mère, qui était déjà au ciel, lui apparut et lui recommanda d'aller évangéliser les Alpes-Maritimes.
Note (1)
Il parcourut le littoral de cette région et séjourna surtout à Nice et à Cimiez, où il opéra de très nombreuses conversions, en particulier celle d'une femme nommée Marianilla. Cette illustre matrone, à peine convertie, prêta le plus généreux concours au saint apôtre, lui donna son fils Celse, qui ne devait jamais le quitter, pas même à la mort.
Cependant Néron faisait couler des torrents de sang chrétien à Rome, et Dinovat, son préfet dans les Alpes-Maritimes, avait reçu le décret de persécution porté contre tous les adorateurs du Christ. A la vue des rapides progrès de la religion nouvelle, il craignit de perdre sa place, fit comparaître saint Nazaire et son disciple à son tribunal et les condamna à la prison. Sa femme l'ayant empêché de les condamner à mort, il les délivra, après trois jours, en leur défendant sévèrement de prêcher désormais l'Evangile dans la cité. Cette défense les condamnait à l'exil, et ils partirent, non pour Vintimille, dit avec raison M. Dufaut
Note (2) , ni pour Narbonne, où ils allèrent, dit-on, un peu plus tard, mais vraisemblablement pour Embrun. Pour plusieurs motifs, ils devaient se diriger de ce côté ; Embrun était la deuxième ville de la province, en attendant qu'elle devint la première, en prenant la place de Cimiez ; elle se trouvait dans une région montagneuse, d'un très difficile accès, et on pouvait espérer, en ces lieux, assez de liberté pour évangéliser, tandis que la persécution sévissait en Italie, à Cimiez et dans les autres cités gauloises. C'est ce qui a fait dire au chanoine Cruvellier, dans son Histoire de Barrême :" Ici, selon toute apparence, il faut placer la venue de saint Nazaire et sa prédication dans nos régions alpines. Suivant la voie prétorienne, qui longeait les rives du Var, il serait donc parvenu d'abord à Glanateva (Glandèves), et de là, toujours accompagné du jeune Celse, il aurait pénétré, par Annot, dans la vallée de la Vaïre, puis, en passant par le chef-lieu des Verguni (Vergons), dans celle du Verdon."

Après avoir prêché la religion dans la vallée du Verdon, nos deux apôtres ont-ils dirigé leurs pas vers Digne ou vers la vallée de l'Ubaye ? L'auteur que je viens de citer suppose qu'ils sont allés à Digne, et cela ne manque pas de vraisemblance ; mais on peut supposer aussi qu'un des motifs qui les dirigeait vers les montagnes d'Embrun les a fait passer par le col d'Allos et par Barcelonnette, et cette supposition ne paraît pas en désaccord avec les historiens du diocèse de Gap et d'Embrun
Note (3).
" C'est ainsi, dit Mgr Dépéry, qu'après avoir quitté les riches bords de la Méditerranée ils gravissent les rudes sentiers qui mènent aux sommets des Alpes. Nos montagnes étaient alors couvertes d'immenses et solitaires forêts, et dans les vallées (vivaient) des hommes grossiers et idolâtres. Ce triste aspect ne rebute point Nazaire et Celse ; ils franchissent tous les obstacles et arrivent jusqu'à Embrun."

Quoi qu'il en soit, un fait paraît acquis, c'est que ces deux saints missionnaires ont les premiers prêché l'Evangile dans les vallées de nos montagnes et que nous pouvons dire de la vallée du Verdon ce qu'Albert a dit d'Embrun et des pays environnants, en parlant des erreurs du paganisme :"Dès le premier siècle, ces horreurs et ces ténèbres du paganisme furent dissipées dans l'étendue du diocèse d'Embrun par les lumières de la foi et de l'Evangile, car tout concourt à nous persuader que les peuples de ces contrées reçurent ce précieux dépôt, du temps des apôtres, puisque saint Nazaire, fils de sainte Perpétue, et saint Celse, qui souffrirent le martyre sous Néron, y prêchèrent les premiers la religion chrétienne et que l'Eglise d'Embrun les reconnaît pour ses deux premiers apôtres ".
Note (4)

Le diocèse de Digne, dans lequel sont inclus l'ancien diocèse de Senez et une partie de celui d'Embrun et de Glandèves, reconnaît au même titre saint Nazaire et saint Celse, puisqu'il a désormais leur office et leur messe propres approuvés, en 1893, par la congrégation des Rites.

3.Comme saint Nazaire, saint Pons était romain ; son père, sénateur et préfet de Rome, s'appelait Marc, et sa mère Julie. Ils étaient païens et si zélés pour le culte des idoles que Julie voulait mettre à mort son fils naissant parce qu'on lui avait prédit qu'il renverserait un jour le temple de Jupiter à Rome. Elevé par des maîtres habiles, le jeune Pons était déjà très instruit, lorsqu'il voulut être chrétien, après avoir entendu chanter les psaumes, en passant devant une église. Il fut baptisé, avec son ami Valère, par le pape saint Pontien.

Son père étant mort, après avoir embrassé le christianisme, il le remplaça comme sénateur et comme préfet. Cette double dignité le mettait souvent en rapport avec les empereurs Philippe père et fils, qu'il convertit à la religion chrétienne .
Note (5)
Après la mort de ces deux empereurs , il fut persécuté comme chrétien et il s'éloigna de Rome pour aller prêcher l'évangile dans la Gaule.

Il arriva à Cimiez, après l'avènement de l'empereur Dèce, qui décréta la septième persécution générale, en 249, la première année de son règne. A Cimiez, comme à Rome, il prêcha la religion chrétienne, et le nombre de païens qu'il convertit fut bientôt si considérable qu'il devint leur évêque. Mais le saint fugitif de Rome, comme l'appelle un de nos historiens, portait un nom trop connu, il avait occupé dans cette ville une trop grande situation pour être longtemps à l'abri de la persécution, dans la capitale d'une province romaine, sur les rivages de la Méditerranée. Il ne tarda donc pas de se diriger vers les régions les plus montagneuses de cette province, où son âme d'apôtre prévoyait d'ailleurs d'utiles travaux et une abondante moisson à recueillir. Citons encore ici l'auteur de l'Histoire de Barrême :
" Ces contrées, on l'a déjà dit, évangélisées, dès le Ier siècle, par saint Nazaire et saint Celse, étaient loin sans contredit d'avoir, en totalité, renoncé au paganisme pour embrasser la foi de Jésus-Christ, et, d'autre part, la fureur des persécutions suscitées en Gaule, durant le IIe siècle et les guerres civiles du IIIe, avaient dû arracher, de bien des âmes, les germes de la grâce et ramener à l'état inculte et sauvage plus d'un champ spirituel à peine défriché. Aussi l'arrivée de saint Pons dans les Alpes fut elle tout à fait providentielle. Il les parcourut, en remontant du midi au nord, depuis l'embouchure du Var jusqu'aux environs d'Embrun. "

Voici le nom des paroisses du diocèse de Digne où ce saint est l'objet d'un culte particulier : Entrevaux, Aurent, Sausses, Annot, le Fugeret, le Touyet, Eoulx, Peyroules, Castellane, Blieux, Barrême, Digne, Mallemoisson, Entrages, la Robine, Draix, Saint-Pons de Seyne, Saint Pons de Barcelonnette, Sainte-Croix-du-Verdon, Chateauneuf-de-Moustiers, Ganagobie, Lurs, Valbelle, Saint-Etienne, etc.

Parmi ces paroisses, Castellane et Saint-Pons de Barcelonnette méritent une mention spéciale. A Castellane, on honorait saint Pons comme apôtre de la région ; on lui rendait même autrefois un culte solennel qui a duré jusqu'à la révolution de 1793, d'après l'histoire Laurensy. Sa fête était célébrée sous le rite de deuxième classe, comme le constate une ordonnance de Mgr de Bauvais datée, de l'an 1782. Après une interruption de cent ans, la fête de ce saint apôtre a été rétablie, non seulement à Castellane, mais dans le diocèse de Digne, en vertu d'un décret de la Sacrée Congrégation des Rites de l'année 1893. Quant à la paroisse de Saint-Pons de Barcelonnette, " on croit, dit l'auteur de la Géographie des Basses-Alpes, qu'elle remonte, sous ce nom, aux Bénédictins qui s'établirent dans cette contrée vers la fin du VIe siècle. "

" Mais pourquoi, se demande le chanoine Cruvellier, une telle fondation, dès cette époque et sous un pareil titre, sinon pour consacrer le souvenir de la prédication de saint Pons, au IIIe siècle, dans nos vallées alpestres ?  Bien d'autres saints plus illustres dans l'Eglise, tels que saint Jean-Baptiste, saint Pierre, saint Paul, ont, il est vrai, des chapelles des églises ou des autels, en divers lieux; mais en est-il un seul, à part la Très Sainte Vierge, à la mémoire duquel on puisse compter autant de monuments érigés sur cette lisière des Alpes ?
Il y a plus, qu'on ajoute à cette liste l'interminable série de personnages de toutes conditions et de tous rangs qui, en Provence et dans nos Alpes en particulier, tenaient si fort jadis à joindre le prénom de Pons à leur nom patronymique. D'où vient cela et comment expliquer une dévotion si constante et si universelle, en ces contrées, si ce n'est par la conviction profonde, établie sur une tradition fidèle et non interrompue, que la mission du héros chrétien eut, de fait, pour objet et pour fruit l'établissement de la foi dans la province des Alpes-Maritimes ? C'est là, croyons-nous, une conclusion qui s'impose et à laquelle nul ne saurait refuser son assentiment, à moins de résister à une certitude morale équivalente à l'évidence même. "

Saint-Pons était sans doute accompagné, dans nos montagnes, par Valère, son ami, baptisé avec lui à Rome, et son collègue inséparable dans l'apostolat et jusqu'au martyre.

4.La troisième prédication de l'Evangile eut lieu vers l'an 350, c'est-à-dire lorsque furent érigés les évêchés de Senez, de Digne et d'Embrun. D'après une tradition qui a quinze siècles d'existence et qui est encore aujourd'hui vivante, saint Domnin a évangélisé Allons, et c'est pour cela que les habitants de cette vallée lui ont toujours témoigné et lui témoignent encore une confiance extraordinaire. Les mères apprennent à leurs enfants, dès qu'ils ont l'usage de la parole, une prière locale en son honneur ; cette paroisse est heureuse et fière du nom de territoire de saint Domnin, qu'elle a reçu des anciens du pays ; on y est persuadé que ce saint les a préservés de la rage et que, lorsqu'un chien enragé met les pieds sur ce territoire, ou il est frappé de mort, ou il est immédiatement guéri
Note (6)
Mais, si le zèle apostolique de saint Domnin l'a porté à évangéliser Allons, il ne lui a sans doute pas permis de négliger les autres localités de la vallée du Verdon plus rapprochées des voies de communication, et son apostolat chez les Veamini (Thorame), les Gallitae, les Verguni, pourrait bien se rattacher à l'évangélisation des Esubiani, habitants de la vallée de Barcelonnette.

Quant aurait eu lieu sa prédication, dans ces deux vallées ? D'après les meilleures données de l'histoire, saint Marcellin, saint Vincent et saint Domnin arrivèrent à Rome avec les évêques d'Afrique qui venaient, en 313, au concile assemblé pour juger les Donatistes. Après avoir reçu leur mission du pape saint Melchiade, ils se dirigèrent vers Nice, où ils ne débarquèrent, dit-on, qu'après avoir pris conseil des évêques réunis en Concile à Arles, en 314. Ils prêchèrent l'Evangile aux habitants du versant italien des Alpes, depuis les rivages de la mer jusqu'à Verceil, où saint Eusèbe fut choisi comme évêque et où ils se séparèrent.

Saint Marcellin et ses deux disciples se dirigèrent vers les Alpes et ils arrivèrent à Embrun. Mais les habitants de cette ville et des environs ne furent pas seuls l'objet de leur apostolat, et c'est ici que se placerait naturellement la mission de saint Domnin dans les vallées de Barcelonnette et du Verdon .
Note (7)
On ne peut supposer, en effet, qu'elle ait eu lieu avant l'arrivée de nos saints apôtres à Embrun, et il serait bien difficile, pour ne pas dire impossible, de la retarder jusqu'à l'élévation de saint Domnin à l'épiscopat.

Cependant la vallée du Verdon a dû entendre à la même époque d'autres prédicateurs de l'Evangile. Dans les premiers temps du christianisme, les principaux missionnaires des régions qu'ils évangélisaient en devenaient les premiers évêques. Saint Marcellin devint le premier évêque d'Embrun ; saint Domnin et saint Vincent, évêques de Digne ; saint Démètre, de Gap ; saint Pons, de Cimiez ; saint Bassus, de Nice ; saint Maximin, d'Aix ; saint Lazare, de Marseille ; saint Trophime, d'Arles, etc. Il est donc plus que probable que le premier évêque de Senez, dont le nom nous est inconnu, mais qui paraît avoir été sacré vers l'an 350, avait prêché Jésus-Christ aux habitants des rives du Verdon, qui formaient les deux tiers et même les trois quarts de ce diocèse.

5. Ce qu'on ne peut révoquer en doute, c'est que vers le milieu du IV° siècle, sous le règne de l'empereur Constantin, qui donna la liberté et la paix à l'Eglise catholique, le christianisme était définitivement établi chez nous et que son organisation était un fait accompli.

Depuis cette époque, les Gallitae et leurs voisins n'ont jamais cessé d'être chrétiens et ils ont toujours appartenu au diocèse de Senez.
" Une chose digne de remarque, dit M. l'abbé Féraud, c'est que les diocèses ecclésiastiques furent calqués sur les anciens diocèses civils ou districts romains. Jusqu'au VIe ou au VIIe siècle, tous ces diocèses ( Embrun, Digne, Gap, Senez, Glandèves, Sisteron et Riez) relevèrent de l'église primatiale d'Arles. Quand les églises d'Aix et d'Embrun furent devenues des métropoles ecclésiastiques, nos sièges épiscopaux furent rangés sous leur dépendance.
" C'est pourquoi les diocèses de Digne, de Senez, de Glandèves, etc., faisaient partie de la métropole d'Embrun, qui était déjà, depuis Constantin le Grand, notre métropole civile.
Par le concordat de 1801, les archevêchés d'Arles et d'Embrun, les évêchés de Senez, de Glandèves, de Riez, etc., ont été supprimés.
Nous appartenons au diocèse de Digne, et l'archevêque d'Aix est métropolitain de toute la Provence.

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(1) J'emprunte ces détails et ces dates à M. l'abbé Dufaut. D'après cet auteur, saint Nazaire n'a pas pu arriver à Cimiez avant l'année 58.
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(2) L'Eglise de Nice, ses saints et ses oeuvres, par M. l'abbé Dufaut, p.50.
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(3) Histoire hagiologique du Diocèse de Gap, par Mgr Dépéry, p.21.
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(4) Histoire du Diocèse d'Embrun, par Albert, t. I, p.53.- On ne peut pas préciser la date du martyre de saint Nazaire et de saint Celse. Ce qui est certain, c'est qu'ils furent martyrisés, à Milan, le 28 juillet, pendant la persécution de Néron, qui mourut en 68.
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(5) Le témoignage des auteurs contemporains, dit l'abbé Darras, ne laisse aucun doute sur le christianisme privé de l'empereur Philippe. J'ai adopté cette opinion parce qu'elle est appuyée aussi sur le témoignage de saint Jean Chrysostome, de saint Jérôme, Paul Orose, etc.
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(6) J'ai pu constater moi-même l'existence de cette tradition, pendant le jubilé que j'ai prêché à Allons en 1882, et je puis affirmer qu'elle est consignée dans les archives de cette paroisse, ainsi que dans l'histoire d'Argens, écrite par M. l'Abbé Cruvellier, ancien curé de cette paroisse.
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(7) Saint Domnin est-il parti d'Embrun ou de Digne pour évangéliser les deux vallées de Barcelonnette et du Verdon et séjourner à Allons ? Dans l'un et l'autre cas, il est passé par Allos.
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Choix de Lecture

CHAPITRE V.

1.La Gaule ravagée par les Barbares du Nord.

2.Irruption des Vandales en Provence.

3.Les Bourguignons dans les vallées de Barcelonnette, de la Bléone, du Verdon, etc.

4.Domination des Visigoths dans les mêmes régions.

5.Théodoric, roi des Ostrogoths, et les bergers des Alpes.

6.Domination des Francs.

7.Invasions des Lombards et des Saxons.

( 406 - 578 )

1.-Les Pères de l'Eglise et les historiens du Ve. et du VIe. siècle se déclarent impuissants à décrire les ravages des barbares en Gaules, à partir de l'an 406.

Saint Jérôme, qui appelle notre patrie la plus belle des provinces, fait entendre, sur son triste état, ce cri de douleur : "  Des Alpes et des Pyrénées, jusqu'au Rhin et à l'Océan, tout est dévasté... Toute la barbarie s'est donné rendez-vous aux funérailles de la plus belle de nos provinces "
Note (1)
Saint Prosper d'Aquitaine, plus laconique encore, se contente de dire que, " si toutes les vagues de l'Océan avaient inondé la Gaule, elles n'auraient pas fait tant de mal ".

La Provence eut sa large part dans ces calamités publiques, qui n'épargnèrent pas même les pays les plus reculés des Alpes.

2.Les Vandales arrivèrent de bonne heure dans le bassin du Rhône et promenèrent l'incendie, le massacre et le pillage non seulement sur les rives de ce fleuve, mais jusqu'à Embrun, qu'ils assiégèrent, en 433. Saint Albin, archevêque, et son peuple prièrent avec tant de confiance devant les reliques de saint Marcellin que le ciel vint à leur secours ; une croix flamboyante apparut dans les airs ; elle effraya les assiégeants, qui se retirèrent, et la ville fut sauvée. Pour se venger de cet échec et afin de trouver les subsistances dont ils avaient besoin, ils tournèrent alors leur fureur vers les vallées des environs, et il paraît certain que celles de Barcelonnette, d'Allos et de Colmars, de Seyne, de Digne, etc., n'échappèrent pas à leurs dévastations.

3.Après les Vandales, arrivèrent les Bourguignons. Ils avaient des moeurs moins barbares, surtout depuis leur arrivée dans la Gaule, où ils furent instruits de la religion chrétienne, qu'ils acceptèrent dans toute sa pureté. Il y eut ensuite scission parmi eux. Les uns donnèrent leur adhésion à l'hérésie d'Arius ; les autres demeurèrent véritables chrétiens. C'est au nombre de ces derniers que se trouvait sainte Clotilde, nièce de Gondebaud, un de leurs rois, et qui, ayant épousé Clovis, le convertit à sa religion.

Il est bien difficile de déterminer le temps pendant lequel nos ancêtres furent les sujets des rois bourguignons, parce que les historiens ne sont pas d'accord sur la date de leur arrivée en Provence. Les uns la reculent jusqu'en 434 ; les autres la retardent jusqu'en 474 et même jusqu'en 475
Note (2)
Avec la première opinion, ces barbares ont été nos maîtres pendant plus de quarante ans ; avec la deuxième, pendant cinq ou six ans seulement. Encore faudrait-il défalquer de ces quelques années le retour offensif et victorieux des Romains, qui, un moment, rétablirent leur autorité chez nous, en refoulant les Bourguignons sur la rive droite de la Durance. On divisait alors la haute Provence en Provence occidentale et en Provence orientale. Nous faisions partie de cette dernière, où la domination bourguignonne a duré beaucoup moins que du côté du Rhône.

Les Bourguignons s'établirent d'abord dans le pays des Allobroges, dont les principaux centres étaient Genève, Vienne et Grenoble. Le général romain Aétius leur abandonna cette contrée, à condition qu'ils se contenteraient de la moitié des terres et qu'ils laisseraient l'autre moitié aux habitants.

Ils s'avancèrent ensuite jusqu'à la Durance et jusqu'à ses affluents : l'Ubaye, la Bléone et le Verdon, et là encore ils partagèrent les terres de ces pays avec les habitants. Mais, parce qu'ils étaient les plus forts, ils s'emparèrent d'un tiers des serfs et des deux tiers des terres .
Note (3)
Ils n'enlevèrent donc pas aux anciens habitants tout ce qu'ils possédaient et ils ne les réduisirent pas en esclavage. Une de leurs lois, en effet, distinguait les sujets de leurs rois en Gaulois et en Bourguignons. Tels étaient les premiers barbares qui s'établirent dans nos montagnes, car les Vandales avaient passé comme un torrent débordé, dont le lit est sans eau, le lendemain de l'orage.

4.-En l'année 480, les Visigoths devinrent nos maîtres.
Après avoir ravagé l'Italie, ils arrivèrent dans la Gaule, sous la conduite de leur roi, Ataulphe.

Ce prince, remarquable par sa bravoure et ses talents, avait le projet de détruire l'empire romain et d'élever un empire visigoth sur ses ruines ; mais il y renonça, parce que ses sujets étaient trop barbares et qu'il ne pourrait pas les plier au joug des lois.

Euric, un de ses successeurs, s'empara d'Arles, en 480, et cette victoire entraîna la soumission de tout le pays compris entre la Durance, la mer et les Alpes-Maritimes.
Ces conquêtes furent approuvées par Odoacre, qui, en Italie, avait substitué son autorité à celle des empereurs.
Note (4)
Euric était chrétien, mais il appartenait à l'hérésie d'Arius, ainsi que ses sujets, et il persécutait les évêques catholiques.
En 481, il exila saint Fauste de Riez, sans doute parce que cet évêque avait publié un ouvrage contre les Ariens.

La persécution sévissait partout avec une violence inouïe. " Les Visigoths, dit un témoin victime de l'arianisme, enlevaient même les toitures et les portes des églises ; les ronces et les épines croissaient sur le seuil des maisons de Dieu.
Les boeufs venaient se coucher au milieu des vestibules entr'ouverts, ou pénétraient dans l'intérieur, pour brouter l'herbe qui croissait entre les pavés des temples.
"C'est Sidoine Apollinaire qui nous a laissé ce sombre tableau .
Note (5)
La foi que nos pères avaient reçue de saint Nazaire, Celse, Pons, Domnin, Vincent, Marcellin, etc., passa donc par une douloureuse et dangereuse épreuve, à la fin du V° siècle, surtout sous le règne d'Euric, dont la puissance égalait le fanatisme pour l'hérésie arienne.

Dans ces tristes conjonctures, la foi catholique de nos pauvres montagnards, si violemment attaquée, reçut un secours providentiel dans la personne d'un pieux pèlerin, nommé saint Ours. Ce nouvel apôtre venait à son heure, car l'arianisme avait déjà fait beaucoup de mal. A la vue des âmes qui perdaient la foi, il cessa ses pérégrinations et il évangélisa plusieurs contrées des deux côtés des Alpes. La vallée de Barcelonnette garde fidèlement son souvenir, que quatorze siècles n'ont pu effacer.

Euric aimait la Provence et il y demeura jusqu'en 484, qui fut l'année de sa mort. Alaric, qui lui succéda, régna pendant vingt-trois ans. Il exila pour quelques temps saint Césaire d'Arles, à Bordeaux. Amalric, son fils, étant encore très jeune, ne put recueillir sa succession, et la domination des Visigoths, en Provence, cessa en 508, après une durée de vingt-huit ans.

5.Les Ostrogoths furent appelés dans la Gaule dans des circonstances particulières. Amalric était âgé de 5 ans lorsqu'il devint roi des Visigoths. Il n'était donc pas capable de conserver ce que lui laissait son père, encore moins de reconquérir ce qu'il avait perdu depuis la bataille de Vouillé. C'est pourquoi Théodoric, roi des Ostrogoths, qui était son grand-père, vint à son secours avec une puissante armée, pour chasser de la Provence et du Languedoc les armées de Clovis.

En récompense du service qu'il avait rendu avec le consentement des principaux chefs visigoths, il garda en propriété souveraine les terres de Provence appartenant aux Visigoths et il gouverna le Languedoc, au nom de son petit-fils, avec promesse de le lui rendre lorsqu'il serait en âge de gouverner lui-même.

Voilà comment Théodoric devint roi de la partie de la Provence que nous habitons.
Il était maître de toute l'Italie, d'une partie de l'Espagne, de la Gaule, etc., et il s'allia aux Francs, en épousant une soeur de Clovis.
Pendant son règne, qui dura trente-trois ans en Italie et dix-huit ans en Provence, il ne négligea rien pour rendre ses peuples heureux et, quoique arien comme ses sujets, il fit généralement respecter la liberté des catholiques.
La cruauté du barbare ne reparut en lui que vers la fin de sa vie, lorsque, sur de simples soupçons, il fit mourir Boèce et Symmaque dans les tourments, mais il paraît qu'il en mourut de douleur.

Cassiodore, qui fut successivement secrétaire et ministre de Théodoric, raconte, de la sollicitude de ce prince pour assurer le bonheur de ses sujets, un trait remarquable
Note (6)
qui ne peut être passé sous silence dans l'histoire d'Allos.
Note (7)
Alors, comme aujourd'hui, des troupeaux nombreux passaient la saison d'été dans nos montagnes des Alpes et l'hiver dans les environs d'Arles ou dans d'autres endroits de la basse Provence. Or, dans ces temps troublés, il n'y avait de sécurité ni pour ces troupeaux, ni pour les hommes qui les conduisaient. On volait souvent les bêtes à laine et on tuait les bergers. Le puissant roi des Ostrogoths, devenu notre roi, fut donc prié d'empêcher ces désordres, et il ne fut pas sourd à la prière de ses nouveaux sujets. Par ses ordres, un nommé Frédebond, Fridibundus, reçut des pouvoirs très étendus, soit pour prévenir le mal, soit pour le punir. Il concentrait en sa personne l'autorité des juges, des commissaires de police et des gendarmes d'aujourd'hui.

Théodoric mourut à Ravenne, en 526, laissant ses états à Athalaric, son petit-fils, âgé de 8 ans. Ce jeune prince prit les rênes du gouvernement, sous la régence de sa mère Amalasonte, princesse vertueuse et d'une intelligence cultivée. Athalaric étant mort, après huit ans de règne, Amalasonte épousa son cousin Théodat, fils d'une soeur de Théodoric. Ce fut un malheur pour elle et pour ses Etats ; Théodat, vicieux et cruel, la fit étrangler en 536. La punition suivit de près le crime ; pendant qu'il négociait avec les rois de France, Théodebert, Childebert et Clotaire, leur offrant la cession de la Provence et 20.000 écus d'or, pour obtenir leur intervention armée contre Bélisaire, général de Justinien, empereur d'Orient, il fut détrôné par les chefs goths et mis à mort en 536, avant d'avoir reçu la réponse définitive des rois francs. Vitigès, qui lui succéda, renouvela ses propositions, et la Provence, en cette même année, passa sous la domination française.

L'Empereur Justinien, faisant également cession de ses droits sur la Provence, approuva le traité pour s'attacher les rois francs et les détourner d'une diversion qu'ils pouvaient faire en Italie en faveur des Ostrogoths.

On avait alors chez nous des monnaies frappées au coin de l'empereur, mais il y avait en même temps des sous d'or des Goths, appelés sols d'or alaricains.

Avec le départ des Ostrogoths, finit la première période des invasions des barbares du nord en Provence. La deuxième période comprend la domination des Francs et les invasions des Lombards et des Saxons.

6.Aux termes du traité conclu entre les Ostrogoths et les rois francs, ces derniers avaient à partager la somme d'argent donnée et les terres de Provence, comme bon leur semblerait. Il paraît que Théodebert eut la plus grande partie de la Provence, soit par ce traité, soit par ce qu'il possédait déjà ; que Childebert eut au moins la ville d'Arles et les environs, et que Clotaire fut dédommagé en recevant une plus grande somme d'argent. D'ailleurs, ce roi, comme nous le dirons bientôt, allait devenir maître de toute la Provence et de tout le royaume des Francs.

Bien que toutes ces affaires eussent été réglées en 536, en fait, les Francs ne prirent possession de nos pays qu'en 537, et c'est ce qui nous fait comprendre pourquoi les historiens ne sont pas d'accord sur ces dates. " Les Goths (Ostrogoths), qui étaient aux garnisons de Provence, dit Honoré Bouche, sortirent en 537, pour faire place aux soldats des rois de France. "

La domination française, qui commençait en cette année, dura jusqu'au couronnement du comte Bozon, en 879, par conséquent pendant 342 ans. Elle se divise aussi en deux périodes : la période mérovingienne ou barbare, et la période carlovingienne ou civilisée. Nous n'avons à nous occuper que de la première, dans ce chapitre, en donnant les noms des principaux rois mérovingiens qui furent nos rois, depuis 537 jusqu'en 752, c'est-à-dire pendant 215 ans.

Théodebert (537-550), Théodebal (550-555) et Clotaire Ier (555-561) possédèrent la Provence orientale, c'est-à-dire la partie de la haute Provence que nous habitons
Note (8)

Gontran eut en partage la Bourgogne, Orléans et la partie orientale de la Provence (561-593). Pendant son règne, comme nous le verrons bientôt, les Lombards et les Saxons envahirent la Provence. Mommol, son général, infligea une sanglante défaite aux Lombards, dans le diocèse d'Embrun, et il battit les Saxons à Estoublon, dans le diocèse de Riez. Converti par un prêtre dont les vertus et les miracles édifiaient toute la Bourgogne, Gontran fut l'objet d'une telle transformation morale, dans les dernières années de sa vie, que le martyrologe romain le place au nombre des Saints et fixe sa fête au 28 mars, jour de sa mort.

Childebert II, son neveu, fils de Sigebert et de Brunehaut, lui succéda, en vertu du traité d'Andelot, comme roi de Bourgogne, de la haute Provence, etc . (593-596).

Thierry II (596-613), Clotaire II (613-628) et Dagobert, ami de saint Eloi (628-638), furent ensuite rois de Bourgogne et de toute la Provence.

Après Dagobert commence la série des rois fainéants, ainsi nommés parce qu'ils abandonnèrent le gouvernement de leurs Etats entre les mains des Maires du Palais. Quoiqu'ils aient été nos rois, je ne citerai pas même leurs noms, celui de Childebert III excepté, parce qu'il fut le dernier de la race des Mérovingiens et le dernier barbare parmi nos rois. Il fut déposé en 752 et remplacé par Pépin le Bref, qui fut sacré, à Soissons, par saint Boniface, archevêque de Mayence.

7. Un célèbre solitaire du VIe siècle, saint Hospice, pour s'approcher du ciel et s'isoler des iniquités de la terre, avait fixé son séjour au sommet d'une vieille tour, en face de la mer, non loin de Nice. Du haut de ce donjon, il fit entendre un jour ces paroles prophétiques aux populations qui venaient en foule écouter ses enseignements évangéliques :
" Les Lombards viendront dans la Gaule et ils dévasteront sept villes, parce que le peuple s'est fortifié dans le mal, parce qu'il n'y a plus personne qui pense au bien et le fasse
Note (9)

Et, en effet, les Lombards arrivèrent. Ils étaient peut-être plus cruels encore que les barbares qui les avaient précédés. Leurs multiples incursions en Provence eurent lieu sous le règne de nos rois Gontran et Sigebert. En 568, ils passèrent pour la première fois les Alpes et ravagèrent la basse Provence. En 570, ils se précipitèrent comme un ouragan du haut du mont Genèvre sur l'Embrunais, le Gapençais et les autres pays de la haute Provence, vainquirent en bataille rangée l'armée de Gontran, tuèrent le patrice Amat, qui la commandait, et emportèrent, au delà des monts, un immense butin.

Enhardis par ce succès et par l'amour du pillage, ils ne tardèrent pas de revenir pour la troisième fois ; mais Ennius Mommol, le fameux comte d'Auxerre, avait succédé au patrice Amat ; il les enveloppa, leur coupa la retraite, les tua en grand nombre et envoya les prisonniers au roi Gontran. Saint Grégoire de Tours (liv.IV, 42) et Wenefride, diacre d'Aquilée, mieux connu sous le nom de Paul Diacre (liv.III,c.4), appellent l'endroit où fut remportée cette victoire Muscias Calmes.

Les auteurs ne sont pas d'accord pour désigner cet endroit : quelques-uns placent ce fait d'armes à Chamousse, à l'est d'Embrun ; MM. Charonnet et Longnon, au plan de Berbeno, aujourd'hui plan de Fazy ; d'autres enfin, avec M. Roman, de Gap, et M. Feraud, historien des Basses-Alpes, prétendent que Mommol a battu les Lombards près de Gleysoles, dans la vallée de Barcelonnette, appelée autrefois vallée de Mucio, Mucii ou Muncii.

La quatrième et dernière irruption des Lombards en Provence eut lieu vers l'an 576, sous la conduite de trois chefs : Amon, Zaban et Rhodan.

" L'armée d'Amon, dit Papon (t.II, P.61), ayant traversé le mont Genèvre, se répandit comme un torrent dans toute la haute Provence. " Elle ravagea, par conséquent, les diocèses d'Embrun, de Gap, de Sisteron, de Digne, de Senez, etc.
Allos, qui n'avait peut-être pas subi les autres incursions de ces barbares, ne put échapper à la dernière. Cette armée guerroya ensuite sur les bords du Rhône et dans la partie basse de la Provence, tandis que le terrible général Mommol battait Rhodan et Zabon, sur les bords de l'Isère et ailleurs. Amon, qui avait porté la terreur et la dévastation jusqu'à Nice, craignant d'être poursuivi et enveloppé par Mommol, voulut reprendre le chemin de l'Italie, faisant marcher devant lui les hommes et les bestiaux qu'il avait enlevés ; mais la quantité de neige qui couvrait les montagnes des Alpes l'obligea à abandonner son butin et lui permit à peine de passer avec ses troupes.

Les Alpes devinrent un désert , dit Albert (Histoire du diocèse d'Embrun, p.41). Les habitants qui n'avaient pas pris la fuite furent massacrés. Ceux qui, pour éviter la fureur des barbares, s'étaient retirés sur les montagnes périrent de faim et de misère, dans les bois et parmi les rochers où ils s'étaient cachés. " Telle fut l'invasion des Lombards, qui coïncida pour ainsi dire avec celles des Saxons, dont nous allons parler.

Ces barbares, qui étaient venus en Italie aux secours des Lombards, voulurent avoir part au riche butin que ceux-ci apportaient de leurs incursions au-delà des Alpes. Ils entrèrent en Provence, d'après Honoré Bouche, "  par le mont Genèvre, Embrun, Seyne et Digne, ou bien peut-être par le marquisat de Saluces, par Barcelone (Barcelonnette) et Colmars, long (suivant) les rivières du Verdon et celle de l'Asse..., puisque les deux historiens Grégoire de Tours et Paul Diacre assurent qu'ils vinrent à Estoublon ". L'auteur de l'Histoire de Barrême va plus loin et il affirme sans hésiter que les Saxons, arrivés par Saluces, Barcelonnette, Allos et Colmars, s'établirent à Estoublon, d'où ils infestaient les contrées voisines. On pourrait peut-être concilier les deux opinions, en disant que l'invasion saxonne, prévoyant qu'elle pourrait manquer de vivres dans des pays dépourvus de ressources, se divisa en deux parties, dont l'une passa par Seyne et Digne, et l'autre suivit les vallées du Verdon et de l'Asse.

Quoi qu'il en soit, les Saxons étaient tous réunis à Estoublon, lorsqu'ils rencontrèrent l'armée du roi Gontran. Le choc fut terrible, et le général Mommol fit un horrible carnage de ses ennemis.
Note (10)
Le combat ne cessa que par suite de l'obscurité de la nuit, et il allait recommencer le lendemain, lorsque les barbares, affaiblis par les pertes qu'ils avaient faites, consentirent à rendre tout ce qu'ils avaient pris, à délivrer tous les captifs, s'il leur était permis de retourner librement en Italie. Mommol accepta cette condition, et ce fut la fin de cette campagne.

A peine étaient-ils arrivés chez eux, qu'ils décidèrent de se soustraire définitivement à la domination des Lombards.

Ils partirent donc avec leurs femmes, leurs enfants et leurs bagages, pour se rendre dans leur pays d'origine, mais en passant malheureusement par la Provence, parce qu'elle leur était bien connue. Comme ils étaient très nombreux, ils traversèrent les Alpes, les uns du côté de Nice, les autres vers Embrun. Leur rendez-vous était à Avignon, et ils avaient choisi cet endroit parce qu'étant sujets du roi Sigebert, en ses terres d'Allemagne, ils croyaient avoir meilleur accueil et plus assuré passage en ce terroir d'Avignon, qui appartenait à ce roi. " Mais, avant d'y arriver, ils firent d'incroyables dégâts par toute la Provence.Gens illa dit Grégoire de Tours (lib.VI,cap.6) vastat cuncta quoe reperit .
Note (11)
Ils se dirig&egravNote e;rent ensuite vers l'Auvergne, lorsque Mommol leur fit payer, au passage du Rhône, plusieurs milliers d'écus pour les dégâts qu'ils avaient faits en Provence.

Honoré Bouche croit que ces barbares brûlèrent et rasèrent Cimiez, ancienne capitale des Alpes-Maritimes. Mais Sigone, dans son Histoire du royaume d'Italie (liv.I), M. l'abbé Dufaut, auteur de l'Eglise de Nice, etc., attribuent avec plus de raison la destruction de cette ville aux Lombards (576-577), car elle est une des principales cités que ces barbares devaient ruiner, d'après la prophétie de saint Hospice.

Un autre fléau vint ajouter ses désastres à ceux de la guerre.
La peste ravagea quatre fois la Provence pendant le VI siècle et mit le comble à la désolation, en dépeuplant un grand nombre de villes et de villages.
C'est ce qui explique la rareté des documents historiques de cette époque.

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(1) Saint Jérôme, lettre 123e.
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(2) Papon dit, en parlant des diocèses d'Embrun, de Sisteron, de Gap, de Digne, de Senez, etc., "qu'ils étaient déjà sous la puissance des Bourguignons depuis l'an 474". Il partage donc l'opinion de ces historiens.
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(3) C'est Papon qui parle ainsi et il ajoute:"Cela prouve que la servitude de la glèbe était déjà établie dans cette partie de la Gaule avant l'arrivée des Bourguignons." (Histoire de Provence,t.II,p.42)
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(4) M. Longnon, la Gaule au VIe siècle,p.46.
M. l'abbé Guillaume,archiviste à Gap,Notes,t.I,p.475 de l'Histoire des Alpes-Maritimes, par Fournier.
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(5) Epitre VI,liv.II (Patrologie latine,t.LVIII,col.571.)
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(6) Lettres de Cassiodore sur l'histoire des Goths,livre IV,lettre 49.-Cassiodore fut ministre de Théodoric, d'Amalasonte, de Théodat,etc.
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(7) Allos possède,en effet,de belles montagnes pastorales, dont une seule,le Laus,nourrissait autrefois un troupeau de six mille bêtes à laine.Cette montagne,ainsi que celles du Vallonnet,de Talon et de Preinier ont été vendues, en 1894, à l'administration du reboisement.
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(8) Clotaire Ier devint roi de toute la Provence et même de toute la France, en 558.
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(9) Venient in Galliam Longobardi et vastabunt civitates septem.- Voir Paul Diacre,In Hist. Longobardorum,lib.II,cap.28.D'après plusieurs auteurs, Embrun,Gap,Avignon,Arles,Fréjus,Cimiez et Glandèves sont les sept villes désignées par saint Hospice.
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(10)Mummulus...multos ex eis interfecit ac, donec nox finem faceret, coedere non cessavit (Paul Diacre)
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(11) Histoire de Provence, par Honoré Bouche,t.Ier,pp. 667-668.Retour
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Choix de Lecture

CHAPITRE VI.

1.Les invasions des Sarrasins en Provence, divisées en trois périodes.

2.Leurs conquêtes en Espagne et dans le Midi de la France.

3.Ils ravagent la vallée du Rhône avant la bataille de Poitiers.

4.Ils s'emparent de la Provence, en 737, par la trahison de Mauronte.

5.Première expédition de Charles Martel en Provence ;
nouveaux massacres après son départ.


6.Charles Martel et Luitprand délivrent la Provence.

7.Les habitants d'Allos réfugiés à Saint-Pierre ;
leur église paroissiale et leur cimetière en ce lieu.

(711- 739.)

 

1. Les Arabes, qui depuis leurs conquêtes en Afrique, sont appelés Maures ou Sarrasins, envahirent la France au VIIIe siècle, pour y établir leur domination, comme ils l'avaient établie en Espagne.

Leurs invasions en Provence durèrent ou se renouvelèrent pendant trois longs siècles, et on les divise en trois périodes distinctes
Note (1) dont la première et la troisième sont les époques les plus lugubres de notre histoire.

1° Appelés par le traître Mauronte, ils passèrent le Rhône et essayèrent d'ajouter la Provence à leurs possessions du midi de la France. Il fallut que Charles Martel vint deux fois des frontières de la Saxe pour nous délivrer du joug musulman. C'est, a-t-on dit avec raison, l'époque des grandes armées et des grandes batailles.

2°. Sous les premiers rois carlovingiens, les Maures, voyant qu'ils ne pouvaient détacher la Provence du royaume de Pépin et de Charlemagne, entreprennent de la ruiner par des courses rapides. Ils débarquent à l'improviste dans la Camargue, à Marseille, à Nice, etc., pillent les villes et les campagnes et disparaissent, après avoir rempli leurs vaisseaux légers d'esclaves et de butin.

3°. Enfin, à l'origine du royaume de Provence, dès les premières années de Louis l'Aveugle, peut-être même du vivant de Bozon (879-888), les Sarrasins s'emparent des montagnes des Maures (Fraxinet), s'y fortifient, appellent des renforts d'Espagne et, profitant des divisions et des discordes civiles qui déchiraient le pays, s'y établissent pour un siècle. Cette dernière période est celle des plus grands malheurs de la Provence. De la mer aux montagnes de la Suisse, elle fut ravagée et devint un véritable désert, que les bandes incendiaires parcouraient librement.

Les événements de la deuxième période, ayant eu lieu surtout sur le littoral, sont en général étrangers à nos montagnes et, par conséquent, à l'histoire d'Allos. Je n'ai donc à m'occuper que des deux grandes invasions sarrasines du VIII° et du X° siècle, dont la première fait l'objet du présent chapitre et la deuxième celui du chapitre suivant.

2. En 711, les Maures passèrent le détroit de Gibraltar et, en huit mois, dit un historien, ils s'emparèrent de l'Espagne, qui ne put s'affranchir de leur domination qu'après huit siècles de résistance et de combats.

En 718, ils parcouraient la Septimanie, c'est-à-dire le midi de la France, depuis les Pyrénées jusqu'au Rhône. De 729 à 732, ils traversaient le Rhône et ravageaient une partie de la Provence, mais en se dirigeant vers le nord et sans s'écarter de la vallée de ce fleuve.

3. Ainsi une armée sarrasine remontait le Rhône, tandis que le gros de l'invasion barbare arrivait, par l'ouest, dans les plaines de Tours, où ces deux armées devaient n'en faire qu'une.

De leur côté, Eudes, duc d'Aquitaine, et Charles Martel se réunirent non loin de Poitiers, et c'est là qu'allait se décider le sort de notre patrie. La bataille eut lieu en octobre 732 ; les Sarrasins furent complètement vaincus, et Abdéramane, leur chef, fut trouvé parmi les morts. La Victoire de Poitiers sauva la France, l'Europe et la civilisation.

4. Cependant les Sarrasins possédaient encore la Septimanie, leur première conquête en France, et ils marchèrent de nouveau vers la Provence, qui leur fut livrée par l'infâme Mauronte, préfet de Marseille. Les villes d'Arles, de Saint-Remy, de Tarascon, d'Avignon, de Cavaillon, d'Apt, etc., tombent en leur pouvoir. Ils ravagent toutes les contrées environnantes, profanant les lieux saints, souillant les monastères, livrant aux flammes le butin qu'ils ne pouvaient pas emporter, prenant comme esclaves les hommes, les femmes, les enfants, et les transportant en Espagne.

Les villes et autres lieux qui eurent particulièrement à souffrir de leur cruauté et de leur brutalité sont : Avignon, où ils commirent mille dégâts ; Arles, où ils égorgèrent les habitants ; Aix, qu'ils dépeuplèrent par le fer et le feu ; Cimiez, qui fut ensevelie sous ses ruines ; l'île de Lérins, où cinq cents religieux furent massacrés, avec saint Porcaire, leur supérieur ; le monastère de Marseille, où sainte Eusébie et ses quarante religieuses se coupèrent le nez et se firent de profondes blessures au visage, afin de ne pas subir les plus humiliants outrages.
Ces courageuses vierges furent massacrées, comme les moines de Lérins, et remportèrent la palme de la virginité et celle du martyre. Mais détournons nos regards de toutes ces horreurs, pour les tourner vers le libérateur qui vint au secours de l'humanité outragée.

5 Charles Martel était dans le Nord, où il guerroyait contre les Frisons, les Saxons, etc., lorsqu'il apprit ces nouveaux brigandages, et il prépara aussitôt son départ pour le midi. Childebrand, son frère, le précéda et vint mettre le siège devant Avignon, dont les barbares avaient fait leur place d'armes. Charles arriva bientôt et emporta la ville d'assaut. Il s'empara ensuite des autres villes de la Provence, tombées au pouvoir de l'ennemi, fit main basse sur tous les Sarrasins qu'il y trouva et obligea les autres et le traître Mauronte lui-même à fuir vers les montagnes, où ils continuèrent leurs barbares dévastations.

Afin d'infliger le même châtiment aux Sarrasins du Languedoc, l'armée française se dirigea vers cette région, comme un torrent impétueux qui renverse tout sur son passage.
Les fortifications des principales villes du midi furent rasées, pour que les infidèles n'eussent plus la facilité de se cacher derrière leurs remparts.
L'archéologie moderne reproche à Charles d'avoir pris ce parti extrême ; mais, s'il ne l'avait pas pris, dit un historien, il n'y aurait plus en France d'autres archéologues que des musulmans. Narbonne ne fut pas démantelée.
Cette ville, boulevard des Sarrasins dans le Midi de la France, était assiégée par Childebrand, pendant que son frère taillait en pièces une armée qui venait à son secours ; mais, comme le siège traînait en longueur, les Français, quittèrent la Septimanie, pour se diriger vers le nord, où les Saxons s'étaient révoltés.

Ces événements avaient lieu en 737, d'après le continuateur de Frédégaire, qui a écrit sous l'inspiration de Childebrand lui-même, et selon la chronique de Fontenelle, dont l'auteur vivait à peu près à la même époque. Cette date est très importante pour l'histoire d'Allos et de tous les pays qui se trouvent à gauche de la Durance, parce qu'elle nous fait connaître le commencement des ravages de Mauronte et de ses partisans, dans cette région.

En effet, les Sarrasins qui n'étaient pas tombés sous la main des soldats de Charles Martel cherchèrent un refuge dans les montagnes, de telle sorte que Mauronte, selon la remarque de M. de Rey, était "maître du pays entre la Durance et la mer", même avant le départ de l'armée française pour le Languedoc. Il posséda donc les vallées de l'Ubaye, de la Bléone, du Verdon, etc., et là surtout les féroces envahisseurs, qui le suivaient, pouvaient se livrer impunément au meurtre et au pillage, aucune résistance sérieuse ne pouvant être organisée contre eux, dans des localités attaquées à l'improviste et possédant peu d'habitants. Honoré Bouche ne fait pas même la restriction de M. de Rey et il affirme que, deçà et delà la Durance, tout fut au pillage et à la merci de ces barbares, qui brûlaient les temples et les documents anciens des églises, détruisaient les villages, etc.
Albert, dans son Histoire du diocèse d'Embrun, parle comme Honoré Bouche.
Barcelonnette et le diocèse de Senez eurent beaucoup à souffrir, pendant cette première invasion des barbares africains.
"Il fallut le vainqueur de Poitiers pour les chasser des Alpes, dit un auteur de nos jours, mais la vallée de Barcelonnette n'en avait pas moins été dépeuplée
Note (2) .
M. Feraud ajoute qu'à cause de cette dépopulation cette vallée fut appelée Vallée Noire
Note (3).
L'auteur de l'Histoire du diocèse d'Embrun lui avait déjà donné ce nom.

"Le catalogue des évêques du Diocèse de Senez se trouve interrompu, dit Fisquet
Note (4); c'est l'époque de l'invasion des Sarrasins.
Ces fanatiques sectateurs du Coran brûlaient les villes, les églises, les monuments historiques écrits avec la pierre ou sur les parchemins.
Les habitants de Senez auront été dispersés, la ville dépeuplée et la série des évêques interrompue...
C'est ici qu'il faut prendre la contrepartie du vieil adage :
"Heureux les peuples qui n'ont point d'histoire !".

Allos subit le malheureux sort de Barcelonnette, de Senez, etc., et nous dirons bientôt ce que firent nos pères pour prévenir le retour des bandes de Mauronte.

Cependant ces barbares, voyant qu'ils avaient épuisé par leurs rapines les ressources des malheureux habitants de nos montagnes et sachant, d'ailleurs, que l'armée française du duc d'Austrasie était de nouveau occupée dans le nord contre les Saxons, se dirigèrent vers le midi de la Provence. Ils mirent à feu et à sang tout le pays, jusqu'à Arles.
Note 5

6.Charles Martel se dirigea de nouveau vers la Provence, précédé comme la première fois, par son frère Childebrand. Pour que cette deuxième expédition eût un résultat plus complet et plus durable que la première, il demanda le concours de Luitprand, roi des Lombards, dont les Etats comprenaient tout le Piémont.

Ce prince, qui commandait aussi son armée en personne, se mit aussitôt en marche vers les Alpes.

Les deux armées, opérant simultanément, l'une sur le versant oriental de ces montagnes, l'autre sur le versant occidental, et descendant ainsi jusqu'aux rivages de la Méditerranée, chassèrent les Sarrasins de nos montagnes, les poursuivirent jusqu'aux bords de la mer, où ces infidèles furent exterminés ou faits prisonniers. Ceux d'entre eux qui purent échapper au fer des vainqueurs allèrent rejoindre les Sarrasins du Languedoc.

Dans cette guerre, l'armée de Luitprand a-t-elle opéré exclusivement sur le versant italien, ou bien a-t-elle étendu ses opérations dans la partie montagneuse des Alpes françaises et provençales ?
Plusieurs auteurs sont favorables à cette dernière opinion. Papon dit nettement que, tandis que les Français chassaient les ennemis de la basse Provence, c'est-à-dire de la vallée du Rhône, de Marseille et d'ailleurs, les Lombards poursuivaient les troupes de Mauronte dans les montagnes, et Fournier, auteur de l'Histoire des Alpes-Maritimes, certifie que Luitprand passa à Embrun, qu'il y logea, rendit cette ville à la liberté et, de là, alla se joindre à Charles Martel. Dans ce cas, les Lombards, qui, deux siècles auparavant, avaient parcouru les Alpes en dévastateurs et en barbares, les auraient visitées en soldats civilisés et en libérateurs, et ils auraient été reçus comme tels par nos pères, dans les vallées de Barcelonnette, de Seyne, de Digne, du Verdon du Var, etc.

L'infâme Mauronte se retira avec quelques bandes sarrasines dans les forêts impénétrables situées entre Hyères et la rivière d'Argens et qui portèrent, depuis cette époque, le nom de Maures.

D'autres infidèles avaient sans doute également échappé à la poursuite des armées libératrices et trouvé un refuge dans nos montagnes plus facilement que dans les collines du bord de la mer, car il est impossible qu'une armée visite tous les étroits défilés, tous les sommets escarpés, toutes les anfractuosités des Alpes. De là, comme des montagnes des Maures, ils descendaient dans les villages isolés et ils continuaient ainsi leur vie de brigandage.
Plus tard, ils s'établirent sur les terres dont ils s'étaient emparés et contractèrent même des alliances avec les légitimes possesseurs.

Cependant la Provence était délivrée, l'autorité française rétablie, et Charles Martel, emportant la reconnaissance et l'admiration de tous ceux qui lui devaient leurs biens, la paix et la liberté, reprit le chemin de l'Austrasie, où il mourut deux ans après (741).
Note (6)

La première invasion des Sarrasins dura deux ans, dans la vallée du Rhône, à Aix, à Marseille, etc. Elle fut de plus courte durée chez nous, car ces barbares n'envahirent les montagnes qu'après avoir été refoulés par la première armée française, et, pour la plupart, ils descendirent vers Arles, dès qu'ils surent que cette armée était retournée dans le nord, au-delà du Rhin. Dans ce peu de temps, ils ruinèrent entièrement nos pays, comme nous l'avons déjà dit, et ils le dépeuplèrent.

Un de nos principaux historiens résume en ces termes, d'un navrant laconisme, leurs ravages dans les villes et dans les villages, dans les plaines et dans les montagnes :

"Nous regrettons encore aujourd'hui, dit-il, les actes publics et les monuments littéraires qu'ils livrèrent aux flammes, avec les églises et les monastères où ils étaient déposés. De là, vient que l'histoire de ces siècles est enveloppée d'épaisses ténèbres ; elle ressemble à la campagne de la province, qui n'offrait aux yeux du spectateur que l'horreur d'un vaste désert. Si, du sein de ce chaos, il s'échappe quelques rayons de lumière, ce n'est que pour nous montrer le triste spectacle de l'humanité outragée. "

" Il faut encore attribuer à ces brigandages l'ignorance où nous sommes sur la position des anciens lieux, qui répondait à la description que les auteurs romains avaient faite de la Provence, et, en particulier, ce que nous lisons dans l'itinéraire d'Antonin : La plupart des bourgs furent détruits, et les habitants périrent par le fer, ou par le feu, ou par la maladie, ou par la faim. La dépopulation fut si grande qu'on ne pensa plus à les rétablir, et quand des temps plus heureux commencèrent, le souvenir des désastres passés fit abandonner les lieux qui en avaient été le théâtre. On se dit que les hauteurs et les endroits escarpés seraient une retraite plus sûre contre les attaques des ennemis, ou contre la surprise des brigands. "

Tel était, d'après Papon ,
Note 7 l'état de tous les pays de la Provence, à la fin de la première invasion des Sarrasins.

7. C'est ici que trouve naturellement sa place le récit de ce que firent les habitants d'Allos, pour échapper au danger.

Il est certain qu'une fois au moins ils se sont retirés sur la colline de Saint-Pierre, un des contreforts du pic appelé Rochegrand, afin d'y trouver la sécurité qui n'existait plus pour eux ailleurs.

En effet, dans un procès-verbal de l'an 1699 , Mgr Soanen, évêque de Senez, dit qu'après avoir fait la visite épiscopale de l'église paroissiale et des chapelles du chef-lieu, il visita les chapelles foraines ou rurales, en commençant par Saint-Pierre, ancienne paroisse.

La tradition dit également qu'il y avait un cimetière à côté de cette chapelle, et la tradition est ici appuyée sur l'usage immémorial de chanter, chaque année, le jour de la fête de saint-Pierre, à l'issue de la messe, un Libera pour les morts qui reposent dans ce cimetière. Ces morts sont très nombreux, puisque l'action du temps , en corrodant peu à peu le petit plateau, surtout du côté du levant, met sans cesse à découvert des ossements humains..

Il y a donc eu en cet endroit une agglomération d'habitations, à l'occasion d'une ou de plusieurs calamités publiques. Or, après avoir étudié avec soin les traditions locales et ce que disent les historiens provençaux de la première invasion musulmane, j'estime que nos pères ont cherché, pour la première fois, un refuge à saint-Pierre, pendant cette invasion. Le quartier est aujourd'hui tellement dénudé par les orages qu'il ne conserve plus que quelques rares vestiges des murailles qui l'entouraient autrefois. Longtemps après les Sarrasins, deux tours le défendaient : l'une, au levant, près du bois de Vacheresse ; l'autre, au couchant, sur la rive gauche du torrent de Bouchiers, et dont on voit encore les premières assises dans un champ nommé la Tourré, qui fait partie de la campagne de la Basse-Collète. Ces tours ont été construites probablement lorsque le vicomte de Turenne ravageait la Provence, ou à l'époque des guerres de religion, car la distance qui les sépare des anciennes murailles, qu'elles devaient défendre, nous prouve qu'elles n'existaient pas avant l'invention de la poudre à canon
Note (8)

Au pied de la colline de Saint-Pierre, à côté du chemin d'Allos à Bouchiers, il y a un champ qui porte un nom de souffrance et d'effroi ! Pourouns, lous Pourouns ! Ce nom doit, vraisemblablement, son origine aux angoisses de nos ancêtres, exposés à mourir de privations, derrière leurs murailles de défense, ou à tomber entre les mains de leurs ennemis, en allant à la recherche d'un peu de nourriture.

Plus loin, en aval et sur la rive gauche de Bouchiers, il y avait, dit-on, une agglomération d'habitations. Si, comme l'affirme la tradition, un village a existé en cet endroit, appelé encore aujourd'hui les Charrières, il a dû être bâti à cette époque. En descendant du plateau de Saint-Pierre, nos pères n'auront pas voulu s'en éloigner, soit parce qu'ils y laissaient leurs morts et leur église paroissiale, soit pour y retourner plus facilement, au premier signal du danger, soit enfin à cause de la répugnance qu'ils avaient pour habiter de nouveau leur ancien chef-lieu, qui leur rappelait probablement de si tristes souvenirs.

Ce chef-lieu était probablement là où est actuellement Allos, car cet endroit est d'un accès facile, au centre de la vallée et susceptible d'être fortifié.
Ces avantages durent y attirer de bonne heure les Gallitae, qui habitaient le pays depuis dix huit siècles, au moment où eut lieu la première invasion sarrasine.

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(1) Ce sommaire appartient à M. de Rey,dont l'ouvrage sur les "invasions des Sarrasins en Provence", pendant les VIIIe, le IXe et le Xe siècle, est très estimé.
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(2) Joanne,Géographie des Basses-Alpes,P.24.
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(3) Histoire et Géographie des Basses-Alpes, p.16
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(4) Auteur de la France pontificale, Histoire des Archevêques et Evêques de France; Diocèse de Senez,
pp.199-200
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(5) Histoire de Sisteron, par M. de Laplane.
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(6) On reproche cependant à ce grand capitaine d'avoir récompensé ses troupes en leur donnant des terres et des revenus appartenant aux églises et aux monastères, et d'avoir fait sacrer évêques plusieurs de ses guerriers. Ce qui l'excuse, jusqu'à un certain point, c'est la nécessité où il se trouvait de s'attacher son armée, qui le suivait avec tant de fidélité du nord au midi pour le bon combat. Ce procédé fut cependant une faute grave, dit Amédée Gabour (Histoire de France,t.I,p.203.)
Ajoutons qu'il fut une des causes du triste état des diocèses de France et, en particulier, de notre diocèse de Senez, où l'interruption dans le catalogue des évêques est une des plus longues que l'on connaisse.
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(7)Histoire de Provence.t.II,pp.80-81
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(8) Contrairement à l'ordre chronologique que je me suis imposé, je parle ici de ces deux tours, pour donner une idée plus complète de ce que fut Saint-Pierre comme refuge fortifié et pour ne pas être obligé de revenir sur cette question.
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Choix de Lecture

CHAPITRE VII

1.Les Sarrasins s'établissent au Fraxinet, d'où ils ravagent toute la Provence.

2.Ils se dirigent de préférence vers les montagnes, les uns par le Var et le Verdon, les autres par la Durance et l'Ubaye.

3.Vestiges de leur séjour dans la haute Provence ; une tombe sarrasine à Allos.

4.Ils perdent et reprennent le Fraxinet, pendant le règne du roi Hugues.

5.Etat lamentable de Barcelonnette, d'Allos et de toute la Provence.

6.Sa délivrance par le comte Guillaume et ses lieutenants.

  (885-1000.)

 

1. -Les Sarrasins, se souvenant des défaites que leur avait infligées Charles Martel, se contentèrent, pendant plus de cent cinquante ans (737-885), de faire une guerre de surprise aux habitants du littoral provençal.

De 885 à 889, un événement, peu important en apparence, fut le commencement d'une occupation sarrasine, qui dura presque un siècle et s'étendit non seulement jusqu'au sommet des Alpes, mais jusqu'en Bourgogne, en Italie et en Allemagne.

Vingt pirates jetés par la tempête sur les rochers du golfe de Sambracie, aujourd'hui golfe de Grimaud, s'établirent sur les hauteurs escarpées du bord de la mer, s'y fortifièrent et en firent une position inexpugnable, connue sous le nom de Fraxinet.

Grâce à leur situation, au bord de la mer, ils reçurent, dans peu de temps, de nombreux renforts d'Espagne, et il en fut ainsi, dans la suite, pendant tout le temps de cette terrible invasion ou de cette série d'invasions. " Toutes les invasions suivantes, dit M. de Rey, prirent pied d'abord au golfe de Grimaud, et nous ne voyons trace nulle part que les Maures soient entrés en Provence, pendant ce siècle, par un autre point."

" Enfin, nous les verrons plus tard, quand les populations se soulevèrent contre leur domination, se retirer vers le Fraxinet, qui fut le dernier siège de leur puissance, comme il avait été le premier."

Les villages du golfe de Grimaud eurent les premiers à souffrir de leur voisinage. La ville de Fréjus fut détruite, et ses ruines demeurèrent sans habitants aussi longtemps que Fraxinet appartint aux Maures. Antibes et Nice subirent le même sort ; l'abbaye de Saint-Pons fut brûlée, et la Turbie transformée en forteresse musulmane. Toulon, Pontevès, Vence, etc., furent saccagés.

2.- Avant d'aller plus loin, j'emprunte encore à M. de Rey quelques détails utiles sur la marche des ravageurs de nos campagnes et de nos villes : " Maîtres du pays qui forme aujourd'hui le département du Var
Note(1), dit-il, et ayant épuisé sa richesse, ils portèrent leurs ravages plus loin. Ils avaient près d'eux la belle contrée qui s'étend jusqu'au Rhône, et ils ne négligèrent sans doute pas de la parcourir et de la piller ; cependant leurs plus grands efforts semblent d'abord avoir été dirigés vers la région des Alpes.

" Les défilés et les bois favorisaient la guerre de surprises; leurs bandes peu nombreuses tombaient, à l'improviste, sur des villages sans défense, et peut-être aussi les rivalités de communes, comme le raconte Luitprand
Note(2), leur permettaient de s'immiscer dans les querelles intestines. Dans le plat pays, au contraire, ils devaient opérer à découvert et ils rencontraient des villes importantes, comme Aix et Marseille, capables de résister à des troupes de pillards. Telles furent , sans doute, les raisons qui portèrent les Sarrasins à entreprendre la conquête des Alpes, avant d'occuper toute la région au sud de la Durance.

" La chute des évêchés de Glandèves et de Senez dut suivre de près celle de Vence. La vacance de ces trois sièges, pendant le X° siècle, ou du moins l'ignorance où nous sommes du nom de leurs évêques, est une preuve de la présence des Sarrasins."

3. - La présence de ces barbares dans le diocèse de Senez, c'est le pillage, c'est le meurtre dans la vallée de l'Asse et dans celle du Verdon
Note(3), jusqu'à Allos, car leurs bandes allaient partout,n'épargnant aucune ville, aucun village; bientôt tout le pays, au sud du Verdon, fut en leur pouvoir.

Pendant ce temps, d'autres Sarrasins remontaient la Durance et se dirigeaient également vers les montagnes des Alpes. Ils se signalèrent par la destruction de Riez, de Manosque et d'Apt, etc., et leur présence, dans cette dernière ville, en 896, nous donne une date importante pour l'histoire de leurs invasions dans la haute Provence.

Peu à peu, ils ravagèrent les diocèses de Sisteron, de Digne, de Gap et d'Embrun. En 916
Note(4) , cette dernière ville fut prise par trahison et la porte par laquelle y entrèrent les assiégeants a porté, depuis cette époque, le nom de porte sarrasine. L'archevêque saint Benoît fut massacré, avec les habitants de sa ville épiscopale. Saint Odilard, évêque de Saint-Jean de Maurienne, qui s'était réfugié chez saint Benoît, fut également massacré. Cet évêque et une partie de son peuple fuyaient devant d'autres barbares, les Hongrois, qui, à leur tour, traversèrent les Alpes, commettant partout des cruautés inouïes !

La simultanéité de cette invasion hongroise et de celle des Sarrasins portent M. Guillaume, archiviste de Gap, à croire que ces peuples barbares ont fait ensemble le siège d'Embrun.

La cruauté des Hongrois était telle que le même auteur se demande si elle "n'a pas donné lieu, dans nos pays, à la légende des Ogres", monstres imaginaires que l'on suppose se nourrir de chair humaine.

Par la prise d'Embrun, les Maures étaient maîtres de l'Embrunais, du Gapençais, de la vallée de Barcelonnette et de toute la Provence. Leur domination ne ressemblait pas à celle qu'ils exerçaient en Espagne, où ils avaient voulu établir un gouvernement régulier.Chez nous, ces féroces sectateurs de Mahomet étaient campés et, de préférence, sur les frontières, soit pour garder avec soin les défilés des Alpes, soit pour, arrêter et dévaliser les voyageurs.

"La très cruelle race des Sarrasins; dit un auteur de la Vie de saint Mayeul, arriva aux confins de l'Italie et de la Provence; et elle se livra à un affreux carnage sur les personnes de tout rang, de tout sexe et de tout âge, utriusque ordinis, sexûs et oetatis strages dedit".
C'est pourquoi la vallée de Barcelonnette a été occupée par eux pendant si longtemps et par des forces considérables.

Allos était, comme Barcelonnette, à la merci de la barbarie musulmane, quoique pour d'autres motifs.

Comme ce pays tient la tête de la vallée du Verdon et confine avec celle de l'Ubaye, il était exposé, à la fois, aux incursions des Sarrasins fixés dans cette vallée et aux attaques de ceux qui remontaient le Var et le Verdon. Il n'est donc pas étonnant qu'ils aient laissé dans notre territoire des vestiges de leur passage.
En effet, on a découvert, en 1878 une tombe sarrasine au Seignus-Bas, hameau d'Allos, dans la campagne des Guinans.

La Semaine religieuse de Digne a donné, le 4 septembre1881, d'intéressants détails sur cette découverte. Le corps avait les bras étendus et les jambes repliées
Note(5). La tombe était couverte de briques rouges à crochet, mesurait 50 centimètres de côté.
La première de ces briques couvrait la tête ; la deuxième, la partie inférieure du corps ; la troisième et la quatrième, les bras, et la cinquième, le milieu du corps.
Cette dernière, par ses crochets, en sens inverse des autres, les retenait et, par elles, jetait l'eau hors de la tombe. Il y avait à côté du corps un vase de terre qui a été brisé et dont on n'a pas même conservé les débris.

On se demande, en lisant ces tristes pages, de notre histoire ce qu'était devenue l'épée de Charles Martel.

Pourquoi le gouvernement de cette époque ne faisait-il pas marcher, contre ces barbares envahisseurs, une force armée suffisante pour les jeter, dans les flots de la Méditerrannée, qui nous les avaient apportés ?

Mais Pépin et Charlemagne n'étaient plus !
Leurs successeurs n'avaient hérité ni de leur génie, ni de leur courage.
Grâce à leurs divisions et à leur faiblesse, Boson, beau-frère de Charles le Chauve, détacha la Provence de la couronne de France et il en fut proclamé roi.
Ce royaume, qui devait être le salut de cette province, en fut le fléau parce que les successeurs de Boson, au lieu d'employer, leurs armées contre les Sarrasins, qui la ruinaient et la noyaient dans le sang, les engagèrent en Italie, dans des expéditions finalement aussi désastreuses pour eux que pour leurs sujets.

Les Maures du Fraxinet dirigeaient de préférence; avons-nous dit, leurs attaques contre les villages et les campagnes, mais il ne tardèrent pas de modifier leur tactique.
Ils attaquèrent les villes, même les plus importantes, comme Aix et Marseille, et ils les réduisirent à un tel état de détresse que l'évêque de cette dernière cité alla, en pleurant, demander à l'archevêque d'Arles du pain et des vêtements pour ses chanoines et pour son peuple.

4. - Vers 922, mourut Louis l'Aveugle, ainsi appelé parce qu'il avait eu les yeux crevés,en Italie, à l'âge de 25 ans. Il porta, comme son père, Boson, et son successeur, Hugues, le surnom de roi de Vienne, car cette ville était alors le séjour des rois de Provence.Leur autorité n'était réelle qu'à Arles, à Avignon et dans la vallée du Rhône ; ailleurs, ils ne régnaient que sur des ruines, sans cesse fouillées et renouvelées par de nouveaux barbares, qui ne cessaient de débarquer au golfe de Grimaud.

Le comte Hugues inaugura heureusement son règne par une victoire sur les Hongrois, qui descendirent la Durance et suivirent la voie romaine, passant à Alumniun (Notre-Dame des Anges), Céreste, etc., Comme ses prédécesseurs, il alla guerroyer en Italie, où il trouva aussi les Sarrasins; il comprit enfin qu'il fallait en finir avec eux et délivrer,à la fois, l'Italie et la Provence de ces barbares. Il décida donc de les attaquer avec toutes ses forces et avec le secours de l'empereur de Constantinople, pour les déloger de leur forteresse réputée imprenable.

En attendant l'arrivée de la flotte grecque et le retour de l'armée provençale, qui était en Italie, les villes et les villages de ses Etats envoyaient leurs contingents. Pour la région montagneuse, le rendez-vous était à Castellane; pour le centre, à Draguignan, et pour le sud, à Fréjus. Dès que la flotte de l'empereur de Constantinople fut arrivée, elle incendia les navires musulmans, en jetant sur eux du feu grégeois ; l'armée de terre s'ébranla, et le Fraxinet fut emporté d'assaut.

Malheureuseiuent, le roi Hugues, qui avait su vaincre, ne sut pas profiter de la victoire. Au lieu de poursuivre ses ennemis, il traita avec eux, les chargea de garder les défilés des Alpes, et il retourna en Italie avec son armée. Sa nouvelle expédition fut malheureuse; il revint en Provence et il alla mourir à Vienne, dans un monastère qu'il avait fondé

Les Sarrasins reprirent la forteresse du Fraxinet, et leurs nouveaux ravages, depuis Fréjus jusqu'à Embrun, furent tels qu'il faut renoncer à les décrire, status lugendus non describendus ! comme on dit des nations infidèles, assises à l'ombre de la mort. Ils saccagèrent surtout Fréjus, Grasse, Annot, Castellane, Taulanne et tout le diocèse de Senez.
Ce n'est qu'à la lueur de l'incendie, au bruit des armes ou aux cris des mourants, dit M. Guillaume, de Gap, dans ses Etudes sur les invasions sarrasines, que, pendant cette longue période, on peut suivre l'histoire de nos contrées,

5. - D'après Achard et M. de Rey, les Sarrasins "ont exploité les mines de fer de la Ferrière, près de Barcelonnette; ils y fabriquaient des armes, et l'on y retrouve encore le mâchefer de leurs forges
Note(6).
Les propriétaires actuels des terres de ce quartier, toujours nomméla Ferrière, savent par leurs ancêtres qu'on a, autrefois, extrait du fer de ces propriétés, qui se trouvent non loin de Saint-Pons, sur le bord d'un petit torrent appelé la Valette.
La tradition confirme donc parfaitement ici l'affirmation des historiens, et les malheureux habitants de la vallée de l'Ubaye, qui avaient pu échapper jusque là au glaive de leurs oppresseurs, les voyaient forger les armes dont ils allaient les frapper impitoyablement à la première occasion !

Il y avait également des mines de fer à Maurin
Note(7), L'histoire ne dit pas, il est vrai, si les Maures les ont aussi exploitées ; mais, quoi qu'il en soit, ils ont séjourné dans ce pays, puisqu'ils lui ont donné le nom qu'il porte encore aujourd'hui.

Rappelons enfin que la Maure, section d'Uvernet, rappelle d'une façon non douteuse, le souvenir de ces barbares
Note(8).

Qu'étaient devenus, de leur côté, les survivants de la population d'Allos, qui partagea toujours la bonne et la mauvaise fortune de Barcelonnette ? Ils avaient, sans doute, demandé un abri à l'anfractuosité des rochers de leurs montagnes, car comment auraient-ils pu recourir à d'autres moyens de défense; étant dépouillés de toutes ressources et réduits à un petit nombre ?
C'est probablement alors que le pic de Prachastel, Pratum Castellum, a été habité.

Les mots Castellum et Castrum indiquent, en effet, un lieu fortifié.
Or, à quelle époque de leur histoire les habitants d'Allos ont-ils eu un besoin aussi urgent de se réfugier sur une hauteur à peu près inaccessible ?
Note(9).

Il est vrai qu'en parlant ainsi je pose le pied sur le terrain mouvant des conjectures ; mais mes lecteurs conviendront avec moi, je l'espère, que ces conjectures trouvent un solide point d'appui dans l'effrayante description que les historiens les plus autorisés nous font de l'état de la Provence, pendant la dernière période de l'invasion musulmane. " Des villes importantes avaient été rasées les villages étaient détruits et les champs en friche. Les habitants qui avaient échappé au fer des envahisseurs erraient misérablement dans les forêts. Les bêtes fauves descendaient des montagnes dans les plaines ; des bandes énormes de loups attirés par les cadavres laissés sans sépulture, parcouraient librement les campagnes saccagées, dont ces monstres étaient les vrais maîtres après le passage des Sarrasins.
Note(10).

6.- La situation était depuis longtemps intolérable. Le pape Jean XII prêchait une sorte de croisade et engageait l'empereur 0thon Ier à marcher en personne contre les Sarrasins, lorsqu'un événementt, qui eut un douloureux retentissement en Europe, produisit un soulèvement général des opprimés contre leurs barbares oppresseurs. Saint Mayeul, célébre abbé de Cluny, natif de Valensole, tomba entre les mains de ces infidèles, en traversant les Alpes. Il fut maltraité et les religieux de Cluny n'obtinrent sa liberté qu'en payant une énorme rançon
Note(11).Sa délivrance fut le signal de celle de la Provence.

Le comte Guillaume prit courageusement la direction du mouvement. Il parcourut lui-même à cheval les villes et les bourgades de ses Etats, appelant le peuple aux armes et excitant la valeur de ses vassaux, dont les plus connus étaient le baron de Castellane, qui bravait la fureur des sectateurs de Mahomet du haut de sa ville fortifiée, et Saint-Bevons, seigneur de Noyers, qui fit des prodiges de valeur à Pierre-Inipie et emporta d'assaut, plus tard le petit Fraxinet ou Fraxinet de Villefranche.

Tous répondirent à l'appel qui leur était fait. Les Maures du Fraxinet, attaqués de toutes parts, furent vaincus et exterminés ou réduits en esclavage. La Provence, définitivement délivr&eacutee, salua d'un long cri d'admiration le comte Guillaume et ses lieutenants et leur voua une éternelle reconnaissance.

Les populations des rivages de la Méditerranée,des bords du Rhône et de nos Alpes, unies dans un même enthousiasme, proclamèrent Guillaume
Note(12) leur libérateur.

Ce grand homme fut à la tête de l'armée et du gouvernement pendant près d'un quart de siècle. Il mourut à Avignon, en 992, assisté, selon son désir, de la présence et des prières de saint Mayeul.

La victoire et la mort du pieux et vaillant guerrier marquent la fin de la première partie de notre histoire, vers l'an mille, qui trouve nos pays pour ainsi dire ensevelis sous leurs ruines, mais les laisse libres et préparés par de terribles épreuves à une vie nouvelle, dont nous allons parler.


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(1)Invasions des Sarrasins en Provence,pp.107-108.
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(2) Prélat italien (920-972), évêque de Crémone, ambassadeur de l'empereur Othon et historien contemporain des invasions sarrasines.
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(3) L'auteur de l'Histoire hagiologique du diocèse de Gap prétend que les Sarrasins étaient fortement établis à Colmars, dans la vallée du Verdon, et que cette petite ville, appelée par eux Montmaur, était leur principal boulevard de la haute Provence.
Cet auteur ajoute,en conséquence,que,lorsque l'heure de la délivrance de la Provence eut sonné, le comte Guillaume, après avoir emporté d'assaut le Fraxinet, marcha vers Colmars, à la tête de son armée; qu'il défit complètement vingt mille hommes envoyés contre lui pour arrêter sa marche; qu'il revint, au printemps prochain, pour s'emparer enfin de cette place réputée à peu près imprenable et qu'il passa tous les Musulmans qui s'y trouvaient au fil de l'épée.
Tels sont les faits d'armes extraordinaires qui auraient eu lieu dans la haute vallée du Verdon, pendant l'occupation des Sarrasins. Je me contente de les indiquer, dans cette note, parce que le silence des historiens m'empêche de les considérer comme appartenant au domaine de l'histoire. Une fausse étymologie de Colmars, que Fournier, auteur de l'Histoire des Alpes-Maritimes, fait venir de ces deux mots :"Col-Maure", a pu seule faire croire à leur réalité.
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(4) "Les historiens alpins, dit M. Guillaume, sont unanimes à attribuer la prise d'Embrun aux Sarrasins. Tous en fixent invariablement la date en l'année 916."
Malgré cette unanimité,M.Guillaume, d'après des documents authentiques établissant que saint Odilard était encore évêque de Saint-Jean-de-Maurienne en 926, estime que la prise d'Embrun a eu lieu un peu plus tard et qu'elle se trouve limitée entre 926 et 930.
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(5) Les anciens peuples considéraientraient la terre comme la mère universelle du genre humain, et, en lui confiant les corps des morts,ils leur donnaient l'attitude des petits enfants dans le sein de leur mère. Ce rite funéraire, que l'on trouve établi dans des régions et à des époques bien différentes, doit son origine aux croyances religieuses. "C'est plus que la foi à une autre vie, a dit un philosophe,M. Troyon . C'est bien l'idée de la résurrection du corps."
Un savant hongrois M. l'abbé Wosinsky, curé d'Apar,a présenté au congrés scientifique international des catholiques, tenu à Paris en 1891, une savante étude sur cette question. La découverte, à Allos, d'une tombe sarrasine,dans laquelle se trouvait un corps replié, est donc un fait important à plus d'un titre, pour l'histoire de cette localité.
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(6) Les Invasions des Sarrasins en Provence, par M.de Rey, p. 117.
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(7) Ces mines, appelées fusines, dans le langage du pays, c'est-à-dire fonderies, sont sur la rive gauche de l'Ubaye, en face de l'église paroissiale, à peu de distance de l'importante carrière de marbre vert.
Il y avait même à Maurin une mine d'or, puisqu'on a recueilli, pendant plusieurs années,des paillettes de ce métal entrainées par les eaux d'une petite fontaine. Tout cela ne doit pas trop nous étonner. Les auteurs anciens: Posidonius, Strabon, Aristote ne disent-il pas que les commmerçants de l'Orient, par exemple les Phéniciens, visitaient les Alpes, les Cévennes, etc., où ils trouvaient, à fleur de terre, de l'or, de l'argent et d'abondantes mines de fer.
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(8) Ces noms, témoins muets, mais irrécusables, des invasions sarrasines, on les trouve ailleurs, dans les Basses-Alpes, par exemple : àMaure, près de Seyne ; à la Maurelière, de Senez ; à Barrême, dont les vieux Cadastres parlent cent fois de la Fontaine du Maure, au quartier de Valbonnette; à Serre du Maure, de Norante ; à Corbières, où il y a le Camp des Sarrasins; à Ganagobie, dont le plateau rappelle les Maures, etc., etc. Disons enfin que le nom d'un grand nombre de personnes, entre autres celui de Maurel, rappelle aussi la domination sarrasine.
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(9) Signalons ici une cause locale de cette lamentable situation :"En ces temps de guerre permanente, un seul régime est bon, celui d'une compagnie devant l'ennemi, et tel est le régime féodal.Voici dans chaque canton des bras armés, une troupe sédentaire, capable de résister à l'invasion; on ne sera plus en proie à l'étranger. Le paysan est à l'abri; on ne le tuera plus, on ne l'emmènera plus captif, avec sa famille, par troupeaux, la fourche au cou. Il ose labourer, semer, espérer en sa récolte; en cas de danger, il sait qu'il trouvera un asile pour lui, pour ses grains et pour ses bestiaux, dans l'enclos de palissades de la forteresse de son seigneur. " (Taine.) Malgré ses abus, le régime féodal fut donc un bienfait, une nécessité sociale du temps et qui donnait au peuple la sécurité. (Segond.) Or, la féodalité, qui s'établissait et se développait partout, du Xe au XIIe et au XIIIe siècles, n'existait pas ou était devenue impuissante dans les diocèses de Digne, de Senez, etc., et en particulier à Allos, puisque ce pays, comme nous le dirons bientôt, portait, à cause de cela, le nom de pays des alleux, c'est-a-dire dont les terres étaient libres de toute redevance.
La liberté dont jouissaient nos pays leur fut donc funeste en ces temps malheureux, et ils ne purent organiser aucune résistance sérieuse contre leurs implacables ennemis, tandis que les populations de la vallée du Jabron, de Castellane, etc., protégées par leurs seigneurs, résistèrent avec succés. L'historien Laurensi, parlant de cette dernière ville, nous apprend que sa baronnie (Histoire de Castellane, ch, XI) dura de 836 à 1262, par conséquent pendant 426 ans. Grâce à la féodalité, les habitants de Castellane furent donc préservés des horreurs de la dernière et de la plus longue invasion musulmane.
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(10) M.de Roy, Invasions des Sarrasins en Provence.
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(11) La rançon de saint Mayeul fut de mille livres d'argent,c'est-à-dire d'environ 80,000 francs de notre monnaie actuelle, somme qui en vaudrait aujourd'hui 700,000, dit Reinaud,auteur des Invasions des Sarrasins en France. p.201.
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(12) D'après M. de Berluc.Perussis, ce nom est celui de Guilhem Ier, comte de Forcalquier (968-992), fils de Boson, seigneur de Manosque.
Conrad le Pacifique, roi de Bourgogne, les aurait désignés comme comtes de Provence, pour ramener dans le giron provençal les diocèses de Sisteron, de Digne et de Senez, qui étaient devenus indépendants. Cette opinion a pour elle, ajoute M. de Berluc, les anciens auteurs et une charte de 1037, d'après laquelle la château de Manosque (aujourd'hui le Mont.d'Or) portait le nom de Puy de Bozon.

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Choix de Lecture

DEUXIEME PARTIE
Depuis l'an 1000 jusqu'à l'annexion à la Savoie en 1388

CHAPITRE Ier.

1.
Le XIe siècle répare les désastres du Xe.

2.Ce que firent les religieux et le clergé séculier pour réorganiser l'état social si profondément troublé en Provence.

3.Donation de la dîme des fromages des montagnes de Colmars et d'Allos aux moines de Saint- Victor de Marseille.

4.Importance historique de cette donation

5.Etymologie du nom d'Allos.

6.Donation faite aux moines de Lérins par une famille originaire d'Allos.

(1000-1101.)

1 - Le Xe siècle avait été, pour nos contrées, un siècle de destruction et d'extermination.
Le XIe fut un siècle de réédification et de retour à la vie; il édifia une société nouvelle; sur les ruines amoncelées par les Sarrasins. La crainte de voir arriver la fin du monde, après la période de mille ans accomplie depuis la venue de Jésus-Christ, n'avait donc enlevé aux populations provençales, cependant si impressionnables, ni l'espérrance, ni le courage, et cela prouve que certains historiens ont singulièrement exagéré les terreurs de l'an 1000.

Mais tout était à refaire; on ne savait plus à qui attribuer les biens dont les propriétaires avaient disparu sans laisser de titres, et cette incertitude était une source de procès et de querelles.

Des villes entières et un très grand nombre de villages avaient été détruits; la plupart des habitants étaient morts, ou ils avaient été emmenés comme esclaves, en Espagne ou en Afrique, et les survivants se trouvaient sans feu, ni lieu.

L'habitude de guerroyer contre les barbares ou contre d'autres ennemis avait introduit, dans les moeurs de ce siècle, des guerres permanentes entre concitoyens, et ces guerres intestines étaient une calamité publique contre laquelle l'autorité gouvernementale elle-même se déclarait impuissante.

2.- Quelle puissance morale la Providence tenait-elle en réserve, pour porter un remède à de si grands maux ?
Un savant allemand nous l'indique en ces termes :
" Les ordres religieux prenaient une part considérable à l'amélioration de l'état social...
Ils offraient les plus beaux modèles de vertus et répondaient aux besoins multiples de la société
Note(1).

A cet éloge général de tous les religieux du XIe siècle, nos auteurs régionaux n'ont pas oublié d'ajouter l'éloge particulier des religieux et du clergé de la Provence :
"La société était à reconstituer et elle le fut par les moines et le clergé ."
Note(2).
"Une seule force sociale existait. alors, celle du clergé,
appuyée sur l'instinct divin du christianisme "
Note(3).
"Le comte Guillaume trouva de généreux auxiliaires dans la personne des évêques",
Note(4). pour la distribution impartiale des biens qui n'avaient plus de légitimes possesseurs.

Les moines surtout furent ingénieux et intrépides dans leur admirable dévouement. Ils se dirigeaient par petit groupes sur tous les points du territoire, y bâtissaient des hospices et des églises, " qui devenaient, dit Papon, un point de ralliement pour les habitants, dispersés dans les campagnes.
De là, vint cette quantité d'églises et de villages dont l'origine ne remonte pas au delà du XIe siècle."

En même temps, d'autres moines délivraient les esclaves, sous la direction d'un bénédictin, saint Isarne, abbé de Saint-Victor de Marseille.
Ce saint homme, devançant saint Jean de Matha, s'arma d'un courage héroïque pour aller délivrer les chrétiens et les religieux détenus par les Sarrasins.
Il envoya partout ses Frères quêter pour la rançon des captifs, et lui-même, se rendant auprès du calife de Cordoue, obtint la délivrance des prisonniers.
Ce dévouement admirable abrégea ses jours, car il mourut bientôt après, par suite des fatigues et des privations endurées pendant son long et périlleux voyage.

Enfin l'Eglise, seule autorité respectée à cette époque, s'opposa constamment aux guerres civiles, en établissant successivement la paix et la trêve de Dieu.
La paix de Dieu
était une renonciation par serment à toute guerre entre seigneurs, etc.
La trêve de Dieu, comme chacun le sait, défendait de prendre les armes depuis le mercredi jusqu'au lundi matin, etc. La paix de Dieu n'ayant pas réussi, les évêques et les conciles furent obligés de lui substituer la trêve de Dieu.

Cet exposé m'a paru nécessaire pour l'intelligence des donations faites, pendant le cours du XIe siècle, aux moines de Saint-Victor de Marseille et à ceux de Lérins par les habitants de Colmars et d'Allos.

3. - Charte dite de Colmars, écrite vers l'an 1056.
Note(5). "Moi Adelbert et ma femme Ermengarde et nos héritiers: Roustan et ses fils; Guillaume et ses frères; Pons Engelfred et ses fils ; Guigues et Theurade, ainsi que son fils Arnaud et son neveu; Fouque Leutride, ses filles et ses gendres; Boniface et Alienus et leurs neveux; Villelme et ses frères et Pons Révolta; donnons a Dieu, a Saint-Victor de Marseille et aux moines qui servent Dieu, dans ce monastère. la dîme des fromages des montagnes de Colmars et du pays des Alleux et des poissons du lac appelé Levidone.

"Voici quels sont les confins et les limites de ces montagnes: "(La chaîne qu'elles composent) part du torrent qui porte le nom de Cimet, s'élève sur la montagne de Coyer (Grand Coyer), s'abaisse sur le quartier de Ligny, pour arriver à Pélens, traverser et redescendre au Col de Champ. De là, elle arrive a la Caillole, puis a Talon, au Col de Chancelaïe et à Siolane. Elle passe ensuite par le pic appelé Sardon, pour arriver à Resta ou Enresta et enfin a Chamate, où prend la source le petit torrent de Ganon, qui va se jeter dans le Verdon".

4 -Cette charte a pour nous une importance historique dont la portée n'échappera pas à mes lecteurs, surtout a ceux qui habitent la vallée du Verdon. Elle fait,dans un ordre qui ne laisse rien a désirer, l'énumération des montagnes de l'ancienne peuplade des Gallitae, dont le territoire s'étendait depuis Thorame-Haute jusqu'aux pieds de Siolane, dans le vallon du Laverq, et elle nous donne leurs noms tels que nous les connaissons encore aujourd'hui.

Partons avec elle de Peyresc, où se trouve le Grand Cohier; passons a côté du lac de Ligny, des aiguilles de Pelens
Note(6). traversons Pellonières et arrivons au Col de Champ.

Nous entrons ensuite dans le canton actuel d'Allos, en faisant l'ascension de Roche-Cline, pour arriver au Laus, où se trouve la Caillole, a côté du lac. Nous parcourons Talon, Chancelaïe ou col d'Allos. Nous passons sous Siolane et vers le Sardon, pic dont l'ancien nom a disparu, mais qui est sans doute dans la région de Mourre-Gros.
En arrivant par Autapie à la montagne d'Enresta, au nord de Colmars, nous entrons de nouveau dans ce canton et nous achevons notre excursion à Chamate, entre Beauvezer et Thorame, en face du Grand Cohier, notre point de départ.

Ainsi, ce que j'ai dit, plus haut, des possessions des Gallitae se trouve confirmé indirectement par un document précieux qui remonte au XIe siècle et que chacun peut lire dans le Cartulaire de SaintVictor de Marseille.

5.- La charte de 1056 est également importante au point de vue philologique, car elle nous indique, si je ne me trompe, la véritable étymologie du nom d'Allos.

D'après la géographie ancienne, le chef-lieu des Gallitae s'appelait Galita, comme je l'ai déjà fait remarquer, et il est probable que ce nom, qui était peut-être aussi celui de tout le territoire occupé par cette peuplade, a survécu à toutes les vicissitudes de la première époque de notre histoire, c'est-à-dire depuis le XIe siècle avant Jésus-Christ, jusqu'au Xe de l'ère chrétienne. Il est absolument certain qu'il n'existait p1us vers 1056, puisque la charte dont nous parlons n'en parle pas, tandis qu'elle cite, avec la plus grande exactitude, un nombre considérable de noms beaucoup moins importants.

A cette époque, en effet, les fondateurs de la dîme des fromages de nos montagnes disent, dans l'acte de donation, que ces montagnes appartiennent à Colmars et à un autre pays qu'ils appellent les Alleux, Collo Martio et ad Alodes. Tels sont,d'après eux, les noms qui désignent, dès lors, la haute vallée du Verdon. Le premier date probablement de la domination romaine; le deuxième est celui de notre pays et ne peut convenir à aucun autre. On aurait beau examiner et torturer le texte et le contexte, on ne pourrait jamais y voir la désignation d'une autre localité. Les montagnes elles-mêmes qui nous entourent sont là comme des témoins incorruptibles, et nul ne pourra leur faire dire autre chose que ce que leurs noms disent.

Mais ce nom, nouveau-né, est encore enveloppé de ses langes. Je tâche de l'en débarrasser avec le gracieux concours d'un philologue distingué dont la bienveillance égale le savoir
Note(7).

Alodes, de la langue féodale, Alodium, de la basse latinité, Alodi, de la langue romane, n'ont presque aucune transformation a subir pour devenir Aloz, Alosium, car, en bonne philologie, le d et l's s'équivalent pleinement.
C'est ainsi que,sans aller chercher bien loin, Seyne se dit indifféremment Sedena et Sesena.

Il n'est pas nécessaire de savoir si le mot roman Alodi et les mots français Alode et Alleu viennent de l'allemand All od, comme l'affirme Mistral, ou du celte breton, Al lod (le lot), comme le veulent Noël et Carpentier, dans leur dictionnaire étymologique; mais il est utile de faire remarquer deux vieilles formes françaises de ce mot, dont les nuances rappellent d'assez près la prononciation du nom d'Allos dans nos propres dialectes.
Ce sont Alloy, que l'on trouve dans Rabelais, et Allues, que cite le dictionnaire roman de Bouillon.
Ne croirait-on pas entendre Alouas ou Allouez
Note(8). dans la bouche des habitants actuels de Thorame, de Saint-André ou de Barrême

L'histoire générale elle-même nous fournit des preuves en faveur de cette étymologie
Note(9).
Boson,beau-frère de Charles le Chauve, fut élu roi de Provence au concile de Mantaille, en 879.
Or, les évêques de Sisteron, de Digne, de Senez, etc., n'assistaient pas a ce concile, et notre région fut indépendante du royaume de Provence pendant près de trois quarts de siècle.
C'est ce que M. de Berluc-Perussis a appelé, dans une étude sur l'histoire de Forcalquier
Note(10)., la période d'indépendance des AIpes provençales.
L'effet de cette scission, dit-il, fut de rompre tout lien féodal entre les seigneurs et habitants de ces pays et les souverains provençaux, en d'autres termes, de transformer les fiefs en alleux."

Les habitants d'Allos étaient donc libres, à cette époque, en ce sens qu'ils n'avaient aucune redevance a payer, aucun hommage à rendre aux seigneurs.
Mais ils payèrent fort cher cette liberté, comme nous l'avons dit en parlant des Sarrasins, car les rois de Provence ne pouvant pas ou ne sachant pas les défendre, ils étaient à la merci de leurs ennemis, depuis la disparition desdits seigneurs, qui, primitivement, n'avaient reçu le pouvoir féodal que pour la défense de ceux qui étaient hors d'état de se défendre eux-mêmes ou comme récompense des services qu'ils avaient déjà rendus.

6. - Un autre ordre religieux fut aussi l'objet de la reconnaissance et de la générosité de nos pères, dans la seconde moitié du XIe siècle.

Les moines de Lérins,si célèbres par leur noble phalange de cinq cents martyrs immolés par les Sarrasins, ainsi que par le nombre considérable de saints et de savants qu'ils donnèrent à l'Eglise de France et en particulier à plusieurs diocèses de Provence, travaillèrent, comme les Bénédictins, au relèvement matériel et moral des villes et des villages de nos contrées.
Les paroisses de Saint-Honnorat, a Clumanc, d'Angles, dams le canton de Saint-André, etc., ont possédé jusqu'a la Révolution française de 1789 des bénéfices dépendant de ces religieux, et plusieurs autres paroisses leur firent des donations.

Une famille originaire de la haute vallée du Verdon, fixée à Callian, commune du canton de Fayence, près de Draguignan, voulant les remercier du bien qu'ils avaient fait en maints endroits et peut-être a Allos, leur donna une ou plusieurs propriétés qu'elle possédait à Callian et tout ce qui lui appartenait encore, dans notre pays, et in alio loco quem nominant Alos, totam integre nostram partem, quoe infra hos terminos, donamus.

D'après l'acte de donation, conservé dans le Cartulaire de Lerins ,
Note(11). les donateurs sont :
Aldebert et sa femme, P. Aimard ou Audemard, deux noms que nous lirons plus loin, dans le catalogue d'un clavaire ou percepteur du XIVe siècle.
Mais ce qu'il y a de plus important pour nous dans cet, c'est le nom d'Allos.
En effet, nous venons de constater que ce nom était en formation lorsque eut lieu la charte de Colmars en faveur des religieux de Saint-Victor. Or, cette charte a été écrite vers l'an 1056, et la donation d'Aldebert et Audemard est placée par les moines de Lérins parmi les événements qui s'accomplirent de l'an 1066 à 1101.

Le nom de notre pays était donc définitivement formé vers la fin du XIe siècle, et la charte de Callian, où nous le trouvons écrit comme nous l'écrivons aujourd'hui, avec une légère différence d'orthographe, ne peut être antérieure à la première de ces dernières dates, ni postérieure à la deuxième (1056-1101).

La donation des fromages de nos montagnes, des poissons de nos lacs et de certaines terres prouve la rareté de l'argent à cette époque.

En effet, après l'invasion des Sarrasins, on ne trouvait plus ni or ni argent, " de sorte que, dit Papon, les siècles suivants, rien n'était plus rare que ces métaux. On contractait par échange, comme dans les premiers âges du monde....
Dans une charte de 1034, il est dit que les clercs de l'église du bourg de Saint-Zacharie avaient acheté,moyennant un cheval la troisième partie d'un moulin dont ils possédaient déjà le tiers.
Ils avaient aussi acheté une condamine, c'est-à-dire un champ franc de toute redevance, qui leur avait coûté un cheval, un boeuf et deux cochons ".
Note(12).

Ne pouvant donner de l'argent, nos ancêtres donnaient ce qu'ils avaient; mais ces singulières donations prouvent autre chose que la rareté de ce métal : elles sont un témoignage touchant de leur sincère et naïve reconnaissance pour des bienfaits inestimables. Leurs insignes bienfaiteurs avaient-ils rebâti les églises de la région, rétabli le culte aboli par les barbares, ou racheté les habitants d'Allos qui gémissaient dans les fers en Espagne ou en Afrique ?
L'histoire et la tradition ne nous apprenent rien à ce sujet, et, malgré notre désir de pénétrer ces secrets des temps passés, nous devons avouer notre impuissance à écarter le voile qui les cache à nos yeux.


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(1)Cardinal Hergenroether, Histoire de l'Eglise, t. IV.
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(2) Tisserand, Histoire de Nice.
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(3) Paulin Méry, Histoire de Provence.
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(4) M.de Rey, Invasions des Sarrasins en Provence.
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(5)Carta de Collomartio circa 1056.
Ego Aldebertus et uxor mea Ermengarda et haeredes nostri :
Rostagnus et filii sui, et Guillelmus et fratres sui, et Pontius Inguilfredus et filii sui, et Guigo et Theureda et filius suus Arnaldus et nepus (sic) suus, et Fulco Lautridis et filias suas (sic) et generi sui (sic), Bonifacius et Âlienus et nepotes sui, Willelmus et fratres sui, Pontius Revolta;donamus decimum de fermaticos (sic) de Alpibus quae pertinent ad Collo Martio (sic) et ad Alodes et decimum de piscibus de stagno que nommant Levidone. Hec (sic) decimun supra scriptum donamus Domino Deo et Sancto victori martiri (sic) mdonasterio massiliensi et ad monachis (sic) ibidem Deo servientibus.
Habet consortes et terminatur terminos tales; (sic) de rivo quem vocant Alcimum usque in montem Codarlo et descendit in terminum de Lignino, et ascendit in montem Pelento et descendit in colla que (sic) vocant Campi; et ascendit in colla Caïlola, et ascendit in monte Tharone, et descendit in colla Cancellata, et ducit in rocha de Siolana et alio monte que vocant Sardonis, et fert in monte (sic) que dicitur Resta et descendit in colla quoe vocant camata et descendit per Vallone (sic) que est juxta Ganone usque in flumine (sic) Verdonis.
Aldebertus de Costa et uxor sua Ermengarda et filius suus firmavit.
Garaco firmavit. Pontius Abellonius firmavit. Guillelmus nepos ejus firmavit. Rostagnus Rainardus firmavit. Pontius Inguilfredus et Guigo firmaverunt. Lautrudis et generi sui firmaverunt. Fulgo firmavit. Theurada firmavit et filii sui firmaverunt. Pontius Revolta firmavit. Petrus Arnaldus firmavit.
(Cartulaire de Saint- Victor, t. Il, 1re. Série, p. 110.)
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(6)Ce nom est évidemment la traduction de celui de Pelento ou Pe!entum.
Les aiguilles de Pelens appartiennent actuellement au département des Alpes-Maritimes mais, à l'époque de la donation qui nous occupe, elles appartenaient certainement aux habitants des rives du verdon.
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(7) M. de Berluc-Perussis. - Je dois à son obligeance des documents importants et je me fais un devoir de lui exprimer ici ma vive reconnaissance.
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(8) Honoré Bouche, en parlant d'Allos, ecrivait Allouez.
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(9) Je ne parle pas de l'étymolcgie du nom d'Allos, indiquée par le blason conservé dans l'église paroissiale et où l'on voit nue aile et un os.Ce blason est l'oeuvre, sans doute, d'un plaisant armoriste qui a voulu faire un jeu de mots.
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(10) Cette étude porte le nom trop modeste de Dates de l'Histoire de Forcalquier.
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(11)Charte de Callian, de 1066 à 1101.
Antiqua traditio refert ut, si quis piam ex suo honore honorem quarumlibet sanctorum patrocinia augeri velit, hoc per testamenti seriem lucidius fieri demonstretur. Quam prosequentes, ego Aldebertus et mea conjux Ameriis, ob nostrorum piaculorum obolendam gravitudinem, de honore nostro, sacrosanctis insule Lirinensis ecclesiis, sancte videlicet Marie et sancti Honorati,(et) abbati Aldeberto (et) monachis presentibus et futuris, in territorio calidianensi, ad incrementum contulimus aliquid hereditatis nostre,campus secus Camisolae torrente............
Et in alio loco quem nominant Alos, totam integre nostram partem, que infra hos terminos continetur, donamus.
(Cartulaire de l'abbaye de Lerins, t.
I, p. - 34.)
Afin qu'on ne puisse avoir le moindre doute sur le pays désigne ici par le mot Alos , on a ajouté dans le dictionnaire géographique, publié à la fin du Cartulaure, " Alos, Allos, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Barcelonnette, département des Basses-Alpes."
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(12)Histoire de Provence, t. II, pp. 537-538.
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Choix de Lecture

DEUXIEME PARTIE
Depuis l'an 1000 jusqu'à l'annexion à la Savoie en 1388

CHAPITRE II.

1. Fondation de Barcelonnette.

2.Obligation d'accompagner le comte dans les cavalcades jusqu'à Allos inclusivement.

3.Règlements établis en Provence pour les cavalcades.

4.Contingent à fournir par chaque communauté.

5.Valeur du terroir d'Allos, au XII° siècle, d'après le nombre de feux.

6.Impôt foncier payé par les habitants d'Allos.

(1231-1233.)

 

1. - La vallée de Barcelonnette, dit l'auteur de l'Histoire d'Embrun
Note(1). comprend les communautés du Lauzet, de Méolans, de Revel, de Barcelonnette, de Jausiers, du Châtelard, de Saint-Paul, de Meyronnes, de Larche et d'Allos.

La fondation de la ville qui a donné son nom à cette vallée n'est donc pas un événement étranger à notre histoire, soit parce qu'Allos est une des communes de Barcelonnette, soit parce qu'il est nommé dans l'acte de cette fondation dont je cite la partie la plus importante.

Au nom de Notre Seigneur Jésus. Ainsi soit-il.
"L'an de la Nativité 1231 et le 9 des calendes de mars, faisons connaître a tous, autant présents que futurs, que le seigneur Raymond-Bérenger, par la grâce de Dieu illustre comte et marquis de Provence et comte de Forcalquier, d'une part ; et Etienne Grand, Rostang de Faucon. syndics de la communauté des lieux fortifiés de Faucon et de Drolhe, syndici ab universitate de Falcone et de Drolha
Note(2)., à ce spécialement constitués, d'autre part; en leur nom et au nom de la communauté, sont convenus entre eux de ce qui suit:

"A savoir qu'ils batiraient et construiraient une ville du nom de Barcelonnette, située contre ledit lieu de Faucon et celui de Drolhe.

"D'abord ledit comte convient et promet, par lui-même et par les siens, aux syndics susnommés, qui acceptent, tant en leur nom qu'au nom de ladite communauté, de leur donner, en dehors de toute contradiction, un lieu et emplacement où ils puissent se transporter, y bâtir et avoir leur domicile a perpétuité; de telle sorte que, si quelqu'un leur suscite un procès ou une contestation quelconque, au sujet desdits lieux et emplacements, ledit seigneur comte doit se porter partie pour les sauvegarder et les défendre et rendre lesdits lieux et emplacements francs et quittes, a ses frais et dépens............

"Quant aux syndics, ils ont promis et concédé, en leur nom et au nom de ladite communauté, audit seigneur comte et aux siens, pour chaque canne de terrain et emplacement où ladite ville sera construite, assigné à chacun des habitants et accepté par eux, un denier viennois, qui sera payé chaque année, en la fête de la Nativité de Notre Seigneur.

"Les habitants ont, en outre, promis et convenu de donner, tous les ans, audit seigneur comte et aux siens, mille sols viennois pour les cavalcades.

2. "De plus, ils ont promis de suivre le seigneur partout, pour les cavalcades, toutes les fois que cela sera nécessaire audit seigneur comte et aux siens, jusqu'à Beaujeu, jusque dans la vallée de Turriers et a Brésiers; et, de là, en remontant en deça de la Durance, jusqu'à l'extrémité supérieure du Comté, et du côté de Saint-Paul et de Meyronnes, aussi loin que s'étend le Comté; et, d'un autre côté, dans les vallées de Saint-Etienne, de Guillaumes, de Colmars et d'Allos, ainsi que sur tous les points compris entre ces limites, mais non au delà, et ils doivent être présents dans la chevauchée ou cavalcade, à la disposition du seigneur comte."
Note(3).

L'acte de fondation de Barcelonnette, faisant mertion d'Allos, à propos des cavalcade , me donne l'occasion de parler ici de l'organisation de ces milices et d'autres choses relatives a la situation faite a nos pères, au XIIe siècle. Trop longtemps, dans la première partie de cette histoire, il a fallu raconter des expéditions militaires, des batailles, des massacres et d'autres calamités publiques; il est temps d'écrire autre chose que ce que l'on a appelé, par une heureuse syncope, dit M. Lecoy de la Marche, l'histoire-bataille "
Note(4)..

3. - Les cavalcades étaient, en temps de paix, des courses militaires plus ou moins pompeuses, pour faire un cortège d'honneur au comte; en temps de guerre, de véritables milices qui le suivaient au. combat. Elles se composaient non seulement de cavaliers, comme leur nom l'indique, mais de fantassins et de soldats de toutes armes. Les articles,
Note(5). et les détails suivants vont nous les faire connaître suffisamment.

A. -"Les barons, nobles et simples habitants feront au seigneur comte le service de cavalcade, dans la forme ci-après exprimée. Tous les nobles ou simples hommes possédant biens ou les ayant possédés dans les comtés de Provence et de Forcalquier et leurs héritiers seront tenus de servir la cavalcade, pendant quarante jours, à leurs frais, en marchant contre tous ceux qui attaqueraient ledit seigneur comte, lors même que les ennemis seraient étrangers auxdits comtés. Dans ces quarante jours, seront compris les jours d'aller et de retour, calculés à raison d'un jour par six lieues."

B. -"Lorsque ledit seigneur comte fera le siège d'un lieu, d'un château, d'une ville,
Note(6). ou d'une cité quelconque et qu'il aura fait appel d'une cavalcade, tous ceux qui y seront tenus devront se rendre, sous la conduite dudit seigneur comte ou de son bailli, ce qui s'applique à tous ceux qui sont à six lieues a la ronde de la place assiégée."

C. -" Les barons et nobles qui auraient déjà servi une cavalcade devront, si, dans la même année, une armée ennemie venait a envahir lesdits comtés et faisait le siège de quelque ville ou châtean, servir une nouvelle cavalcade de quarante jours."

"Ce qui est dit d'un soldat avec un. cheval armé, doit s'entendre du chevalier revêtu d'un haubert (cuirasse) et de chausses, . d'un haubergeon, d'un bouclier et d'un casque de fer."

D. -"Les chevaliers non requis par le seigneur comte, outre les quarante jours susdits ou quarante a autres jours, sont tenus de demeurer aux cavalcades si la guerre se prolonge, moyennant indemnité, à la charge dudit seigneur comte; indemnité de dix livres viennoises pour quarante jours, ou de cent sols viennois, suivant que le soldat est armé ou non."

E. - " Si un chevalier, durant la cavalcade, perd son cheval et ses armes ou s'ils lui sont enlevés, le prix lui en sera remboursé par les gens du château ou de la ville d'où il est parti, savoir: dix livres viennoises ou cent sols viennois, suivant qu'il aura perdu cheval et armes ou cheval seul, et cela dans l'intervalle de trois mois.

4. - Les règlemçnts fixaient, en outre, le contingent imposé à chaque localité. Ce contingent variait, avec le temps et selon les circonstances. Ainsi Sisteron fournissait cinq cavaliets et cent fantassins, en 1245-1285, sous le roi Charles d'Anjou. En 1257, ce nombre s'éleva; d'un trait de plume, selon l'expression de M. de Laplane, à deux cents hommes, par conséquent à à un homme par feu. Il descendit à cinquante hommes, en 1359, la population ayant été décimée.par la peste et éprouvée par le passage des bàndes de Cervole, surnomimé l'Archiprêtre;.Thorame-Haute et Thorame-Basse devaient fournir un soldat et un cheval armé. Or, nous verrons .bientôt que le terroir de Thorame-Haute était estimé dix feux, celui de Thorame-Basse sept, et celui d'Allos neuf.

D'après cette statistique, qui ne peut pas nous tromper, le .contingent imposé à notre pays pour les milices dites cavalcades était au moins d'un cavalier armé. aux frais de ses. concitoyens et qui, au retour, rendait ses armes à la commune. Camille Arnaud, de Forcalquier,
Note(7). dit que certaines communes obligeaient les soldats libérés à rendre aussi leurs habits militaires ou bien les en laissaient possesseurs, avec ordre, de ne les porter que les jours de fêtes. Ce détail a son prix, car il peint les moeurs simples d'alors.

Les cavalcades étaient générales ou particulières, est-il dit dans une concession faite à Ansouïs, par une ordonnance de 1319.
Debet facere. cavalcatas, generaliter et specialiter, Dominus Elzianius de Anssoyssio pro terra sua.

Même lorsqu'elles étaient générales, elles ne devaient pas dépasser certaines limites. Les communes de la vallée de Barcelonnette n'étaient pas tenues, selon l'acte de fondation de cette ville, de suivre le comte au delà de Saint-Paul, de Saint-Etienne, de Guillaumes, d'Allos et de Colmars, etc. Les habitants de Sisteron s'arrêtaient au Verdon, et ceux de Grasse au Rhône.

Les militaires étaient ordinairement armés, équipés et montés aux frais des seigneurs, des prélats ou des communes.
Le chef de l'Etat n'avait donc qu'à ordonner, et les hommes arrivaient armés, équipés et montés.
Ces levées avaient lieu selon la volonté du prince, c'est-à dire quand il en avait besoin, retentis cavalcatis ad nostrant voluntatem, disait Raymond Bérenger, dans une concession faite aux habitants de Verdaches, en 1237.

5.. - Après avoir constaté quelle était la situation de nos ancêtres relativement au service militaire, demandons à l'administration chargée de la perception des impôts les renseignements qu'elle peut nous donner sur la valeur du territoire d'Allos et les impositions que l'on payait à cette époque.

Honoré Bouche, dans les Additions à la Chorographie et à l'Histoire de Provence ,
Note(8). nous fait connaître le nombre de feux de toutes les communes de la vallée de Barcelonnette :
" La ville de Barcelonnette, vingt-un feux.
" Jausiers, cinq feux et demi.
" Castellet et Tournoux, deux feux et demi.
"Saint-Paul, six feux.
"Larche, trois feux.
" Méolans et Revel, quatre feux, trois quarts.
"Lauzet,un feu un quart.
" La ville d'Allouez, neuf feux.

Ainsi signé:
" Touttour, consul d'Aix et procureur du pays.
" De Pontevès, consul d'Aix et procureur du pays.
Antoine Albert, consul d'Aix et procureur du pays. "

D'après ce document officiel et textuellement reproduit, Allos occupait le deuxième rang parmi les communes de la vallée et avait l'honneur de porter le nom de ville, comme Barcelonnette.

Mais qu'entendait-on par feu au moyen âge et, en particulier dans cet important document?
C'était un mot de convention qui exprimait, en matière fiscale, une valeur en biens fonds de 50,000 a 55,000 francs. Pour en comprendre parfaitement la signification, il faut le comparer à l'affouagement et au cadastre.

Le mot affouagement, d'après le chanoine Cruvellier, " désigne une opération par laquelle chaque localité était estimée, à quotité de feux, proportionnellement à la valeur foncière de ses propriétés roturières".

Le cadastre capistratum était une autre opération par laquelle on déterminait la cote foncière à payer par chaque propriétaire.

Le feu était donc à l'affouagement ce que le cadastre était au feu.
"De même que l'affouagement des biens de la Provence servait a répartir les charges entre les communautés, dit M. Damase Arbaud, de même le cadastre fut le moyen employé pour faire supporter également les tailles entre les possesseurs des biens.
Note(9).

Le feu, avons-nous dit, exprimait une valeur foncière de 50,000 à 55,000 francs.
Charles Bouche et le docteur Honnorat donnent leur préférence à ce dernier chiffre.
" En Provence, dit le premier, on donne le nom de feu à une certaine étendue de terrain.
On l'estime 55,000 livres, 27,500 livres font la moitié du feu ; 13,750 en font le quart."

Note(10).
Notre savant compatriote dit aussi que le feu indiquait une valeur supérieure à 50,000 francs. Il ajoute que, en économie politique et domestique, ce mot ne désigne plus aujourd'hui qu'un ménage, une maison, un foyer (focus) ,
Note(11). et que ce fut sous Charles VII qu'on substitua les cadastres au payement des impôts par feu".
Note(12).

Ainsi, d'un côté, feu, employé comme terme fiscal, désignait une valeur de 55,000 francs, d'après plusieurs auteurs, et, d'un autre côté, nous savons que notre pays était affouagé à raison de neuf feux.

La valeur totale du terroir d'Allos s'élevait donc à la somme de 495,000 livres, en chiffres ronds, à 500,000 francs; somme considérable, surtout si l'on tient compte de la valeur élevée de l'argent a cette époque.
Note(13)
En effet, le territoire de Barrême n'était estimé que 325,000 francs et celui de Manosque 2,262,000 francs, tandis que les terres d'Allos valaient un demi-million

La raison de cette différence, nous l'avons donnée en disant que le nom d'Allos vient d'alleux alodes, le pays des terres libres, en ce sens qu'elles ne payaient aucune redevance aux seigneurs, au IXe siècle. Et il en était encore ainsi au XIIIe siècle ; il n'y avait donc pas ou presque pas de terres seigneuriales, tandis qu'il y en avait beaucoup à Manosque et plusieurs à Barrême.
Or, ces terres n'étaient pas affouagées; en d'autres termes. elles étaient exemptes de l'impôt par feux.

6. En 1551, un trésorier général, nommé Jean Vitalis, fut envoyé, dit Honoré Bouche, pour exiger la cote de six florins par feu par toute la Provence et par cette vallée.
Ce chiffre nous fait connaître la quotité de l'impôt foncier payé par nos ancêtres au moyen âge.
Les florins qu'ils devaient pour leurs terres sont estimés vingt francs par M. de Laplane, qui n'est pas contredit, dans cette estimation, par M. Damase Arbaud.

On payait donc alors, chez nous, un impôt de 180 francs par feu et 1,090 francs pour tout le territoire.

Cet impôt était modéré, puisque chaque étendue de terrain de 55,000 francs, qui vaudrait aujourd'hui plus de 100,000 francs, ne payait que 180 francs. Mais il y avait d'autres impôts.

Nous avons déjà parlé des cavalcades, devenues des redevances fiscales; nous parlerons bientôt des quistes, du cens, de la prestation, du droit d'albergue, etc., perçus à Allos. Contentons-nous de mentionner ici la rève, qui touchait à tout, selon l'expression de M. Damase Arbaud.
Note(14).
Elle saisissait les marchandises, à leur entrée comme à leur sortie de la ville. Elle prenait sa part du salaire de l'ouvrier.
Elle intervenait dans les contrats, pour prélever sa portion dans le prix des ventes; etc.
Les notaires et les procureurs lui devaient une portion de leurs bénèfices.
La rève n'était donc pas ce qu'elle est aujourd'hui.

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(1) L'abbé Albert, curé de Seyne.
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(2)Drole (Drolhia) était un village situé dans un quartier où est actuellement Saint-Pons, puisque Uvernet, qui fait face à cet endroit, porte le nom d' Ubac de Saint-Pons, dans les anciens cadastres.
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(3)Les habitants s'engageaient donc à suivre le comte en ses marches guerrières dites cavalcades, " quando necesse erit usque ad Bellum Jocum (Beaujeu), et usque in valle de Turiis et usque ad Brezes; et aliunde superiùs citrà Druentiam, usque ad caput comitatûs; et a partibus Sancti-Pauli de Meyronne, quantum protenditur comitatus, et ab alia parte, usque ad vallem Sancti Stephani et in valle de Guillelmo et in valle de Collismartio et de Alloz, et infra dictos terminos per totum, ulterius non tenetur ".
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(4) La Société au XIIIe. siècle,p. 24.
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(5) Ces articles sont extraits des règlements pour le service des cavalcades en Provence.
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(6) Ce mot signifiait, au moyen âge, non une cité, mais un bourg, une agglomération quelconqne d'habitants, In castro,vel villa,vel civitate.
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(7) Histoire de la Viguerie de Forcalquier
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(8) Histoire de Provence, t. I, p. 927.
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(9)Etudes historiques sur la commune de Manosque au moyen âge, p. 209.
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(10)Essai sur l'Histoire de Provence, t. I, p. 45.
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(11)Cette acception du mot feu n'était pas inconnue au XIIIe siècle, puisque Raymond.Bérenger, dans un acte de 1237, déclare que quiconque a une habitation particulière a un feu: Ille autem intelligetur focum habere qui habet proprium domicilium, in castro, vel villa, vel civitate.
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(12)Voir Dictionnaire provençal-français, t. II, 295.
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(13)Le chanoine Cruvellier, après avoir dit que Barrême était affouagé à raison de six feux et demi et que la valeur du territoire était, par conséquent, de 325,000 livres, ajoute que, par suite de la dépréciation de l'argent, cela représenterait aujourd'hui plus d'un million. Allos valait donc, au XIIIe siècle, plus d'un million de notre monnaie.
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(14)Etudes historiques sur la commune de Manosque au moyen âge, p.229.
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Choix de Lecture

DEUXIEME PARTIE
Depuis l'an 1000 jusqu'à l'annexion à la Savoie en 1388

CHAPITRE III.

1.Nos souverains depuis la séparation de la Provence du reste de la France.

2.Charte de Raymond-Bérenger établissant le consulat à Allos.

3.Les seigneurs et les prud'hommes d'Allos.

4.Organisation du consulat et étendue de sa juridiction.

5.Les fonctions des consuls indirectement rétribuées.

6.Impôts que se réservait le comte.

7.Mort de Raymond-Bérenger.

(1233-1245.)

1.Avant de parler du consulat dont Allos est redevable à Raymond-Bérenger, jetons un regard vers le passé, afin de ne pas perdre de vue, dans le cours de notre récit, le fil de l'histoire de Provence.

A.- Boson, beau-frère de Charles-le-Chauve, fut proclamé roi à Mantaille, en 879.
Louis, son fils, lui succéda. Ayant été privé de la vue par ses ennemis, il fit gouverner ses Etats par Hugues, qui régna après lui. Le règne de ces trois souverains a été appelé la dynastie des Bozons
Note(1).

B.- Les comtes de la maison de Provence qui leur succédèrent sont les suivants :
Boson Ier, bénéficiaire de l'empire,sous Conrad-le-Pacifique
Note(2). (926-947);
Boson II, fils de Bothbold (948-968)
Guillaume. Ier ,libérateur de la Provence (938-992);
Note(3).
note 12 du chapitre sept( première partie )

Bothtald, son frère (992-1008);
Guillaume Il, premier comte, propriétaire (1008-1018);
Guillaume III,
Bertrand Ier et Jeoffroi (1018-1054);
Jeoffroi seul (1054-1063);
Bertrand II, comte héréditaire (1063-1093);
Etiennette (1093-1100);
Gerberge et Gilbert (1100-1112).

C.- Douce, fille de Gilbert, s'étant mariée avec Raymond-Bérenger de Barcelone, la Provence passa sous la domination des princes espagnols, dont voici les noms :
Raymond-Bérenger Ier et Douce Iere (1112-1130);
Bérenger-Raymond (1130-1144);
Raymond-Bérenger II, dit le Vieux (1144);
Raymond-Bérenger III,dit le Jeune (1144-1166);
Alphonse Ier (branche d'Aragon) et Douce II(1166-1196);
Alphonse II (d'Aragon) (1196-1209);
Raymond-Bérenger IV (1209-1245)

Les historiens font remarquer avec raison que les femmes ont été la cause de l'établissement d'une royauté particulière en Provence et de la plupart des changements de dynastie qui y ont eu lieu.

"Une femme nommée Ermengarde, fille de France, dit Honoré Bouche nous avait transmis a Bozon."

Une autre femme, Douce, fille de Gilbert, nous donna, en 1112, aux princes espagnols, par son mariage avec Raymond-Bérenger Ier. Enfin Béatrix fille et héritière de Raymond-Bérenger IV, nous donna aux princes ,d'Anjou, dont nous parlerons plus loin.

Le règne des souverains bosoniens dura quarante- sept ans; celui des comtes de la maison de Provence, cent quatre-vingt-six ans, et celui des princes de Barcelonne et d'Aragon, cent trente-trois ans.

"Depuis que la Provence avait été séparée du reste de la France, en 879, dit M. de Laplane, elle forma toujours, jusqu'à la fin du XVe siécle, un Etat à part, qui eut ses souverains particuliers. Mais remarquons qu'ils gouvernaient déjà de fait, comme de véritables souverains, avant qu'ils eussent abandonné la vaine formalité de l'hommage envers les rois de la Bourgogne Transjurane, alors qu'ils dataient encore leurs chartes et les actes de leur administration des années du règne de ces souverains sans autorité"
Note(4).

Cet exposé, quoique très sommaire, pourra aider mes compatriotes à bien fixer dans l'esprit les dates de cette période de notre histoire, par exemple celle de l'établissement du consulat d'Allos, qui correspond à la vingt-quatrième année du règne de Raymond-Bérenger, le fondateur de Barcelonnette et le dernier des comtes espagnols qui furent comtes de Provence.

2. - Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ
Note(5).
"L'an de son Incarnation mille deux cent trente trois et le cinq des calendes de décembre, Nous Raymond-Bérenger, par la grâce de Dieu, illustre comte et marquis de Provence, comte de Forcalquier, voulant témoigner notre dévouement à nos sujet ,donnons et concédons pour toujours, tant par nous ,que par les nôtres, le consulat et, par conséquent le pouvoir d'élire et d'établir les consuls qui seront jugés nécessaires, suivant le temps et les circonstances: à vous, chevaliers et seigneurs d'Allos et Colmars:
P. de Serveria, F. Guis, P. de Laya,W. de Podio, R. de Baumes, G. V. de Raymond, qui avez demandé et accepté cette faveur tant pour vous que pour vos concitoyens, et à vous, prud'hommes d'Allos et de Colmars :
P. Pascal, P. Benoît ,(Alos) B. Richard, P. Gibelin, W. Elzéard, P. Alphant, P.Angelré, Garcin, Roger, Meifred, P. Boyer, W. Giraud, P. de Saint-Martin, Girard, R. Licia, qui avez également demandé et accepté ladite faveur,en votre nom et pour tous les habitants d'Allos et de Colmars, présents et futurs, ainsi que pour les localités appartenant à Allos et à Colmars.

"Le mode d'organisation est que l'un des consuls soit choisi parmi les membres de la noblesse, les trois autres parmi les prud'hommes et que le cinquième soit notre bailli.

"Nous leur accordons le pouvoir et la juridiction nécessaires pour examiner et juger les contestations et les délits concernant les contrats, les quasi-contrats, les dernières volontés et toutes les autres affaires ordinaires; mais nous nous réservons le jugement des crimes pouvant entraîner l'effusion du sang, la peine de mort, la confiscation des biens et le bannissement.

"Nous nous réservons aussi, en ces lieux d'Allos et de Colmars, tant pour nous que pour les nôtres, douze deniers par feu et mille sous pour les cavalcades, outre les sous de l'impôt du cens. Ces redevances seront payées chaque année, en monnaie ordinaire, ayant cours dans nos possessions.

Lorsque , dans les jugements qui nous sont réservés,on aura imposé des amendes ou confisqué les biens des accusés, nous donnons la troisième partie de ces amendes, etc.., à nos officiers chargés de rendre la justice en ces lieux. Il en sera de même relativement aux jugements rendus par les consuls desdites localités, pour tous les cas qui relèvent ou relèveront de leur juridiction; la troisième partie des confiscations et des amendes leur appartiendra, moyennant le consentement des prud'hommes.

"Si à l'avenir, ce qu'à Dieu ne plaise, des difficultés s'élevaient entre nos juges et les consuls et qu'ils eussent à se plaindre les uns des autres, à l'occasion du consulat, ils doivent, d'après ce qui a été convenu, s'adresser à nous, et nous jugerons leurs différends selon les règles de la justice et de l'équité.

"Dans le cas où nos officiers exigeraient de vous,prud'hommes, sans motif légitime ou d'une manière excessive, la quiste ou une prestation, par notre bailli et notre tribunal, nous vous, donnons franchise et immunité et nous défendons toute exaction à votre égard.

On payera les cavalcades et les prestations tous les ans, au mois d'août, le jour de l'Assomption de la bienheureuse Vierge Marie, et vous, prud'hommes et seigneurs d'Allos, de Colmars, ainsi que des localités qui leur appartiennent, vous serez tenus de solder, à nous ou aux nôtres, chaque année, le jour de Saint-Michel, les cinq cents sous produit de l'impôt du cens et les douze deniers dus par chaque feu, selon ce qui a été stipulé ci-dessus,

"Enfin lesdits consuls et prud'hommes, en reconnaissance de la concession du consulat, ont, pour eux et pour tous les habitants, fait serment de perpétuelle fidélité à nous et aux nôtres, et nous leur avons promis de venir à leur secours et de les protéger toutes les fois qu'ils en auraient besoin.

"Fait à Barcelonnette, dans la maison de Gastinel.

"Ont été témoins : Reinet, seigneur de Verci, W. Raymond de Arcis, juge du seigneur comte de Provence, maître Galter, etc., etc.

"Et moi Raymond, notaire public, institué par ledit comte de Provence et agissant par son ordre, j'ai écrit cette charte, j'y ai apposé son sceau et je l'ai signée."

Telle est la teneur de la charte de 1233, dont nos ancêtres furent heureux et fiers et qui témoigne de la générosité de Raymond-Bérenger.

"Il est à remarquer, dit à ce sujet M. Camille Arnaud, qu'une grande partie des privilèges accordés aux communes datent du règne de ce prince qui se plut à amélioret le sort de ses sujets, en leur accordant des. franchises municipales. Allos fut du nombre de ces communes favorisées ".
Note(6).

3.-Le notaire, rédacteur de la charte, en vertu du mandat qu'il avait reçu de Raymond-Bérenger, s'adresse d'abord aux seigneurs chevaliers d'Allos:
vobis, doininis et militibus.

Il y avait donc encore des nobles chez nous, malgré la rupture du lien féodal dont nons avons parlé à l'occasion de l'élection de Boson, au concile de Mantaille, en 879, et l'un de ces nobles portait en 1233, le nom d'une terre appelée Baumes, R. de Balmis.
Note(7).
Nous verrons dans la suite que, le 25 juin 1475 Pierre Piny et Jaumone, sa femme, furent anoblis par le roi René, " pour oeuvres vertueuses et services rendus audit en maintes manières dignes de grande recommandation ".
La famille de Pierre Piny était originaire du quartier d'Allos appelé Seignus-Bas, campagne des Guinans, sur le Verdon; c'est pourquoi, à cet endroit, la rive droite de ce cours d'eau porte encore aujourd'hui le nom de Ribas de Piny.

Nous ne devons pas nous étonner de trouver des nobles partout au moyen âge.
Non seulement les souverains donnaient alors des titres de noblesse, mais, d'après Fabre, historien de Provence (t. II, p. 60),il n'y avait point d'évêque, point de seigneur distingué, en Provence qui ne fût en possession d'anoblir les bourgeois en les armant chevaliers, et ces nouveaux nobles jouissaient des mêmes prérogatives que ceux qui étaient créés par l'autorité du prince".

Les chevaliers d'Allos reçurent la charte du consulat comme ils l'avaient demandée, c'est-à-dire en leur nom et au nom de leurs concitoyens.

Il en fut de même des prud'hommes, nommés immédiatement après la noblesse, et vobis,probis hominibus.
C'étaient dit le roi René, des hommes probes, prudents, consciencieux, jouissant d'une bonne réputation, capables et habiles, homines utique probos, prudentes, bonoeque conscientioe ac boni nominis et famoe.

Mais, comme il n'était pas facile de trouver partout tant de qualités réunies, le bon roi ajouta qu'on pouvait choisir les prud'hommes dans toutes les classes de la société, tam nobiles, burgenses et artistas quam laboratores.

Ils avaient, dans le pays, une situation considérable, car leurs fonctions étaient multiples et importantes.
D'après la charte du 12 août 1385, dont nous parlerons plus loin et qui confirma celle qui nous occupe aujourd'hui, " ils nommaient les consuls, ainsi que le notaire du tribunal consulaire, et, comme les fonctions judiciaires de ces officiers étaient fort étendues, il s'ensuit que ceux qui les nommaient devaient avoir dans leur commune une très grande prépondérance.

"Ils avaient ensuite la faculté de nommer, chaque année, un ou plusieurs défenseurs qui devaient prendre en main les causes intéressant la commune, les veuves et les pupilles.

"Le statut leur donnait le soin de veiller à l'entretien des portes de la ville, de réparer les tours, etc.

Enfin les prud'hommes devaient être présents à l'annotation des biens, c'est-à-dire à la saisie immobilière, etc...
Note(8).

M. Camille Arnaud, que je viens de citer, ajoute que sous le nom de cités, les prud'hommes prenaient part à l'élection du conseil municipal d'alors, et il dit enfin que probablement le conseil nommait de son côté les prud'hommes.

A Manosque, il y en avait soixante; à Sisteron, quarante, et, dans les. petites localités, on en comptait au moins six.

4. - Aux termes de la charte de Raymond-Bérenger, le consulat d'Allos devait être composé de cinq membres, dont quatre nommés par leurs concitoyens et le cinquième, le bailli, par le comte.

Leur élection se faisait donc par degrés. En effet, ils devaient être choisis, pour la plupart, parmi les prud'hommes. Or, les prud'hommes, nous venons de le dire; étaient probablement désignés eux-mêmes par le conseil et peut-être par le conseil extraordinaire ou général, composé de tous les chefs de famille de la commune.

Les consuls étaient, par conséquent, les administrateurs et les juges des communes qui avaient obtenu le privilège de s'administrer elles-mêmes. En d'antres termes, le consulat ou cour consulaire d'Allos était non seulement le résultat de l'affranchissement du régime féodal, mais une véritable décentralisation, telle que nous sommes loin de l'avoir aujourd'hui.

A côté de la cour consulaire, il y avait, il est vrai, la cour du comte, et des difficultés s'élevaient sans doute entre ces deux tribunaux; mais nous dirons plus loin, en parlant du fonctionnement du tribunal consulaire, comment sa juridiction fut maintenue et même augmentée. Contentons-nous ici de faire remarquer comment les fonctions judiciaires étaient rétribuées au XIIIe siècle.

5. - Les consuls d'Allos, comme les ministres de la justice comtale en ce lieu, imposaient des amendes, ordonnaient des saisies, et le comte leur accordait le tiers, tertiam partem, de ces saisies ou amendes.

Cette concession avait lieu également ailleurs, notamment à Colmars et à Guillaumes, où les consuls percevaient non seulement le tiers mais les quatre cinquièmes de ces confiscations ; à Barcelonnette, où ils ne percevaient qu'un cinquième; à Seyne, où ils avaient droit. aux trois quarts.

Par ce moyen, les juges recevaient une compensation pécuniaire pour l'exercice de leurs fonctions, qui n'étaient rétribuées ni par l'Etat ni par, la commune.

Ce mode de rétribution n'exposait-il pas ces fonctionnaires à la tentation de multiplier les amendes, afin d'augmenter leur traitement?

Ce danger. trop réel avait été prévu par Raymond-Bérenger, et, pour l'atténuer autant qu'il pouvait le faire, il déclara, dans la charte du consulat d'Allos, que la concession en question ne pouvait avoir lieu qu'avec le consentement des prud'hommes, voluntate proborum hominum.

6.-" Dans les premiers temps du comté de Provence, le souverain n'avait que les revenus de son domaine; hors des cas impériaux, il ne pouvait lever d'impôts sur ses sujets.
Cependant, lorsqu'il fut engagé dans ces guerres sans fin qui remplissent l'Histoire de Provence, il eut besoin de ressources extraordinaires.
Il s'adressa alors aux Etats, toujours disposés à fournir des subsides, pourvu qu'on ne touchât pas à la constitution du pays.
Ces dons, qui, dans l'origine, furent une grâce du peuple à son seigneur devinrent bientôt un impôt permanent et des statuts réglèrent et son assiette et le mode de recouvrement".
Note(9).

La charte de 1233 est un de ces statuts et elle est, en effet, indiquée, dans l'Histoire de Provence, sous le nom de statut d'Allos.
En vertu des stipulations qu'elle contient, le comte percevait régulièrement,chaque année, les impôts suivants:

A.-Douze deniers par feu. - Mais, ici, le mot feu, d'après Raymond-Bérenger lui-même, doit être pris dans le sens de foyer et de famille, et non comme une étendue de terrain de 50,000 à 55,000 francs.

B.-Mille sous pour les cavalcades. - Le service militaire était, en effet, devenu, en temps de paix, à Allos comme ailleurs, une simple redevance fiscale.

Plus tard, lorsque les comtes de Savoie furent nos souverains, cette redevance était perçue, non en sous, mais en florins, et cela est relaté en ces termes dans un état
Note(10). des droits, profits et émoluments que le roi prend et a coutume de prendre en la ville de Barcelonne et son ressort, en Terre Neuve; tant depuis la réduction de ladite ville qu'auparavant :
" Sébastien Vaudran et Honorat Pellissier, consuls dudit lieu d'Allos, ont dit et révélé, moyennant serment, que, pour les droits de chevauchées, ledit seigneur comte prend, chaque année, audit lieu d'Allos, trente-cinq florins et trois gros, monnaie courante en Provence, payables à la fête de tous les Saints.

C.- L'impôt appelé cens, qui était une redevance foncière, produisant, à Allos, cinq cents sous, par conséquent la moitié moins que les cavalcades.
Cet impôt exista de bonne heure chez les Romains, qui faisaient procéder à l'estimation des biens en même temps qu'au dénombrement du peuple et donnaient le nom, de censeurs aux fonctionnaires chargés d'établir et de déterminer ledit impôt. De là, est venu le mot recensement encore usité aujourd'hui.

D.- La quiste
Note (11). autre redevance qui était exigée dans certaines circonstances, dont voici les principales:
lorsque le comte était obligé de se rendre avec ou sans armes auprès de l'empereur;
lorsqu'il devait s'embarquer comme croisé, surtout s'il partait avec une armée, pour la Terre Sainte;
quand il mariait son fils ou sa fille;
quand il armait ses fils chevaliers, etc.
La quiste était de cinq sols viennois par feu ou davantage, selon les circonstances ; mais, d'après les statuts,
Note(12). elle ne pouvait jamais avoir lieu pour une cause non spécifiée.

E.-Enfin un impôt appelé prestation, ademprum, ressemblait à la quiste ou à un emprunt forcé, perçu le jour de la fête de tous les Saints,quista deprecatoria omnium sanctorum
D'après la charte, cet impôt devait être payé le jour de l'Assomption ; mais plus tard, comme nous l'avons dit pour les cavalcades, il a pu être perçu à la Toussaint, et peut-être sous forme de prière.

7.- Raymond-Bérenger IV mourut le 19 août 1245.
Il fut le dernier de nos souverains d'origine espagnole.
Ces princes, issus des plus intrépides défenseurs de la foi en Espagne, de ces vaillants guerriers qui méritèrent l'estime de toute la chrétienté, en combattant les Sarrasins, conservèrent en Provence la foi de leurs ancêtres, et l'historien Fabre fait remarquer qu'ils y apportèrent aussi l'esprit de liberté.
Il est certain que le plus illustre d'entre eux, Raymond-Bérenger, combattit rigoureusement les Vaudois, qu'il accorda un très grand nombre de chartes d'affranchissement aux communes et qu'il fut leur libérateur.
Il fut en outre, un administrateur habile, un vaillant guerrier et un prince invincible dans les épreuves.
C'est donc à juste titre que les regrets et la reconnaissance de ses sujets l'accompagnèrent dans la tombe.
Il fut père d'un fils qui mourut jeune et de quatre filles :
Marguerite, Eléonore, Sanche et Béatrix.
Marguerite devint reine de France et épouse de saint Louis;
Eléonore, reine d'Angleterre;
Sanche épousa Richard, duc de Cornouailles, plus tard roi des Romains,
et Béatrix Charles d'Anjou, qui devint comte de Provence et roi de Naples.
Ces quatre reines ont habité le château comtal de Saint-Maime, près de Forcalquier.
Raymond-Bérenger visita presque tous nos pays, pour y organiser la nouvelle administration communale et régulariser la perception des impôts. Nous dirons, avant la fin de cette histoire, les vestiges manifestes que notre langage a conservé de la domination espagnole, dans la haute Provence et, en particulier, à Allos.


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(1) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 6.
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(2) Roi de la Bourgogne Transjurane (937-993).
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(3) Guillaume Ier est probablement Guilhem, comte de Forcalquier, fils aîne de Bozon II, seigneur de Manosque. - Voir plus haut la note 12 du chapitre sept de la première partie. 
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(4)Histoire de Sisteron, t. I, p. 393.
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(5)In nomine Domini Nostri Jeshu (sic) Christi, Anno ejusdem secundum carnem, millesimo ducentesimo trigesimo tertio, quinto calendas decembris, Nos, Raymundus Berengarii, Dei gratia illustris comes et marchio Provinciae et comes Forcalquerii, donamus, concedimus et laudamus (sic) par nos et nostros, in perpetuum ad fidelitatem nostri et nostrorum : vobis dominis militibus de Alos et de Colmars, scilicet : P. de Serveria, F. Guis, P de Laya, W. de Podio, R. de Balmis, G. V. Raymondi, potentibus et exhigentibus (sic) et recipientibus pro vobis et aliis consortibus vestris ; et vobis probis hominibus de Allos et de Colmars, videlicet : P. Paschal, P. Benedicto Alos (sic), B. Ricardo, P. Gibelino, W. Elzeario, P. Alphanto, P. Enguilreo, Garcius, Rogerio, Meiffredo, P. Boyer, W. Giraudo, P. de Sancto Martino, Girardo, R. Licia, exhigentibus (sic), petentibus et recipientibus pro vobis et pro universis habitatoribus de Alos et de Colmars, presentibus et futuris et locis pertinentibus ad Alos et ad Colmars; consulatum et licentiam creandi et habendi consules qui pro tempore, in dictis locis, necessarii fuerint; sub hac videlicet forma quod unus de Dominis, et tres de probis hominibus in consules eligantur et quintus noster baiulus debet esse; et eis cohercionem et jurisdictionem ex parte nostra concedimus super causis audiendis et definiendis in contractibus vel quasi et ultimis voluntatibus et omnibus aliis negociis (sic); retento nobis et nostris majori dominio seu mero imperio vel gladii potestate animadvertendi in facinorosos et super omnibus criminibus que penam sanguinis irrogant vel bonorum omnium publicationem, vel deportationem infligunt; et retento nobis et nostris in dictis locis, pro singulis focis, singulos duodecim denarios monete communis et per terram currentis, annuatim, et retentis nobis et nostris in predictis locis, pro cavalcatis, singulis annis, M de solidis et ultra de solidos censuales monete communis et per terram currentis; et est sciendum quod in predictis nostris judiciis retentis in quibus fiet bonorum adempcio, donamus in donis et concedimus tertiam partem predictorum locorum Dominis pretaxatis; et in eis justiciis que pertinent ad consules vel deinceps pertinebunt a de solidis (sic) superius tertiam partem et voluntate proborum hominum prefatis Dominis similiter concedimus et donamus; et est sciendum quod si Domini de consulibus vel consuIes de eis in futurum, quod absit, super aliquo conquerantur occasione consulatus vel super his dubitatio aliqua oriretur, ex pacto debent ad nos recurrere et nos secundum quod justum fuerit diffinire; si vero Domini sine causa legitima in vobis probis hominibus predictis quistam seu ademprum facerent et in eo modum excedent immoderate videlicet exhigendo, per cognitionem nostrae curiae vel nostri bai uli de causa et modo definiri...(?) Donantes vobis predictis probis hominibus ab omnibus indebitis exactionibus franquesiam ut Domini supradicti nullas a vobis exactiones faciant prohibentes; cavalcatas autem et ademprum, in Assumptione Beatae Mariae medietatis augusti et quingentes solidos annuatim censuales et duodecim denarios de focis singulis annuatim sicut superius est expressum, vos probi homines de. Allos et de Colmars et locis aliis ad supradicta loca pertinentibus vel locorum dominos ex pacto in festo sancti Michaelis singulis annis tenemini vel nostris dare ; pro presenti autem concessione dicti consolatus predicti Domini nobis vel nostris, pro se et aliis omnibus, nobis et nostris perpetuo fideles existere juraverunt et nos eisdem bono et legali modo contra omnes eos inquietantes auxilium prestare et juvamen. Actum Barcilonie in domo Gastinelli. Testes fuerunt: Rainetus, Dominus Vercie, W. Raymundus de Arcis, judex Domini comitis Provinciae supradicti, Magister Galterius, cantor regum et notarii predicti domini comitis, W. Arindus, Perrisole, Domigo de Mouzen, S. Gran, Giraudus, Eichautier, W. Mingius, W. Dool et plures alii Et ego Raymundus, publicus notarius a Domino Raymundo Berengario illustri comite Provinciae institutus, qui mandato ipsius hanc cartam scripsi et sigillo suo sigillavi et hoc signum meum apposui.
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(6) Cet auteur ajoute, toujours en parlant d'Allos :
"Ce bourg, qui est au bout du monde, perdu dans une vallée des Alpes, eut aussi son consulat."
Par cette saillie, M. Arnaud nous dit à sa façon combien notre pays fut honoré en recevant de son souverain le privilège du consulat.
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(7) Deux quartiers d'Allos portent ce nom : la Baume, hameau de la Beaumelle, et Baumes, campagne du Brec. Je donne la préférence à cette campagne, parce qu'elle n'est pas loin de quelques propriétés appelées les Eichards. En effet, le chevalier R. de Baumes et Pons Blanc des Eichards étaient voisins, d'après le catalogue des habitants d'Allos au XIVe siècle.
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(8)A Manosque, deux prud'hommes, désignés par le Commandeur, devaient assister le juge siègeant correctionnellement, pour le renseigner, etc.
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(9) Damase Arbaud, Etudes Historiques sur la commune de Manosque, etc.
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(10) Cet état est conservé dans les archives des Bouches-du-Rhône, série B. Il porte la date de 1542.
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(11) Ce mot est synonyme de quête, et, dans le provençal tel qu'on le parle à Allos, quista, ana quista signifie faire la quête, c'est-à-dire faire appel à la générosité des fidèles pour l'exercice du culte, etc.
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(12)Voir ces statuts dans l'Essai sur le Cominalat de Digne, par F.Guichard, t. I, p. 442. On les trouve en latin dans l'Histoire de Sisteron, par M de Laplane, t I, p. 454.
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Choix de Lecture

CHAPITRE IV.

1.Les princes d'Anjou règnent en Provence.

2.Charles Ier et Charles II; visite de Charles II à Allos.

3.Robert et son fils Charles, duc de Calabre.

4.Les habitants de Colmars, d'Allos et de Beauvezer prêtent serment de fidélité à ces deux princes.

5.La reine Jeanne; son buste dans l'église paroissiale d'Allos.

6.Hommage et serment de fidélité de la communauté d'Allos à la reine Jeanne et à Louis de Tarente, son deuxième époux.

(1245-1314.)

 

1 - Béatrix, fille et héritière de Raymond-Bérenger IV, nous donna, avons-nous dit, aux princes d'Anjou, par son mariage avec Charles Ier, frère de saint Louis, roi de France, et neuf princes angevins régnèrent en Provence.
Les quatre premiers sont :
Charles Ier d'Anjou et Béatrix (1245-1285);
Charles Il (1285-1309);
Robert (1309-1343);
Jeanne Ire (1343-1382).
Ils n'étaient que comtes, et ils régnèrent sur nous pendant cent trente-sept ans.
Leurs successeurs :
Louis Ier, fils de Jean II, roi de France (1382-1384) ;
Louis II, avec Marie de Blois, nommée régente (1384-1417);
Jeanne II, avec Charles de Duras, concurremment avec Louis III(1417-1434);
René, dit le Bon Roi (1434-1480);
Charles III, comte du Maine (1480-1481).
Ils étaient ducs d'Anjou et ils furent comtes de la Provence pendant quatre-vingt-dix-neuf ans.
Les Angevins, comtes ou ducs, ont donc été nos souverains durant l'espace de deux cent trente-six ans.
Nous verrons bientôt que les habitants d'Allos, avec tout le comté de Nice, cessèrent d'être les sujets des princes d'Anjou, sous Louis II , pour se donner d'abord a Charles de Duras et ensuite aux comtes de Savole, en 1388.

2. - Charles Ier avait des qualités vraiment royales:
il était vaillant guerrier et homme irréprochable dans sa vie privée, mais il se laissa aller à des actes de violence et de cruauté, qui lui attirèrent, en Italie, de terribles représailles, dans le massacre qui porte le nom de Vêpres Siciliennes.
Il accompagna son frère saint Louis, roi de France, dans deux croisades célèbres; mais son amour pour la guerre ne lui laissa pas, selon l'expression de Papon, le temps de se livrer aux soins pacifiques du gouvernement
Nos pères lui reprochèrent d'avoir augmenté les impôts, pour conquérir et défendre son royaume de Naples.
Il perdit la reine Béatrix, son épouse, en 1267, et il mourut lui-même en 1285.
Charles II, son fils, prince de Salerne, qui lui succéda, était alors prisonnier du roi d'Aragon. Un concile tenu à Riez, en 1285, ordonna des prières publiques, dans toutes les églises du comté, pour obtenir sa délivrance.
Il fut enfin mis en liberté, quatre ans après la mort de son père, et, en cette année, la quatrième de son règne, il visita Allos et d'autres pays montagneux des Alpes.
Voici comment un historien de Nice fait l'éloge de ce prince et parle de cette visite :
"Charles II, d'un grand talent administratif, plus doux et plus réfléchi que son père, captivait tous les coeurs provençaux.
"
Ce prince, étant à Allos, en 1289, reçut les députés de Grasse, auxquels il confirma leurs privilèges le 14 septembre, il accorda des lettres patentes de liberté à la ville du Puget.
"En 1303, par le mariage de sa dernière fille avec Mainfroy, marquis de Suse, il recevait l'hommage de ce seigneur pour les fiefs de Cintal, Val de Sture, Fossan et Coni, et il prenait le titre de comte de Piémont, pour lequel il établissait un sénéchal de plus.
" L'amour que l'on portait à Charles II et à Robert, son fils, était si grand que chaque commune aurait voulu vivre sous sa juridiction immédiate ".
Note(1).
Il avait eu de sa femme Marie, fille du roi de Hongrie, cinq filles et neuf garçons, parmi lesquels il y a lieu de remarquer:
Robert, qui lui succéda;
Louis, évêque de Toulouse, mort en odeur de sainteté, à Brignoles, le 19 août 1297, et canonisé en 1317;
Jean de Duras, chef de la branche de Duras ou Durazzo, ville d'Albanie, qui appartenait à la maison d'Anjou.
"Il était fait, dit Papon, pour servir de modèle à ceux qui veulent régner sur le coeur de leurs sujets."
Son amour pour eux et pour la justice lui inspira un règlement qui fixait les honoraires des notaires. Dans ce tarif, dit M. de Laplane, " il taxait leurs écritures à raison de six deniers (42 centimes) par feuille, contenant vingt-six lignes et chaque ligne treize mots, et de douze sols (15 francs) pour l'acte le plus long
Note(2).
"Imposé sous la foi du serment, ce règlement, qui est à la date du 6 mai 1306, obligeait, en cas de violation, le notaire à payer le double des sommes indûment exigées et le privait de son office. Rien de plus sage et sans doute de plus urgent que cette mesure.
Toutefois les notaires parvinrent, on ne sait comment, à éluder l'effet d'un règlement qui taxait leurs écritures, et, lorsqu'un de leurs confrères, Pons Arpilhe de Sisteron, archiviste de la reine Jeanne, proposa, en 1359, de remettre ce statut en vigueur, il prétendit l'avoir trouvé dans la poussière des archives d'Aix, où il était comme enseveli,depuis cinquante ans,quod quidem statutum, inter alia statuta diversa jacebat, et fuit inventum; lectum et publicatum extitit.
(Livre vert de la communauté, f. 24, vo.)
Charles Il mourut le 5 mai 1309, regretté de tous ses sujets.

3.-Son fils, Robert, dit le Sage, lui succéda, et il fut couronné à Avignon, le 3 août 1309, par le pape Clément V. Il devint le plus puissant des princes de la maison dAnjou, plutôt par sa prudence, son habileté et les ressources de son esprit pour traiter les grandes affaires que par la force des armes. C'est ce qui a fait dire à un historien que, s'il fut un grand roi, ce n'est pas sur son épée que l'histoire a gravé ses titres et que sa mémoire peut s'en consoler puisqu'il mérita le surnom de sage
Note(3).
Comme son père, il s'intéressa aux habitants de nos Alpes.
Vers 1312, à l'occasion d'un séjour de quelques semaines qu'il fit à Nice, il se dirigea vers les montagnes, renouvela les privilèges accordés par ses prédécesseurs à Sospel et à Saint-Martin de Lantosque, s'arrêta à Limon, où il reçut les députés de Barcelonnette, à qui il donna une nouvelle charte de liberté, et il continua ensuite son voyage jusqu'en Piémont, dont il était comte, comme Charles II .
Note(4).
Robert assurait d'une main ferme et paternelle le fonctionnement des libertés publiques accordées à nos pays par les chartes de Raymond-Bérenger. Mais, malheureusement, son armée d'Italie était un gouffre où allaient s'engloutir les ressources militaires et financières de la Provence. Les historiens se demandent comment cette province pouvait fournir tant de soldats, et ils affirment que l'on peut compter le nombre des expéditions de nos comtes, en Italie, par les dépenses extraordinaires inscrites dans les registres de comptabilité des communes provençales. Le silence des archives d'Allos à ce sujet a pour cause, non le peu d'importance du pays, mais les incendies qui ont fait disparaître la partie la plus ancienne de ces archives.
Robert avait un fils unique, le duc de Calabre, qu'il associa de bonne heure au gouvernement de ses Etats.
L'acte par lequel ce jeune prince fut appelé à partager avec son père l'autorité royale eut lieu sans doute en 1320, car nous savons que les trois députés envoyés par la ville de Sisteron, pour rendre hommage en cette circonstance au roi et à son fils, s'acquittèrent de leur mission par un acte passé à Avignon le 1er mars de la même année .
Note(5).

4.-D'ailleurs, nous avons à ce sujet, un autre document important qui intéresse particulièrement notre histoire :
c'est un parchemin des archives des Bouches-du-Rhône qui nous a conservé l'hommage de tous les habitants des lieux fortifiés de Colmars, d'Allos et de Beauvezer,
universitatum hominum castrorum Collismarcii, Allosii et Bellovidere.
Cet hommage à Robert et à son fils,qu'il venait d'associer à son autorité, était, de la part de nos pères, un véritable serment de fidélité.
Il était demandé par le seigneur Boniface de Fara, haut dignitaire, juge de la cour du prince, et il devait être formulé devant les ambassadeurs ou procureurs chargés de le recevoir, au nom de Charles, prince royal, duc de Calabre,
coram Dominis embaysatoribus (sic), sive procuratoribus illustris principis domini ducis Calabrioe.
Le tout devait être constaté par un acte notarié, et cet acte fut fait, à la réquisition du bailli, au nom de la cour du prince, sur la place publique de Beauvezer, le 11 du mois de mai 1320, par un notaire comtal nommé Gilloux.
Les envoyés des communautés d'Allos et de Colmars qui devaient prêter serment de fidélité, comme celle de Beauvezer, se rendirent dans cette dernière localité, qui eut l'honneur de recevoir dans ses murs les représentants du roi et de son fils.
Honoré Bouche dit que cet hommage eut lieu en 1321, et il en parle comme s'il n'y avait aucun rapport entre ce serment et l'acte d'autorité souveraine par lequel ce roi avait associé son fils au gouvernement de ses Etats. Mais cet estimable historien se trompe en cela, parce qu'il n'a eu connaissance ni du parchemin des archives des Bouches-du-Rhône que je viens de résumer, ni des archives de Sisteron, dont parle M. de Laplane, documents prouvant avec une entière certitude que les communes de Provence prêtèrent serment on 1320, lorsque leur roi venait d'appeler le duc de Calabre à partager avec lui le pouvoir royal.
Ce prince, fils unique de Robert, avait épousé Catherine d'Autriche, qui mourut sans enfants, en 1321
Note(6).
L'année suivante, selon le désir de son père, il demanda en mariage une princesse française, Marie, fille du comte de Valois, et saint Elzéard, comte d'Arian et baron d'Ansouis, fut envoyé à Paris, avec un autre ambassadeur, pour préparer cette union.
L'ambassade eut un plein succès et le mariage fut célébré en 1323.
Mais saint Elzéard mourut à Paris en cette même année. Des miracles éclatants eurent lieu, pendant la translation de son corps à Apt. Le Pape Urbain V l'inscrivit solennellement au catalogue des saints, et chaque année, le 27 septembre, nous célébrons la fête de ce saint ambassadeur d'un de nos rois de Provence.
En 1328, Robert perdit son fils, l'espérance de sa famille et de ses sujets.
En présence du cadavre de ce prince, emporté à la fleur de l'âge, il s'écria, comme s'il entrevoyait dans l'avenir les malheurs que cette mort prématurée faisait craindre :La couronne est tombée de ma tête.
Malheur à moi !
Malheur à vous !

En effet, Charles, duc de Calabre, était, je l'ai déjà dit, le fils unique de Robert et, en mourant, il ne laissait que deux jeunes filles, frêles roseaux, dit un historien, sur lesquels allait s'appuyer le trône de Provence et celui des deux Siciles !
L'aînée de ces deux enfants devait devenir la reine Jeanne, si populaire et si tristement célèbre.
Dans le but d'affermir un jour la couronne sur la tête de cette enfant, son grand-père la fiança avec André, fils de son neveu, roi de Hongrie. Mais, si ce projet d'union fut un acte d'habile politique, il créa une situation intolérable, qui se termina plus tard par la mort tragique d'André.
Robert mourut en Italie, le 19 janvier 1343
Note(7).
après un règne de trente-trois ans, et Jeanne, qui lui succéda fut couronnée à Naples et saluée par les acclamations du peuple enthousiaste de cette cité.

5. - Malgré les graves accusations portées contre elle, la Cour pontificale la déclara innocente et elle conserva en Provence une telle popularité que les villes de Nice, de Marseille, d'Avignon, etc., la reçurent en triomphe après la mort de son mari et que le souvenir de ses royales libéralités n'a pas disparu, même aujourd'hui, dans nos montagnes.
A Allos on avait placé son buste dans l'église paroissiale, Notre-Dame de Valvert, et on l'y a conservé pendant longtemps, peut-être depuis sa mort. Le poète Mistral parle de ce buste, dans la préface historique de son drame :
"la Reine Jeanne "
Note(8).
et dit que l'édification de l'église d'Allos, comme celle de bien d'autres églises, est attribuée à cette souveraine, pour un voeu fait à la suite d'une chute de cheval.
Après la mort de son premier mari, la reine Jeanne épousa son cousin, Louis de Tarente, en 1346. Mais de nouvelles guerres et les événements politiques qui se produisirent alors feront retarder le couronnement jusqu'au 22 mai 1351.

6. - A l'occasion de ce couronnement, qui eut lieu à Naples, avec la plus grande pompe, les habitants d'Allos, comme tous les Provençaux, firent hommage et serment de fidélité à la reine, ainsi qu'au nouveau roi, et les archives de la préfecture de Marseille nous fournissent à ce sujet, dans un ancien et précieux document, des détails qui ont ici leur place.
Cet hommage n'est pas collectif, comme celui de 1320, qui réunissait, par l'intermédiaire de leurs députés ou représentants, les trois communautés d'Allos, de Colmars et de Beauvezer.
Raymond d'Agoult, sénéchal de Provence et de Forcalquier, en fut le promoteur et il le reçut au nom du roi Louis et de la reine Jeanne.
Il n'envoya pour cela ni procureur, ni ambassadeur, dans la vallée du Verdon.
C'est la communauté d'Allos qui envoya à Aix son député et procureur,Etienne Pascalis, chargé de prêter serment au nom de tous ses concitoyens
Note(9).
Etienne Pascalis fut introduit dans une grande salle du palais royal,
infra palatium regium videlicet, in aulâ magnâ,
où il fit hommage, tête nue, les genoux en terre et les mains jointes dans celles du sénéchal.
Il jura fidélité au roi et à la reine, en mettant les mains sur les saints évangiles et à condition que les droits, les libertés et les privilèges d'Allos demeureraient intacts.
Dans la première partie de ce cérémonial, on voit tout l'appareil de ce que l'on a appelé, en style féodal, l'hommage lige, comme celui qui eut lieu à Beauvezer, en présence des ambassadeurs du roi Robert et du duc de Calabre; dans la deuxième, au contraire, il y a tout ce qui constituait l'hommage franc ou simple.
Note(10).
Nos ancêtres savaient donc allier le respect et la soumission qu'ils promettaient à leurs rois avec les libertés dont ils étaient en possession.
Un acte authentique établit l'accomplissement de ces formalités, qui se renouvelaient à chaque changement de souverain, et cet acte fut rédigé, séance tenante, par un notaire nommé Roustan Bérard, à la date du 25 juin 1351.
Nous savons, d'ailleurs, qu'Etienne Pascalis avait reçu son mandat à Allos, le 12 du même mois, et que le sacre et le couronnement de la reine Jeanne et du roi Louis, son époux, avaient eu lieu à Naples, le 22 mai de la même année. Les dates de l'histoire locale concordent donc ici parfaitement avec celles de l'Histoire de Provence.
Les autres événements du règne de la reine Jeanne qui ne sont pas étrangers à l'histoire d'Allos seront mentionnés plus loin, parce qu'ils ont, hélas ! leur place marquée parmi les occasions et les préludes de la séparation de nos pays de la Provence et de notre annexion à la Savoie.
En attendant, étudions un document historique de l'année 1344, emprunté aux comptes d'un percepteur des impôts, dont nous n'avons pas pu parler encore, mais qu'il ne pas renvoyer à la fin du règne tourmenté de Jeanne.


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(1)Tisserand, Histoire de Nice, pp. 217-220.
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(2) Après avoir donné ces comparaisons entre les monnaies du moyen âge et les monnaies de nos jours, l'excellent historien de Sisteron renvoie ses lecteurs à une note insérée plus loin et que je reproduis ici textuellement:

Il ajoute : " Nous négligerons les fractions de centimes, assez inutiles d'ailleurs dans des calculs qui, quoi qu'on fasse, ne peuvent jamais être qu'approximatifs. " (T. I, p. 117.)
D'ailleurs, la valeur des monnaies anciennes variait suivant les lieux et les époques.
D'après Mélin, le denier valait 0 fr. 36 c., et le sou 9 fr. 28 c.. (Histoire de l'Europe, 395-1272, p. 366.)
Il y avait, en effet, des sous d'or, et le sol d'Othon et le sol melgorien étaient très répandus en Provence.
Or, selon l'évaluation de M. Guérard, 120 sous de cette monnaie vaudraient, aujourd'hui, 2,629 fr. 20 c.
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(3) Voir Histoire de Sisteron, t. I, p. 117.
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(4) Histoire de Nice, par Tisserand, t I p. 228.
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(5) Ils n'oublièrent pas de faire insérer dans cet acte une clause relative au maintien de leurs libertés.
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(6)Honoré Bouche retarde également cette date.
J'indique dans une note de la page suivante, une des principales causes de ces erreurs sur les dates, à cette époque.
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(7) A Naples l'année commençait alors à Noël, a Nativitate, et en Provence le 25 mars, ab Incarnatione.
Voilà pourquoi, parmi les historiens, les uns disent que Robert est mort en 1342 et les autres affirment que cet événement a eu lieu en 1343.
M. de Laplane est de cet avis et il parait avoir raison.
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(8) Cet ouvrage a été publié on 1890.
J'ai encore vu à Notre-Dame de Valvert la statue de la reine Jeanne.
En 1856, M. Barbaroux, curé d'Allos, la fit placer à la sacristie.
Je dirai plus loin ce qu'il faut penser de la tradition qui attribue à cette reine la construction de notre église paroissiale.
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(9) Voici le texte du parchemin :
Providus vir, Stephanus Pascalis, de Alosio, procurator nomine hominum universitate de Alosio, etc.
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(10)" Flexis genibus et junctis manibus, capite discooperto...., fecit homagium ligium; et prestitit fidelitatis debite (sic) tactis sacrosanctis evengeliis, ambabus manibus, juramentum;juribus , privilegiis et libertatibus dicto castro concessis semper salvis."
(Registre en parchemin, p. 28.)
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Choix de Lecture

DEUXIEME PARTIE
Depuis l'an 1000 jusqu'à l'annexion à la Savoie en 1388

CHAPITRE V.

1.Le droit d'albergue;en quoi il consistait.

2.Sa transformation en redevance fiscale.

3.Perception de cet impôt à Allos, au XIV° siècle.

4.Noms des chefs de famille de la communauté d'Allos, à cette époque.

5.La population d'alors beaucoup plus nombreuse que celle d'aujourd'hui.

6.Noms qui n'ont pas changé.

(1344)

1.Le mot albergue vient de la basse latinité, alberga, albergarium, demeure, logement, auberge, ou de l'italien albergare, loger, héberger.
On donna ce nom au droit de gîte ou logement qu'avait le comte, dans son comté, non seulement pour lui, mais pour les hommes d'armes qui l'accompagnaient, pour ses baillis et les officiers qu'il envoyait pour rendre la justice.
Ce droit était exigible une fois par an; mais, si on laissait passer la fête de la Toussaint sans l'exiger, il y avait prescription pour l'année écoulée.

2. - Chacun pouvait, avec le consentement du comte, se libérer du droit d'albergue en payant chaque année six sous au fisc
Note(1).
Le logement du comte, des hommes de sa suite et de ses officiers étant tombé en désuétude, il en fut de l'albergue comme des calvacades; elle devint une redevance fiscale.

3. - En 1344, Domicelli Demonte, bailli et clavaire
Note(2). de la vallée du Verdon. nommé par Hugues de Baux, avait sous ses ordres, à Allos, un collecteur des impôts, nous dirions aujourd'hui un percepteur, nommé Jean Arnaud, auquel nous devons la conservation des noms de nos ancêtres.
Le registre de ce comptable existe encore aux archives des Bouches-du-Rhône, et il contient, en outre, de précieux renseignements sur l'état de notre pays au XIVe.siècle.
" Les chiffres ont leur valeur historique, dit judicieusement l'historien de Sisteron, et avec eux il n'y a rien à répliquer."

4. - Le clavaire de Colmars et d'Allos nous apprend non seulement que nos pères payaient douze deniers par feu ou famille pour le droit d'albergue, mais que le nombre de feux était alors de trois cent soixante-un.
Voici ce précieux catalogue, dans lequel la plupart des habitants actuels d'Allos seront heureux de lire les noms qu'ils portent encore aujourd'hui:
Pierre Bolfard. Les enfants de Pierre Audemard.
Moneia Catherine. Les héritiers de G. Raphel.
La femme de Pierre Benagas. Durand Bernard.
Les enfants d'Etienne Pascalis, dit Pisan.Pons Arvel.
Pierre Pelat, dit Paris.Jean Richard.
La femme de Jacques Pascalis.Michel Andibert.
Pons Gireud.Michel Arvel.
Pons Audemard, dit médecin.Pons Elzéard.
Bertrand Bligon.Astragne Baucone ou Bessane.
Brun Bolfard. 
Reymond Reynaud.Hugues Bonona.
La femme de Simon André.Pons Gay.
Guillaume Engerand.Laurent Goutade.
Hugues Richard.Les enfants de Bertrand Fulconis.
Les héritiers de R. Pélat. 
Pons Honorat, marchand.Pierre Esmenjaud, forgeron.
Antoine Guirand.Durand Audemard.
Laurent Alfan.Louis Motet.
Giraud Honorat.Pierre Raphel.
Antoine Arnaud. Hugues Alphand.
Pierre Pellat, du SerretRaymond Gaufred ou Jaufred.
La femme de Thomé Martin. 
Pons Honorat.G. Abrand.
Jacques BenagasReyne Pascal (Cambrerii).
Guillaume Raphel.Pierre Anselme.
R. Pin.La femme G. Gay, ancien maître d'école.
Hugone Magirolande.P. Gay.
Pierre Gibelin.R.Gay de Nova.
Jacques Pelat.P. Chassand.
Pierre Rodolphe.G. Pouzon.
Reine Pascal.R. Raybaud.
Guillaume Chassand.Jacques Gay, fils du Sauveur.
Guillaume Chauvin.Bertrand Gibert.
R. Barata ou Barrette.Isnard Milou.
Garcin Gay, barbier.Audibert Roux.
Etienne Bolfard.Antoine Bolfard.
P.Bolfard, peintre.Arnaud Michel.
La femme de Michel Magnaudi.Guillaume Michelema.
Hugues Gibelin.G. Fulconis.
Durand Pélat.Pons Guigues ou Guieu (causit).
G. Blignon.Reybaud Pellissier.
La femme de Jean Engerand.Fulco Fulconis.
Chauvin Arvel.La femme de P. Jean.
G. Guigues on Guieu.Bonette.
P. Autoard.R. Gay.
Ant. Esmingaud ou Esmenjaud.G. Pelat.
Etiennette-Reine Pélat.Jean Roche.
Pierre Vendran.Pons Engelrand.
Douce, sa soeur.Pierre Bolfard.
Giraud Audemard.P. Gay.
Pons Esmengaud ou Esmenjaud.Fulconis Vendran.
G. Robert.G. Jéromie.
Pons RocheLa femme de Pierre Jéromie.
Raymonde, femme de P. Robert.Pons Guigues ou Guieu.
Isnard Galbert.Pierre Guirand.
Jean Fulconis.Hugues Jaubert.
Guill. Bernard.Michel Esmengaud ou Esmenjaud.
Les enfants de Pons Engerand. 
Pierre Guidon.Giraud Honorat.
La femme de P. Audibert.Louis Peyron.
Pierre Guidon, fils de Greset.Pons, son frère.
Pierre Chaix.G., son frère.
Reybaud Raybaud.Audemard Audemard.
Guill. Guieu, fils de Laurent.Jean Guidon.
Pons Guieu ou Guigues Pons.Louis Guidon.
Hugues Guirand.Guill. Michel.
Etienne Bolfard.Michel Charançon.
Les héritiers de Guidon de Guidon.Hugues Gibelin.
 Jean Valatti (de la Vallaou).
Fulconis Guidon.P. Vaudran, dit Bachelard.
Les enfants de Pons Raybaud.Durand Gibelin
Monna, femme de Guill. Guidon.P. Gibelin, frère d'Etienne.
 R. Michel de la Beaume.
Etienne Pascal.G.,tisserand.
La femme de Guill. Autoard.R. Gay,son gendre.
Jean Engerand.Jacques Gibelin.
Antoine Resplandi.Pons Gualbert.
Les filles de Jacques Auderi.Pons Chassand.
R. Gualbert.Etienne. son frère.
Hugues Engerand.Etienne Chassand.
P. Mitre.Guill. Michel.
R. Guidon.Hugues Rolland.
Pierre Guidon.Pierre Roche.
G. Chaix.Fulconis Guidon, frère de G.
G. Engerand.La femme de Guill. Guidon, du moulin.
La femme de P. Michel. 
P. Guirand.Hugues Bertrand.
Aynard Richard.Fulconis Gay.
Guill. Gay.Thomas, leur frère.
Borrèse.Alosius Jurami.
La Fille de Pons Renoît. La femme de P. Pascal.
Etienne Bernard.Pons Guidon Chabot.
Et.Chassand.Authon Fournier.
Paul Autoard.Arnulphe Abe.
Giraud Autoard.P. Arvel, fr.d. G.
Giraud Milou.G. Gibelin de Prémin.
R..Chabert.P. Gibelin.
Hugues Jean.Les enfants de Guill. Pascal.
Guill. Arvel.Arnaud Arvel.
Les enfants de Raym. Michel.Vaudran de Vendran.
Les enfants de Guill. Michel.R. Camin.
Guill. Guidon, frère de Jean.P., son frère.
Les enfants de Pons Resplandi.P. Gibelin, frère de G.
Pons Miçhel (de Ponsa).P. Arnaud.
La femme de Thomé.Antoine Gay.
G. Pellissier.La femme de Giraud Michel.
Authon Gay.Etienne Michel.
La femme de Durand Gibelin.Arnaud, son frère.
Jean des Guinands.Etienne Michel, frère de Pierre.
G. Guinand. 
G. Jurami,Durand Gay.
P. Guinand.Pons Guidon.
La femme de Bertrand AIphand.La femme d'Etienne Bononat.
 Gaufresse.
Les enfants d'Antoine Gay.Austrugue, fille de Jacques lsnard.
Durand Milou, 
La femme de Bertrand Richard.Pons Guidon Guigues ou Guieu.
P. Thomé.Alec Alec.
G., son frère.Etienne Raphel.
Jacques, leur frère.Les fils de Pons Audri.
Etienne Audri, fils d'Etienne.Pons, son frère.
Jean, fils de Jean.Pons Gay, fils de Garcin.
P. Thomé.Etienne Pascal.
P. Arvel, fils de Pierre.Isnard, son fils.
Hugues Pascal.Guill., son frère.
G., son frère.Isoard Gay.
La femme ds R. Richard.Pons, son fils.
Etienne Pascal.Jacques Gay.
Etienne Guirand.Pons Gay, maçon.
Hugues Chabassut.Pons Milou.
Pierre Chabassut.Guill. Milou.
La femme de Pons Jurami.P. Asis.
Etienne Giraud.Guill. Fulconis, fils de Pierre.
Jacques Guinand.R. Richard., fils de R.
Giraud, son frère.Etienne. Guinand.
Etienne, leur frère.J. Guieu ou Guidon.
Barthélemy Guirand.Barthélemi Guirand.
Etienne, son frère.Guillaume, femme de P. Guinand.
R. Pelat (de Prémin). 
La femme de G. Arnaud.Etienne André, fils de Pons.
Guill. Jordan.Pons Peyroni ou Peyron.
La femme d'Arnulphe (porcher).Les fils d'Etienne Peyron.
 La femme de Pierre Autrand, du Villard.
Louis Arvel. 
Etienne Pelat.Pons Bréicé (Brici).
R. Auderie.Etienne Pélat.
R. Martin.Jean Peyron.
Guillaume, femme de P. Bernard.Guill. Richard.
 Durand Bonard.
La femme de Jean Guinand.Boniface Magnaudi.
Ponce Guinande.P. Magnaudi.
Jean Jaumar.Michel Bernard.
G. Motet.Michel Magnaudi.
P. Richard.R. Blanc.
Pons, son fils.Pons Banc, frère de Guill.
Pierre Motet.Jean Blanc.
Pons Motet.Guill. Blanc, frère de P.
G. Gibelin, fils d'Etienne.Durand Blanc.
Falco Fulconis.Gay Fachon.
Raymonde, femme de Guill. Fulconis.Guill. Blanc, frère de G.
 P. Michel.
Isnarde Bladessa.Bernard Abolier.
Durand Durand.Antoine Ailhaud le jeune.
lsnarde Magnaudi.La femme de G. Truchaud.
La femme de Michel de la Terrasse.R. Michel.
 La femme de Durand Peyron.
Louis Gay.Guill. Peyron.
G. Gibelin, de Baumes.Jean Raphel.
Isnard Gireud.P. Chaix.
Etienne. Pin.La femme de G. Audemar de Vallaou (Vallato).
Pons d'Agnès. 
P. Blanc, fils de Guill.J. Honorat, dit Reboul.
Etienne Bolfard Cornille.Autanier Ailhaud l'ancien.
Jean Truchaud.Alos Manet.
Guill. Honorat.Hugues Chauvin.
Pons Blanc, fils de G.P. Combe.
P. Fachon.P. Peyron.
Jean Pin.Fresse (Fressa).
G. Pin.R., son fils.
Louis Pin.Raymonde Gibert (Gisberna).
Pons Pascal.Guill. Guidon.
G. Michel, fils d'Hugues.Etienne Bolfard, frère d'Etienne.
P. Pin, fils de P. 
Giraud Blanc.Pons Blanc, fils de Pons des Eychards.
Rostagne, fille de P. Pin. 
Raymonde, femme de P. Blanc.La femme de Raphel Blanc .
Guill. Bolfard.Pons Blanc, fils de P.
Pierre Blanc, fils de Pons.P. Bolfard, fils de Giraud.
Argues, femme de R. Blanc.Antoine Ebérard.
Pons Achard, des Baumes. 

5. - A côté de ces trois cent soixante-un noms, est indiquée la somme de douze deniers que chaque feu devait payer.

Les familles étaient alors généralement nombreuses ; en supposant qu'elles se composaient, en moyenne, de cinq personnes, on est certainement au-desous de la réalité. Nous n'exagérons donc pas en disant que la population d'Allos était, à cette époque, de deux mille habitants et, par conséquent, à peu près la moitié plus nombreuse que la population actuelle.

Si on compare les noms inscrits dans le livre de comptes du clavaire. de Colmars avec ceux d'aujourd'hui, on voit que la plupart des noms actuels existaient déjà au XIVe siècle et qu'un grand nombre de familles portaient le même nom patronymique. Il y avait, en effet, comme chacun peut s'en assurer par lui-même, vingt et une familles Michel, dix-huit familles Gay, onze familles Pascal, neuf familles Guirand, sept familles Pin, cinq familles Honorat, etc.

Des changements nombreux ont eu lieu, sans doute, dans le catalogue des chefs de famille d'Allos, à travers les siècles qui nous séparent de l'année 1344; mais ils se sont produits surtout parmi les noms ne formant que des unités ou des groupes peu importants. Dans le nombre considérable des familles qui n'existent plus ou qui sont allées s'établir ailleurs, nous remarquons les suivantes : les Chassand, les Magnaudi, les Peyroni, les Guinans, les Bolfard, les Blanc, les Gibelin, les Autran, les Bessan ou Basson, les Vendran, les Esminjaud, etc.

6. - Cependant plusieurs de ces noms n'ont pas entièrement disparu et ils servent encore aujourd'hui à désigner différentes localités et quelques propriétés.
Ainsi les terres du Seignus-Haut, connues sous le nom de Peyroni, et la campagne des Guinans, au Seignus-Bas, rappellent sans doute les anciens possesseurs de ces terres et de cette campagne.
Le bois de Magnaudi, à Valplane, la prairie riveraine du torrent de Ribions, appelée dans l'idiome du pays lous Magnaous, et une autre prairie, du même quartier de Sainte-Brigitte, lou Clot de Bessan, nous rappellent également leurs propriétaires d'autrefois, les Magnaudi et les Bessan.

Disons enfin que le soin avec lequel le collecteur des impôts à Allos désignait les contribuables l'a porté à mettre, après le nom de quelques-uns d'entre eux, des noms de hameaux, de campagnes, de forêts ou d'autres indications que nous sommes heureux de trouver sous sa plume.
Il nous parle de Pons Blanc, des Eycharts, de Eschartis, de Pons Achard et de Gibelin, de Baumes, de Balmis, de Pierre Autran, du Villard, de Vil1ario; de la femme Michel, de la Terrasse, de Terrasia (Bouchiers); de la femme d'Audemar, de la Vallaou, de Vallato ; de Michel, de la Baume, de Balma; de Guieu ou Guidon, du Moulin, de Molendino; de Pons Honorat, marchand, mercator; de Gibelin et de Pélat, de Primin, de Pragmino; de G. Gay, ancien maître d'école, quondam magister; Pons, du Bréicé, Brici.
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(1)Une convention passée on 1177 entre le comte de Forcalquier et l'archevêque d'Embrun fait connaître parfaitement le droit d'albergue.
Il y est dit :Recognovimus, quod comes debet habere sua hospicia quae vulgo dicuntur albergia.
Predicta vero albergia potest comes accipere in uno quoque anno usque ad festum omnium sanctorum, et si placuerit ei ut pretio redimantur, pro unoquoque albergo debent dari sex nummi (solidi).
"Procurabit hospes militem vel armigerium ejus bene et honoste, semel de carnibus.
Alia vice vero, debet et dare panem et caseum; equo vero suo eminam sivate ad solitam urbis mensuram dabit. "

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(2)On donnait ce nom, surtout dans le midi de la France, aux trésoriers et aux fonctionnaires chargés de la perception dos impôts.
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Choix de Lecture

DEUXIEME PARTIE
Depuis l'an 1000 jusqu'à l'annexion à la Savoie en 1388

CHAPITRE VI.

1.La reine Jeanne, Charles de Duras et Louis, duc d'Anjou.

2.Mort violente de la reine Jeanne.

3.Louis d'Anjou meurt en Italie, en poursuivant son compétiteur.

4.Triste état de la Provence pendant la minorite de Louis II.

5.Soumission de nos pays à Charles de Duras et à son fils.

6.Balthazard Spinola et le statut d'Allos.

7.Serment conditionnel.

8.Craintes de nos ancêtres ; deux amnisties.

(1363-1385.)

 

1. -La reine Jeanne se maria quatre fois. Ses deux premiers maris étaient associés à sa souveraine autorité. Les deux derniers en étaient exclus, d'un commun accord.

A cause de cela, le règne de la reine Jeanne est divisé en deux parties. La première, dont nous avons parlé, se termine à la mort de Louis de Tarente, en 1362. La deuxième, dont nous devons parler maintenant, comprend les événements qui s'accomplirent depuis cette année jusqu'à la mort de Jeanne.

Comme elle n'avait eu de ses quatre mariages avec André de Hongrie, Louis de Tarente, Jacques d'Aragon et Othon de Brunswick aucun héritier à qui elle pût transmettre sa couronne, elle la promit a son neveu, Charles de Duras, et lui donna en mariage sa nièce Marguerite.

Mais ce prince se montra ingrat, et la reine Jeanne, annulant toutes les promesses qu'elle lui avait faites, désigna, par son testament du 23 juin 1330, Louis d'Anjou, frère de Charles V, roi de France, pour son successeur.

2. - La même année, Charles de Duras partit de Hongrie, à la tête d'une armée de dix mille hommes. Il fut couronné à Rome par le pape Urbain VI, et il entra en vainqueur dans Naples, le 16 juillet 1381.

Il fit le siège du palais de la reine, s'empara de sa personne et il la fit assassiner, dans le château de Muro, en Basilicate, le 22 mai 1382. Les uns disent qu'elle fut étranglée par quatre soldats hongrois, devant l'autel de la chapelle du château, où elle était en prière. D'autres affirment qu'après lui avoir lié les mains et les pieds on l'étouffa entre deux matelas.
Note(1).
Elle mourut dans la cinquante-septième année de son âge, après avoir régné trente-sept ans. Charles de Duras avait des droits incontestables pour lui succéder, mais l'assassinat dont il se rendit coupable l'en rendit indigne.

3.- Louis d'Anjou bénéficia donc du crime de Charles, après de sanglants combats et en payant la couronne de sa vie. Encouragé par l'antipape d'Avignon, Clément VII, il appela les Provençaux aux armes et, malgré le parti durassien, qui possédait Aix et d'autres villes, il traversa les Alpes à la tête d'une brillante armée, pour aller au secours de la reine, dont la mort était tenue cachée. En Italie, son armée compta jusqu'à soixante mille hommes, mais elle ne put jamais rencontrer l'armée ennemie; elle s'affaiblit peu à peu par les privations et les maladies, et Louis mourut de chagrin et des suites d'une blessure, devant Bari, le 21 septembre 1384.

Son fils,Louis II, lui succéda, à l'âge de 8 ans, ,sous la régence de sa mère, Marie de Blois.

La reine Marie était alors à Paris. Elle arriva avec le jeune roi à Avignon, le 24 avril 1385, et Louis II, malgré son jeune âge, reçut l'investiture de ses Etats, des mains de Clément VII.

4.-En 1389, il fut couronné dans la même ville, en présence de Charles VI, roi de France. Ce roi de 12 ans
Note(2). avait le royaume de Naples à conquérir et la Provence à pacifier.

En effet, la mort tragique de la reine Jeanne avait mis en question la succession de nos souverains, question la plus grave que puisse avoir à traiter une nation. Il en résulta une confusion et des divisions telles que les uns acceptaient leur nouveau roi, tandis que les autres voulaient son compétiteur. Il y en eut même qui voulaient qu'on n'acceptât aucun souverain avant de savoir ce qu'était devenue la reine Jeanne.

5 - Charles de Duras envoya un corps de troupes napolitaines en Provence et nomma Balthasard Spinola ou de Spinellis grand sénéchal de la partie de cette province qui le reconnaissait pour souverain. Aix, Nice, Toulon, Barcelonnette et plusieurs autres villes se déclarèrent pour Charles. Marseille, Arles, Pertuis, Forcalquier, Sisteron, etc., étaient dévouées à Louis d'Anjou.

Cependant une trêve de vingt mois avait été signée à Aix, en 1385, lorsque, le 5 février de l'année suivante, on apprit la mort de Charles de Duras, assassiné le 5 février 1386 , en Hongrie, dont on lui avait offert la couronne. Cet événement contribua puissamment à la pacification de la Provence, dont le jeune souverain n'avait désormais pour compétiteur que Ladislas, fils de Charles, un enfant encore plus jeune que lui. La trêve devint un traité de paix, le 1er octobre 1387, par un serment prêté sur les saints Evangiles. Les cités provençales dissidentes furent bientôt ralliées, et Spinola lui-même, comblé de dons, prêta serment de fidélité à Louis II.

Seules, les villes et vigueries de Nice, du Puget-Théniers et de Barcelonnette refusèrent de reconnaître Louis II et sa dynastie dite de Valois, comme elles avaient refusé d'adhérer à la trêve de 1385.

6. - Cependant, en 1385, avait lieu, à Allos, un événement qui a sa place marquée dans notre histoire et dont le récit, il me semble, devait être amené par les détails et les dates de la digression que je viens de faire.

Par un contraste frappant, l'auteur ou plutôt le héros de cet important et heureux événement fut Balthazard Spinola, qui fit tant de mal en Provence.

Homme bouillant, courageux et chargé du commandement, d'un corps d'armée composé de soldats prêts à tout, "il fit des ravages, dit un historien,
Note(3).qui ne sont connus que. par les traces profondes qu'il laissèrent. Les habitants des villes et des villages, exposés à des attaques continuelles et souvent surpris dans leur fausse sécurité, imaginérent de bâtir sur les hauteurs voisines des tours dont la plupart existent encore, du haut desquelles on pouvait découvrir l'ennemi dans le lointain et donner le signal du ralliement ".
Note(4).

Honoré Bouche juge encore plus sévèrement que Papon le sénéchal Spinola. Il dit que son armée de Napolitains, etc., était composée de bannis, de malfaiteurs, de gens de sac et de corde ; qu'en brûlant, en tuant, en dérobant, elle fit un ravage tel qu'elle fit révolter les villes qui tenaient pour Louis.

Pour être juste, il faut ajouter que la guerre faite par le vicomte de Turenne, la plus horrible, dit le même auteur, que les siècles passés aient jamais vue en Provence, a probablement fait construire plusieurs des tours dont parle Papon.

Il y a lieu de se demander si ce n'est pas la crainte inspirée par les premiers ravages de ce terrible aventurier, dont les bandes dévastèrent Senez, en 1390, assiégèrent Vauclause, au territoire d'Allons, brûlèrent Colmars et, au retour pillèrent Beauvezer, qui a fait construire. à Allos, les tours de la Colette et de Vacheresse, pour protéger Saint-Pierre et les habitants qui s'y réfugiaient pendant les calamités publiques.

Balthazard Spinola avait fait de Nice sa principale place d'armes, et le château de cette ville était devenu sa résidence ordinaire.

Les troupes du comte Louis II auraient voulu l'en déloger, mais elles avaient d'autres ennemis à combattre dans les différentes parties de la Provence, et le vicomte de Turenne, qui commençait ses ravages, les mit dans l'impossibilité de rien entreprendre de ce côté.

Le calme relatif de Nice permit au sénéchal de Charles de Duras de remettre, pour quelque temps, l'épée dans le fourreau et de s'occuper de la justice, de l'administration, des rapports entre les communes et le pouvoir souverain, etc.
Il visita même les parties les plus reculées du comté de Nice, pour affermir les nouveaux sujets de Charles dans la fidélité à leur souverain, en augmentant, au besoin, les franchises ou libertés municipales et les privilèges dont ils jouissaient dèjà.

Le 12 août 1375, il était à Allos, où il logea dans la maison de Louis Honorat.
Note(5).

Là, il réunit les quatre consuls: Joseph Isnard, Pons Honorat, Antoine Bolfard, Laurent Bérard, et les témoins étrangers à la localité chargés de l'assister dans les affaires qu'il allait traiter.

Les habitants d'Allos sans exception,
Note(6). firent hommage à Charles de Duras et lui prêtèrent serment de fidélité, en présence de son représentant, le sénéchal, locum tenens, assisté de huit témoins. Ces témoins étaient : Napoléon de Grimaldi, de Nice ; Pierre Guiraman, de Barcelonnette, bailli de Saint-Etienne ; Luc Mote, viguier du Puget-Théniers ; Elzéard Giraud, de Saluces, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem ; Jean et Isnard de Grimaldi ; Antoine Gent, notaire, et Jacques Isnard.

Nos ancêtres reconnurent donc Charles comme leur véritable et légitime souverain, Carolum in eorum dominum legitimun et naturalem utpote declaraverunt.

7. Cependant ils demandèrent et il leur fut accordé par le sénéchal que leur serment ne serait que conditionnel et considéré comme non avenu si on venait à constater que la reine Jeanne était encore en vie. Cette condition fut stipulée dans le trente-septième article de la charte dont nous allons parler.
Note(7)..

Cet article établit la fidélité des habitants d'Allos à leurs serments et à leur ancienne souveraine. Il n'est pas étonnant qu'ils ne connussent pas encore la mort de leur reine: à Arles, à Sisteron et ailleurs, on était dans une semblable ignorance. Dans cette dernière ville, nous dit, M. de Laplane, ce ne fut que le 2 décembre 1385 que la réalité avait fini par se faire jour.
Note(8).On voit par là avec quel soin les partisans de Charles de Duras cachaient l'assassinat dont ce prince s'était rendu coupable en immolant sa tante aux intérêts de sa politique. Ils comprenaient qu'il aurait été difficile et même impossible de faire prêter serment à un roi assassin.

Les habitants d'Allos présentèrent ensuite an sénéchal une requête qui ne contenait pas moins de soixante-neuf articles ou demandes.Tous les articles furent répondus par la formule Placet Domino.

La charte qui les contient fut rédigée par un notaire, en présence dudit sénéchal et des témoins ci-dessus nommés.

Cette charte est un document hors pair pour notre histoire.
Les privilèges administratifs, judiciaires, financiers, militaires, commerciaux, etc., qu'elle renouvela ou qu'elle établit portèrent à son apogée l'organisation de la commune d'Allos.
Note(9).

Aucun des intérêts du pays n'y est oublié, comme nous allons le voir; elle touche à tout même à la politique, quand le bien général le demande.

Nous venons de dire, en effet, qu'en prêtant serment de fidélité à Charles, nos ancêtres se réservèrent de revenir sur ce serment et de le considérer comme nul, s'ils apprenaient que la reine Jeanne était encore en vie.

8. - Ils se demandaient en même temps si, en se donnant ainsi à ce roi qui habitait l'Italie, ils ne préparaient pas inconsciemment d'autres changements politiques qu'ils redoutaient : un point noir leur apparaissait donc dans l'avenir. Pour conjurer ce danger, ils demandèrent de ne jamais être livrés à une domination étrangère, ut non possent alienari, et ils voulurent être autorisés à résister, s'il le fallait les armes à la main, à ceux qui voudraient les entraîner dans cette voie en abusant de leur puissance, importunitate potentium.

Le sénéchal répondit selon leurs désirs et il déclara qu'en cas de résistance armée, les habitants d'Allos ne seraient responsables ni des excès, ni des actes de violence commis en combattant.

Il ajouta même que si, un jour, ils se trouvaient dans la nécessité de prêter serinent malgré eux à une autorité illégitime, ce serment n'aurait aucun effet.

Nos pères eurent donc le pressentiment des changements politiques qui se réalisèrent quelques années plus tard et dont nous parlerons bientôt.

Il paraît qu'à cette époque le gouvernement internait parfois, dans nos pays, des étrangers, gentes aliquas extraneas, et que leur présence était onéreuse et même dangereuse pour les habitants.

On demanda donc au roi de ne faire séjourner désormais des étrangers à Allos que sur la demande des habitants et de payer, aux frais de l'État, les dépenses qu'ils y feraient.
Note(10).

Deux amnisties furent accordées par le sénéchal, à la demande des consuls.

La première remettait toutes les peines que nos ancêtres avaient encourues en ne pas remplissant les obligations que leur avait imposées la charte de Raymond-Bérenger, par exemple en ne pas payant l'impôt du cens, des cavalcades, etc.

Par la deuxième, furent empêchées ou arrêtées toutes poursuites, citations ou accusations pour crimes ou délits, sans distinction, qui auraient été commis, jusqu'à ce jour, par des personnes d'Allos ou qui en habitaient le territoire, crimina sive delicta quoque modo commissa per quascumque personas castris de Alos et ejus territorio.

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(1)Aliqui dixerunt ipsam strangulatam ; aliqui sub culcitra suppositam legatisque manibus et pedibus suffocatam extitisse. (Baluze.)
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(2)Histoire de Sisteron, t. I, p. 185.
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(3) Papon, t. III, pp. 262-263.
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(4) Honoré Bouche, t. II, p. 407.
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(5) In castro de Alosio, infrà domun magistri Alosii Honorati, dicti loci, in quâ idem dominus locum tenens fuit hospitatus, videlicet in aula dictoe domus.
(Charte de 1385.)
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(6)Singulis et singulatim, nemine discrepante, absque contradictione quacumque.(Même charte.)
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(7) Quod ubi contigerit manifestum dominam nostram Johannam reginam fore vivam, quod sit licitum hominibus dicti loci seu castri de Alosio reducendum (sic) ad manus seu senhoriam sive dominium nostroe reginoe.
-Placet domino,
répondit le sénéchal. (Charte de 1385.)
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(8) Histoire de Sisteron, t. I, pp. 178-179.
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(9) Le catalogue des privilèges d'Allos, tenor privilegiorum, est conservé aux archives de la préfecture de Marseille.
Il ne contient pas moins de quatre vingts pages in-4°, dont quarante consacrées à la charte du 12 août 1385.
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(10) Quod Dominus rex nec ejus officiliales in loco predicto (de Alos) debeant tenere gentes aliquas (sic) extraneas, nisi ad requisitionem hominum, sive consulum ipsius loci, et casu quo gentes aliquoe mandato dicti Domini vel ejus locum tenentis, sive pro parte dicti Domini regis, in ipso loco permanerent, quod sumptibus Domini regis ibidem permaneant et omnia victualia et alias res quascumque, quas in ipso loco receperint, sive habuerint integraliter solvere teneantur, ipseque Dominus ad requisitionem loci, dictas gentes a dicto loco faciat recedere quandocumque fuerit requisitus. -Placet Domino.
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Choix de Lecture

DEUXIEME PARTIE
Depuis l'an 1000 jusqu'à l'annexion à la Savoie en 1388

CHAPITRE VII.

1.Juridiction des consuls d'Allos en matière criminelle et civile.

2.Le tribunal du juge établi à Allos par le comte.

3.Les consuls chargés d'administrer et de défendre le pays en temps de paix.

4.Les ouvrages de défense et les dégâts en temps de guerre exclusivement à la charge du trésor royal.

5.Les tours des remparts, la porte Boucheria, le port d'armes libre.

6.Suppression de quelques impôts; reddition des comptes du clavaire.

7.Des seigneurs d'Allos, de la délivrance des captifs.

8.Du transport des marchandises, des pâturages, des foires, des troupeaux, du sel, de l'irrigation des champs.

9.Syndicat et bailliage d'Allos.
Préliminaires de l'annexion à la Savoie.


(1385-1388.)

1. La partie la plus essentielle de la charte, du 12 août 1385 est la juridiction des consuls d'Allos. On distinguait alors trois sortes de juridiction : la juridiction ou justice souveraine, merum imperium, la juridiction moyenne ou mixte,mixtum imperium, et la juridiction universelle, omnimoda juridictio.

La juridiction souveraine, comme le mot l'indique, était celle du roi. ou du comte de Provence.
A elle appartenait le jugement des criminels pouvant être condamnés à mort, à la mutilation, à d'autres peines corporelles.

La juridiction mixte ou moyenne donnait aux juges qui en étaient investis le droit de condamner les coupables des crimes non compris dans la juridiction souveraine et de tous les délits. Telle était, dit l'auteur de l'Histoire de la Viguerie de Forcalquier, celle des consuls d'Allos.

Voici une série de faits criminels ou délictueux qui entraient dans l'exercice de la juridiction mixte ou consulaire :
injures verbales, tirer le glaive du fourreau avec menace de frapper quelqu'un, coups de pierres, soufflets, saisie de gages sans autorisation de la justice,
Note(1). s'approcher de quelqu'un, pendant la nuit, sans lumière, blasphèmes contre Dieu ou contre sa sainte Mère ; empêchement du transport du blé ou d'autres choses nécessaires à la vie, obstruction volontaire des rues et des chemins publics, etc., etc.

Les consuls d'Allos étaient donc des magistrats remplissant les fonctions ordinaires de la judicature. Ils pouvaient siéger régulièrement et prononcer les jugements de leur compétence, en l'absence du bailli royal, le cinquième membre du consulat. Ils avaient le droit de faire arrêter les délinquants, de les détenir, de les faire mettre aux entraves, compeditare, de les punir comme ils jugeaient à propos, pro arbitrio.
La charte
Note(2). leur donnait, à ce sujet, un pouvoir discrétionnaire presque illimité.

Les condamnations à la détention n'étaient pas dans les moeurs; au moyen âge. La prison n'était cependant pas chose inconnue, et Balthazard de Spinola accorda l'autorisation d'en faire une dans une tour des remparts, à côté de la porte dite Porta Brocheria ou Bocharia , Pourtaou Bouchia ou de la boucherie. Cette prison était, comme on dirait aujourd'hui, un dépôt où certains accusés étaient retenus jusqu'au jour de leur condamnation.
Alors, s'ils étaient reconnus coupables de véritables crimes, les juges royaux les condamnaient à une punition corporelle, par exemple la mutilation ; on leur coupait un pied ou une main, et on les renvoyait.
Note(3).
S'ils étaient reconnus moins coupables, les consuls leur infligeaient une punition pécuniaire.
Les peines pécuniaires ordinaires étaient le ban et l'amende, et , lorsque les condamnés ne les payaient pas ou refusaient de solder d'autres dettes, ils étaient condamnés aux arrêts.

"Dans nos anciens statuts, dit le docteur Honnorat, ce mot ban, bannum, signifie tantôt prohibition faite par la loi municipale et tantôt la peine imposée à ceux qui y contrevenaient, De là, venait le nom de banniers qu'on donnait à ceux qui étaient commis à la garde des terres.
Les consuls d'Allos imposaient souvent la peine du ban à ceux qui avaient fait des dégâts dans les blés, les prés, les pâturages, damnum dantibus in segetibus, pratis, bladis et aliis defensibus dicti loci.

Dans cet article de la charte, le mot ban est pris dans ce dernier sens et il ne diffère de l'amende que par le nom et par la destination de la somme payée par les délinquants. Le produit des amendes entrait dans la caisse du fisc, et celui des bans était partagé entre les banniers, le viguier et la commune.

Les arrêts étaient, nous l'avons déjà dit, une peine imposée à ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas payer ce qu'ils devaient.
Note(4).
A la demande du créancier, le tribunal condamnait le débiteur à rester jour et nuit devant le tribunal, ou sur une place publique, ou dans telle rue, jusqu'à ce qu'il eut payé ce qu'il devait ou fait cession de ses biens.
Cette peine, à laquelle les mauvais payeurs étaient souvent condamnés, était parfois très incommode.
Le sénéchal, après avoir entendu à ce sujet les doléances de nos ancêtres, décida que désormais, dans le district d'Allos, on ne condamnerait plus les débiteurs aux arrêts, au moins dans certains cas prévus par la charte.
Note(5).

Les consuls d'Allos jugeaient donc au criminel et au civil. Au civil, dit M. Camille Arnaud, leur tribunal était quelque chose d'approchant notre juridiction correctionnelle, laquelle ne connaît que des délits, laissant au jury le soin de statuer sur les crimes.
Note(6).

Leur juridiction était vraiment universelle, dans ce sens qu'ils déclaraient et définissaient eux-mêmes leur compétence, tant en matière civile que criminelle ,
Note(7).et qu'ils pouvaient publier partout des bans ou défenses, faire saisir et emprisonner les délinquants, en attendant qu'il fût décidé devant quelle juridiction ils devaient être renvoyés.

Veut-on savoir, dit encore l'auteur de l'Histoire de la Viguerie de Forcalquier, pourquoi les habitants d'Allos insistaient tant pour la juridiction de leurs consuls ?

C'est qu'ils y avaient un intérêt majeur : ils ne payaient pas de lates au tribunal du consulat.

La late, lata, était un droit que tout plaideur, soit demandant, soit défendant, était tenu d'acquitter, dans la caisse du fisc, dès l'introduction de l'instance.
Il y avait des règles à ce sujet, sur lequel s'était établie une espèce de jurisprudence. On était dans l'habitude de les affermer.
En 1535, à Forcalquier, l'adjudication des lates fut faite moyennant le prix de 2,210 florins!...
Il suffit d'énoncer ce fait pour faire comprendre les abus auxquels donnait lieu la perception d'un pareil impôt.

Les habitants d'Allos, ainsi que ceux de beaucoup d'autres communes, surent s'en affranchir.

On les exempta de la late,
Note(8). non seulement pour les procès portés devant le tribunal des consuls, mais encore pour ceux dont les officiers du comte connaissaient, pourvu toutefois que la demande fût reconnue par le défendeur.

2. A côté du tribunal consulaire, fonctionnait un autre tribunal, celui des officiers du comte, car, "indépendamment du bailli, continue M. Arnaud, il y avait à Allos un juge ayant avec lui greffier et clavaire ". On les appelait officiers mineurs, pour les distinguer du juge mage, des maitres rationaux, des archivaires, etc., qui portaient le nom d'officiers majeurs et avaient leur résidence à Aix.

La proximité de ces deux tribunaux, dans un petit pays, occasionna inévitablement des difficultés et même des conflits, dont les habitants avaient à souffrir.
Les officiers du comte, officiales regii, commençaient des procédures et faisaient instruire des affaires qui étaient de la compétence des consuls, afin d'avoir droit aux émoluments que ces affaires procuraient aux juges,quod soepe fiunt, pro lucro sibi acquirendo.

Ces empiétements furent signalés au sénéchal de Spinola, qui prit énergiquement la défense des consuls, mais d'une façon assez singulière. Il déclara que si, désormais, le juge royal appelait indûment à son tribunal des délinquants relevant de la juridiction consulaire, ceux-ci pourraient, lorsqu'ils seraient régulièrement poursuivis devant le tribunal du comte, arguer de nullité et ne pas se soumettre aux peines qui leur seraient imposées. C'était les autoriser à profiter de la rapacité ou de la maladresse des officiers du comte.

3. - Le consulat était une institution administrative plus encore que judiciaire, ad consulendum et regendum
Note(9).

En vertu de l'article 30 de la charte, les consuls réunissaient le conseil, désignaient le lieu de la réunion, etc., consilium mandare, tenere et celebrare
Ils avaient également le droit de convoquer les habitants en assemblée générale, chaque fois qu'ils le trouvaient à propos, congregationem mandare et fieri facere, quotiescumque eis placuerit.
Le pouvoir de réunir ainsi les habitants en assemblée populaire pour traiter les affaires de la commune, faire l'élection des conseillers, etc., était une prérogative considérable.

Ce privilège était-il nouveau ou bien simplement confirmé et renouvelé par le sénéchal ?

Il est certain qu'il existait déjà à Colmars, car les assemblées populaires, dit M. Camille Arnaud, interdites dans presque toute la Provence, persistèrent à Colmars.
Cela résulte d'un acte de la reine Marie, régente de Louis II, du 8 février 1391, et d'une ordonnance royale publiée cent cinquante ans plus tard, à Chambord, en 1551, portant que le bailli de Colmars devait assister au conseil et aux assemblées des habitants,quand il leur convenait de se réunir pour traiter leurs communes affaires.
Note(10).
Cet auteur ajoute que les habitants d'Allos jouissaient de la même faculté.

Nos consuls, avons-nous dit, édictaient des bans, c'est-à-dire des prescriptions et prohibitions municipales, pour assurer la salubrité, la tranquillité et la sécurité dans le district : c'étaient les règlements de police de cette époque. Ils avaient la surveillance des poids et des mesures, de l'étalage des revendeurs, de la boucherie et la police des foires et marchés. Ils s'occupaient de l'entrée des céréales, de l'incolat, c'est-à-dire de la situation des étrangers dans le pays, et ils faisaient garder la paix aux tapageurs.

Une de leurs fonctions les plus importantes était la garde et la défense du pays.

Allos était un lieu fortifié, castrum, comme disent les chartes. Les consuls en avaient les clefs et, par leurs soins, une surveillance nocturne y était organisée, lorsque les circonstances l'exigeaient, afin de prévenir les surprises et d'appeler les habitants aux armes, en cas de danger.

Les droits et les devoirs des consuls, à ce sujet, sont parfaitement déterminés par l'article 49 de notre charte de 1385.
Note(11).
Il y est stipulé qu'en temps de paix les consuls seuls peuvent commander le guet; que les habitants, requis par eux, doivent promettre, par serment fait entre leurs mains, de s'acquitter fidèlement du devoir qui leur est imposé ; qu'ils seront punis par lesdits consuls s'ils agissent contre leur serment, et enfin que les officiers royaux et le roi lui-même ne pourront ordonner le guet en temps de paix, à moins que les consuls et la population ne demandent leur intervention.

4. - Mais si les consuls seuls avaient la garde du pays en temps de paix, il n'en était pas ainsi en temps de guerre.
Le roi et ses successeurs étaient tenus de défendre les habitants d'Allos, ainsi que leur territoire contre les attaques de leurs ennemis et aux frais du trésor royal.
Note(12).

La promesse faite à ce sujet par le sénéchal, au nom de Charles de Duras, est tellement formelle que, si lesdits habitants, par un abus de pouvoir ou par suite d'un concours de circonstances imprévues, payaient une partie de ces frais, ils avaient droit à une indemnité équivalente et même à une compensation de plein droit. Le représentant du roi alla jusqu'à leur permettre d'opérer eux-mêmes cette compensation, en faisant des retenues sur les impôts dus au souverain, jusqu'à concurrence de la somme qui leur revenait !

Nos ancêtres pouvaient également réclamer des indemnités pour occupation, détérioration ou destruction de leurs biens, non par fait de guerre ou par l'ennemi, mais par les administrateurs locaux ou par les envoyés royaux faisant construire des tours, de nouveaux remparts, etc., ou réparant les anciens.

L'article 20 de notre charte donne à ce sujet des détails qui ont leur importance. Après les dernières guerres et les maladies dont la Provence venait d'être le théâtre, y est-il dit, on travailla aux fortifications d'Allos, et ces travaux rendirent nécessaire l'occupation des maisons, des jardins, ainsi que des champs voisins, et la démolition de quelques habitations.
Note(13).
Les propriétaires qui avaient subi ces dégâts ou qui avaient été dépossédés de leurs maisons furent déchargés des redevances foncières, c'est-à-dire de l'impôt du cens qu'ils devaient au gouvernement, car on fortifiait Allos dans l'intérêt du roi.

Cet intérêt était évidemment politique et il primait l'intérêt local. Nos pères le comprirent parfaitement, et ils en firent un argument pour obtenir les indemnités qu'ils sollicitaient ; le sénéchal n'en disconvint pas, et le notaire rédacteur l'inséra dans la charte.

Mais quel avantage politique pouvait avoir un roi de Naples à posséder un bourg fortifié dans les Alpes?

Pour le comprendre, n'oublions pas que ce roi était Charles de Duras, compétiteur de Louis II, qu'il voulait s'emparer de la Provence, qu'il était déjà maître du comté de Nice et qu'Allos était devenu, par conséquent, malgré son peu d'importance, place frontière de ce comté.

Le sénéchal de Charles fit aux habitants une concession très utile en les déchargeant temporairement d'un impôt dont nous avons déjà parlé plusieurs fois. Tenant compte des vexations et des lourdes charges qu'ils avaient à supporter à l'occasion des guerres et des fortifications d'Allos, il les dispensa, pour douze années, des vingt-cinq livres qu'ils payaient annuellement pour les cavalcades, attentis oppressionibus fortificationum et guerrarum.., hominibus de Alosio, viginti quinque libras gratiose remissis.

5. Il leur permit aussi de transformer la partie supérieure des tours existantes et de celles que l'on pourrait construire, d'y ménager des habitations, de les louer à leur profit ou d'y déposer ce qu'ils voudraient.
Note (14)
On pouvait, par conséquent, couvrir l'intérieur de ces tours, y pratiquer des ouvertures, etc.

Nous avons déjà fait remarquer incidemment que les consuls furent autorisés à établir une prison dans une tour voisine du Portail boucher ou bouchier, juxtà Portam brocheriam.
Ajoutons qu'ils pouvaient aussi, et sans l'intervention des officiers royaux, en faire un lieu de réunion pour le conseil, en un mot en disposer selon leur volonté, prout eis placebit.

Disons enfin, pour grouper ici tout ce que contient la charte touchant la défense militaire du pays et le droit individuel de légitime défense, que les habitants d'Allos supplièrent le roi de ne pas leur envoyer un capitaine, ni un autre chef militaire de quartier, à moins qu'il n'en fût prié par une demande formelle de leur part, et de les affranchir de toute défense du port d'armes. Le sénéchal répondit que l'autorité royale ne leur imposerait pas de chef militaire en temps de paix, mais qu'elle se réservait toute sa liberté d'action en temps de guerre, et qu'ils pouvaient porter les armes qu'ils voudraient, en particulier des couteaux de chasse et des sabres dans les champs, sur les routes et dans les forêts du territoire d'Allos, deferre eorum cultellos et alia ipsorum arma pro libitu voluntatis.

6. - Le désir qu'avait le roi de contenter ses nouveaux sujets et la présence de son sénéchal portèrent nos ancêtres à solliciter la diminution des impôts, qui étaient difficiles à payer dans ces temps de troubles et de calamités publiques.

Ils furent déchargés du fouage ou impôt par feu, ab hominibus loci de Alosio non exigat ulterius aliqua focagia.
Nous avons dit comment ils furent dispensés de payer les cavalcades, pendant une période de douze années, et le sénéchal leur promit qu'ils ne payeraient désormais ni taille, ni prestation quelconque, en nature ou en argent, en dehors des impôts accoutumés.

Si l'intervention du roi était nécessaire pour la réduction de l'impôt, les consuls avaient cependant une fonction aussi importante qu'honorable en matière fiscale: ils étaient juges des comptes du clavaire.

Ils se réunissaient, pour cela, avec leurs collègues, les consuls de Colmars, prêtaient serment entre les mains du bailli et procédaient ensuite à l'examen des comptes, en présence d'un délégué du tribunal du comte.
Cette assemblée des consuls d'Allos et de Colmars, ayant au milieu d'eux un officier de la curie royale, était une petite cour des comptes. Le premier fonctionnaire dont elle eut à examiner la gestion était l'ancien clavaire de la vallée du Verdon et il s'appelait Louis Gautier.
La décision des consuls, prononcée au nom du seigneur roi, nomine domini regis, dit la charte (art. 33), était définitive et il n'y avait pas lieu ordinairement de recourir à des juges supérieurs.

Les fonctions judiciaires et administratives des consuls leur faisaient une situation très considérable dans la commune. L'importance de cette situation était même devenue proverbiale, et aujourd'hui encore, à Allos, les anciens du pays disent de quelqu'un qui est estimé, considéré, influent, " on dirait qu'il est au banc des consuls ",es ou banc des consous !
Note(15).

Pour en finir avec la charte de 1385, sans oublier cependant aucune des libertés qu'elle apporta à nos pères, mentionnons les suivantes, à la fin de cette étude, peut-être déjà trop longue.

7. Y avait-il encore des membres de la noblesse d'Allos en 1385?

On peut répondre oui et non, en faisant la distinction que faisait saint Jean-Baptiste.
Il y en avait, en effet, puisqu'un article de la charte les obligea à contribuer aux charges communes, comme les autres propriétaires, et qu'un autre article reconnaît leur droit d'y percevoir les redevances féodales appelées services, trezains, lesdes, cens etc.

Il n'y en avait pas parce qu'ils avaient fixé leur domicile ailleurs. La vérité est donc qu'il y avait encore des nobles d'Allos, mais qu'il n'y en avait pas alors à Allos.
C'est pourquoi le sénéchal dispensa de l'obligation imposée par Reymond-Bérenger de choisir un consul parmi les seigneurs.

On s'occupa ensuite des captifs, de leur délivrance et de leur rapatriement. Il y avait donc alors des captifs, hélas et l'on s'occupait de leur délivrance.
Il fut stipulé dans la charte qu'il n'y aurait rien à payer pour leurs frais de retour, pro carreragio nihil solvere teneantur

L'horreur que l'on avait pour les condamnations à la prison paraît dans l'article 40 et elle enhardit nos compatriotes à demander que personne ne put être incarcéré, ni pour délits, ni pour crimes. Ce qu'ils demandaient leur fut accordé, excepté pour les cas où il y aurait lieu d'infliger une peine corporelle très grave, par exemple la mutilation.

Il leur fut également accordé que les juges du comte ou du roi ne pourraient prononcer la confiscation des biens qu'en présence de deux prud'hommes.
Cette mesure était dictée par la prudence :
les prud'hommes étaient du pays et pouvaient donner de précieux renseignements aux juges royaux qui étaient des étrangers.

8. - Au moyeu âge, comme aujourd'hui, l'élevage et le nourrissage des bestiaux étaient la principale ressource d'Allos, et il y avait, paraît-il, surabondance de pâturages, puisque les consuls furent autorisés à les louer même à des étrangers.

Les habitants demandèrent une entière liberté pour la vente et l'achat du bétail, ainsi que pour conduire leurs troupeaux dans un climat plus doux, pour les y faire paître pendant l'hiver.

Le sénéchal leur répondit en prenant les dispositions suivantes:
"Les troupeaux d'Allos qui vont hiverner dans la basse Provence et qui reviennent dans les montagnes pour y passer l'été auront le passage libre et gratuit sur toutes les terres du comte de Provence et de Forcalquier, et les conducteurs de ces troupeaux n'auront aucune indemnité ou redevance à payer, excepté pour les dégâts faits dans les blés, les vignes et les prés, etc...
Note(16).
On pourra également conduire ces bestiaux ailleurs, pour les vendre ou pour tout autre motif, malgré les défenses existantes ou qui pourraient être faites et qui seront non avenues pour les troupeaux d'Allos; mais il ne sera pas permis de vendre des bestiaux aux ennemis du roi ou de la patrie. "

La même liberté est accordée a toutes les personnes de la localité pour le transport des marchandises qu'elles voudront vendre ou acheter, faire apporter des terres de Provence ou les y transporter sans qu'on puisse exiger d'elles aucune redevance sur les terres du roi.
Note(17).

Nos pères demandèrent que la foire qui était fixée au quinze août, fête de l'Assomption de la Sainte Vierge, fût transférée au 8 septembre, fête de la Nativité.

Le concours d'étrangers dont cette foire était l'objet était si considérable que le sénéchal autorisa les consuls à organiser une surveillance armée, chargée de veiller, le jour et la nuit, à la garde du chef-lieu et du territoire, avant, pendant et après ce concours.
Note(18).
L'organisation d'une patrouille nocturne et d'une milice diurne à l'occasion d'une foire témoigne évidemment de son importance.
Qui aurait songé à établir une milice quelconque pour maintenir l'ordre dans un simple marché !

Le sel nécessaire à l'alimentation des hommes et des animaux était apporté de Toulon, de Fréjus, de Nice, de Grasse ou d'ailleurs ; il était acheté par les habitants d'Allos à peu près comme ils achètent le tabac aujourd'hui.

L'article 2 apporta un adoucissement sensible à cette gênante réglementation fiscale appelée l'impôt de la gabelle ; il permit de faire des provisions de sel et de le transporter où l'on voudrait, dans les montagnes des Alpes, par exemple à Barcelonnette, à Briançon, etc., mais avec défense formelle de ne jamais le fournir aux ennemis.
Note(19).

L'agriculture ne fut pas oubliée dans cette charte, qui touche à tous les intérêts du pays.

Pour faciliter l'irrigation des champs, on permit aux agriculteurs d'amener les eaux par des rigoles qui traversaient ou qui suivaient les chemins publics. On pouvait établir ces rigoles sans avoir demandé aucune autorisation, mais en ayant soin de ne pas rendre les chemins impraticables.

Les possesseurs des moulins et des foulons avaient également la liberté de faire passer par les voies publiques l'eau nécessaire à leurs usines. Cette liberté était d'autant plus précieuse que les habitants pouvaient, en vertu d'un autre article de ladite charte, établir des moulins et des foulons, molandina et paratoria, sans être obligés de payer aucune redevance.

9. - Disons, en terminant, ce que statua le sénéchal relativement aux syndicat et au bailliage.

Les syndics étaient alors, en général, des fonctionnaires chargés de prendre soin des affaires de la commune. Le syndicat était presque partout d'ordre administratif, et le consulat d'ordre judiciaire. Chez nous, les syndics étaient spécialement chargés de défendre les orphelins, les veuves et, au besoin, toutes les autres personnes de la communauté. Ils étaient donc les avocats des faibles et de toutes les victimes des injustices humaines, et ils devaient les défendre aux frais de la municipalité. Leur nombre n'était pas limité : les membres du conseil, réunis avec les consuls, pouvaient en élire plusieurs ou un seul, pour un an seulement.
Note(20).

En dehors et à côté de l'administration municipale strictement réservée à la commune, dit l'auteur del'Histoire de Barrême,étaient placés les agents de l'autorité souveraine, dont le principal était le bailli.

Allos voulait être chef-lieu du bailliage de la vallée du Verdon ou bien avoir le droit de nommer son propre bailli.
Note(21).

Cette demande fut acceptée à demi. Les consuls et le conseil d'Allos nommèrent leur bailli. C'est un des plus rares privilèges qu'on puisse rencontrer; mais il ne dura que sept ans. Il fut transformé, en 1392, par Amédée VIII, comte de Savoie, qui accorda une compensation dont nous parlerons plus tard.

Telle est la charte de 1385, la plus importante de notre histoire après celle de Raymond-Bérenger.

Raymond-Bérenger avait établi les bases et les principaux rouages de l'organisation communale.

Le sénéchal Spinola compléta cette organisation, en accordant des libertés et des privilèges particuliers à nos ancêtres, pour les attacher à la personne et à la dynastie de Çharles de Duras.

Ce prince mourut comme il avait fait mourir la reine Jeanne; il fut assassiné en Hongrie, en 1386.

Ladislas, son fils, lui succéda, et nous allons voir, dans le chapitre suivant, comment, sous son règne, le comté de Nice fut annexé à la Savoie.


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(1) Pignerationes factoe propria auctoritate ,gages dont le créancier s'emparait de son propre chef. Par exemple, quelqu'un ne payait pas une petite somme qu'il devait à son voisin. Celui-ci allait chez lui s'emparait d'un objet de la valeur de cette somme, l'emportait en nantissement et n'avait plus rien à déméler avec son débiteur. Le cas qui suit, accessus de nocte sine lumine, peint également les moeurs de cette époque.
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(2)Dans les deux premiers articles, le sénéchal parle des habitants d'Allos, de Colmars et de Beauvezer, de Alosio, de Collomartio et de Bellovedere, comme si les privilèges énumérés dans sa charte étaient accordés à ces trois pays.
A partir du troisième article, au contraire, il ne s'occupe que d'Allos, et, si les noms de Colmars et de Beauvezer reviennent deux ou trois fois sous la plume de son notaire rédacteur, c'est incidemment et à cause de certaines difficultés que des communes voisines ont inévitablement à résoudre entre elles. Pourquoi ces deux communes sont-elles si associées à celle d'Allos dans les deux premiers articles d'une charte dont les soixante-sept autres articles sont exclusivement consacrés à notre pays ?
Parce que ces deux articles sont la suite et le complément de la charte de Raymond-Bérenger, qui accorda le consulat à Colmars, à Allos et à Beauvezer.
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(3)La condamnation à cette peine était un reste des coutumes barbares antérieures au moyen âge.
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(4)Hostagium seu ostagium tenere, hostager , se disait du débiteur contraint de stationner dans un endroit désigné jusqu'à ce qu'il eût satisfait son créancier.
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(5) Neque aliquibus petitionibus pro ostagiis, sive arresto teneri(art. 28).
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(6) Histoire de la Viguerie de Forcalquier, t. I, p. 227.
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(7) Liceat consulibus ipsis definire et declarare omnes causas pertinentes ad illos, criminales et civiles, irrequisito baiulo et omni alio regio officiali.
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(8)Quelques auteurs entendent par late " la taxe imposée au débiteur en retard ", et ils orthographient ce mot différemment, en l'écrivant comme latte, pièce de bois clouée sur les chevrons pour supporter les ardoises, les tuiles ou les planches. L'orthographe et la signification données par M. Camille Arnaud me paraissent préférables.
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(9) D'après Augustin Fabre, les consuls d'Arles, voyant que les affaires litigieuses augmentaient, cédèrent leurs fonctions judiciaires à des officiers consacrés à l'étude du droit. Ils pouvaient donc être consuls sans être juges. (Histoire de Provence, t, II, p. 72.)
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(10)On lit dans l'Histoire de la Viguerie de Forcalquier: "Nous croyons que, très anciennement, à une époque dont il ne nous reste aucun document, les élections tant des conseillers que des officiers municipaux étaient faites par des assemblées auxquelles participait l'universalité des habitants; mais on supprima cette liberté et on lui substitua l'élection faite par les conseils, anciens et modernes, avec l'adjonction des cités, c'est-à-dire des prud'hommes. Cependant il n'y eut pas uniformité sur ce point.
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(11)Consules possint excubias quascumque necessarias pro custodia loci fieri facere et mandare quibuscumque... et omnes illi excubias facientes jurent in manibus dictorum consulum bene et legaliter excubias faciendi et si per illos contra factum fuerit puniantur. Nec dictus dominus rex aut sui officiales aliqas excubias mandent nisi tempore guerroe et quando per consules et homines ipsius loci fuerint requisiti..
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(12)Dominus rex et sui successores teneantur defendere dictum castrum et homines ipsius castri et territorii ejusdem ab omnibus inquietantibus seu guerroe aut insidias inferentibus, sumptibus et depensis curioe supradictoe et casu quo oporteret dictos homines de Alosio pro custodia dicti loci aliquas expansas facere quod de juribus et proventibus dicti domini regis omnes ipsoe expensoe eisdem restituantur et ipsa jura et census et servicia atque proventus homines dicti loci sibi retinere possint usque ad satisfactionem expensarum ipsarum. (Art.10.)
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(13)Causantibus guerris quoe in Provinciam viguerunt et mortalitatibus ac pro fortificatione castri de Alosio quoedam proedia, prata, orti et hospicia fuerunt descripta sive devastata et quoedam etiam destruenda(Art. 20.)
Les près et les jardins dont il est fait mention dans cet article sont sans doute le Prè de la porte, propriété située près de l'ancienne porte du nord , Pourtaou de l'auro, et les jardins de la Rochette, qui touchaient les remparts du côté du nord, du couchant et du midi. Les maisons qui furent rasées étaient probablement hors des murs d'enceinte et il y avait à craindre que l'ennemi ne s'y établit pour attaquer la place , ou bien on les acheta pour construire sur leur emplacement des tours adhérentes aux remparts.
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(14)In turribus factis et fiendis (sic), in fortificatione castri Alosii, possint homines dicti loci hostia sive portas et mansiones facere... Ita quod, proventus sive loquerium pertineat ad eosdem.
La distinction entre les tours existantes et celles que l'on devait construire est une preuve de plus de l'impulsion donnée à cette époque, dans notre région, aux travaux de défense militaire,
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(15) J'ai entendu souvent prononcer ces mots et je dois ajouter que, maintes fois, on leur donne un tour négatif, en disant par exemple, en présence d'un souffreteux, ès pas ou banc das consous.
Les consuls d'Allos avaient des places d'honneur à l'église et ils s'y rendaient en tenue ordinaire tous les dimanches et en chaperon, aux grandes fêtes.
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(16)Averia hominum de Alosio qui in Provincia causa uvernandi ire contingerit et redire causa estivandi in partibus montanorum, nullum pedagium, passagium, pulveragium nullumque ramagium…, solvere teneantur, etc. (Art.50.)
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(17) Pro aliquibus ,mercaturis ad partes Provincioe facerent deportare sive de partibus Provencioe ad partes montanorum ac pro aliquibus animalibus oneratis. (Art. 60.)
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(18) Consules ipsis nundinis durantitubus, ante et post omne tempore (sic), pro custodia ville, et territorii de Alosio, diurnam et nocturnam faciendam. (Art. 65.)
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(19)Transferre, portare vel portari facere possint trans colles, et ad loca videlicet Barcillonnioe, Briançoni et alia... Et pro sale possint homines de Alosio facere congregationem etiam pro libitu voluntatis. (Art. 21.)
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(20) Possint eligere homines ipsius loci quando eis placuerit, anno quolibet unum, vel duos, vel plures defensores qui habeant pupillos, viduas Alosii et singulares personas defendere ab omnibus injusticiis sumptibus universitatis.
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(21) Quod in ipso castro teneatur pro ipsa valle curia domini nostri regis et sit caput baiulioe et de casu quo nom esset caput baiulioe quod baiulus qui pro tempore fuerit in capite, in ipso castro de Alosio, ad nominationem Consulum et consilii ipsius loci et non aliter. (Art 67.)
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Choix de Lecture

TROISIÈME PARTIE.
Depuis l'annexion à la Savoie, en 1388,
jusqu'au traité d'Utrecht, en 1713.

CHAPITRE I.

1.Nice appelle à son secours le comte de Savoie.

2. Convention préliminaire entre ce prince et les députés de Nice.

3.Charte de donation signée à Nice.

4. Les députés de Barcelonnette et d'Allos se rendent dans cette ville.

5.Le comte de Savoie à Barcelonnette.

6. Fâcheux résultats de notre séparation de la Provence.

7.Raymond de Turenne ravage la vallée du Verdon.

8. Trêves de 1389 et de 1400.

9. Amédée VIII et la reine Yolande.

10.Terre-Neuve.

11. Les premiers princes de Savoie qui régnèrent sur nous.

(1388-1472.)

1 - Au printemps de 1388, le sénéchal de Provence,George de Marle, passa le Var à la tête des troupes de Louis Il, comte de Provence, et vint assiéger Nice. Les habitants de cette ville, n'ayant pas dans leurs murs les moyens de défense dont ils avaient besoin, envoyèrent aussitôt trois députés au roi de Naples, leur souverain.

Ladislas et Marguerite, sa mère et sa régente, étant alors dans l'impossibilité d'envoyer la force armée réclamée par les Niçois, les autorisèrent a choisir pour leur défenseur le prince qui aurait leur confiance, pourvu qu'il ne fût pas de la maison d'Anjou.

La ville de Nice envoya trois députés à Amédée VII, comte de Savoie, et, comme il n'y avait pas de temps à perdre, elle les chargea de traiter avec lui.

2. - Les préliminaires du traité ou plutôt de l'acte de donation, signés à Chambéry, le 6 du mois d'août 1388, contenaient les articles suivants

A. - Le comte Amédée s'engageait a réunir immédiatement un corps d'armée pour aller délivrer Nice et à marcher en personne contre les ennemis de cette ville.

B. - Il prenait sous sa protection les quatre vigueries de Nice, de Sospel, de Puget-Théniers et de Barcelonnette et promettait de défendre leur territoire.

C. - Les habitants de ces vigueries devaient, aussitôt après la levée du siège de Nîce, reconnaitre Amédée VII pour leur souverain adoptif, lui faire hommage et serment de fidélité.

D. - Le roi Ladislas conservait ses droits souverains sur tout le comté pendant trois ans, à partir du jour de la convention, de sorte que si, à l'expiration de ce délai, il était en mesure de payer au comte de Savoie tous les frais de guerre, de défense et d'occupation, il serait aussitôt remis en possession de sa souveraineté.

Le comte de Savoie arriva devant Nice le 2 septembre; son avant-garde campa sur la colline de Cimiez, et il s'établit lui-même a l'abbaye de Saint-Pons. Le sénéchal de Provence, prévoyant que ses troupes allaient se trouver entre deux feux se retira, pendant la nuit suivante.

3. - On prépara ensuite de part et d'autre l'acte de donation, où il fut stipulé que les habitants des quatre vigueries nommées dans la convention préliminaire de Chambéry obéiraient au comte en bons et loyaux sujets et qu'ils conserveraient tous leurs privilèges, immunités et franchises, notamment la juridiction de leurs consuls au civil et au criminel, enfin toutes les concessions accordées par Charles II d Anjou, par la reine Jeanne, etc.

Cette charte, rédigée par le secrétaire du comte et par celui de la ville, fut signée sous un ormeau, en face de l'abbaye de Saint-Pons, le 25 septembre 1388.

Amédée VII fit son entrée dans Nice le 6 octobre, et, après avoir reçu les clefs du châtean, il se rendit à la cathédrale, où l'on chanta de solennelles actions de grâce.

4.- Les députés de Barcelonnette et d'Allos, furent probablement témoins de la signature de la charte et de l'entrée de leur souverain dans la ville. Nous savons, en effet, que ceux de Barcelonnette partirent le 14 ou le 15 septembre, pour aller prêter serment de fidélité. Or, on ne voyageait pas rapidement alors, et, d'ailleurs, les envoyés de nos communes ont pu prolonger leur séjour à Nice pour assister à l'entrée triomphale du comte Amédée dans cette ville. Ajoutons que nos pays n'occupaient pas les dernières places dans le mouvement qui entraînait les populations du comté de Nice vers ce souverain.
Dès le 10 mai 1388, Barcelonnette et Allos avaient manifesté le désir d'être réunis à la Savoie.
Note(1).

5. "La politique savoisienne se montra digne de l'hommage dont elle était l'objet. Elle l'accepta sans scrupule, ne voyant là qu'une occasion nouvelle d'étendre les limites de ses petits Etats. Déjà, le comte Amédée VII s'était avancé sans obstacle jusqu'à Pontis, tâchant d'attirer à lui la ville de Seyne, qui s'était mise en mesure de repousser l'agression. Ayant reçu la proposition de s'entendre avec ses voisins de Barcelonnette et de faire avec eux une trêve, Seyne ne voulut y consentir que moyennant l'accession des bailliages de Sisteron, de Digne et de Castellane. Invitée à y entrer, la ville de Sisteron répondit qu'elle ne pouvait rien sans l'autorisation du sénéchal., auquel du reste elle allait en référer.
Note(2).
En attendant, elle envoya des émissaires sur les lieux prendre des informations, et il fut reconnu en effet que le comte de Savoie, à la tête de trois cents lances et plus, occupait la vallée de Barcelonnette . "
Note(3).

Ces intéressants détails, empruntés aux archives de Sisteron, nous prouvent non seulement l'empressement du comte Amédée à prendre possession des localités qui se donnaient à lui, mais l'ambition qu'il avait d'étendre ses possessions, même au delà du comté de Nice, s'il le pouvait. Il est regrettable que M. de Laplane, après avoir dit que ce prince était dans la vallée de l'Ubaye en 1388, ne précise pas davantage et ne nous apprenne pas s'il se dirigeait vers Nice ou s'il était de retour de cette ville.

Nous savons d'ailleurs. par des historiens niçois, qu'à son retour il remonta le Var jusqu'à Saint-Martin d'Entraunes mais ces historiens ne nous disent pas non plus si de là il entra ou non dans la vallée du Verdon, pour arriver à Barcelonnette.

6. - Quoi qu'il en soit, la donation du comté de Nice à la Savoie était un fait accompli le 28 septembre 1388.

Aux limites naturelles de la France et de l'Italie méridionales furent substituées des limites arbitraires, séparant des populations unies par les mêmes intérêts, les mêmes aspirations, préparant ainsi des malaises, des troubles et, par conséquent des guerres fréquentes et désastreuses.

Aussi, dès que le comte Amédée eut repassé les Alpes, les populations voisines des frontières improvisées entre la Provence et le comté de Nice comprirent les funestes effets de l'annexion de ce comté à la Savoie.

En effet, entre les habitants des deux rives du Var et, plus haut. entre Allos et Colmars, comme entre le Lauzet et Seyne, les rapports étaient incessants et indispensables. Or, ces rapports devenaient difficiles et dans certains cas impossibles, à cause des réglementations et prohibitions fiscales ou autres imposées aux pays frontières.

De leur côté " les habitants de Barcelonnette, en se donnant à la Savoie. étaient loin d'avoir prévu tous les inconvénients attachés à la nouvelle position qu'ils allaient se faire. Ils repoussaient la seconde maison d'Anjou ; ils ne voulaient pas qu'elle régnât sur eux ; mais ils ne voulaient, ni ne pouvaient rompre entièrement avec leur ancienne patrie, à laquelle ils étaient comme enchaînés par tous les besoins et les habitudes de la vie. Cependant leurs relations ne pouvaient plus être les mêmes; elles avaient nécessairement changé de nature.
A des rapports bienveillants, fondés sur la communauté d'intérêts, avaient succédé des dispositions ombrageuses et souvent hostiles; les convois qui Partaient de Barcelonnette n'étaient plus assurés d'y revenir ; les habitants de Seyne les arrêtaient au passage ; ces convois avaient principalement pour objet le transport des vins de Provence ."
Note(4).
Les muletiers d'Allos, qui allaient chercher le vin dans le Var, se trouvaient en présence des mêmes difficultés, en passant à Colmars, à Saint-André., à Castellane, etc.

7. - L'insurrection du vicomte Raymond de Turenne, sénéchal de Stanislas de Duras, contre les princes d'Anjou et leurs partisans en Provence, ne peut pas être passée sous silence dans l'Histoire d'Allos, parce que ce terrible aventurier ravagea la vallée du Verdon et que les habitants d'Allos eurent sans doute à souffrir de sa présence à Colmars, en 1390.

"Furieux de se voir dépouillé par Louis II de plusieurs terres qu'il avait reçues de la reine Jeanne, il rassemble autour de lui, dit Honoré Bouche, les anciennes bandes de Charles de Duras, tous les meurtriers, voleurs, larrons, brigands, faux monnayeurs et autres gens de sac et de corde, qu'il réunit à ses troupes, et se met à faire des courses par toute la Provence."

Il fond tout à coup sur Castellane, détruit le pont du Verdon et, ne pouvant s'emparer de la ville, ravage tous les pays d'alentour.
Ensuite, dit Laurensy, l'orage se tourna tout entier du côté de Colmars....
Ces brigands prirent leur route du côté de Senez, et tous les lieux situés sur leur passage furent saccagés.
"Le village de Boades fut alors détruit de fond en comble et n'a plus reparu depuis.
Après avoir livré Senez au pillage, les bandits tombent sur Barrême, qui est rançonné à son tour; puis, remontant la vallée de l'Asse par Moriez, ils pénètrent dans celle du Verdon et vont assiéger le château de Vauclause.
Repoussés par Jacques de Villeneuve Vauclause, ils marchent sur Thorame et, de là, sur, Colmars, qu'ils réduisent en cendres.

" Cependant un édit royal avait déclaré Raymond de Turenne hors la loi et convoqué les Etats généraux à Aix pour le 15 août 1390. Les trois ordres y furent représentés, savoir le clergé, par les évêques de Digne, de Senez et autres; la noblesse, par Hélion de Villeneuve, seigneur de Trans, tant pour lui et ses terres que pour ses frères Géraud et Antoine, seigneurs de Flayosc, et de Barrême; et les communautés, par Antoine Roque, pour Castellane et les places comprises dans son bailliage.

" On y résolut :
1° une alliance offensive et défensive contre le vicomte de Turenne;
2° une levée de gens de guerre qui devait comprendre trois cents lances, divisées en. dix détachements de trente cavaliers armés de toutes pièces et suivis chacun d'un écuyer et d'un valet d'armes; de plus, quatre mille arbalétriers, les uns à cheval, les autres à pied, et enfin trois cent cinquante fantassins, sans compter les contingents d'Arles, Tarascon et autres villes. L'armée fut mise sous le commandement général de Charles. prince de Tarente, frère du roi et gouverneur de Provence, et, en son absence, sous les ordres de Georges de Marle, son lieutenant et grand sénéchal.
3° Pour les subsides et les contributions de guerre, on décida que tout le monde y participerait, sans excepter ni laïques, ni ecclésiastiques, ni les cardinaux et le pape lui-même, pour les bénéfices qu'ils possédaient en Provence. Tous enfin,. communautés et ordres religieux, barons, seigneurs et gentils-hommes furent taxés à trois pour cent de leurs rentes et revenus.

" Cela fait, les opérations commencèrent. Georges de Marle se mit en marche, pour aller au secours de Colmars; il fit détruire, par mesure de sûreté, le château de Vauclause et, apprenant que l'ennemi, chassé des environs de Colmars par Isnard de Glandèves, revenait sur Digne à travers les montagnes, lui-même rebroussa chemin. Turenne, après avoir dévasté les bailliages de Digne, de Sisteron et de Forcalquier, repassa le Rhône et se sauva en Languedoc."

Lorsque la ville Castellane " voulût reconstruire le pont du Verdon, elle obtint de la reine régente Marie de Blois, des lettres patentes, en date du 29 février 1394, permettant de consacrer à cette entreprise tous les revenus du domaine royal à percevoir pendant deux années, tant à Castellane et son bailliage que dans tout le val de Barrême. En outre, le pape d'Avignon, Benoît XIII, à la requête d'Isnard de Saint-Julien, évêque de Senez., accorda des indulgences à quiconque voudrait contribuer par ses aumônes à la reconstruction du pont. Les offrandes. furent abondantes, et, en moins de cinq ans, l'ouvrage se trouva terminé, dans les conditions d'élégance et de solidité qu'il présente encore de nos jours."
Note(5).

8.-- Tant de maux obligèrent les comtes de Provence et de Savoie à s'entendre pour traiter de la paix, et le pape Clément VII se porta lui-même comme médiateur entre eux. Les envoyés des deux princes se réunirent à Niçe, où ils signèrent, le 11 octobre 1389, une trêve de douze années. Le comte Amédée s'engagea à ne pas étendre les limites de ses Etats au delà du Var et à ne pas aider Raymond de Turenne. Ce dernier engagement avait une grande importance pour le bien public, puisque le terrible aventurier était sénéchal de Ladislas , fils de Charles de Duras.

Malheureusement, la trêve de Nice n'engageait pas ce prince, dont les partisans, dès les premiers mois de l'année 1390, chargèrent Raymond de Turenne de soulever les sujets de Louis II en Provence, tandis qu'ils combattraient eux-mêmes son armée dans le royaume de Naples.

Le 12 juillet 1400, fut signée, à Paris, une nouvelle trêve de douze ans, qui n'était que le renouvellement de celle de 1389.

Voici dans quelles circonstances :
Pendant que les ambassadeurs de Louis II étaient en Espagne pour traiter de son mariage avec la princesse Yolande, ce prince alla à Paris, avec son frère Charles, pour soumettre à son cousin le roi de France certaines affaires, dont la plus importante, au jugement de l'historien Honoré Bouche, était le recouvrement des comtés de Nice et de la Savoie.

Il voulait même les recouvrer par les armes ; mais le royaume de Naples, qu'il fallait sans cesse reconquérir, et le mauvais état de ses autres affaires l'en empêchèrent. Il se contenta donc de conclure une deuxième trêve, en renouvelant l'ancienne pour une nouvelle période de douze ans, pendant laquelle les sujets des deux souverains de Provence et de Savoie pourront, selon leur volonté,

" aller, venir, passer, repasser, converser ensemble, séjourner, marchander, porter et faire porter des vivres ou provisions, tant par terre que par mer, et spécialement le sel des gabelles de Nice, mais pour leur usage seulement ".

Ces détails pratiques, empruntés au texte de la trêve, nous disent combien étaient devenues délicates et suspectes les relations journalières entre les pays limitrophes.

9. - Amédée VIII, dit le Pacifique, -qui était alors notre souverain, n'avait que huit ans lorsqu'il succéda à son père, en 1391. Sa mère, Bonne de Savoie, qui, en qualité de régente, prit les rênes du gouvernement, était capable de gouverner et elle fit beaucoup de bien à ses sujets. En 1416, le jeune comte fit ériger la Savoie en duché par l'empereur Sigismond, à l'entrevue de Nice. Il reçut en même temps le titre de vicaire de l'empire, titre qui, comme celui de duc, rehaussait son autorité aux yeux de ses peuples.

Un acte non moins habile, mais qui lui fait moins d'honneur, fut celui que fit ce prince lorsqu'après la mort de Louis II (1417), il régla diplomatiquement l'annexion de Terre-Neuve par un traité avec Yolande, régente, pendant la minorité de son fils, Louis III.

Voici comment le grave historien de Sisteron, M, de Laplane, parle de ce traité :

"Depuis que la maison de Savoie s'était emparée du comté de Nice et de la vallée de Barcelonnette (1388), jamais la tranquillité n'avait été entièrement rétablie sur les nouvelles frontières.
C'est un fait dont nos registres conservent de nombreux témoignages, notamment aux années 1405 et 1409.

Ce n'était point la guerre, mais un mouvement, une agitation indéfinissables, devenus pour les pays voisins un continuel sujet d'alarmes....

Le comte, depuis peu devenu duc, ne manqua pas de saisir ce moment pour présenter à la régente un état d'avances considérables faites par son aïeul au service de la maison d'Anjou, pendant les guerres de Naples; demande légitime peut-être, mais évidemment destinée à surprendre la reine au milieu de trop d'embarras pour qu'il fût en son pouvoir d'y faire honneur. Aussi, ne pouvant échapper au présent, elle sacrifia l'avenir. Elle fit l'abandon définitif de tous les droits qu'elle, son fils et leurs descendants avaient sur les terres de Nice et de Barcelonnette. A ce prix, la maison de Savoie se tint pour satisfaite."

Par ce traité, qui fut signé le 5 octobre 1419, neuf ans après l'expiration de la trêve de 1400,

" la reine Yolande céda tous les droits qu'elle, son fils et leurs descendants avaient sur le comté de Nice et la vallée de Barcelonnette. Le duc, de son côté, lui fit cession de cent soixante mille francs ou de deux millions cinquante mille livres qui lui étaient dus pour les dépenses que son aïeul, Amédée VI, avait faites, lorsqu'il conduisit des troupes au secours de Louis 1er, dans le royaume de Naples.
Note(6).

Telle fut en substance la cession régulière de nos contrées à la Savoie.
Jusque-là , les accords intervenus depuis l'année 1388, entre nos souverains respectifs, avaient. un caractère essentiellement provisoire, et, dans la dernière trêve, il était même stipulé que, pendant l'intervalle convenu, on s'occuperait à vérifier les droits réciproques.

A partir de 1419, les ducs de Savoie ne manquèrent pas de répondre à toutes les demandes en revendication en invoquant, pour justifier de leur légitime possession, la cession diplomatique et définitive de la reine Yolande.

C'est ce qui a fait dire à Honoré Bouche que cette souveraine commit " un grand manquement en remettant la ville de Nice, Villefranche, la Turbie, Sainte-Agnès, Sospel, Lucéram, Saorge, Saint-Martin, Saint-Etienne et sa vallée, tout le comté de Barcelone (Barcelonnette) et sa vallée, Allos, Vinay, Jausiers et les autres places et châteaux de toute cette contrée qu'on nomme Terre-Neuve"
Note(7).

10.Les historiens de Provence donnèrent désormais ce nom à ladite contrée qui s'étend depuis Nice jusqu'à Barcelonnette, parce qu'elle était une possession, une terre nouvelle pour les Savoisiens.
Elle comprenait, comme on le voit d'après l'énumération de Bouche, une partie seulement de l'ancienne province des Alpes-Maritimes telle que l'empereur Auguste l'avait établie ,
Note(8). et le département actuel
Note(9). de ce nom, plus Barcelonnette et Allos.

Le touriste qui fait l'ascension du mont Pélat, dans le canton d'Allos, peut, du haut de cette cime de 3053 mètres d'altitude, faire lui-même à grands traits la description topographique de Terre-Neuve.
Il a, au nord, la vallée de l'Ubaye, avec ses monts alpestres, dont l'un, l'aiguille de Chambeyron, n'a pas moins de 3,400 mètres d'élévation; au levant, une forêt de cimes dénudées d'où émerge, vers le nord-est, le mont Viso, le géant des Alpes Cottiennes; au couchant, la vallée du Verdon, qui prend naissance aux plus bas contreforts de Siolane et reçoit ensuite par un de ses affluents, le Chadoulin, les eaux du lac d'Allos; au midi enfin, ce lac et le Var, qui, après un parcours de 135 kilomètres, a des orangers sur ses rives, avant de se jeter dans la mer, au sud-ouest de Nice.

Terre-Neuve a donc, malgré son peu d'étendue, toutes les latitudes, et les climats les plus différents s'échelonnent pour ainsi dire depuis les sources glacées de l'Ubaye, non loin desquelles vivent, a 1,900 mètres d'altitude, les habitants de Maurin, jusqu'aux plages de la Méditerranée, dont l'une a mérité le nom de petite Afrique.

11.Désormais, l'histoire de la Savoie n'est pas pour nous une histoire étrangère, et ses comtes et ducs, qui régnèrent sur nos ancêtres jusqu'en 1713, ont leur place dans le catalogue de nos anciens rois.
Les trois premiers sont Amédée VI, Amédée VII et Amédée VIII.

Déjà, nous avons dit comment l'annexion du comté de Nice à la Savoie se prépara, pendant le règne du premier de ces princes, fut accomplie par le deuxième et réglée diplomatiquement par le troisième.

Amédée VI, dit le Comte vert, parce qu'il parut dans un tournoi avec des armes vertes et sur un cheval carapaçonné de vert, mourut en 1383, après un règne de quarante ans. Il fut, par conséquent. contemporain de la reine Jeanne et il combattit avec son fils adoptif pour venger sa mort.

Amédée VII, son fils, dit le Rouge, lui succéda à l'âge de vingt ans.
Il fit ses premières armes sous Charles VI, roi de France, et il épousa une princesse française, Bonne de Berry. Il mourut en 1391. après un règne de huit ans.

Le fils d'Amédée VII prit le nom d'Amédée VIII. Bonne de Bourbon, sa grand'mère, fut déclarée régente, et son administration toute française ne contribua pas peu à rendre les princes de Savoie populaires en Terre-Neuve.

Amédée VIII fut un excellent prince et le premier duc de Savoie, mais sa vie offre d'étonnants contrastes.
Il gouverna d'abord ses Etats avec tant de sagesse et de prudence qu'il mérita le surnom de Salomon de son temps; mais, après la mort de la reine, il quitta le monde et voulut vivre dans la solitude, près de Thonon, dans la Haute-Savoie, où il institua l'ordre de chevalerie de Saint-Maurice.

Le 5 novembre 1439, il fut élu anti-pape par le concile schismatique de Bâle.

Comme il était sans culture théologique, il eut la faiblesse de se laisser conduire à Bâle, où il fut couronné, en 1440, et prit le nom de Félix V, malgré les protestations du pape légitime, Eugène IV, de Charles VII, roi de France, et de tous les véritables catholiques.

L'évêque de Nice suivit son ancien souverain et entraîna son diocèse dans le schisme.
Barcelonnette et Allos se trouvaient heureusement dans de meilleures conditions pour résister à ce dangereux entraînement, car l'archevêque d'Embrun et l'évêque de Senez, dont ils dépendaient, n'étaient pas sujets des ducs de Savoie.

Félix V était anti-pape depuis neuf ans, lorsque. sur les instances du roi de France, il renonça à la dignité suprême qu'il n'aurait pas dû accepter, et le pape Nicolas V, qui avait succédé à Eugène IV, valida les actes de son pseudo-pontificat, pour la tranquillité des consciences.

Il mourut à Genève , en 1451. La Savoie lui doit un bon code de lois. Il eût été un prince accompli si, après avoir porté si dignement la couronne ducale, il avait su résister a l'ambition de porter la tiare.

Louis Ier, second fils d'Amédée VIII, gouvernait déjà les Etats Sardes, depuis 1434, lorsque son père mourut. Il s'allia avec le roi de France, Charles VII, par le mariage de sa fille Charlotte avec le Dauphin, qui fut ensuite Louis XI.

Sous ses auspices, un riche gentilhomme, Paganino Delpozzo, fit à ses frais une route muletière entre la Savoie et Terre-Neuve.

Du côté de l'Italie, cette route traversait la chaîne de montagnes qui aboutit à Vinay et dans la vallée de Coni; du côté de la Provence, elle était établie sur les rives de la Vésubie. Elle était entièrement pavée comme les anciennes voies romaines. La somme considérable employée à la construire devait être couverte par le produit des taxes imposées, avec l'autorisation du duc, aux voyageurs et aux marchandises. Les populations riveraines du Var témoignèrent leur reconnaissance à Paganino, et le duc le récompensa.

Mais les habitants de la partie montagneuse de Terre-Neuve n'avaient pas de moindres obstacles à surmonter lorsque des affaires sérieuses les appelaient au delà des monts, et ils demandèrent à ne pas être compris dans le ressort de la cour de Chambéry.

Louis Ier comprit la légitimité de leur demande, et, par lettres patentes du 5 mai 1451, il rattacha Barcelonnette et Allos à la cour juridictionnelle de Nice, qui, plus tard, en 1614, devint une sorte de cour de cassation, sous le nom de Sénat souverain.

Ce prince prit également en considération les plaintes que ses nouveaux sujets lui adressaient contre les usures des juifs.
Par une ordonnance du 11 juillet 1451 il fixa l'intérêt courant de l'argent dans le commerce à vingt francs pour cent, avec défense aux juifs, sous peine d'une amende de cent marcs d'argent, de renouveler pendant l'année les contrats avec leurs débiteurs. Par le taux de cet intérêt, on peut se faire une idée de la rareté de l'argent et des usures monstrueuses auxquelles les juifs se livraient, vers le milieu du XVe siècle.
Note(10).

Le roi René, comte de Provence, était contemporain du duc Louis Ier, et il lui demanda la reddition du comté de Nice à la Provence.

La séparation de cette contrée de la mère patrie et l'acte de cession de la reine Yolande semblaient avoir reçu la sanction du temps, mais le Bon Roi ne pouvait se faire à l'idée d'une séparation définitive. Une régente est la tutrice de son pupille, se disait-il; a t-elle pu valablement aliéner les biens de ce pupille?

Il avait le projet de recouvrer ces biens par les armes, et, en effet, il les reconquit quelque temps après; mais ce retour de nos pays à la Provence, dont il est question dans l'Histoire du diocèse d Embrun, dans la remontrance au roi Louis XIV, après le traité d'Utrecht, etc., est passé sous silence par plusieurs historiens, parce qu'il fut de courte durée.

Cependant, le roi René ne voulut pas que son silence autorisât Louis Ier à garder Terre-Neuve, et, le 29 novembre 1464; il envoya à la cour de Savoie son avocat fiscal, pour sommer cette cour de restituer Nice, Puget-Théniers, Barcelonnette, etc. Le comte de Savoie répondit que ses titres étaient irrècusables qu'il les maintiendrait avec l'aide de Dieu et de son épée.

L'ambassade de René à la cour de Chambéry n'eut pas d'autre résultat, et le duc Louis Ier mourut à Lyon, l'année suivante (1465).

Amédée IX, son fils, lui succéda.

Dans la personne de ce prince, un saint monta sur le trône ducal de la Savoie. Il s'illustra par la pratique de toutes les vertus, traita les pauvres comme ses amis et les amis de Dieu, et son duché fut appelé le Paradis des pauvres.

Il fut père de dix enfants, dont deux régnèrent après lui. Il se déchargea en grande partie du gouvernement de ses Etats sur la reine Yolande, sa femme, soeur de Louis XI, et sur son frère, Philippe de Bresse.

Son corps fut affligé de continuelles maladies, dont il profita pour sanctifier son âme. Un historien raconte que, lorsque ce prince fut en danger de mort, trente mille personnes, ayant à leur tête l'évêque de Turin, firent une procession de pénitence pour demander sa guérison.

Il mourut la veille de Pâques de l'an 1472, à l'âge de trente-sept ans, après en avoir régné sept. L'Eglise l'a mis au nombre des saints, et l'on célèbre sa fète le 30 du mois de mars.

Ainsi, nos pères, après avoir eu le regret de voir un de leurs souverains, Amédée VIII, antipape, eurent le bonheur d'appeler bienheureux Amédée IX, son petit-fils.

Pendant la deuxième année du règne de ce prince, la paix fut troublée dans la partie la plus méridionale de Terre-Neuve.

Nice, ayant eu à se plaindre des ravages exercés sur les territoires d'Eze, de la Turbie, etc., en demanda réparation au seigneur de Monaco et le fit attaquer par mer et sur terre. La place soutint un siège opiniâtre et ne se rendit qu'à la dernière extrémité, le 3 août 1466. Ce siège attira un fléau encore plus redoutable que la guerre et qui désola la Provence, pendant de longues années.
Note(11).

La peste se déclara dans l'armée du seigneur de Monaco et se communiqua aux assiégeants.
Nice enregistra bientôt huit mille morts, et un grand nombre de villages des environs se dépeuplèrent entièrement.

Après avoir sévi sur les bords de la mer, la terrible maladie se répandit dans toute la région de Terre-Neuve. Ni l'air pur, ni l'altitude des hautes vallées du Var, du Verdon et de l'Ubaye ne purent en préserver les habitants de Guillaumes, d'Allos, de Barcelonnette, etc. Les populations,, profondément religieuses, priaient avec ferveur. On faisait partout, disent les historiens de Nice, des fondations pieuses, on établissait des chapellenies,, on accordait des chartes de liberté pour la cessation du fléau et le salut de l'âme des donateurs.


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(1) Histoire de Nice et des Alpes-Maritimes,t. I, p. 255.
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(2)Histoire de Sisteron, t. I, pp. 183-184
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(3) La lance était composée de trois et quelquefois de cinq hommes.. La force armée du comte Amédée, dans la vallée de Barcelonnette, pouvait donc s'élever à 900 ou à 1,500 hommes. (V. Ducange.)
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(4) Histoire de Sisteron t. Il, p 453
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(5)Histoire de Barrême, pp. 30-32.
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(6) Papon, Histoire de Provence , t. III, p. 321.
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(7) Histoire de Provence, t II, p. 43.
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(8) Voir plus haut, dans la première partie.
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(9) Le département des Alpes-Maritimes a été formé en 1860 par l'annexion de Nice à la France.
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(10) Durante, Histoire de Nice, t. II, p. 120.
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(11) A Sisteron, les officiers royaux prirent la fuite, en 1479 et en 1480, le conseil s'assemblait et les notaires publiaient les testaments extra muros, à cause de la peste, propter pestem prob dolor ! (Notaire Bertrand Arpilhe, f° 75.)
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Choix de Lecture

CHAPITRE II.

1.Philibert Ier, fils du bienheureux Amédée ; régence de sa mère Yolande.

2.Louis XI devient comte de Provence ; craintes de la cour de Savoie.

3.Charles Ier, Charles II, Philippe II, Philibert II, Charles III.

4.François Ier ; ses milices dans la vallée de Barcelonnette.

5.Cbarles-Quint envahit la Provence.

6. L'évêque de Senez réfugié à Allos.

7. La domination française rétablie à Barcelonnette.

(1472-1551.)

 

1. -- Philibert Ier, fils d'Amédée le Bienheureux,lui succéda, à l'âge de sept ans.

La duchesse Yolande, qui était déjà régente pendant la maladie de son mari, continua les mêmes fonctions durant la minorité de son fils.

Mais, si nous en croyons Durante, les oncles du jeune roi ne voulurent pas la reconnaître et revendiquèrent leurs droits, les armes à la main. Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, se mêla de cette querelle, et Yolande entourée d'ennemis, fit appel à ses sujets de Terre-Neuve. Quatre mille volontaires répondirent à cet appel et, sous le commandement du gouverneur de Nice, ils marchèrent contre les Bourguignons.

Malheureusement, ils furent vaincus; la duchesse fut faite prisonnière, et le jeune duc put se réfugier chez son oncle Louis XI, grâce au dévouement de quelques braves officiers
Note(1).
Lorsque Yolande eut recouvré la liberté, Louis XI parvint à la réconcilier avec les princes ses beaux-frères. La régence put donc continuer comme elle avait commencé, c'est-à-dire toujours au milieu des écueils.

Vers la fin du règne de Philibert, les événements qui eurent lieu en Provence apportèrent de nouveaux éléments de trouble à la Savoie.

Le roi René avançait en âge, et sa santé fut profondément ébranlée en 1479; les souffrances de son peuple pendant la peste qui renouvelait ses ravages, brisèrent son coeur.

En prévision de sa fin prochaine il confirma le testament qu'il avait fait le 22 juillet 1471 en faveur de son neveu Charles du Maine, et il mourut le 10 juillet 1480.

2. - Charles, son successeur, le suivit de près dans la tombe, car il mourut l'année suivante, le 11 décembre 1481, après avoir légué à Louis XI tous ses droits sur la Provence. En acceptant cette donation, ce prince rendit à la couronne de France son plus beau fleuron, et il put considérer ce résultat comme le plus heureux succès de son adroite politique.

Avec la réunion de la Provence à la France commence une phase nouvelle dans notre état politique. Les Etats de Louis XI étaient dès lors voisins de Nice, et ce voisinage inspirait des craintes.
On savait à la cour de Philibert que ce monarque avait convoité la Provence, qu'il avait inspiré, sinon imposé au roi René la donation dont il bénéficiait, et on craignait pour la Savoie, surtout pour Terre-Neuve.
Ces craintes n'étaient point chimériques, pour ceux qui connaissaient bien Louis XI, mais sa mort vint les dissiper. Ce prince mourut le 30 août 1483.

Déjà le duc Philibert l'avait précédé dans le tombeau. Il mourut à Lyon, en 1482, d'une maladie lente, attribuée au poison.

3. - Chartes Ier, surnommé le Guerrier, troisième fils du bienheureux Amédée, succéda à son frère Philibert, à l'âge de quatorze ans. Louis XI, son oncle, l'avait fait élever en France par Dunois et le prit sous sa tutelle. Il fut donc du nombre des princes de Savoie favorables à l'influence française et en qui nos ancêtres mettaient volontiers leur espérance
Note(2).

En 1485, il hérita du titre de roi de Chypre, et c'est à partir de son règne que nos souverains savoisiens prirent le titre de rois d'Arménie de Chypre et de Jérusalem, en souvenir des batailles livrées au Turcs, en Orient, par leurs hommes d'armes.

Sa réputation de savoir et de bravoure attirèrent à sa cour Pierre du Terrail, si connu depuis sous le nom de chevalier Bayard, qui illustra l'armée française sous Chartes VIII, Louis XII et François Ier. Le duc Charles établit à grands frais la première imprimerie que Chambéry, sa capitale, ait possédée.

Le marquis de Saluces lui ayant déclaré la guerre en 1487, il marcha contre lui, et l'armée savoisienne. électrisée par la bravoure de son souverain, infligea une éclatante défaite au téméraire agresseur.

L'année suivante, peu rassuré sur les préparatifs de guerre que Charles VIII, roi de France, faisait en Provence, contre Naples, il visita Terre-Neuve, accompagné de quatre compagnies de fantassins suisses et de quatre cents hommes de cavalerie. Son voyage, de Chambéry à Nice, dura deux mois. Les habitants des montagnes qu'il traversa lui témoignèrent leur joie, et Nice le reçut avec enthousiasme, le 30 octobre 1488
Note(3).

Chartes Ier mourut en 1489, à l'âge de vingt-un ans. On croit qu'il fut empoisonné, comme son frère Philibert.

Le gouvernement des Etats de Savoie fut alors confié à un prince de neuf mois et à une régente de dix-neuf ans. Ce prince était Chartes II, et la régente, sa mère, Blanche de Montferrat.

Pendant le règne de ce duc enfant, une année française, commandée par Charte VIII en personne, arriva aux frontières d'Italie par Gap et Briançon et força le pas de Suze, tandis qu'un autre corps d'armée de ce prince se montrait sur les bords du Var. Ces mouvements de troupes disaient aux habitants de Terre-Neuve que la France prendrait possession, de cette région quand elle voudrait. Charles II mourut en 1496.

Philippe II, dit Sans-Terre, parce que, lorsqu'il habitait la France, il n'avait reçu de son père aucune terre en apanage, succéda à Charles II, à l'âge de cinquante-huit ans. Il était le cinquième fils de Louis Ier et, par conséquent, le frère du bienheureux Amédée. Sa fine diplomatie et son habile administration le firent aimer de ses sujets.

Il eut de sa première femme, Marguerite de Bourbon, deux fils : Philibert, qui lui succéda, puis Charles et Louise, qui devint la mère de François Ier. Il mourut après un règne d'un an et demi, laissant inachevée l'oeuvre des réformes gouvernementales qu'il avait entreprise avec succès.

Philibert II naquit à Pont-l'Ain et fut élevé auprès de Charles VIII, dont il fut le pupille et qu'il suivit, avec son père, à la conquête du royaume de Naples. Il épousa, en secondes noces, Marguerite, fille de l'empereur Maximilien Ier, princesse aussi adroite que savante, mais dont les destinées furent étranges, selon l'expression d'un historien savoisien.
Note(4).

En effet, après avoir été souveraine du petit duché de Savoie, elle fut chargée du gouvernement des Pays-Bas, et elle eut, dit-on, comme pupille et élève, Charles-Quint, dont les expéditions guerrières allaient troubler toute l'Europe et, en particulier, la Savoie.

Philibert a mérité les éloges des historiens de son temps par la régularité de sa conduite, sa libéralité, sa douceur et sa prudence.

Il mourut en 1504, à la fleur de l'âge, à la veille de ces bouleversements qui agitèrent tous les Etats européens.

Charles III, dit le Bon, son frère, lui succéda. Son siècle lui donna à bon droit le surnom de bon, car Mézeray l'appelle un prince débonnaire, juste et craignant Dieu. Malheureusement, sa débonnaireté dégénéra en faiblesse; il crut qu'en voulant la paix, à tout prix, on peut toujours éviter la guerre, et il fut trop l'imitateur de Blanche de Montferrat, régente de Charles II, qui se croyait forcée de donner pour ne pas laisser prendre.

4. Pendant le règne de ce prince, François Ier succéda à Louis XII sur le trône de France, en 1515, et Charles-Quint devint roi d'Espagne, en 1516, et empereur, en 1519.

La rivalité qui exista entre ces deux puissants souverains, dès le commencement de leur règne, fut la cause de plusieurs guerres désastreuses en Italie, en France, en Provence, etc.

Nous avons à relater, dans cette histoire, les désastres qu'elles occasionnèrent en Provence, en Savoie, en Terre-Neuve, en particulier à Barcelonnette et à Allos.

Un historien nous fait remarquer qu'après avoir annoncé au Parlement de Provence son avènement au trône, François Ier eut hâte de porter ses armes dans le Milanais.

Le 8 août 1515, dit l'érudit annotateur du P. Fournier, il était encore à Grenoble, le 11 il se trouvait à Embrun, et le 17 il était déjà à Legnasco, en Piémont.
Note(5).
Son armée passa la Durance à gué, campa à Guillestre, et, après avoir traversé les montagnes de Vars, arriva à Saint-Paul, en faisant des travaux considérables.

" La route de Vars présentait de grosses difficultés, ajoute M. Guillaume, à la montée entre Peyre-Haute et Moreisse, non loin de la station préhistorique de Panacelle. Un ingénieur de l'armée de François Ier, Navarro, la rendit accessible à l'artillerie."

Plus loin, dans la vallée de Barcelonnette, il fallait tantôt porter les canons sur les épaules, tantôt, par des cordages, les faire glisser sur le terrain, " surtout entre Saint-Paul et Larche, où la route actuelle n'existait pas encore
Note(6).

Cette manoeuvre hardie trompa les Suisses, qui attendaient les Français dans les passages ordinaires des Alpes, pour leur barrer le chemin. Les uns et les autres marchèrent ensuite vers Milan, et les deux armées se rencontrèrent à Marignan, où le roi de France remporta une éclatante victoire.

François Ier nomma le connétable de Bourbon gouverneur du Milanais, lui donna le commandement de l'armée qu'il laissait en Italie et il revint en France. Les historiens s'accordent à dire qu'il arriva en Provence ; mais les uns, avec- Honoré Bouche, le font débarquer à Toulon; les autres soutiennent qu'il traversa de nouveau les Alpes. Parmi ces derniers, nous trouvons d'Aubais et Ménard, qui ont publié l'Itinéraire des rois de France, dans les pièces fugitives pour servir à l'histoire de France.

" A son retour, disent-ils, François Ier prit la route du Mont-Genèvre et arriva, le 13 janvier 1516, à Sisteron " Louise de Savoie, sa mère, Claude, sa femme, reine de France, et la duchesse d'Alençon, la future reine de Navarre, y accoururent au-devant de lui.
Cette opinion a prévalu, et les récents travaux historiques de M. de Laplane
Note(7). de M. de Berluc-Perussis
Note(8). et de M. l'abbé Guillaume
Note(9). nous permettent de considérer celle d'Honoré Bouche comme abandonnée.

François Ier se rendit ensuite à Manosque, où la fille d'Antoine de Voland lui offrit les clefs de la ville. Cette jeune fille, s'étant aperçue que le roi la regardait avec attention, craignit pour sa pureté virginale, et, en rentrant chez elle, elle se défigura par une flamme de soufre.
En souvenir de cet acte héroïque de vertu, une rue de Manosque porte encore aujourd'hui le nom de Voland.

La victoire de Marignan faisait une situation prépondérante à la France, mais la paix, qui en fut le résultat, ne fut pas de longue durée.
L'empereur Maximilien Ier étant mort en 1519, François Ier et l'archiduc Charles d'Autriche aspirèrent, l'un et l'autre, à la couronne impériale.
Cet antagonisme fut la première cause des rivalités et des guerres qui troublèrent l'Europe pendant le règne de ces deux princes et dont nos ancêtres eux-mêmes eurent à souffrir dans leurs paisibles vallées des Alpes.

En 1523, François Ier se rendait à Lyon, pour prendre le commandement d'une armée prête à partir pour l'Italie, lorsqu'il fut retenu par la trahison du connétable de Bourbon.
Il nomma l'amiral Bonivet commandant en chef 'de cette armée et il attendit les événements.

Le prince de Bourbon ne craignît pas d'offrir ses services aux ennemis de sa patrie, et bientôt Charles-Quint le chargea d'envahir la Provence, en lui promettant de le faire roi de cette contrée, après la conquête.
L'armée, d'environ vingt-cinq mille hommes, dont il lui donna le commandement, passa le Var le 7 juillet 1524, culbuta facilement les forces improvisées qu'on lui opposa, s'empara de Toulon, prit possession d'Aix, etc., mais elle trouva les portes de Marseille fermées et bien gardées.
François Ier n'avait rien négligé pour faire de cette ville le boulevard de la défense.
Les Marseillais se montrèrent dignes de la confiance de leur roi; tous les efforts des assiégeants ne purent vaincre leur courageuse résistance, et, après un siège de quarante jours, le prince de Bourbon, qui avait déjà pris le titre de comte de Provence, donna le signal de la retraite, le 28 septembre.
L'armée française le suivit de près et elle entra dans Nice, après l'avoir poursuivi jusqu'à la frontière de l'Italie.

François Ier visita Aix, pour y rétablir l'administration provinciale si profondément troublée par l'invasion.
Il se dirigea ensuite, en toute hâte, vers les Alpes, ne voulant pas se laisser devance en Italie, par l'armée impériale, de retour de Provence.

Il s'arrêta de nouveau à Sisteron et traversa la Savoie avant la saison d'hiver.

Le 24 février 1525 , il fut vaincu à Pavie et il tomba entre les mains de son vainqueur.
Pendant près d'un an, on le retint en prison en Espagne, et il ne put recouvrer la liberté qu'en signant, le 14 janvier 1520, les douloureuses conditions du traité de Madrid.

Cependant, la Savoie était, depuis plusieurs années, dans une situation très critique.
Traversée à chaque saison nouvelle, par les armées du roi de France ou par celles de l'empereur d'Allemagne, inondée d'étrangers, de déserteurs et de pillards, elle subissait les horreurs de la guerre, avant qu'elle lui eût été déclarée.

Le sort de la petite province annexée à la Savoie sous le nom de Terre-Neuve, n'était pas meilleur, et nos pères avaient à supporter les épreuves imposées aux populations voisines des nations qui se font la guerre.

Le duc Charles III avouait son impuissance, disant qu'il est avantageux de congédier ceux qui menacent, en leur baillant ce qu'eût coûté la guerre, et faisait à ses deux puissants voisins toutes les concessions possibles.
Il redoutait François Ier, parce que ce souverain cherchait une occasion favorable pour s'emparer des Etats Sardes, afin de pénétrer plus facilement en Italie.
Il hésitait à se donner à Charles-Quint, dans la crainte de perdre sa liberté.

Il finit cependant par se rapprocher de lui, en épousant en 1521, sa belle-soeur, Béatrix de Portugal.

Le roi de France devait, tôt ou tard, trouver des prétextes pour s'emparer du duché de Savoie. Il ne manqua pas de revendiquer Terre-Neuve, en invoquant non seulement les droits des anciens comtes de Provence, mais encore ceux que lui avait apportés sa mère, Louise de Savoie.

Le 9 mai 1525, il fit mettre sous le séquestre tous les biens que les habitants de Terre-Neuve possédaient en France.

Cette mesure de rigueur indiquait que François Ier voulait passer des revendications verbales aux actes, et les circonstances lui en donnèrent bientôt l'occasion.

Charles III, sans oser se déclarer ouvertement pour Charles-Quint, son beau-frère, favorisait secrètement ses entreprises contre la France et lui témoignait son dévouement d'une manière qui ne pouvait échapper à la perspicacité de François Ier.

Cette attitude d'hostilité latente, mais réelle, lui attira une déclaration de guerre de la part de ce prince.
Les troupes françaises envahirent la Bresse
Note(10). et la Savoie, et l'amiral Chabot fit en sept jours la conquête du Piémont.
Il entra à Chambéry le 24 février 1536, et le duc Charles III, qui s'y trouvait alla s'enfermer dans la forteresse de Verceil, après avoir fait partir pour Nice sa femme, Béatrix, et son fils, Emmanuel-Philibert, âgé de cinq ans.

En même temps, un autre corps d'armée de François Ier envahissait les Alpes-Maritimes et s'avançait, par la vallée de Barcelonnette, combinant sa marche avec la flotte royale, qui surveillait le littoral de Terre-Neuve et menaçait Nice. Les Etats Sardes étaient envahis de toutes parts, et c'en était fait du duché de Charles III, si l'empereur n'était venu à son secours.

Mais Charles-Quint savait que ce Prince était victime de son dévouement à la politique impériale, et il tirait volontiers l'épée du fourreau lorsqu'il fallait combattre contre le roi de France. Il entra donc en- Savoie, à la tête d'une armée de cinquante mille hommes.

Les Français perdirent leurs nouvelles conquêtes aussi rapidement qu'ils les avaient faites, et ils se bornèrent à maintenir des garnisons dans les principales places fortes, dont l'armée impériale n'avait pas eu le temps de faire le siège.

5.- Charles-Quint fut reçu à Chambéry comme libérateur et y tint un conseil de guerre, pour arrêter son projet de campagne contre la France.

Malgré l'avis de ses généraux les plus expérimentés , qui ne voulaient pas porter la guerre sur le territoire ennemi avant d'avoir délogé les Français de toutes les places fortes des Etats de Savoie, il décida d'envahir immédiatement la Provence et se réserva le commandement de son armée.

Le duc Charles III partagea cet avis, dans l'espérance d'agrandir ses Etats, au-delà du Var. Il voulut même accompagner l'empereur, et sa petite armée marcha avec l'armée impériale.

Charles-Quint se rendit à Nice par Gênes, tandis la plus grande partie de son armée y arriva par les montagnes.

De son côté, l'amiral André Doria partit de Gênes et, après avoir pris Antibes, ravagea les côtes de Provence jusqu'à Marseille.

Cependant François Ier se préparait à résister, par tous les moyens en son pouvoir, aux formidables attaques dirigées contre lui. Il établit son quartier général à Avignon, donna le commandement de l'armée au maréchal de Montmorency et combina avec lui, un plan de défense qui réduisit à l'impuissance les armées ennemies, mais dont l'exécution imposa de douloureux sacrifices aux populations de la Basse-Provence et à celles de nos montagnes.

" Les habitants d'Aix et ceux du reste de la Provence eurent ordre de quitter leurs maisons dans l'espace de six jours; d'emporter avec eux leurs effets les plus précieux et leurs provisions, et de gâter, dévaster ou brûler tout ce qu'ils ne pourraient emporter, principalement les moulins, les moissons et les jardins.

" Le comte de Carcès, les seigneurs du Mas et de Calians furent les premiers à donner l'exemple du sacrifice que le roi exigeait : ils mirent le feu à leurs granges et répandirent l'huile et le vin qu'ils avaient dans leurs caves. Leur exemple fut suivi par les autres gentilshommes et par la plupart des paysans. Ce qu'on ne brûlait point, on le cachait dans la terre ou dans les cavernes.

" Cependant, il y eut des villages qui refusèrent d'exécuter ces ordres rigoureux; mais les troupes françaises, qui formaient un cordon sur les confins de la Provence, se repliant vers l'intérieur à mesure que l'ennemi approchait, dévastaient tout ce que les possesseurs n'avaient pu se résoudre à détruire et poussaient devant elles, vers la Durance, ceux d'entre les habitants qui ne s'étaient point réfugiés dans les bois ou sur les montagnes.

" Ces malheureux traînaient tout le long des chemins les tristes dépouilles de leur fortune. Les plus riches étaient sur des charrettes, au milieu de leurs effets ; d'autres, à cheval ; mais le plus grand nombre était à pied. On voyait des hommes faits qui, ayant plus consulté leurs besoins que leurs forces, s'étaient chargés d'un fardeau sous lequel ils succombaient; des vieillards, courbés sous le poids des années, traînant avec effort un reste de provisions ; des femmes et des enfants les suivaient on versant des larmes. Ainsi cette guerre fut une des plus funestes qu'on ait essuyée, sans qu'il y eût de sang répandu".
Note(11)

A ce navrant tableau de la dévastation de la Provence on général, ajoutons quelques détails sur les ravages qu'eurent à subir les vallées de Barcelonnette, du Verdon, du Haut-Var, etc.

L'ordre de combattre l'armée ennemie, en ruinant tous les pays de Provence, fut exécuté depuis Entrevaux jusqu'à Embrun par le capitaine de Bonneval, le comte de Fustemberg et le lieutenant-général d'Humières.

" De Bonneval dépêcha ses gens d'armes en divers endroits des villes et des villages, du côté de la montagne, vers Entrevaux, Castellane, Colmars, Digne, Seyne, Riez, etc., pour faire le dégât de tous les fruits (récoltes) qui se trouvaient encore pendants sur terre et pour faire retirer et cacher aux habitants de ces contrées leurs autres fruits (restes des récoltes précédentes) et bestiaux, afin que l'ennemi ne pût s'en servir ; et lui, s'en revenant vers Marseille, par le chemin Aurélien (la voie Aurélienne), qui devait être la voie de l'armée ennemie, fit brûler tous les fourrages, verser tous les vins et les huiles, abattre tous les fours et les moulins, rompre les meules, etc., de toutes les villes et de tous les villages où il passait. La même chose fut ensuite faite dans la ville d'Aix."

Ce passage important, que j'emprunte textuellement à Honoré Bouche, nous apprend que le capitaine de Bonneval commandait en personne les milices envoyées pour ruiner les bords du Var, les vallées de la Vaïre, du Verdon, de l'Asse, de la Bléone, etc., et que nos contrées furent ravagées avant le territoire d'Aix. Cette expédition eut donc lieu au mois de juillet et peut-être au mois de juin, comme celle de Fustemberg à Barcelonnette, et la milice, à laquelle elle avait été confiée, eut le temps de se replier vers le centre de la Provence et d'y arriver avant l'armée de Charles-Quint, qui entra à Aix le 9 août 1536.

Quoi qu'il en soit, la colonne de Bonneval ne quitta les Alpes qu'après avoir visité, dans le rayon qui lui avait été désigné
Note(12). toutes les localités, sans excepter celles de la plus minime importance. Elle avait pénétré partout où il y avait des récoltes à détruire, des troupeaux à faire disparaître, etc., et elle laissait les populations dans la plus extrême indigence.

" La disparition des anciennes archives d'Allos nous met dans l'impossibilité de dire si les habitants purent conserver les animaux domestiques, en les conduisant dans les forêts, et leurs provisions, en les cachant dans les endroits isolés et d'un difficile accès, qui avaient autrefois servi de refuge à leurs pères, dans les grandes calamités publiques. Nous ne pouvons affirmer qu'une chose, c'est que la résolution extrême prise par le roi et son conseil, pour sauver la Provence en la ruinant, fut mise en pratique chez eux avec au moins autant de rigueur qu'ailleurs, parce qu'Allos appartenait au duc de Savoie, ennemi de la France.

Cependant une autre colonne mobile, composée de six mille lansquenets
Note(13). et commandée par le comte de Fustemberg, remontait la Durance pour aller fortifier les garnisons françaises du Piémont. Lorsqu'elle fut arrivée à Sisteron , elle reçut l'ordre de s'arrêter et de se diriger vers Terre-Neuve, pour faire des dégâts, surtout dans la vallée de Barcelonnette.

Elle exécuta cet ordre, pendant le mois de juin 1536, avec une rigueur excessive détruisant non seulement les fourrages, les blés et les provisions de bouche, mais encore rasant des fortifications et démolissant même des églises.

Faut-il attribuer ces excès aux soldats, à cause de leur haine contre les sujets d'un prince allié de l'empereur , ou bien au caractère violent de leur chef, appelé l'effroi des habitants ? Il serait bien difficile dé démêler les responsabilités.

Après avoir dévasté la vallée de l'Ubaye, Fustemberg arriva jusqu'à Saint-Dalmas, saccagea Saint-Etienne, la vallée de la Tinée, ainsi que celle d'Entraunes et de Guillaume, jusqu'à Entrevaux. Les historiens de Nice, qui nous donnent ces derniers détails, ne disent point s'il rentra à Sisteron, ni par quelle voie.
Note(14).

L'expédition du lieutenant-général d'Humières, du côté d'Embrun, eut lien vers la fin du mois d'août ou dans les premiers jours du mois de septembre, par conséquent un ou deux mois après celles du comte de Fustemberg et du capitaine de Bonneval.

C'est le 24 août seulement que François Ier, étant à Valence, ordonna à son lieutenant-général de ravager la campagne d'Embrun, de Gap et de Sisteron, par où Charles-Quint pourrait avoir envie de rentrer en Italie
Note(15).

Voici ce qui explique la différence qu'il y a entre ces dates ; lorsque de Fustemberg et de Bonneval rurent envoyés dans les Alpes, on craignait de voir arriver, pendant le mois de juillet, une partie de l'armée de l'empereur par la haute vallée du Var ou par Barcelonnette; à Embrun et à Gap, au contraire, on se prépara en prévision du retour de cette armée en Italie, qui eut lieu au mois de septembre. François Ier enjoignait, en outre, à d'Humières de ne rien épargner pour fortifier la position presque inexpugnable d'Embrun.

Les soldats de François Ier achevaient de ruiner la Provence, pour la sauver, lorsque ceux de Charles-Quint commencèrent leurs dévastations, pour s'en emparer.

Ce prince passa le Var, le 25 juillet 1536, à la tête d'une armée bien plus redoutable que celle du Connétable de Bourbon. Il trouva la ville de Grasse réduite en cendres. Fréjus et Draguignan se rendirent à la première sommation. Brignoles et Saint-Maximin furent livrés au pillage.

L'armée française ne se montrait pas, et elle était partout, harcelant l'armée impériale et enlevant avant son arrivée les derniers restes de provisions de bouche que possédaient encore les habitants des villes et des campagnes.

Charles-Quint et Charles de Savoie, entourés d'un nombreux et éblouissant cortège, firent leur entrée dans la capitale de la Provence, le 9 août 1536. Le lendemain, l'empereur se fit solennellement couronner roi d Arles et de Provence, dans l'église métropolitaine, par l'évêque de Nice. L'archevêque, les consuls et le parlement étaient en fuite.

C'est alors, disent plusieurs historiens de Provence, que le duc Charles de Savoie fit mettre le feu au palais de justice, dans l'espérance d'anéantir les chartes et autres titres sur lesquels les rois de France, successeurs des comtes de Provence, s'appuyaient pour revendiquer Nice, la viguerie du Puget-Théniers et la vallée de Barcelonnette. Mais les mêmes auteurs ajoutent que l'espérance de Charles ne pouvait se réaliser, parce que les archives du parlement avaient été mises en sûreté dans la forteresse des Baux.
Si ce prince a fait cette tentative
Note(16). pour anéantir des titres opposés à ses intérêts, l'incendie du palais de justice d'Aix est un fait important pour notre histoire. En effet, rien ne prouverait mieux que les ducs de Savoie eux-mêmes doutaient de leurs droits sur Terre-Neuve.

Le 19 août, Charles-Quint, voulant reconnaître par lui-même l'état de la place de Marseille, se rendit en personne devant cette ville.; et le gros de son armée y arriva bientôt pour en faire le siège. Mais l'insuccès des opérations militaires à Marseille et à Arles, le manque de vivres, les chaleurs accablantes de la saison et les maladies réduisirent les assaillants à l'impuissance ; il fallut songer à la retraite et se replier sur Aix, le 11 du mois de septembre.
Note(17).

François Ier était donc victorieux sans avoir livré bataille. Son système de défense avait pleinement réussi : l'armée ennemie était désorganisée et en déroute ; elle avait perdu vingt mille hommes, et elle repassa le Var le 25 du mois de septembre.

6. - Mais, après avoir suivi l'empereur et le duc de Savoie à Grasse, à Draguignan, à Aix et à Marseille, n'oublions pas les opérations du détachement qu'ils avaient envoyé vers les Alpes, à leur entrée en Provence.

Un auteur qui, dans son laconique récit de l'invasion de 1536, ne sépare pas, pour ainsi dire, les ravages de nos défenseurs de ceux de nos ennemis, parle en ces termes des agissements de ces derniers dans nos pays : "Puis survinrent les impériaux, dont les exactions furent d'autant plus violentes et rigoureuses qu'il ne restait plus rien à prendre chez les infortunés habitants."
Note(18).

Ce petit corps d'armée paraît avoir suivi l'ancienne voie prétorienne qui, partant de Cimiez, passait à Glandèves, à Vergons, à Castellane, à Riez, etc. Les soldats qui le composaient étaient presque tous espagnols.

Pendant le mois d'août 1536, ils ravagèrent Entrevaux, qui était considéré, à cette époque, comme une des clefs de la Haute-Provence, à cause de sa position dans la vallée du Var et de sa proximité des Etats de Savoie. Ils s'en emparèrent par surprise ou par trahison et ils passèrent la plupart des habitants au fil de l'épée.
Note(19).

Le même sort était réservé à Castellane, car cette ville, dit Laurensi, " devait être foulée par l'ennemi d'après le premier plan de l'empereur; mais elle fut préservée de ce fléau par cinq cents braves soldats que commandait Honoré de Grasse, seigneur de Briançon, aux avenues de nos montagnes, et nous n'en fûmes que pour la perte de quelques denrées et la démolition de quelques maisons."

A Senez, la population fut impitoyablement condamnée à d'exorbitantes contributions; le palais épiscopal fut livré au pillage et occupé par les espagnols, qui, de là, dévastèrent les environs.

Jean-Baptiste d'Oraison, alors évêque de Senez, se réfugia à Allos. Nos ancêtres n'étaient donc pas, en ce moment, exposés aux troubles de l'invasion; mais on ne pourrait pas en conclure qu'ils n'ont pas été molestés, avant ou après le séjour de ce prélat. dans leurs murs, car les soldats de l'armée de Charles-Quint en Provence manquaient de vivres, à Senez comme ailleurs, et ils faisaient des courses jusque dans les pays les moins importants pour s'en procurer.

7. - La campagne de 1536 en Provence acheva le désastre du duc de Savoie. Il ne lui restait plus qu'une partie du Comté de Nice et la forteresse de Verceil,et désormais ses armes furent un bras armé avec cette devise, qui ne manquait ni d'espérance, ni dé fierté : Spoliatis arma supersunt.

Nos pères, séparés de la Provence depuis 1388, lui furent rendus.
La Victoire de François Ier avait brisé les liens déjà deux fois séculaires qui les unissaient aux Etats Sardes et ils redevenaient sujets du roi de France.

Ce nouvel état de choses dura un quart de siècle (1536-1559). Pendant ce temps, Barcelonnette et Allos furent gouvernés selon les lois françaises, relevèrent du parlement d'Aix pour l'administration de la justice et payèrent les impôts aux clavaires de Provence, comme le prouvent les registres de comptabilité 'de cette époque.

Un des premiers actes des habitants de ces deux pays fut une requête adressée à leur nouveau souverain , pour obtenir dispense du payement de la taille, à cause des charges excessives que leur avait imposé le passage des troupes du roi de et de l'empereur.


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(1)Histoire de Nice, t. II pp. 146-147.
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(2) Les alliances entre nos souverains, comtes ou ducs de Savoie, et les princes français étaient fréquentes à cette époque. Nous avons dit que la mère et l'aïeule de charles étaient françaises, et Saint-Genis fait remarquer qu'Amédèe VII était fils d'une Française et mari d'une Bourguiguonne.
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(3)Un consul de Nice, Bertrand Richiero, fit, en langue vulgaire, une relation de cette royale réception. chose singulièrement remarquable, la langue vulgaire parlée à Nice, en 1488, a beaucoup de rapports avec l'idiome provençal actuel de Barcelonnette et surtout avec celui d'Allos. (Voir Histoire de Nice, par Durante, t. Il, p. 182.)
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(4) Saint-Genis. Histoire de Savoie, t. I, p. 499.
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(5) M. l'abbé Guillaumme, archiviste des Hautes-Alpes, citant Picot, Catalogue des actes de François Ier. (Paris, Imprimerie Nationale, 1887, p. 5758.)
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(6) Histoire des Alpes-Maritimes, par Fournier, notes de -M. Guillaume, t. Il, pp. 491-492.
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(7) Histoire de Sisteron, t. 11, p. 23.
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(8) Dates de l'Histoire de Forcalquier, p. 58.
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(9) Histoire des Alpes-Maritimes, par le P. Fournier, publiée par M.Guillaume, archiviste des Hautes-Alpes, t. 11, p. 493.
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(10) Aujourd'hui, le département de l'Ain. Cette contrée appartenait alors aux Etats Sardes.
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(11) Papon, Histoire de Provence t. xv, p. 68.
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(12) Le capitaine de Bonneval était chargé d'assurer l'exécution, dans toute la Provence, des mesures prescrites pour affamer l'ennemi. Il visita, pour cela, plus d'une fois, les principales villes. Lorsqu'il arriva à Entrevaux, il venait de parcourir les territoires de Saint-Maximin, de Draguignan, de Grasse, ordonnant partout aux habitants de faire disparaître les provisions et de détruire les récoltes, avec menace de faire saisir, à son retour, tout ce qui n'aurait pas été détruit ou caché en lieu sûr. Dans notre région, il ne fit, sans doute, qu'une seule visite, pendant laquelle la force armée faisait immédiatement exécuter les ordres.
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(13) "Les lansquenets, ramassis de gens sans aveu, la plupart allemands, et qui, avec les Suisses, formaient tout ce que la France avait alors de passables en infanterie.
Il n'y avait point encore de milice nationale permanente, et François Ier continua à se servir de troupes étrangères.
Cet étrange régime, terrible pour les pays que la guerre condamnait à lui servir de théâtre, devint souvent funeste à la France.
Les villes qui avaient le malheur de se trouver sur leur passage faisaient tous leurs efforts pour s'en délivrer. " (Histoire de Sisteron, passim.)
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(14) Tisserand, t. Il, p, 37.
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(15)Histoire des Alpes-Maritimes, t. II, pp. 515--516. note 4, par M.Guillaume.
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(16) Durante Histoire de Nice, t II, p 264 prétend que cette accusation est une pure calomnie de du Bellay; mais de graves historiens, que l'on n'accuse pas d'être des calomniateurs, par exemple Honoré Bouche, Augustin Fabre,Louis Méry, etc., parlent de Charles III comme Martin du Bellay.
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(17) Antonius Arena a raconté en vers macaroniques l'invasion de Charles-Quint un Provence et surtout sa retraite humiliante.
Nous avons aussi sur cette expédition un poème de l'avocat Jean Germain, réédité à Marseille un 1866, avec une excellente notice sur l'auteur, par Damase Arbaud. Le poème de Germain est un fidèle journal des événements.
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(18) La France pontificale, par Fisquet, Senez, p. 193.
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(19) Essai historique sur Entrevaux , par M. Albin Bernard, p. 12.
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Choix de Lecture

CHAPITRE III.

1.Le Dauphiné convoite Barcelonnette et son district ; édit d'annexion en 1537.

2.Protestation contre cet édit et remontrance de 1713.

3.Documents sur Barcelonnette, Allos et Saint-Martin d'Entraunes depuis 1537 jusqu'en 1559.

4.Maintien des anciens privilèges, libertés, franchises, etc.

5.Edit de Villers-Cotterets.

6.Guerre en Piémont; traité de Crespy et convention de Cagnes ; exonération d'impôts.

7.Mort de Francois Ier et du duc de Savoie.

8.Traité de Cateau-Cambrésis; cession de Barcelonnette, d'Allos et de Saint-Martin d'Entraunes à la Savoie.

(1537-1559.)

 

 

1.-La vallée de Barcelonnette était à peine rendue à la Provence, lorsque la province du Dauphiné essaya de la lui ravir, en obtenant par surprise un édit d'annexion. Dès que les habitants de la vallée et de ses dépendances eurent connaissance de cet édit, ils protestèrent énergiquement, et le roi prit en considération leurs justes doléances, comme on disait alors. Le récit de cet incident, qui n'est pas sans importance pour l'histoire de Barcelonnette, d'Allos et de Saint Martin d'Entraunes, est contenu dans une remontrance à Louis XIV à l'occasion d'une nouvelle demande d'annexion au Dauphiné, on 1713, après le traité d'Utrecht.

"En 1537, François Ier passant par Embrun pour se rendre en Italie, on surprit de sa religion un édit par lequel ce prince, sans avoir entendu ni consulté personne, unissait la vallée de Barcelonnette au Dauphiné."

2. C'est la seule pièce que le Dauphiné rapporte.
Encore la produit-il informe. En effet, on a supprimé de la procédure qui fut faite pour l'enregistrement de cet édit les protestations que firent les peuples de la vallée de se pourvoir vers le roi, pour lui faire leurs très humbles remontrances. Plusieurs consuls de différentes communautés refusèrent même d'en consentir l'enregistrement. Le procès-verbal en fait foi.

"Les députés du Dauphiné ont dissimulé encore que les justes remontrances des peuples furent favorablement écoutées et que l'édit n'eut point d'exécution :

on en produit cinquante preuves authentiques, sans que le Dauphiné puisse rapporter un seul acte de possession, ni avant, ni après ce prétendu édit.

"Votre Majesté est suppliée d'observer que ce fut au mois d'octobre 1538 que le commissaire député par le Dauphiné procéda à l'enregistrement de l'édit de 1537. Or, au mois de novembre de l'année 1538, l'édit ayant été révoqué, Honoré Arbaud, maître en la chambre des comptes de Provence, se transporta on la vallée de Barcelonnette et reçut l'hommage des habitants, au nom du roi François Ier.

".... Les députés de la province et du parlement du Dauphîné ont-ils donc bonne grâce de se parer d'un prétendu édit, surpris, informe, révoqué, pièce unique et solitaire, qui n'a jamais eu un moment d'exécution, pendant qu'on leur produit cette multitude de titres qui prouvent d'une manière si certaine que jamais Barcelonnette n'a été démembrée de la Provence, soit pour les subsides, soit pour le ressort, tant qu'elle a été sous la domination de nos rois."

Les signataires de la remontrance parlent, plus loin, de l'éloignement de la capitale du Dauphiné et des montagnes qui ferment leur vallée de ce côté, des frontières du Piémont jusqu'à la Durance.

Ces montagnes, ajoutent-ils, sont couvertes de neige depuis la fin du mois de septembre jusqu'au mois de juin, et même pendant l'été un cavalier ne peut passer le col de Vars sans exposer sa vie.

"Les communautés d'Allos, d'Entraunes et de Saint-Martin, qui sont les principales communes du vicariat,
Note(1). sont encore séparées du Dauphiné par un autre rideau de montagnes, savoir : les cols d'Allos, de la Sestrière, de Talon, de Fours et de la Calliole, qui ne sont pas moins impraticables. Ainsi, pour alles à Briançon et à Grenoble, on est obligé de faire un long circuit, de prendre le détour par la Provence, d'aller jusqu'à Barrême, etc.

"Pour se rendre, au contraire, de Barcelonnette et de toutes les terres qui dépendent de son vicariat en Provence, il n'y a ni montagnes, ni rivières à passer.
Note(2).
Les rivières du Var, du Verdon et de l'Ubaye, qui prennent leurs sources dans ledit vicariat et qui coulent en Provence, favorisent des chemins libres et faciles dans toutes les saisons. "

Ces motifs et plusieurs autres, qu'il n'y a pas lieu d'énumérer ici, portèrent la conviction dans l'esprit de François Ier.
L'édit de 1537 fut rapporté, et nos pays réunis à la Provence.

3. L'organisation civile, judiciaire, etc… fut bientôt ou était déjà
Note(3) un fait accompli, dans le district.

En 1538, Aymard de Bourchenu est nommé gouverneur de Barcelonnette et de son district, par lettres patentes du roi.

En 1547, cette nomination est renouvelée par Henri II.
Note(4).

Le 8 octobre 1539, Légier Coriolis est pourvu de l'office de juge de Barcelonnette et du district, et sa nomination devient définitive par un arrêt de réception du parlement d'Aix du 13 décembre suivant.

Quant à l'exercice de la justice, on trouve, à la fin des remontrances du parlement d'Aix, un état sommaire des jugements rendus entre divers habitants de la vallée de Barcelonnette.
Note(5).

Voici ceux qui concernet Allos :
"Sentence rendue entre Pierre Fournier, du lieu d'Allos, en la vallée de Barcelonnette, et Bernard Pascal, du même lieu ( 5 septembre 1556, pièce 25 ).
"Entre Julien Pascal, du lieu d'Allos, en la vallée, et Pierre Fournier, du même lieu ( 30 janvier 1557, pièce 26 ).
"Entre messire Mounet Pascal, chapelain, en l'église du lieu d'Allos, et Honoré Pascal, du même lieu ( 18 janvier 1559, pièce 32 ).

"Entre Jeanne Pascal, du lieu d'Allos, et Claude Guiran ( 28 janvier 1559, pièce 33 )."

François Ier établit, en 1539, Esprit Pontis,capitaine châtelain
Note(6) et receveur de la viguerie de Barcelonnette.

En 1554, Blaise Touron succède, dans cet emploi, à Esprit Pontis.

La même année, François de Catinel remplace le gouverneur de Barcelonnette, Aymard Bourchenu, et, après quelques années, il est remplacé lui-même par Pierre Antelmi ou Anselmi.

"Pour ne rien laisser d'imparfait dans la réunion de cette vallée à la Provence, le même roi ( Henri II ) ordonna aux Etats de Provence de la comprendre dans leur affouagement, en l'année 1540, et, au mois de juin de l'année 1542, il pourvut de l'office de procureur du roi à Barcelonnette Honoré Pascalis.
Note(7).

De leur côté, les habitants de notre district reconnurent, en 1542, les droits de cens et de cavalcades dus au roi comme successeur des comtes de Provence.

4. Par lettres patentes, adressées aux cours de Provence, en 1542, François Ier accorda en ces termes à nos pays, redevenus français, toutes les libertés dont jouissaient ses sujets de Provence :
"Nos très chers habitants de notre pays de Barcelonnette nous ont fait remontrer que, depuis le temps qu'ils ont été établis sous notre obéissance et du ressort de notre pays et comté de Provence et de notre cour du parlement dudit pays, séant à Aix, ils se sont toujours conduits comme bons et loyaux sujets…
A ces causes, voulons et ordonnons qu'ils jouissent des privilèges accordés aux autres habitants de Provence."

Ces lettres royales, scellées du grand sceau, renouvelaient les privilèges et les franchises que nos ancêtres avaient autrefois obtenus des anciens comtes de Provence et qui avaient été, depuis, maintenus par les ducs de Savoie.

Henri II, fils et successeur de François Ier, confirma également, par lettres patentes du mois de mars 1547, les habitants de la vallée "dans tous leurs privilèges , immunités, foires franches, statuts, coutumes, libertés, franchises et exemptions, pour en jouir à perpétuité, en la forme et manière qu'ils en ont ci-devant joui et usé, jouissent et usent à présent."

5. Un édit de François Ier, publié à Villers-Cotterets en 1539, rendit obligatoire la langue française en justice et dans les actes notariés. Cet édit produisit son effet jusqu'à Allos, qui à cette époque, appartenait au royaume de France.

"Jusqu'alors, la Provence, dit M. de Berluc-Perussis, avait joui en cette matière de la liberté la plus absolue. Trilingue dès le temps de Strabon, elle l'était encore au XVI° siècle. Nos comtes eux-mêmes édictaient indifféremment leurs statuts en latin, en provençal ou en français. Nous avons été curieux de constater qu'elle était , avant l'édit de 1539, la langue écrite prédominante. Le livre des quittances trésorières de 1534-1535 nous fournit les chiffres que voici :

"Ecrivent en latin : le recteur des écoles, cinq notaires, un chanoine et un particulier ;

"En provençal, l'un des syndics, un commis des Etats, l'étapier de la garnison et deux particuliers, dont l'un tout en écrivant en provençal, signe en latin; par contre, un troisième, au bas d'un acte latin, signe en provençal ;

" En français : le viguier, le notaire de la cour royale, un commis des Etats, deux solliciteurs au parlement et un clerc de procureur, ces quatre derniers demeurent à Aix ; un notaire, également d'Aix, écrit en français et signe en latin.

"Comme on le voit, les trois langues vont de pair et font le meilleur ménage du monde, au point que plusieurs des signataires emploient deux d'entre elles concurremment.
Note(8).

C'est ce qui eut lieu à Allos. Le même auteur fait remarquer qu'en 1625, à l'occasion d'un contrat de mariage, Esprit Pin et son père, François, ont signé

Le père, François Pin, et le fils, Piny.

"L'adoption de cette désinence, ajoute-t-il, est un retour au génitif, c'est-à-dire à la forme traditionnelle que les notaires employaient généralement lorsqu'ils rédigeaient leurs actes en latin….

A la suite de l'édit de Villers-Cotterets, les familles quittèrent , pour la plupart, la forme latine, et celles qui la conservèrent cherchèrent à la franciser, en substituant en finale l'y à l'i; c'est ce que fit Esprit Piny."

De l'édit de Villers-Cotterets date le commencement de ce que nous appelons aujourd'hui l'état civil.

François Ier chargea les curés de toutes les paroisses de France de tenir les registres des baptêmes, des mariages et des enterrements et d'en déposer une copie au greffe du bailli le plus voisin de leurs paroisses.

L'édit de 1539 continua probablement d'être en vigueur chez nous, même après le traité de Cateau-Cambrésis, qui nous plaça de nouveau, en 1559, sous la domination de la Savoie.

En effet, le duc Emmanuel-Philibert, par un édit de 1546, permit dans ses Etats le maintien des règlements qui, sans être en opposition avec les lois ducales, paraissaient appropriés aux besoins du pays, et Saint-Genis, après avoir loué cette autorisation, ajoute " que la célèbre ordonnance de Villers-Cotterets fit partager à la Savoie les progrès de la France".
Note(9).

6. Dès qu'on eut appris en Italie les résultats de l'invasion de la Provence, en 1536, et le retour des armées de Charles-Quint et du duc de Savoie, les Savoyards, se confiant trop, sans doute, sur les secours qu'ils pouvaient en retirer, coururent aux armes.
Note(10).

Un général français, le comte de Saint-Paul, réprima aussitôt ce soulèvement et il refoula les insurgés jusqu'au pied du mont Saint-Bernard.

L'année suivante, le général d'Humières, ayant reçu le commandement de l'armée d'Italie, traversa les Alpes, au mois de juin, avec un renfort de douze mille hommes.
Peu de temps après, d'autres troupes françaises franchissaient le mont Genèvre, et le maréchal de Montmorency s'empara du château et de la ville de Suse.

Les infortunés sujets de Charles III ne savaient plus à qui ils appartenaient.
Ce prince avait remis le commandement des débris de son armée au général de l'armée impériale , qui, même sans le consulter, signait des suspensions d'armes avec les chefs de l'armée française.

Le triste sort de la Savoie et du Piémont faillit être le nôtre, en 1540.
Un officier espagnol de grand mérite, Camille Colonna, proposa de former deux corps d'armée, dont les chefs auraient eu pour mission d'envahir simultanément les Alpes occidentales, de s'y établir dans quelques places pouvant servir de bases à leurs opérations militaires et d'échelonner leurs troupes sur le versant alpin, pour isoler l'armée de François Ier.

Par la réalisation de ce plan de campagne, les Hautes et les Basses-Alpes seraient devenues le théâtre de la guerre.
Heureusement pour nos ancêtres , le général en chef de l'armée impériale n'accepta pas ou n'eut pas les moyens de réaliser le projet hardi de Camille Colonna.

Le 18 septembre 1544, eut lieu le traité de Crespy-en-Laonnais, entre Charles-Quint et le roi de France.
En vertu de ce traité, le duc d'Orléans, fils de François Ier, devait épouser, dans deux ans, la fille de l'empereur ou sa nièce, fille de Ferdinand, roi des Romains, et Charles-Quint lui promettait le Milanais ou les Pays-Bas.

Le roi de France promettait , de son côté, de rendre au duc de Savoie la partie de ses Etats dont il avait fait la conquête, lorsque le duc d'Orléans prendrait possession du duché de Milan ou des Pays-Bas.

Par une des clauses de ce traité, il fut convenu que le comté de Nice et, par conséquent, la vallée de Barcelonnette seraient l'objet d'une convention spéciale, entre le duché de Savoie et le gouvernement français.

Aymard de Vaucluse et Henri de Courcelles, commissaires de François Ier, Ludovic de Prey et Jean de Villette, délégués de Charles III, furent chargés de préparer cette convention et ils se réunirent à Cagnes, en Provence.
L'acte qu'ils rédigèrent fut ratifié à Nice, le 6 décembre 1544.
Les Français devaient évacuer Barcelonnette, Allos et Saint-Martin dans un délai de quinze jours.

Mais le duc d'Orléans étant mort peu de temps après, l'empereur refusa d'observer l'engagement qu'il avait contracté envers lui.
De son côté le roi de France, dit le comte de Saluces, était loin de vouloir se dessaisir de ce qu'il possédait dans les Etats de Savoie, et le traité de Crespy, au lieu d'établir une paix durable, devint la source d'une nouvelle guerre.

Un historien savoyard fait remarquer, en effet, que le Piémont fut le théâtre de véritables atrocités, de 1536 à 1558.
C'était pour tout le district de Barcelonnette un mauvais voisinage.
Les déserteurs, les maraudeurs et les bandits qui suivaient les armées, les vétérans licenciés, etc., se répandaient dans les pays voisins et s'y rendaient coupables, en temps de paix, de rapines et d'outrages nombreux, dans les familles isolées et dans les villages sans défense.

Cela nous explique pourquoi les exonérations d'impôts furent fréquemment accordées, à cette époque, aux habitants de nos vallées alpines.
Voici, à ce sujet, deux délibérations des Etats de Provence, datées du 25 janvier 1540 et du 20 du même mois 1542.

"I…...
Note(11).
A été baillée esdits Etats doléance par la partie des manans et habitants de Barcilonne et lieu de son ressort, contenant, entre autres chiefs (chefs), plusieurs pilleries, ruines, boulements, maltraitements qu'ils ont eus, ces années passées, tant par les gens de l'empereur que du roi notre sire, et plusieurs mises et dépenses qu'ils ont faites et souffertes (pour) poursuivre, envers le roi, qu'il fût son bon plaisir ordonner (d'ordonner) eux être du ressort de Provence et réunis à icelui ;
Note(12) pour laquelle poursuite ils tiennent encore un homme à la cour, à leurs dépens; concluant, par fin de leur dite doléance, qu'il plût à messieurs desdits Etats, les vouloir eximer et exempter de charges et subsides dudit pays, tant du fait de la garnison de Monsieur le comte que autres.

"Quoi par lesdits Etats entendu, ils ont, d'un commun accord et sans aucune discrépance, dit et conclu que pour tous dommages, intérêts et dépens que lesdits de Barcilonne et de son ressort pourront avoir soufferts pour les choses susdites, ils seront encore exemptés pour cette année, tant seulement, jusqu'aux uns autres prochains Etats.

II…. Pareillement se sont rendus plaintifs les députés pour la ville de Barcilonne, son ressort et le lieu d'Allos, de ce que hier, en opinant sur l'exemption des charges……
Par eux demandée pour une année, il aurait été par iceux Etats dit et arrêté que pour l'avenir ils seraient contribuables………….

" Requérant pour cela de ce chef lesdits Etats, ayant égard (d'avoir égard) aux grandes folles (foules) et charges insupportables qu'ils ont depuis peu de temps encore souffertes et endurées………….
Note(13).

" Laquelle plainte entendue par lesdits Etats, ils ont tous d'un même accord dit, avisé et conclu que ladite ville de Barcilonne, son ressort et lieu d'Allos fourniront et seront redevables pour l'avenir desdites charges et affaires du pays………….

" Fors et excepté l'imposition d'un florin pour (par) feu, mis sur ledit pays, lesquels (desquels) lesdits Etats les ont exemptés et eximés pour cette année tant seulement et que, de ce, ils soient dits contents sans plus y revenir.

"Et incontinent Peyron Caire, député pour ledit Barcilonne, qui hier se porta pour appelant, a renoncé à ladite appellation, par lui interposée, demandant acte leur être fait par nous greffiers et soussignés."

Pendant qu'ils étaient réunis à la Provence sous François Ier et Henri II (1536-1559 ), nos pays sollicitèrent donc souvent, probablement tous les ans, l'exemption des impôts, à cause des lourdes charges qui pesaient sur eux.
Les Etats de Provence n'agréaient leurs requêtes que pour une année, les refusaient invariablement pour l'avenir, mais en somme ils accordaient fréquemment et peut-être toujours, comme le croient certains auteurs, les dispenses que nos pères leur demandaient.
Les habitants de Barcelonnette et de son ressort obtinrent par conséquent ce que François Ier n'avait pas accordé à la Provence elle-même, après l'invasion de Charles-Quint.

7. Cependant nous étions menacés d'une nouvelle invasion.
Le roi de France n'ignorait pas que l'armée de Charles-Quint en Italie devait envahir la Provence, lorsqu'elle fut écrasée par le duc d'Enghien, à Cerisoles, en 1544.
En prévision d'autres hostilités, il s'occupait des fortifications des rives du Var.
Il faisait reconstruire les remparts de Saint-Paul, et ces travaux furent poussés avec activité en 1546 et en 1547, lorsqu'il mourut à Rambouillet, en 1547 à l'âge de 53 ans, après trente-deux ans de règne.

Il avait traversé plusieurs fois nos Alpes, et nous venons de voir comment Barcelonnette ainsi que ses dépendances furent l'objet de sa sollicitude et de la générosité de son administration paternelle.
Après avoir parlé des mesures douloureuses prises pour délivrer la Provence de l'invasion de Charles-Quint, en 1536, le grave historien de Castellane ajoute :
"On se soumit….
Tous les Provençaux applaudirent au projet du roi, et le nom de François Ier sera toujours en bénédiction dans toute la Province ".
Note(14).

Il en fut de même dans tout le royaume : ce prince était aimé de ses sujets, malgré les lourdes charges qu'il leur imposa, pendant trente années de guerre contre Charles-Quint.

Charles III, duc de Savoie, vécut encore pendant six ans après la mort de François Ier, n'ayant plus pour ainsi dire qu'un coin de terre pour y être enseveli.
En effet, il mourut à Verceil, en 1553, et, peu de temps après, cette ville fut surprise par les Français.
De tous ses Etats, il ne lui restait, depuis dix-sept ans, que quelques forteresses, dont la principale était Nice.
Ce prince puisa dans la religion une résignation et une fermeté qui l'élevèrent au-dessus de ses malheurs.

Charles-Quint abdiqua en 1555 et se retira en Espagne dans une maison qu'il avait fait bâtir pour lui, près d'un couvent.
Il avait cédé la couronne impériale à son frère Ferdinand, les royaumes d'Espagne et d'Italie à son fils Philippe II; mais, du fond de sa retraite, il suivait les événements dont ses anciens Etats étaient le théâtre.
Il mourut en 1558, à l'âge de 58 ans.
Ainsi disparurent les deux puissants souverains de la France et de l'Allemagne et Charles, duc de Savoie, notre souverain, qui fut la victime de leur ambition et de leur inimitié.

Deux ans avant sa retraite, Charles-Quint reçut à sa cour Emmanuel-Philibert, fils de Charles III, lui permit de combattre à ses côtés et lui donna même le commandement de ses armées.
C'est en qualité de général en chef de l'armée impériale que ce jeune prince vainquit le connétable de Montmorency, à Saint-Quentin, en 1557.

Cette éclatante victoire changea la fortune d'Emmanuel-Philibert.
Déjà, Charles-Quint lui avait donné, en 1544, l'investiture du duché de Savoie et lui avait promis tous les privilèges accordés précédemment à Charles III, son père.

Dès l'an 1558, le nouveau duc de Savoie envahit la vallée de Barcelonnette, s'en empara " et exigea par la force des armes le serment des habitants.
La vallée fut reprise presqu'en même temps par le roi de France, Henri II.
Le comte de Tende, lieutenant-général de Provence, se transporta sur les lieux, fit révoquer le serment fait au duc de Savoie et reçut le nouvel hommage des habitants, au nom du roi, comte de Provence."
Note(15).

8.Cette invasion de notre territoire , lorsque nous appartenions à la France, était le prélude de notre nouvelle annexion aux Etats Sardes, qui eut lieu en vertu du traité de paix signé à Cateau-Cambrésis, le 3 avril 1559. Voici les principales clauses de ce traité qui concernent notre histoire.

Le roi de France promit en mariage sa sœur, Marguerite de Valois, au duc Emmanuel-Philibert et s'engagea à évacuer sans retard les Etats de Savoie.
Il fut convenu que six places fortes continueraient cependant d'être occupées et gardées comme otages par des garnisons françaises, jusqu'à ce que la princesses de France eût donné un héritier au duc de Savoie.

Le cardinal Mazarin fit en vain tous ses efforts pour obtenir le retour du comté de Nice à la Provence.
Il offrait pour cela, en échange, la ville de Genève et une indemnité pécuniaire; mais tout fut inutile; la maison de Savoie ne voulut jamais accepter ces propositions.

Au mois de septembre de la même année, les Français évacuèrent Barcelonnette, Allos, Saint-Martin d'Entraunes et quelques autres châteaux qu'ils possédaient sur les bords du Var.

Pendant le mois de janvier 1560, Emmanuel-Philibert s'embarqua à Marseille, avec Marguerite de Valois, son épouse, et se rendit à Nice pour témoigner sa satisfaction à la population fidèle de cette ville.
Il y reçut Antoine Audiffred, de Jausiers, procureur de toutes les communes du Val-des-Monts et de son district .

A sa requête, il confirma toutes les franchises par lettres patentes du 20 décembre et accepta leur serment de fidélité.
Ce prince prolongea son séjour dans cette ville jusqu'en 1561.

La naissance d'un prince le confirma dans la possession de ses Etats; les troupes françaises, qui occupaient encore plusieurs forteresses en Piémont, se retirèrent, et la paix demeura établie entre la France et la Savoie.
Malheureusement, d'autres causes de trouble dont nous allons parler agitaient déjà les esprits et allaient bouleverser les populations alpines et les nations voisines.
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(1) On entendait par vicariat ou viguerie un district ou juridiction judiciaire et administrative.
En Languedoc et en Provence, le viguier, vicarius, était un juge remplissant les mêmes fonctions que les prévôts royaux dans les autres provinces de France. A partir de 1559, dit Durante, les vigueries du comté de Nice furent changées en préfectures, ayant chacune un juge mage ou préfet.
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(2) Le passage des rivières offrait alors de grandes difficultés parce que les ponts étaient très rares.
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(3) Les auteurs ne sont pas d'accord sur la date de l'annexion ou plutôt du retour de Barcelonnette à la France.
Les uns la fixent à l'année 1536, les autres à 1537, etc.
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(4) La nomination du gouverneur ou préfet était donc annuelle.
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(5) Cette locution doit être prise ici dans le sens de district, circonscription.
Allos ayant toujours été uni à Barcelonnette, dans toutes les vicissitudes politiques, quelques auteurs ont fini par en parler comme s'il faisait partie de la vallée de ce nom.
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(6) Un capitaine châtelain était le commandant d'un château-fort.
Nous verrons plus loin qu'un capitaine commandait le château d'Allos.
Il était aussi quelquefois viguier ou bailli.
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(7) Remontrances du parlement de Provence pour la réunion de la vallée de Barcelonnette à son ressort.
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(8) Les dates de l'Histoire de Forcalquier, p.62.
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(9) Histoire de Savoie, t. II, p.22.
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(10) Histoire militaire de Piémont, par le comte de Saluces, t.II, p. 26.
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(11) Archives des Bouches-du-Rhône, série C., n°1, folio 92.
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(12) Les pétitionnaires font allusion aux efforts de leur concitoyens pour faire annuler, en 1537, l'édit de François Ier qui les unissait au Dauphiné.
Mais le chargé d'affaires qu'ils avaient à la cour, à leurs frais, avait à s'occuper sans doute d'autres affaires importantes pour la vallée, etc.
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(13) Il s'agit ici sans doute de calamités postérieures à celles de 1536.
On n'aurait pas pu parler ainsi, en 1542, des dévastations qui avaient eu lieu depuis six ans.
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(14) Histoire de Castellane, par Laurensi, p.72.
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(15) Remontrance au roi Louis XIV, p.7.
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Choix de Lecture

CHAPITRE IV.

1. Le protestantisme et les vestiges des Vaudois dans les Alpes.

2. Troubles et ravages à Castellane, à Senez, à Barrême, à Digne , dans la vallée du Verdon, etc..

3. Mort du duc de Savoie ; les guerres de religion ; la Ligue.

4. Dévastations à Annot à Thorame-Haute à Tartonne; siège de Colmars.

5. Le nouveau duc de Savoie défend la Ligue en Provence.

6.Tristes vicissitudes dans le district de Barcelonnette ; siège de cette ville par Lesdiguières

7.Siège d'Allos par un de ses lieutenants.

8.Vigoureuse défense du capitaine Sicard; capitulation ; calamités publiques ; le traité de Vervins

(1559 - 1598. )

 

1.Pendant les guerres de François Ier et de Charles-Quint, le venin de l'hérésie protestante se répandait non seulement en Allemagne mais en France, en Savoie, etc.. , sous le nom séduisant de réforme évangélique.

" On touchait au moment d'une grande crise....
Les esprits étaient en fermentation ; les nouvelles idées de réforme se propageaient d'autant plus rapidement qu'elles n'étaient, pour la plupart de ceux qui les embrassaient, que le prétexte d'une réforme politique ; car, suivant la remarque de Bossuet, " il ne se forme jamais de secte dans l'Eglise, qui ne soit disposée à former un parti dans l'Etat."...

Au premier cri de réforme qui se fit entendre en Allemagne, répondit bientôt, de toutes parts, cette foule d'hommes hardis qui , sans frein dans leurs moeurs, comme dans leurs opinions n'attendaient que l'occasion de se rallier sous une bannière quelconque
Note(1)

Il y avait des Vaudois dans nos Alpes et en Piémont, depuis le XIIIe siècle. Débris des anciens hérétiques de ce nom, ces sectaires possédaient des terres sur les bords du Var et 24 villages sur les rives de la Durance, au pied du Lubéron.

Dès qu'ils eurent connaissance de l'hérésie des luthériens , ils se mirent en rapport avec eux , et, de bonne heure, leur pasteur, Georges Morel, fut envoyé en Allemagne.

Ils furent condamnés avec une excessive rigueur , en 1540 , par le parlement de Provence.

Les ducs de Savoie employèrent de meilleurs moyens pour ramener à l'église catholique les Vaudois de leurs États. Vers 1520, Charles III écrivait à Symphorien de Bullioud, évêque de Glandèves, de travailler à leur conversion.

"Leur nid principal, lui disait-il, est à Giause ; choisissez de préférence les capucins et employez de douces exhortations ( exortazione amorose).. S'ils s'obstinent, remettez-les aux officiers de justice." Et il ordonnait aux juges de seconder et les efforts du clergé.
Note(2)

Emmanuel - Philibert, son fils et son successeur, avait pour principe qu'il ne faut pas employer la force contre les opinions religieuses, et, bien que les Vaudois piémontais fussent de véritables révoltés, il ne les fit attaquer à main armée qu'après avoir usé envers eux, en 1560 et en 1561, de tous les moyens de persuasion.
Note(3)

2. Dans l'ancien diocèse de Senez, " le premier signal des troubles religieux parti de Genève eut son écho à Castellane,en 1559. Un sieur Brun de la Caille avait reçu dans sa maison un émissaire genevois, qui fit entre autres adeptes Antoine et Paul Richieud, sieurs de Mauvans. Avec les nouvelle doctrines, la discorde s'introduisit dans les familles, les esprits s'aigrirent, et l'on finit par en venir de la discussion à des luttes sanglantes. Un jour que la foule assiégeait la maison du prêche, en criant :
Fouaro Lutherians ! Fouaro Huguanauts !
ceux-ci répondirent par des coups de mousquet, tuèrent ou blessèrent (plusieurs ) personnes et sortirent de la ville en proférant des menaces de vengeance et d'extermination.

"Tandis que Paul de Mauvans courait à Aix demander justice au parlement, Antoine, son frère, à la tête de trois cents sectaires, se met à saccager le pays. Il pille et incendie le couvent et l'église des Augustins, massacre tout ce qu'il rencontre sur ses pas et se jette ensuite avec sa bande sur l'évêché de Senez, dont il dévaste l'antique cathédrale et le palais épiscopal, brûle la maison du chapitre et, de là, vient tomber sur Barrême.

"Le village n'étant pas fortifié, les assaillants ne rencontrèrent pas une longue résistance. Les habitants, rançonnés à discrétion, durent se résigner et voir l'église de Saint-Jean ruinée, etc.. L'église collégiale de Saint Jacques subit le même sort.

" Notre - Dame du Bourg , à Digne, et son chapitre cathédral ne sont pas mieux traités.Puis le torrent dévastateur se précipite, par Mezel, dans les diocèse de Riez, de Fréjus et de Glandèves, portant de toute parts le pillage, le meurtre et l'incendie."
Note(4)

Dans le diocèse d'Embrun, les calvinistes s'établirent dans le Queyras par les moyens les plus odieux et les plus violents.
Cependant le comte de Sommerive, qui commandait l'armée catholique, faisait le siège de Sisteron, dont les protestants s'étaient emparés.
Le comte de Carces, le brave Crillon et d'autres intrépides guerriers combattaient à ses côtés.
La ville fut prise en 1562, après trois mois de siège et plusieurs assauts meurtriers, malgré l'arrivée de Mauvans et de Lesdiguières, accourus au secours des assiégés.
Ce dernier s'empara d'Embrun en 1585.

La fin du siège de Sisteron permit au général de Sommerive de diriger un de ses lieutenants vers Senez, où les cent routiers laissés par Mauvans possédaient toujours le château épiscopal et tenaient toute la contrée en alarmes.
Note(5)
Ils furent délogés de ce lieu, le premier occupé par les religionnaires.

Tel fut , dans notre région, le commencement des guerres civiles, causées et par la prédication des doctrines de Luther et de Calvin et qui portent le nom de guerre de religion.
Comment aurions-nous pu échapper à ce fléau, qui nous menaçait de toutes parts ?
On se battait à Entrevaux, à Castellane, Senez, à Digne , Sisteron, à Gap, dans le Queyras, en Piémont , etc., et se cercle de feu devenait plus étroit de jour en jour.

Déjà , la persécution sévissait même à Allos ; la vallée du Verdon ne possédait plus qu'un seul prêtre, le prieur d'Allons.Honoré Bouche dit, en effet, qu'en 1562, par conséquent pendant la première guerre de religion, il n'y avait plus, dans le diocèse de Senez , que trois prieurs, savoir ceux de Chasteuil , Taloire et d'Allons ; un seul vicaire, celui de Tartonne et quelques chanoines.

D'ailleurs, nous l'avons déjà dit plusieurs vallées alpines avaient été autrefois de véritables nids de Vaudois, et les nouveaux hérétiques qui renouvelaient leurs erreurs trouvaient facilement crédit en ces lieux. Marcellin Fournier fait remarquer qu'il se réfugièrent en grand nombre dans les vallées de Sture et de Barcelonnette et que leur présence attira l'attention d'Emmanuel - Philibert, dès les années 1559. Il ajoute que ce prince, après avoir accordé un peu trop de liberté à ces révoltés contre l'Eglise catholique et contre l'Etat, chargea un capitaine de justice de nommé Corbis, assistés de Thomas Jacomel, inquisiteur, de les poursuivre à Larche et à Meyronnes.

L' erreur ne tarda pas de produire ses fruits. En 1561 , les habitants de ces mêmes vallées qui avaient accepté les doctrines nouvelle attaquèrent les châteaux à main armée, profanèrent ou abattirent les églises. Le duc de Savoie, toujours partisan des moyens de persuasion, prescrivit qu'on n'employât, pour les combattre, que les armes de l'apostolat catholique. Il fit appeler, pour ce ministère tout à fait évangélique, deux religieux de la compagnie de Jésus, Antoine Possevin et Louis Codret. Le père Codret, dit Marcellin Fournier,
Note(6) travailla dans les deux vallées de Sture en et de Barcelonnette, pitoyablement corrompues par l'hérésie , etc. mais celle de Barcelone davantage.
En l'une, où le français n'était point si commun, il prêchait en italien ; et l'autre, la plus proche d'Embrun , en français.

3-Charles IX, roi de France, mourut en 1574 et il eut pour successeur Henri III , son frère, roi de Pologne. Ces événements s'accomplirent entre la quatrième et la cinquième guerre de religion, car les premières de ces guerres eurent lieu sous Charles IX, et les dernières, sous Henri III.

Pendant ce temps , les protestants de Provence poursuivaient de leur haine le comte de Carces, chef des catholiques de cette province. La mère de Charles IX, Catherine de Médicis, crut qu'elle les apaiserait en le remplaçant dans ses fonctions de gouverneur de Provence par le maréchal de Retz.
C'est alors que l'on donna le nom de Carciste aux catholiques et celui de razats aux protestants et aux politiques mécontents.

Le maréchal de Retz était allé en Pologne, au-devant du nouveau roi, quand la ville de Grasse , fut le théâtre des premiers troubles entre carcistes et razats, et ce nouvel incendie s'étendit bientôt jusqu'au sommet des Alpes.

Pendant l'été de 1574, les razats s'emparèrent de Riez, de Digne, d'Annot, où ils commirent d'horribles excès.
Ils se dirigèrent ensuite vers la haute vallée du Var , du Verdon et de l'Ubaye et mirent à feu et à sang tous les pays qu'il rencontraient sur leur passage.
Les historiens ne parlent ici, il est vrai, que des vigueries de Barcelonnette et de Guillaume ; mais il est impossible les bourgs d'Allos et de Colmars, qui se trouvent sur la seule voie praticable entre Guillaumes et Barcelonnette, n'aient pas partagé leur malheureux sort.

En 1577, le duc de Savoie, accompagné de son fils, Charles Emmanuel, reçut , à Nice, les députés des communautés de la viguerie de Barcelonnette et des autres vigueries du comté de Nice, qui renouvelèrent leur hommage de fidélité et offrirent à leur souverain un don spontané de 25.000 florins pour le trésor ducal.

Emmanuel - Philibert mourut en 1580, après avoir réparé tous les désastres du règne précédent.
Pendant qu'il portait la couronne ducale de Savoie, les successeur de François Ier se succédaient rapidement sur le trône de France : Henri II régna douze ans (1547 - 1559) ; François II , un an (1559 - 1560) ; Charles IX , quatorze ans (1560-1574), et Henri III , 15 ans (1574-1589).

C' est pendant le règne de ce prince que " la Ligue naquit des convictions religieuses et des sentiments patriotiques des catholiques".
Les protestants ayant obtenu par la faiblesse de la royauté une sorte de gouvernement, des finances et une armée, les catholiques voulurent avoir les mêmes avantages dans l'intérêt de la religion.
Il y eut donc, à cette époque, en Provence, comme ailleurs, trois armées : celle du roi, celle des catholiques, dont de Vins était le chef, et celle des protestants, dont les principaux chefs furent de Mauvans, le baron de Allemagne et de Lesdiguières , etc..
Ajoutons que, pour nous, il y avait une quatrième armée, celle du duc de Savoie, qui venait assiéger Barcelonnette et les communes de son district, dès que les Français s'en étaient emparés.

4. - En 1574, les protestants promenèrent de nouveau le fer et le feu jusque dans notre vallée et celle de la Vaïre. Ils s'emparèrent de Riez , de Gréoux , de Puimoisson, d'Espinouse, de Digne, de Seyne, du Poil, de Majastres, de Tartonne, de Thorame-Haute et d'Annot.
Honoré Bouche, à qui nous devons le récit de leurs dévastations, fait remarquer que les sieurs de l'Iscle et Espagnolet commandaient la colonne qui surprit Annot, Thorame-Haute, Tartonne et les pays voisins et qu'ils exerçaient partout les plus incroyables cruautés, meurtres, voleries et profanations, renversant les autels, démolissant les chapelles, brûlant les images, abattant les croix, emportant les calices et tous les précieux ornements des églises.

Pour mettre un terme à ces brigandages, le maréchal de Retz envoya dans les Alpes le comte de Carces et le baron de Vins, avec ordre de poursuivre partout les Huguenots et de les déloger de leurs positions.
De Vins
Note(7) parcourut le val de Barrême, arriva jusqu'à Thorame-Haute et fit impitoyablement passer aux fil de l'épée de l'Iscle, Espagnolet et leurs compagnons d'armes, enfermés à Tartonne, au Poil et à Majastres.

Quatre ans plus tard, la vallée du Verdon était encore une fois ravagée par les Huguenots.
Le capitaine Jacques Arnaud d'Entraunes, neveu des frères de Mauvans, se dirigea vers Colmars, à la tête de cent vingt hommes, et surprit cette place, la veille de Noël de l'an 1578.
Il parcourut tout la vallée, saccageant et détruisant tout sur son passage, jusqu'à Château Garnier.

Dès que la nouvelle de cette invasion fût connue à Barrême, le seigneur de ce lieu partit également avec cent vingt hommes, malgré la rigueur de l'hiver.
Cette vaillante petit troupe de six-vingt hommes, comme dit un vieux texte
Note(8) ramassant les circonvoisins, assiégea Colmars, où les ennemis s'étaient enfermés. Le lendemain, jour des Innocents, le capitaine Amaudric, de Digne , amena aux assiégeants un contingent de cinquante arquebusiers.
La place ne résista pas longtemps ; la plupart des soldats Huguenots furent tués ; les autres faits prisonniers et conduits à Barrême, sous bonne escorte.

La vallée de Colmars et d'Allos était délivrée; mais les prisonniers ne demeurèrent pas longtemps entre les mains de leur vainqueurs, car un détachement de razats commandée par le sieur de Verdaches surprit Barrême et les emmena, avec d'autres prisonniers.
Le capitaine Arnaud recouvra ensuite sa liberté, mais il n'échappa que pour quelque temps au châtiment qu'il avait méritée.
Il fut pendu à Seyne, en 1586, par ordre du duc d'Epernon.
Note(9)

Il paraît certain que le chef Huguenot d'Entraunes n'épargna pas les habitants d'Allos, sujets comme lui du duc de Savoie.
En effet, il combattait dans les rangs d'une armée ennemie de son souverain, et chez lui, d'ailleurs, la haine du sectaire ne s'arrêtait pas devant le patriotisme.

La guerre continuait toujours en France, et de déplorables événements s'y accomplissaient.

En 1588, par conséquent deux ans après la huitième guerre de religion, dite guerre des trois Henri (1586) , Henri de Guise fut assassiné à Blois par les gardes du roi, et le duc de Mayenne le remplaça dans le commandement général des ligueurs de tout le royaume.
Un an après, le 1er août 1589, le roi Henri III fut lui-même poignardé, pendant que les troupes royales faisaient le siège de Paris.
Ces morts violentes étaient de nature à rendre de plus en plus implacable la guerre entre la Ligue, le protestantisme et la royauté.

5. - La Valette, le gouverneur de Provence, ayant convenu avec Lesdiguières, le plus vaillant des chefs Huguenots, que leurs troupes à agiraient de concert contre la Ligue, les catholiques ligueurs Provençaux, trop faibles pour résister aux forces réunies de leurs ennemis, tournèrent leur regard vers le duc de Savoie. Pendant qu'on délibérait sur le projet d'envoyer une députation à ce prince, qui occupait un rang distingué parmi les souverains de l'Europe par ses talents militaires et son dévouement à la religion catholique, les pays frontières des Alpes attiraient l'attention des belligérants.

"Les Français entretenaient des intelligences à Barcelonnette, par l'entremise de Louis Brunet.
Ce traître leur ayant indiqué les moyens de surprendre la ville, qu'une seule compagnie d'infanterie gardait assez négligemment, l'ennemi y arriva de nuit, attacha un pétard à la porte, sans être découvert, et enveloppa la garnison dans les casernes avant qu'elle eût pris les armes. À la nouvelle de ce malheur,
Note(10) le comte de Lucerne, gouverneur de Coni, se porta avec deux mille hommes à Brezès, dans la vallée de Sture, afin d'arrêter les Français, s'ils tentaient de passer en Piémont, et l'on expédia un courrier à Charles Emmanuel, alors occupé en Savoie."

Ce prince, malgré les préoccupations que lui donnaient les progrès des Genevois, ne voulait pas laisser Barcelonnette entre les mains des Français, et il préparait une expédition pour reprendre cette ville.
Il confia cette mission au comte de Saint-Front, qui passa bientôt le col de Largentière, se fortifia à Maison-Méane et à Larche, afin de prévenir les attaques de l'ennemi et se mettre en état de lui résister.
Il paraît que le duc de Savoie voulait diriger lui-même cette expédition et qu'il se préparait à partir de Turin, lorsque les députés des ligueurs de la Provence arrivèrent dans cette ville.

Ils étaient au nombre de quatre, et Elzéar de Rastel était leur chef.
Note(11)
Le duc leur donna audience le 11 mars 1590, promit de prendre en main la défense des catholiques, leurs concitoyens, et il ne tarda pas d'envoyer des troupes et de l'argent.
Il prit même , peu de temps après, l'engagement d'aller en personne en Provence.
"J'y entrerai par Barcelone, écrivait-il, le 22 mars, aux magistrats ligueurs d'Aix ; j'espère remporter cette ville à mon arrivée et , de là, pénétrer dans la province. Je désire que vous fassiez marcher une armée vers Riez, afin que, nos forces étant voisines, nous les puissions joindre plus aisément et employer où il sera nécessaire...

J'espère, après les fêtes de Pâques, m'acheminer à Barcelone."

Contrairement à ce premier projet, il entra en Provence par le col de Tende, au mois d'août de la même année. Le gros de son armée passa le Var, le 4 septembre, sous les ordres du général Martinengo. Le duc marchait à la tête de la cavalerie. Il fit son entrée à Aix le 18 octobre suivant et y fut proclamé lieutenant-général de la Provence, le 23 de ce mois, par les Etats assemblés par son ordre.

Mais, n'anticipons pas sur les événements et reprenons le récit des troubles dont nos pays eurent à souffrir après la prise de Barcelonnette, dès les premiers jours de cette année.
Note(12)

6. - Nous avons déjà dit que le comte de Saint-Front, chargé de reprendre possession de cette vallée, s'était arrêté à Maison-Méane et à Larche et qu'il s'y était fortifié en prévision d'un retour offensif des français.
Il attendait six pièces de canon expédiées de Turin depuis le 15 mars, mais qui étaient encore à Coni, à cause de la difficulté des chemins.

Malgré ce contretemps, la colonne Saint-Front reçut l'ordre de continuer sa marche et les soldats qui la composaient furent heureux de quitter les sources de l'Ubayette, où ils avaient beaucoup souffert. Ils culbutèrent partout les Français, jusqu'à la Condamine.

Là , leur chef voulait s'arrêter de nouveau, croyant que, sans artillerie, il ne pourrait s'emparer des châteaux du Châtelard et de Jausiers ; mais l'ardeur de ses soldats était telle qu'il céda à leurs instances.
Le Châtelard fut pris d'assaut, et ceux des assiégés qui ne tombèrent pas sous le fer des vainqueurs périrent dans les précipices voisins de ce village.

Le massacre des habitants du Châtelard répandit la terreur partout.
Les habitants de Jausiers prirent la fuite, pour ne pas éprouver le même sort, et le capitaine du Collet, commandant la place de Barcelonnette, promit de se rendre dès que l'artillerie piémontaise serait en face des murailles de la ville.
Le comte de Saluces affirme qu'un accord fut signé dans ce sens
Note(13) et que Saint-Front envoya chercher l'artillerie à Coni.

Pendant ce temps, du Collet fit connaître sa situation à Lesdiguières et à la Valette, qui lui envoyèrent deux cents hommes de cavalerie et cinq cents fantassins.
Il reprit alors l'offensive, attaqua le chevalier de Saint-Jean de Jérusalem qui commandait à Faucon au nom du duc de Savoie et poursuivit le comte de Saint-Front, qui s'était replié aux Sanières.
Bientôt, les Piémontais évacuèrent Jausiers et le Châtelard.
Harcelés par les Français, ils jetaient leurs sacs et leurs fusils et fuyaient en désordre jusqu'au-delà de la frontière, à Démont et à Brezès, où ils trouvèrent les canons qu'ils avaient attendu en vain de l'autre côté des Alpes.

Pour réparer cet échec, le duc de Savoie envoya de nouvelles troupes sous les ordres du général Martinengo, qui commandait la cavalerie.
Ce général partit de Brezès le 29 juin 1590 et arriva devant Barcelonnette le 5 juillet, avec douze cents hommes.
Il s'empara de la ville et se dirigea sur Méolans, qui se rendit sans résistance.
Il se préparait à faire le siège du Lauzet, lorsqu'un ordre formel de Charles Emmanuel le rappela en Piémont.
Il établit Salinas, capitaine espagnol, gouverneur de Barcelonnette, et il alla se mettre aux ordres du duc, qui , nous l'avons déjà dit, lui donna le commandement de son principal corps d'armée, partant pour la Provence.

L'auteur de l'Histoire militaire du Piémont et Guichenon, qui a écrit celle des princes de Savoie, font remarquer que le Lauzet était, après le départ du général Martinengo, le seul village du district de Barcelonnette appartenant encore aux Français.
Allos avait donc déjà été replacé sous la domination du duc de Savoie, mais peut être un peu plus tard que Barcelonnette, car , au mois de janvier, les communications entre ces deux pays sont difficiles et souvent impossibles.
D'ailleurs, nos ancêtres passaient alors par tant de vicissitudes qu'il ne savaient pas toujours à qui ils appartenaient : sujets du duc de Savoie, au premier jour du mois de janvier 1590, ils devenaient Français avant la fin de ce mois, pour redevenir savoisiens le 5 du mois de juillet, et les six derniers mois de cette malheureuse année apportaient encore d'autres changements politiques et de nouvelles épreuves.

En effet, Lesdiguières, sachant que Charles Emmanuel préparait une expédition pour la défense des catholiques ligueurs de Provence, ne négligeât rien pour le retenir dans ses États.
C'est pour cela qu'il fit, selon l'expression de l'historien Guichenon quelques entreprises sur Barcelonnette.
Le capitaine Valvera, qui commandait la place de Saint-Paul, lui donna bientôt l'occasion de s'emparer de la partie haute de cette vallée.
Cet officier, doué de plus de bravoure que de prudence, partit, avec toute sa petite garnison pour tenter un coup de main du côté de Guillestre.
Dès qu'il fut arrivé à Vars, les troupes de Lesdiguières l'enveloppèrent, le firent prisonnier avec les cent hommes qui lui restaient encore et marchèrent vers Saint Paul , pour en prendre possession, ainsi que du hameau des Gleisoles, qui alors était fortifié.

Une garnison française à Saint-Paul, c'était pour le duc de Savoie la perte imminente de Barcelonnette et de ses dépendances.
C'est pourquoi ce prince n'hésita pas à diriger de ce côté une colonne de deux mille cinq cents hommes, sous les ordres du comte de Leyni, qui revenait d'une mission militaire en Espagne.
De Leyni fit démolir les fortifications des Gleisoles, obligea la garnison de Saint-Paul à capituler, la remplaça par une compagnie d'infanterie savoisienne et retourna immédiatement en Piémont, pour reprendre le commandement important dont il était chargé dans l'expédition de Provence.
Lesdiguières essaya de l'arrêter sur les frontières, au-delà du col de L' Argentière, en attaquant son arrière-garde ; mais le général italien ne se laissa pas tromper par cette manoeuvre ennemie et il arriva à Coni , où le duc l'attendait avec impatience.

Les troupes françaises s'emparèrent de nouveau de Saint Paul, mais d'une manière déloyale, s'il faut en croire l'auteur de l'Histoire militaire du Piémont.

"Le capitaine Strata, dit-il, s'étant avancé en parlementaire, sans prendre aucune précaution de sûreté, fut arrêté prisonnier, et, pendant que sa troupe, le sachant au camp ennemi, se croyait en sûreté, les Français entrèrent dans les retranchements.
Une partie de la garnison se jeta dans l'église , où elle se défendit jusqu'à ce que, la porte en ayant été abattue par le canon, la plupart de ceux qui s'y trouvèrent perdirent la vie."

Les troupes de Lesdiguières assiégèrent ensuite Barcelonnette.
Le comte Boéro, gouverneur de cette ville après le capitaine Salinas, fut obligé de se rendre, et les milices savoisiennes évacuèrent complètement la vallée de l'Ubaye, pour aller se fortifier à Démont et attendre une occasion favorable pour reprendre l'offensive.

Tout ne déplaisait pas à Charles Emmanuel dans cet état de choses, car Lesdiguières, malgré son infatigable activité, ne pouvait pas harceler en même temps l'armée savoisienne qui défendait nos montagnes et celle qui opérait dans la Basse-Provence.

Cependant la duchesse de Savoie, qui gouvernait les états Sardes pendant l'absence de son époux, se demandait si la fidélité des habitants de la vallée de Barcelonnette et le petit nombre de soldats qu'y avait laissés Lesdiguières ne lui permettraient pas de la reconquérir, lorsqu'un gentilhomme, Jean de Faucon, seigneur du Sauze, lui proposa fort à propos un moyen de réaliser ses désirs.
Le projet du sieur du Sauze fut examiné, et on le trouva d'autant plus acceptable qu'il ne demandait pas un seul soldat au gouvernement de la duchesse.
Il consistait dans la préparation d'un mouvement contre la domination française et en particulier contre Lesdiguières, l'ennemi implacable des catholiques.

Lorsque Jean du Sauze crut que le moment d'agir était venu, il réunit les habitants de la campagne , les décida à le suivre, et, dans la nuit du 22 décembre 1590 , ils escaladèrent les remparts, à deux endroits, sans rencontrer de résistance.
La garnison française, surprise comme les habitants, essaya de résister en s'enfermant dans une église mise en état de défense ; mais les assiégeants ayant mis le feu au couvent attenant (le couvent des Dominicains sans doute), elle capitula , pour ne pas périr dans les flammes.
Note(14)
Du Sauze fut nommé gouverneur de Barcelonnette, en récompense de son courage et de ses succès.

C'était pour la cinquième fois que les habitants de la vallée de l'Ubaye , d'Allos et de Saint-Martin d'Entraunes changeaient de souverain pendant le cours de l'année 1590, et tous ces changements s'opéraient d'une manière violente, par des invasion à main armée, des sièges meurtriers, des assauts, des capitulations.Allos et Saint-Martin ont pu, il est vrai, grâce à leur situation, ne pas subir toutes les épreuves infligées à Barcelonnette et aux villages voisins de cette ville.
Mais comment auraient-ils pu, tôt ou tard, ne pas partager leur sort ?

Un an ne s'était pas écoulé depuis que du Sauze gouvernait Barcelonnette, au nom du duc de Savoie, lorsque Lesdiguières vint la reprendre, au nom du roi de France. D'après les mémoires qui existent, en copie du XVIe siècle, à la Bibliothèque Nationale, Lesdiguières s'était préparé depuis longtemps à ce siège et il avait fait réparer les chemins du côté du Lauzet, pour le passage de cinq pièces de canon, qui arrivèrent le 19 octobre 1591.
Le gouverneur capitula le lendemain, "de sorte que, le lundi 21 du dit mois, au matin, le sieur du Sauze et quatre cents soldats sortirent désarmés et sans bagages, furent conduits en lieu de sûreté, au chemin de Piémont, sous les promesses par eux faites de ne se retirer à Démont, ancien domaine du marquisat de Saluces, ni à Allos, en Terre-Neuve, ni à Digne, en Provence, pour porter les armes, durant trois mois...
Cela fait, Lesdiguières alla assister Monsieur de la Vallette pour le siège de Digne."
Note(15)

Le journal de ses opérations militaires ajoute qu'il passa à Selonnet, séjourna au Brusquet et qu'il campait devant Digne le 31 octobre. Du Sauze fut condamné à mort par un conseil de guerre savoisien, pour n'avoir pas su défendre la place dont il était gouverneur.
L'auteur de l'Histoire du diocèse d'Embrun fait remarquer que Lesdiguières laissa dans la vallée de Barcelonnette "quelques troupes, avec un nombre de Huguenots de différents pays.Ceux-ci commirent bien des impiétés, surtout contre les églises et contre leurs ministres ; ils firent mourir le curé et les autres prêtres de Barcelonnette, en haine de la foi.
La paroisses resta quelque temps sans prêtres...

Mais les habitants ne furent pas, pour cela, moins attachés à la religion de leurs pères...
Il s'unirent tous pour la défense de la religion, prirent les armes contre les Huguenots et les chassèrent, en 1599, non seulement de la ville, mais de toute la vallée."
Note(16)

Cependant le duc de Savoie était encore en Provence, et, le 15 décembre 1591, il fut vaincu à Vinon, le commandant de l'aile gauche de son armée se noya, avec un certain nombre de ses soldats, dans les eaux du Verdon. À la suite de ce revers, les espérances qu'il avait fondées sur son expédition s'évanouirent de jour en jour, et, le 30 mars 1592, il reprit la route de Nice, ne laissant que quelques garnisons italiennes sur le territoire français.
D' ailleurs, la Ligue, qui l'avait appelé en Provence, allait bientôt disparaître ; elle n'avait plus de raison d'être après l'abjuration d'Henri IV, qui eut lieu le 25 juillet 1593.

En 1594, les Français envahirent le comté de Nice, par Barcelonnette et par la Basse-Provence. Ils occupèrent Saint-Dalmas, Saint-Étienne, Entraunes, Saint-Martin, etc..
Ils perdirent bientôt ces petites places, mais les reprirent encore, après une nouvelle trêve qui expira en 1597.
C'est alors qu'eut lieu le siège d'Allos, dans des circonstances qui lui donnèrent une véritable importance.

7.- "Le 21 juillet, le capitaine Sicard, commandant dans les Allos, ayant une entreprise sur le Tranchet... , fut repoussé, y ayant laissé trente-six des siens morts, des principaux et plus mauvais garçons."
Note(17)

MM. Douglas et Roman, auteurs des Actes et Correspondances de Lesdiguières,
Note(18) se demandent si le Tranchet n'est pas le Fanguet, petit hameau en amont d'Allos, sur la rive droite du Verdon.
Il me semble que ce nom a plus de similitude avec Tronchon, quartier voisin du Détroit, dont le torrent sépare le territoire d'Allos de celui de Colmars.
L'attention du capitaine Sicard étant naturellement attirée de ce côté, à cause des événements dont la haute vallée du Var était le théâtre.
Entraunes et Saint-Martin étaient occupés par les troupes du général de Mirabel, par suite de la trahison du capitaine Pascalis.

Le comte de Beuil , gouverneur de Nice, ayant appris qu'Allos était menacé, envoya le capitaine Bartoli, pour fortifier la garnison.
Deux autres capitaine, Signoret de Bonne et Bonada, entraient également dans cette place.

Le prince de Piémont retira une partie des troupes occupées à garder les frontières de Maurienne et dirigea deux mille hommes vers Barcelonnette.
Le général chargé du commandement de cette colonne "apprit, en arrivant à Coni, dit le comte de Saluces, que le château d'Allos devait être bientôt attaqué ; il pressa sa marche, comptant dégager la place ou se mesurer avec les assiégeants ;
Note(19) mais ses troupes, presqu'entièrement composées de recrues, refusèrent de s'engager dans les hautes-Alpes ,
Note(20) qu'il fallait traverser, et le général, n'ayant pu ramener ses soldats, n'eut d'autre ressource que de jeter un renfort dans la place. Le capitaine Vivalda entra heureusement, avec sa compagnie, dans le château d'Allos, où il se trouva y avoir une garnison de trois cents hommes, aux ordres du capitaine Sicard.

"Cet officier était regardé par les Français comme l'auteur des entreprises que les Savoyards tentaient souvent sur les places voisines ; son activité était, en effet, très grande, et dernièrement encore il venait de tenter, quoique malheureusement, la surprise du Lauzet.
Monsieur de Bonne et les officiers qui partageaient avec lui le commandement des troupes françaises, dans la vallée de Barcelonnette, crurent important de déposter Sicard et mirent le siège devant Allos, avec trois mille hommes.
On força les paysans des environs à réparer les chemins par lesquels en voulait conduire l'artillerie."
Note(21)

Le siège d'Allos aurait donc eu lieu , d'après l'auteur de l'Histoire militaire du Piémont, non seulement afin que le duc de Savoie ne possédât plus cette place, mais encore parce que le capitaine Sicard, par son ardeur belliqueuse, avait attiré plusieurs fois les troupes savoyardes dans les localités voisines.

8.- Quoi qu'il en soit, le bouillant capitaine avait combattu pour son pays, au nom du duc de Savoie, son souverain, et il le défendit de nouveau vaillamment pendant le siège de 1597.

Le déploiement considérable de forces fait à l'occasion de ce siège s'explique, avons-nous dit, par les circonstances.
Le gouvernement savoyard savait que les rapports entre Barcelonnette et Nice étaient indispensables et qu'ils ne pouvaient avoir lieu que par Allos ou par Saint-Etienne.
Note(22)

Il ne fallait donc pas permettre à l'ennemi d'occuper ces places.
C'est pourquoi, au premier signal du danger, les capitaines Bartoli, Signoret de Bonne, Bonada et Vivalda y furent appelés, avec leurs compagnies.
Ruffia, général de l'artillerie, et Barbo, autre officier général, reçurent aussi, successivement, l'ordre de se rendre à Allos, le premier avec deux mille recrues, et le deuxième à la tête d'une forte colonne; mais Ruffia fut arrêté par la mutinerie de ses soldats, et Barbo, par les neiges qui recouvraient les montagnes.

Du côté des Français, le mouvement ne fut pas moins considérable.
On comptait au nombre des assiégeants le régiment du comte de la Roche, les contingents disponibles des garnisons de Barcelonnette et la colonne de Mirabel, officier général de l'armée du duc de Guise.

Une tradition toujours vivante chez nous, malgré ses quatre cents ans d'existence, affirme que les troupes de Lesdiguières arrivèrent par Barcelonnette, qu'elles firent passer leur artillerie sous la roche de Siolane et par la Sestrière, qu'elles jetèrent sur le Verdon, en amont du village de la Foux, un pont qui existe encore, le pont de l'Abraou.
Note(23)

La même tradition dit, en outre, que ces troupes établirent, au nord-ouest d'Allos, sur le plateau du Seignus-Bas, une batterie qui battit en brèche les remparts de la citadelle ou château d'Allos,
Note(24) et le nombre considérable de boulets trouvés dans la terre, au sud-est de la place, vient, bien à propos, confirmer cette tradition,
Note(25) qui est, d'ailleurs, appuyée sur les documents les plus irrécusables.

J'ai déjà parlé du témoignage du comte de Saluces, disant que les officiers qui commandaient les troupes de la vallée de Barcelonnette mirent le siège devant Allos et quelles difficultés ils eurent à vaincre pour le transport de leurs pièces de canons.
Les assiégeants venaient donc pour la plupart, avec l'artillerie de campagne, de la vallée de l'Ubaye.

Les auteurs des Actes et Correspondance de Lesdiguières nous disent quel était leur chef, par quelle voie ils retournèrent, etc.

Le 18 octobre 1597, Lesdiguières écrivait de Pontcharra, commune du canton de Goncelin, arrondissement de Grenoble, au duc de Montmorency :
"Je suis contraint par la saison, la nécessité des maladies et faute de moyens, de séparer cette armée...
Cependant ladite armée, toute séparée, ne perdra point le temps, car je l'occuperai, chacun en son endroit, si bien qu'elle rendra du service.

DEDANS CINQ OU SIX JOURS,UNE PARTIE ASSIEGERA ALLOS,
PLACE QUI EST AUX TERRES-NEUVES DU COMTE DE NICE.".

Note(26)

Tout est important dans cette lettre, la date, la cause de la division de l'armée, le service qu'elle rendra en assiégeant Allos, etc.

Le 5 décembre suivant, Lesdiguières, par un billet laconique, traçait en ces termes l'itinéraire que le comte de la Roche
Note(27) devait suivre après le siège d'Allos :
"Le régiment du sieur de la Roche passera par Colmars,
Note(28) Seyne, la Bréole, la Saulse, Laragne, Montjay, Remusac (Drôme), et de là à son quartier."

Ce billet est suivi d'une note, de la main de M. de la Roche :
"Mandement de M. de Lesdiguières, LORSQUE JE VENAIS AVEC MON REGIMENT DU SIEGE D'ALLOS."

Enfin Lesdiguières disait, le 18 du même mois, dans une lettre de reproches au comte de la Roche :
"J'ai entendu dire qu'à votre retour d'Allos vous avez pris un autre logis (logement du régiment) que celui que je vous ai ordonné."

Il est donc absolument certain que le comte de la Roche a fait le siège d'Allos sur l'ordre de Lesdiguières, son général en chef, et que ce siège a eu lieu dans le courant du mois de novembre ou pendant les premiers jours du mois de décembre 1597.
Note(29)

Il est vrai que c'était une époque bien mal choisie, pour des opérations militaires dans nos montagnes, mais la guerre a des exigences inexorables et parfois elle ne tient compte ni des saisons, ni des dangers auxquels elle expose les soldats.

Le comte de Mirabel, dont le nom ne doit pas être confondu avec celui de Miribel, malgré l'alliance qui eut lieu entre ces familles, combattit donc, à la tête de sa colonne, à côté du comte de la Roche, sous les murs d'Allos.
L'historien Durante lui attribue exclusivement le mérite d'avoir pris cette place :
"Ce général, dit-il, prit d'assaut Allos, malgré la vigoureuse résistance du capitaine Sicard."

Cette assertion est excessive et incomplète.
Elle va au delà des limites de la vérité, en insinuant que son héros a surmonté tous les obstacles; elle ne dit pas assez, en donnant le nom de château aux fortifications.

De Mirabel a pu monter courageusement à l'assaut, mais il n'a pas eu le mérite de diriger les opérations du siège.

Il y avait bien à Allos un château ou citadelle, mais il y avait aussi des remparts.
La charte de 1385, dont nous avons donné plus haut de nombreux extraits, ne permet pas d'en douter.
Il y est fait mention des portes de la ville, en particulier du portail Bouchier, des tours assez spacieuses pour qu'on pût y ménager des habitations, des charges que l'entretien et la réparation des fortifications imposaient aux habitants, etc.

Les conditions imposées à la garnison d'Allos par le comte de la Roche paraissent avoir été identiques à celles que Lesdiguières avait édictées, en 1590, à Barcelonnette.
Les soldats italiens furent autorisés à sortir sans armes et à retourner en Piémont par la seule voie encore ouverte, celle de Colmars, Entrevaux et Nice.

Les assiégeants, après avoir rétabli l'administration française, hâtèrent leur départ, à cause de la rigueur de la saison et de la difficulté de pourvoir à leur ravitaillement, dans une petite localité.

Les habitants d'Allos se trouvaient sans provisions, au coeur de l'hiver, et grevés d'une forte contribution de guerre :
c'étaient les rudes épreuves de la disette après les horreurs de la guerre, hélas !
et cette triste situation était devenue générale.
Partout, on gémissait sur la rareté des subsistances, sur le manque d'argent et de bras pour cultiver la terre, sur la peste enfin, qui faisait de fréquentes apparitions.

Cependant un rayon d'espérance annonçait des temps moins troublés; la paix fut signée à Vervins, le 2 mai 1598.
Ce traité nous rendit à la Savoie, et les Français évacuèrent Barcelonnette, Allos, Saint-Martin-d'Entraunes, etc.
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(1) Histoire de Sisteron,t.II,pp.32-33.
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(2) Le Puget-Théniers, Guillaumes, Saint-Martin, Antraunes, etc...,appartenaient au diocèse de Glandèves et étaient alors sous la domination des ducs de Savoie.
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(3) Histoire militaire du Piémont, t.II,pp.290-307.
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(4) Histoire de Barrême, oeuvre posthume du chanoine Cruvellier, pp.39-40.
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(5) Jean Clausse, qui était alors évêque de Senez, était peut-être déjà parti pour se rendre à la dernière session du Concile de Trente.
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(6)Histoire des Alpes-Maritimes et Cottiennes, t.II,pp.547-548.
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(7) Le peuple surnomma ce guerrier matinier ,parce que sa vigilance et son activité ne permirent jamais à ses ennemis de le prendre au dépourvu. (Papon, t.IV, p.205.)
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(8) Ecritures de maître Audravi, notaire à Barrême.
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(9) Histoire de Sisteron, t.II, p.129.
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(10) Ce mot trahit une plume italienne. En effet, c'est le comte de Saluces, colonel de l'armée des Etats Sardes, qui parle ainsi dans l'Histoire militaire du Piémont , t. II, p. 341.
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(11) France pontificale, diocèse de Riez, p. 120.
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(12) " Le comte de la Roche, de la maison de Flotte, en Dauphiné, Briquemaut et le capitaine Collet, au mois de janvier 1590, surprirent Barcelonnette, où commandait pour son altesse (le duc de Savoie) Alexandre Grimaldi, seigneur de Beuil, avec garnison de Piémontais. De Beuil fut mené prisonnier à la Vallette, à Cisteron (Sisteron ?), et Collet demeura gouverneur de Barcelonnette.
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(13) Histoire militaire du Piémont, par le comte de Saluces, t. II, p.347.
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(14) Histoire de Nice, par Durante, t. II, p. 371.
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(15) Mémoires à M. Vulson,
publiés dans les Actes et correspondance de Lesdiguières,
par MM. Douglas et Roman, t. III, pp. 228-229.
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(16) Cette attitude énergique des catholiques explique pourquoi les protestants, qui avaient des temples presque partout dans l'archidiocèse d'Embrun, n'en ont jamais eu à Barcelonnette. ( Histoire du diocèse d'Embrun, t. I, p. 362.)
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(17) Journal des guerres de Lesdiguières, de 1585 à 1597.
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(18) Trois volumes in-4°, voir Index du t. III.
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(19) Le passage suivant, emprunté à Guichenon, explique pourquoi un contingent si considérable marchait sur Allos :
" Le général de l'artillerie, Ruffia, fut envoyé du côté de Barcelonnette, sur les avis que l'on eut que les ennemis avaient paru avec quinze cents hommes proche du château d'Allos, où commandait le capitaine Jérôme Sicard, originaire du lieu.
La garnison était forte, car, outre ce que Bartoli et Signoret y avaient mené, Bonada, gouverneur de Démont, y avait envoyé cent soldats, et Gérard Vivalda y était entré avec (sa compagnie)." ( Histoire de la maison de Savoie, t. II, p. 33.)
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(20) Le comte de Saluces ne veut pas parler ici du département actuel des Hautes-Alpes, mais des montagnes de Saint-Dalmas, de Fours, etc..,
par où les troupes venant du Piémont ont dû arriver à Allos.
En effet, si elles avaient essayé de suivre l'Ubaye, elles auraient été arrêtées par les garnisons françaises de Barcelonnette, de Saint-Paul, de Jausiers, etc...
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(21) Histoire militaire du Piémont, t. II, pp. 505-506.
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(22) " Les Français, maîtres de cette place (Allos) et de Saint-Etienne, coupaient les communications de la principauté de Barcelonnette au comté de Nice."
( Histoire militaire du Piémont. )
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(23) Ce pont porte ce nom parce que le lit du Verdon a la profondeur d'un abîme, en cet endroit.
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(24) M. Hyacinthe Gariel, ancien conseiller à la Cour royale de Grenoble, mort à Allos en 1849, avait, dans les archives de sa famille, des renseignements précieux sur le siège d'Allos par les troupes de Lesdiguières.
Ces archives ont été transportées à Grenoble, après la mort de M. Gariel.
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(25) A 200 mètres environ d'Allos, en suivant le chemin du Villard et sur le bord du Chadoulin, le propriétaire d'un moulin et d'une forge a découvert, en creusant des fondations, plusieurs de ces boulets.
Ils sont de dimensions différentes : 0,m13 et 0,m08 de diamètre.
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(26) Actes et Correspondance de Lesdiguières, t. I, pp. 313-314.
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(27) Paul de la Roche, sieur de Grane, colonel, fils d'Antoine, châtelain de Grane, et d'Antoinette Fayolle.
Ne pas confondre avec Balthazar Flotte, baron, puis comte de la Roche des Armands, qui eut la tête tranchée en 1614, pour assassinat.
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(28) Les neiges, qui avaient empêché les troupes italiennes commandées par Barbo d'arriver à Allos, ne permirent pas à celles du comte de la Roche de retourner par Barcelonnette.
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(29) Le comte de Saluces dit que, le 8 décembre, les Français purent approcher deux canons des remparts.Cette date est trop reculée.
Si le siège n'avait commencé que le 8 de ce mois, la capitulation n'aurait eu lieu que vers le 12.
Or, comment le régiment de la Roche, en partant d'Allos après le 12 décembre, aurait-il pu déjà être installé dans ses quartiers d'hiver avant le 18,
jour où Lesdiguières écrivit sa lettre de reproches.
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Choix de Lecture

CHAPITRE V.

1. Courte durée de la paix de Vervins ; traité de Lyon ; l'armée de Lesdiguières à Barcelonnette.

2.Le duc de Savoie établit les insinuations dans ses États.

3.L'enseignement libre à Allos, en 1610.

4.Préfecture de Barcelonnette.

5. Le Sénat souverain de Nice approuve les contributions de guerre imposées à Allos.

6.Impôts, donatifs, dettes , emprunts , trésoriers communaux, etc..

7.Vente conditionnelle des montagnes du Laus, de Valplane , etc...

8.Disette générale.

(1598- 1628.)

 

1.- Le traité de Vervins était utile à la Savoie, en lui permettant de garder la neutralité et , par conséquent, de vivre en paix avec les nations voisines.

Henri IV en fut si content qu'en le signant il dit au duc d'Espernon :
"De ce coup de plume, je viens de faire meilleure besogne que je n'en eusse fait de longtemps avec les plus vaillantes épée de ma noblesse."

Malgré cela , la paix ne dura que pendant quelques mois, après lesquels la possession du marquisat de Saluces amena une rupture entre le duc de Savoie et le roi de France.
Henri IV fit immédiatement envahir les Etats Sardes par deux armées, dont il confia le commandement aux maréchaux de Biron et de Lesdiguières.
Après quelques victoires remportées par les Français, les négociations furent reprises à Lyon, au commencement de l'année 1601 , et la paix y fut signée le 17 février.

Pendant cette guerre, les Français avaient repris la vallée de l'Ubaye et ils ne consentirent à l'évacuer qu'après avoir fait payer des contributions de guerre par les habitants.

"Monsieur de Lesdiguières , dit à ce sujet le comte de Saluces, refusait de retirer ses troupes de la principauté de Barcelonnette et de la vallée de la Maïra, avant qu'on eût acquitté les contributions imposées durant la guerre, et il fallait le satisfaire après d'inutiles contestations."

C' est par suite de ces contributions forcées , conséquence de guerres incessantes, que les communes et les habitants étaient obérés et trop souvent hors d'état de payer leurs dettes.
On employait alors, pour obtenir de l'argent de ceux qui n'en avaient plus , les moyens les plus rigoureux.
L'autorité militaire imposait une garnison aux communes ; les autorités judiciaires et civiles faisaient mettre en prison les consuls, comme nous le dirons en parlant des impôts , donatifs , etc..

2. - Par un édit du 20 avril 1610, le duc de Savoie établit l'insinuation dans ses États.

Cette institution était déjà connue des Romains, qui donnaient ce nom au dépôt légal des actes qu'ils voulaient rendre authentiques, insinuatio, in acta publica relatio.
Dans l'ancien droit français on distinguait l'insinuation légale, pour assurer la publicité des donations, et l'insinuation fiscale, pour la perception des droits de mutation.
Cette institution existe encore aujourd'hui, sous le nom d'enregistrement.

En vertu de l'édit de 1610 , trois bureaux d'insinuation furent établis dans la vallée de Barcelonnette ; le premier, à Barcelonnette, pour Barcelonnette, Allos, Entraunes et Saint-Martin d'Entraunes ; le deuxième, primitivement à Saint-Paul, plus tard à Meyronnes, pour Saint-Paul, Meyronnes, Larche, le Châtelard et Jausiers ; le troisième, à Méolans, pour Méolans, Revel et le Lauzet.

Les notaires et les particuliers étaient obligés de transcrire ou de faire transcrire leurs actes, en entier, sous peine de nullité, dans les registres de l'insinuation.
Les communes étaient également soumises à cette obligation, excepté pour les élections des consul, des conseillers, des officiers municipaux, etc..

Dans une excellente étude sur l'établissement et le fonctionnement de l'insinuation de la vallée de Barcelonnette,
Note(1) Monsieur Isnard, archiviste des Basses-Alpes , fait remarquer qu'elle avait une organisation spéciale, qu'elle dépendait d'une juridiction particulière, que le juge qui avait la haute main sur cette insinuation et connaissait de toutes les contestations et contraventions en la matière, était nommé directement par les ducs de Savoie et, plus tard, par les roi de France.

Parmi les 361 registres in-folio de l'insinuation de Barcelonnette et de Saint Paul Val-des-Monts, analysés par Monsieur Isnard, les quarante-deux premiers concernent Allos et contiennent de précieux documents sur l'administration communale, les événements politiques, les guerres, en un mot, sur la vie civile et religieuse de nos pères, pendant plus de cent ans.
Dans la vallée, l'insinuation ne fut supprimée, il est vrai, que par l'édit royal de 1723 ; mais , pour Allos, le 42e et dernier registre ne va pas au-delà de l'année 1717.
Les communes devaient fournir un local pour ces archives, et, en 1615, la commune d'Allos contribua pour la part qui lui revenait aux frais de construction "d'une crote (salle voûtée), où devaient reposer les papiers de l'insinuation", dans l'hôpital de Barcelonnette.

3.- L'année même de l'institution de l'insinuation chez nous (1610), un différend, qui ne doit pas être passé sous silence, s'éleva entre les habitants et les consuls.
Honoré Lyons , Claude Pascal et autres habitants d'Allos adressèrent au consul Louis Millon une protestation et une sommation, afin d'obtenir un maître d'école pour la jeunesse, disant qu'en cas contraire ils en prendraient un aux frais de la communauté.
En mettant ainsi les consuls en demeure d'établir un maître d'école aux frais de la commune, leurs administrés réclamaient l'instruction gratuite, non comme une chose nouvelle, mais comme un usage établi et dont la cessation leur donnait le droit de se plaindre.
Et cet usage était probablement très ancien puisque le troisième et le quatrième Concile de Latran, avaient ordonné en 1179 et en 1215, que chaque église de paroisse eût une école gratuite et que quiconque était apte à enseigner eût le droit de le faire.
C'était la liberté de l'enseignement la plus étendue que l'on puisse concevoir.

4. - En 1611 , les habitants de la vallée de Barcelonnette demandaient un préfet, et et le duc de Savoie le leur accorda en 1614.

Il paraît que le magistrat supérieur appelé autrefois bailli, plus tard vicaire, est nommé annuellement par les communautés de la vallée, n'avait plus l'autorité nécessaire pour défendre et protéger le pays contre "les entreprises des voleurs, bandits et autres malandrins".
C'est pourquoi on demanda à Charles Emmanuel de supprimer le vicariat et de le remplacer par une Préfecture.

Deux ans après le 22 janvier 1613 , Antoine Desdier, député de Barcelonnette, Antonio Marino, député du val de Stura , Cotolenc, député de L'Argentière, de Fanni, député de Jausiers et du Châtelard, Honorat Signoret, député de Saint-Paul, Esprit Pinoncely, député de Larche, Bellon, député de Meyronnes , Esprit Maurin, député de Revel, Pierre Magnaudi député d'Allos, Porcellet , député d'Entraunes et de Saint-Martin, présentèrent à ce sujet une nouvelle requête à leur souverain.

Enfin, le 22 septembre 1614, le duc de Savoie prononça la suppression du vicariat, nomma un préfet, qui devait être remplacé après avoir exercé ses fonctions pendant trois ans , chargea les communes de pourvoir aux frais de son logement, de lui assurer un traitement de 400 écus et cinquante écus à deux soldats de justice.

Le préfet de Barcelonnette avait le rang de sénateur, pendant la domination de la Savoie.
Sous la domination française, la vallée étant devenue une sénéchaussée, il fut élevé à la dignité de sénéchal.
Il connaissait, en appel, de toutes les causes civiles et, en première instance, des affaires criminelles, comme le juge ordinaire qui fut institué pour supprimer les consuls souvent illettrés.
Son ressort comprenait les vallées de l'Ubaye , d'Allos, de Saint-Martin d'Entraunes, de la Sture, de Brezès et de l'Argentière.

Lorsque sa judicature comptait trois ans révolus, il était remplacé, mais il ne pouvait quitter sa résidence qu'après un délai de quinze jours appelé syndication, pendant lesquels il rendait compte de son administration.
Des criées annonçaient aux habitants que, s'ils avaient à se plaindre de lui, ils pouvaient exposer leurs griefs.
À la fin de ce temps d'épreuve, il recouvrait sa liberté, ou bien, s'il y avait lieu, il était jugé par des magistrats supérieurs.
"Il n'y a rien de meilleur pour contenir les juges dans leur devoir, disait un président du Sénat de Nice,
Note(2) que de leur faire rendre compte de leur conduite, à la fin de leur administration.
Cet usage était établi en France, et il s'est conservé en Italie.
Je crois qu'il est très utile de le maintenir dans la vallée de Barcelonnette, où il est établi, et de faire rendre le syndicat aux préfets, mais sérieusement, sans complaisance, et que ce syndicat soit reçu par un commissaire du parlement et non par le successeur du préfet, qui pourrait user d'indulgence, afin qu'on en usât envers lui."
Note(3)

5. - C'est le Sénat de Nice qui statuait sur les plaintes portées contre les préfet de Barcelonnette.
Cette cour suprême fut établie par lettres patentes du 8 mars 1614 , par Charles Emmanuel, qui lui concéda toutes les attributions et prérogatives qu'avaient le Sénat de Turin et celui de Chambéry.
Elle avait donc la mission de rendre comme eux la justice avec une indépendance qu'on a rarement contestée, dit un historien savoyard.
Pour honorer les premiers magistrats qui en firent partie, le duc les fit installer en sa présence, " avec la plus grande pompe militaire et religieuse".
Note(4)

La création de ce sénat souverain fut un heureux événement pour nos pays, qui , comme je l'ai déjà fait remarquer, avaient des facilités de communication avec Nice, tandis que des distances et des montagnes presque infranchissables les séparaient de Chambéry et de Turin.

Les sénateurs niçois eurent à prononcer une sentence sur le différend entre la communauté d'Allos et le maréchal de Lesdiguières, différend qui remontait, sans doute, au siège d'Allos par les troupes du comte de la Roche, en 1597.
Nous trouvons, en effet, dans les actes des notaires , de 1617 à 1620 , deux quittances, dont l'une de 90 écus et l'autre de 70, donnés à la communauté et aux consuls " par le sieur Georges Provensal, agent et procureur de Mgr. de Lesdiguières, en déduction de la somme principale adjugée au dit Seigneur par sentence sénatoriale."
Le Sénat de Nice avait donc approuvé les contributions de guerre imposées aux habitants d'Allos par Lesdiguières.

6. - Les impôts ou taille que nos ancêtres payaient à leurs souverains étaient, à l'origine, des dons gracieux ; mais ces dons devinrent obligatoires, même en conservant le nom désormais dérisoire de donatifs.
On distinguait deux sortes d'impôts de ce genre, les donatifs annuels et les donatifs accidentels.
Les uns et les autres avaient en général pour base les propriétés des contribuables ; mais les premiers étaient perçus régulièrement , et les deuxièmes suivant les circonstances, par exemple à l'occasion de la naissance d'un prince, de sa majorité, de son mariage, du départ du souverain pour une expédition militaire , etc..
A ces impôts ordinaires et extraordinaires, il faut ajouter les contributions de guerre, si fréquemment imposées et si durement exigées par les chefs des milices, amis ou ennemis, le logement et les vivres pour leurs soldats et leurs chevaux.

Voici à ce sujet , quelques extraits des insinuations d'Allos :
En 1610 , les habitants adressent une énergique protestation au sieur d'Amy, lieutenant du comte de la Roche, " couronel", commandant les troupes du duc de Savoie dans la viguerie de Barcelonnette, pour obtenir l'observance des règlements de guerre qui avaient été enfreints à leur préjudice.
Note(5)

En 1520, la commune d'Allos achète douze mulets, "les plus beaux qui se puissent trouver, pour les envoyer au sérénissime prince majeur de Savoie".

En 1622, Bonfils, de Nice, procureur fiscal, se rend en personne à Allos, "pour imposer une taille de 4 florins par livre, destinée à payer certaine finance, demandé par le sérénissime pince Thomas de Savoie".
Le conseil général de la communauté d'Allos réuni par ordre du baile ducal, Me. Jean-Michel, vote cet impôt demandé ou plutôt exigé, en prévision du mariage du prince Thomas, qui eut lieu en 1625.

Le 20 mai 1624, Madeleine Fornier, d'Allos, demande la délivrance de son mari, Jean Fornier , " détenu prisonnier, d'ordre de Me.Pascalis, notaire, commissaire député par le sacré conseil à Turin", pour obtenir le paiement de quatre cents ducatons effectifs promis au sérénissime prince Thomas de Savoie.
Note(6)

En 1626, nous trouvons un bail d'exaction des tailles imposées sur la communauté d'Allos, "pour dépenses du Seigneur comte Flaminio, délégué par Son Altesse à la réception des soldats français de passage à la ville et vallée de Barcelonnette".

L' an 1627 le conseil général de la communauté d'Allos, congrégé par-devant Jean-Ange de Bessan, préfet et gouverneur de Barcelonnette, donne procuration à maître Honoré Pascalis, notaire ducal, le charge de se transporter en Nice et d'y emprunter la somme nécessaire pour payer madame la marquise de Riva.

Mais les emprunts contractés pendant des calamités publiques sont ordinairement de mauvaises opérations financières, et l'emprunt qu'Honoré Pascalis allait négocier à Nice coïncidait avec les nouveaux troubles qui désolaient la vallée de Barcelonnette.
En effet, au mois d'août de l'année 1628, Catherine Magnaud, "se trouvant en nécessité par la grande cherté des vivres, à Allos, et ayant été sa maison brûlée par les Français du camp du marquis d'Uxelles ", vendait une terre, un chasal et un bois, pour se procurer les choses les plus indispensable à la vie.

A cause de cela, Me.Vincent Pellat, consul, ne consentit à faire payer les tailles, en cette même année, moyennant un droit de recette 18 francs pour-cent.
Note(7)
En général, les communautés de la vallée donnaient la perception des tailles à l'encan à ceux qui offraient les meilleures conditions.
Jausiers et Allos avaient cependant un trésorier nommé par les conseillers.
Le trésorier de Jausiers devait être natif du pays , y posséder pour 25 florins de registre, n'être pas débiteur de la communauté, ni en procès avec elle et fournir une bonne caution.

La prévision des dépenses et des recettes annuelles, que nous appelons aujourd'hui budget, était faite avec soin, surtout pour les dépenses, et portait le nom de causat.
Le causat était préparé, chaque année, par le soin des consul et des syndics défenseurs.
L'Assemblée générale des chefs de famille votait ensuite les tailles nécessaires pour équilibrer ce budget, et enfin le trésorier était chargé de l'exaction des dites tailles et du paiement des dépenses.
Les versements qu'il était obligé de faire dans la caisse de l'Etat, à Nice, à Turin ou à Aix,
Note(8) avaient lieu à ses frais et à ses risques et à ses périls ; il devait rendre compte de tout ce qu'il avait perçu, malgré les variations , alors très fréquentes, dans la valeur des monnaies.
Nos ancêtres ne perdaient donc pas de vue l'administration intérieure et savaient maintenir chez eux la vie communale, même au milieu des guerres et des bouleversements politiques qui les ruinaient.

Vers l'an 1629, le sieur d'Hugues, seigneur de Turriers, gouverneur du château du Lauzet, ayant réclamé des subsides , donatifs, cavalcades et entretiens de guerre, sa demande, qui avait pour objet une somme considérable, fut soumise à l'appréciation du Seigneur de Salernes.
Celui-ci fixa le chiffre total de ces dettes à 4.822 livres.
La communauté d'Allos paya cette somme en nature, savoir :
132 pièces de drap cordeilhat , et le reste en bétail.
Le seigneur de Salernes était alors gouverneur
Note(9) d'Allos.

En 1632, le capitaine Jean-Antoine Cellano, nouveau gouverneur du fort du Lauzet, formula une plainte assez grave contre les habitants d'Allos.
Il les accusa d'agression contre lui, et l'affaire fut portée devant le duc Victor-Amédée lui-même.
Déjà , son délégué , Charles Garanta, préfet de Coni, avait pris en main la defense du capitaine Cellano, lorsque la communauté d'Allos arrêta les poursuites, en faisant concession au cardinal Maurice, prince de Savoie, et à Jean Ange de Bessan , gouverneur de Barcelonnette, "de diverses créances s'élevant ensemble à 8.180 florins".

Ainsi chaque année ajoutait de nouvelles difficultés à la situation financière du pays.

En 1633, on adressa au duc de Savoie une pressante supplique, pour obtenir un délai dans le paiement d'un donatif de 500 ducatons, "en considération de la pauvreté notoire des habitants, qui, obstant le mauvais temps, n'ont pas encore pu faire la récolte de leurs fruits et se trouvent contraints à liquider une grande multiplicité de dettes".

Cette multiplicité de dettes et l'impossibilité de répondre aux plus impérieuses exigences jetaient la communauté dans de lamentables convulsions ; on ne parvenait à satisfaire quelques créanciers que par les plus douloureux sacrifices.
L'administration municipale vendait tantôt de nombreuses pièces de draps fabriqués par les habitants et donnait en paiement des impositions communales, tantôt des troupeaux de bêtes à laine, tantôt les herbages des montagnes.

Elle céda pour quinze ans, par arrentement, la secrétairerie (secretarie !) du baile et des consul d'Allos, "aux fins d'employer l'argent en provenant à l'extinction d'une partie de la somme de 900 doubles d'or (dus) au prince cardinal de Savoie, ayant droit de dame marquise de Riva".
Hélas ! On vendît même les montagnes.

7 - Dès l'année 1610 , elle avait cédé le Laus et Valplane à Honoré Caméran, de Nice, dont le fils devint , plus tard, préfet de Barcelonnette.
Cette cession permettait, il est vrai, de payer les dettes les plus pressantes mais elle fut la source d'une série de contestations et de procès qui durèrent pendant près de trois-quarts de siècle (1610 - 1680).

La première de ces contestations se termina, en 1638 , par une transaction, au terme de laquelle le Laus et Valplane avaient été aliénés, "avec toutes les prairies attenantes, pour solder les créances de ladite communauté, s'élevant à 1100 ducatons,
Note(10) avec une réserve, au profit des habitants d'Allos, de couper du bois sans abus, pour réparer leurs cabanes, et de prendre du plâtre dans les mines
Note(11) de la montagne."
Note(12)
Cet acte, rédigé en italien, fut signé par les membres du conseil d'Allos, réunis en présence de Me. Jérôme Marcel Vinaldo, sénateur et conseiller délégué par le duc de Savoie.

Une deuxième transaction, du mois d'août 1643, termina également les difficultés soulevées dans le cours de cette année.
Déjà, on pouvait reprocher à Honoré Caméran de ne pas payer certaines impositions communales, et l'on comprend les instances que faisait la communauté pour les percevoir.
En effet, elle négociait alors, par l'entremise de Claude Arnaud, sieur de Méouille, un nouvel emprunt "pour payer la subvention de gens de guerre, en quartiers d'hiver dans la vallée, et pour la compulsion desquels sont en ce lieu trois compagnies de cavaliers du sieur de Turenne."
Note(13)

Le 30 mars 1664, le conseil général d'Allos délibéra sur les moyens à employer pour recouvrer les montagnes qu'il avait cédées à regret et il imposa de nouvelles tailles "aux fins de racheter les montagnes du lac et de Valplane, engagées pour satisfaire aux occurrences de guerres et invasions des ennemis, qui non seulement avaient hostilement occupé ce lieu, mais encore avaient saccagé et brûlé icelui".
Tel est , d'après les insinuations du bureau de Barcelonnette, le sommaire, beaucoup trop laconique, de la délibérations de 1664 , pour le rachat des montagnes.
Les sacrifices et les efforts du conseil de la communauté n'obtinrent malheureusement aucun résultat.

En 1673, le procès fut repris, sous une autre forme :
On protesta contre "le règlement des droits et raisons prétendus par le susdit Caméran sur la montagne du Laus", et les parties choisirent pour arbitre Horace de Provane, gouverneur et préfet de Barcelonnette.
Mais ce compromis et cet arbitrage eurent le sort des transactions précédentes et les antagonistes gardèrent leurs prétentions et leurs espérances.

Enfin, le dix-sept novembre 1680 , eurent lieu un nouvel arbitrage, une cinquième et dernière transaction et la liquidation des frais du procès.

Honoré Caméran fut déclaré possesseur légitime des montagnes du Laus et de Valplane et exempt des tailles communale dite tailles foraines ; mais il demeura obligé, comme tout le monde, de payer toutes les autres tailles.
Pour justifier l'exemption accordée au possesseur de nos montagnes, la transaction fait connaître en ces termes l'emploi du produit des tailles foraines :

Dépenses de l'horloge, honoraires du médecin, gages du sergent de ville et du tambour de la communauté, pavé des rues.
Note(14)

Honoré Caméran promit de faire construire, près du lac, une cabane pour les filets des pêcheurs (pour les attraits, dit le texte de la transaction !).
Je pense que cette cabane servait aussi d'abri pour les possesseurs des filets.

De leur côté, les habitants d'Allos ne renoncèrent ni à la revendication du droit de propriété, ni à leurs autres droits.
En effet, il est stipulé, dans le contrat :
que la communauté a tous droits qui pourrait lui compéter pour le rachat ;
que l'on pourra faire du charbon, soit au Laus, soit à Valplane,
Note(15) en ayant soin toutefois de ne pas détruire le gazon et de ne pas établir les charbonnières trop près des cabanes.

J'ajoute que chacun pouvait extraire du plâtre des carrières de la Caillole, mais que personne ne pouvait introduire le bétail ni gros, ni menu, dans les pâturages desdites montagnes.

Le procès soutenu par la communauté d'Allos dura soixante-dix ans (1610-1680) et coûta 1400 livres, non comprises 818 livres de frais supplémentaires qui portent la dépense totale à la somme importante de 2218 francs.
Voici, sur ce compte, quelques détails qui nous font connaître les mœurs et les usages d'alors, ainsi que la joie de nos pères, à l'issue de cette importante affaire :
Pour le dîner d'un jour, au départ des arbitres :........3 fr.
Aux ecclésiastiques pour le chant du Te Deum :......3 fr.
Bois de chauffage de la soirée de l'accord
(soirée du mois de novembre )..................................2 fr.
Au sonneur de cloches :.........................................10 sols.

Pendant que se déroulait ce long procès, la communauté d'Allos fut contrainte de faire une nouvelle aliénation de territoire.
Vers l'an 1658, elle céda à Me. Jean-Ange Pascalis, notaire, une partie de la montagne de la Sestrière.

8 - La triste situation financière d'Allos était celle de toute la région.
Les habitants d'Entrevaux étaient éprouvés par des misères continuelles.
Note(16)

A Barrême, on ne pouvait payer les intérêts des sommes dues par la commune qu'en faisant de nouveaux emprunts.

A Embrun , on retenait comme otages les consuls de Barcelonnette, et, à Barcelonnette, on infligeait la même peine aux consuls d'Entraunes, jusqu'à ce que ces deux communautés eussent intégralement soldé les contributions qui leur avaient été imposées.

Pour ne pas interrompre l'ordre logique, j'ai tracé ici, par anticipation, le tableau succinct de ces douloureuses épreuves, pendant le XVII° siècle.
*Je reprends maintenant l'exposé des événements de cette époque, auxquels se rattachent d'autres faits importants de notre histoire.
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(1) Introduction à l'inventaire sommaire des archives départementales.
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(2) Henri de Lombard de Gourdon était président du Sénat en 1705; il mourut en 1720.
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(3) Cet usage n'a pas été conservé par Louis XIV, après le traité d'Utrecht.
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(4) Durante, Histoire de Nice, t. II, p. 401.
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(5) Archives des Basses-Alpes, série B 11, folio 12.
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(6) Trop souvent, on retenait en prison, comme otages, les consuls d'une commune, pour l'obliger à payer des impôts ou des contributions de guerre.
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(7) C'est le plus fort droit de recette ou exigatis que l'on connaisse.
En temps de paix, il ne dépassait pas le 3 ou le 4 pour cent.
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(8) Le trésorier d'Allos envoyait, par exemple, le montant des donatifs à Nice quand nous appartenions à la Savoie, à Aix quand nous faisions partie du royaume de France.
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(9) C'est la qualité qui lui est donnée dans les actes d'un notaire ducal.
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(10) Monnaies d'argent qui valait, paraît-il, comme le ducaton de Hollande, 7 fr.81c.
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(11) Il y avait et il y a encore aujourd'hui, au quartier de la Caillole et près du lac, du plâtre gris et du plâtre blanc.
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(12) Archives des Basses-Alpes, série B, 24.
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(13) On voit par cette citation que les habitants d'Allos étaient obligés, en 1643, de payer des contributions de guerre non seulement pour les troupes en quartier d'hiver dans la vallée de Barcelonnette, mais pour trois compagnies de cavalerie chargées de faire sortir les susdites troupes de la vallée, qui ne pouvait plus pourvoir à leur subsistance.
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(14) Telles étaient alors les dépenses ordinaires de la communauté d'Allos.
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(15) Il y avait donc beaucoup de bois, à cette époque, dans les montagnes du Laus et de Valplane; s'il n'y avait pas eu des forêts considérables, on n'aurait jamais autorisé les particuliers à y faire du charbon.
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(16) Essai historique sur Entrevaux, par M. Albin Bernard, 1889.
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Choix de Lecture

CHAPITRE VI.

1. Le marquis d'Uxelles, général de l'armée du duc de Nevers, ravage la vallée de Barcelonnette et les pays voisins.

2.Allos saccagé et brûlé.

3.Louis XIII marche contre le duc de Savoie et réunit Barcelonnette, Allos, etc., à la France.

4.La peste de 1630, à Barcelonnette, à Allos; chapelles de Saint-Roch, à la Beaumelle et à Allos.

5. Gouverneurs et garnison de l'église d'Allos.

6. Ordre de démolir les remparts; la Savoie reprend possession de nos pays.

7. Dissenssions à la cour de Savoie; réconciliation des princes.

8. Monopole de la boucherie à Allos; conditions de ce monopole.

9. Fondation du collège de Barcelonnette.

10. Les habitants de la vallée victimes des prêts usuraires des juifs.

11. Officialité d'Allos.

12. Commanderie de Saint-Pierre d'Allos.

13. Paix des Pyrénées; mort du duc de Savoie.

(1628- 1675.)

 

1.- Louis XIII était roi de France depuis 1610, et, après sa mort (1643), Louis XIV régna soixante-douze ans (1643-1715).
Pendant ce temps, Charles-Emmanuel (1580-1630), Victor-Amédée (1630-1637), Charles-Emmanuel II (1637-1675) et Victor-Amédée II (1675-1730) se succédaient sur le trône ducal de Savoie.

En 1629, la guerre éclata entre Louis XIII et le duc de Savoie, au sujet de la succession de Vincent de Gonzague, duc de Mantoue et marquis de Montferrat, mort en 1627.
Ce prince avait désigné pour lui succéder son plus proche parent , Charles de Gonzague, duc de Nevers ; mais ce choix fut désagréable au duc de Savoie, au roi d'Espagne et à l'empereur d'Autriche.

Louis XIII et Richelieu, son ministre, étaient décidés de mettre le duc de Nevers en possession de son double héritage par la force des armes ; mais le gros de l'armée française était occupé au siège de La Rochelle, contre les protestants, et, en attendant la fin de ce siège, le duc fut autorisé à lever une armée en France.

Le marquis d'Uxelles, appelé au commandement de cette armée, la dirigea, en 1628 , vers le Haut-Dauphiné.
De là , il côtoya la frontière jusqu'à Barcelonnette, s'approchant tantôt d'un défilé, tantôt d'un autre , afin de diviser les forces de l'ennemi, qui surveillait ses mouvements, de l'autre côté des Alpes.

Son armée campa à Embrun pendant un mois, dévastant les villages voisins, à quatre lieues alentour.

Nous contemplions, dit un témoin oculaire,
Note(1) le spectacle effroyable et journalier de l'embrasement des villages et des habitants réfugiés dans les églises ou dans les bois, comme si un Attila eût tenu la campagne.

Le 28 juillet , elle arriva dans la vallée de Barcelonnette, y séjourna pendant quatre jours, pour attendre l'artillerie, et, le 5 août, elle était en présence de l'armée italienne, dans la vallée de Varaïte.
Une bataille était imminente, lorsque le duc de Savoie, qui commandait son armée en personne, reçut des renforts considérables.
Dès lors, le général français renonça au combat et ne s'occupa plus que des moyens d'assurer sa retraite, mais il était trop tard ; le duc l'attaqua avec toutes ses forces, le vainquit et poursuivit l'armée française, l'épée dans les reins, jusqu'à la frontière, qu'il n'osa pas franchir.

Les soldats du marquis d'Uxelles, qui n'avaient pas su vaincre le duc de Savoie, se vengèrent de leur échec sur les inoffensives populations de nos montagnes.
Excités par la faim et par l'amour du pillage, ils se répandirent en désordre dans le Haut-Comté de Nice, commettant partout les plus horribles excès.
La ville de Barcelonnette, tous les villages de cette vallée et ceux des environs furent livrés aux flammes.

Dans toutes les localités victimes de ces dévastations, "le nom d'Uxelles, dit Honoré Bouche,
Note(2) est encore aujourd'hui en horreur, tant pour ces incendies dont partout on voit les marques, jusque dans les églises, que pour les meurtres , larcins et ravages que cette milice débandée et contrainte par la faim faisait par tous les lieux où elle passait, n'y trouvant pas de quoi vivre, attirant sur elle les imprécations des hommes et les malédictions du ciel."

Pendant un quart de siècle, on s'occupe de ce drame aussi réel que terrible, dans les délibérations des communautés, dans les actes des notaires , dans les sentences des juges, et tous ces documents officiels nous parlent de l'orage du marquis d'Uxelles, dans la ville et dans les campagnes, du bruslement universel de Barcelonnette, qui ruina l'église paroissiale et son pinacle (clocher), la chapelle et le couvent des Dominicains.
Ils nous disent que les habitants de la campagne dont les maisons avaient été disrutes (détruites ) furent déclarés exempts des tailles.
Citons un cas particulier : la vente, par Antoine Réautier ou Léautier, d'Allos, d'un chazal, ou soit place de maison, situé dans la grande rue de Barcelonnette, brûslée au moyen (sic) de l'incendie universel arrivé en cette ville, l'année 1628, passant l'armée française du marquis d'Uxelles.
Note(3)

2.- La vente de cette maison brûlée établit, entre les désastreux événements dont souffrait Barcelonnette et ceux que l'on redoutait à Allos, une transition que j'appellerais heureuse, s'il s'agissait de choses moins tristes.

On lit dans nos registres, sous la date du 20 août 1628 , l'acte de baptême "de Maria Bellouna, filia d'Espérit et de Jouberta , du lieu de Barcilonna, réfugiée à Allos, à cause des troubles, et accouchée ici".
Les bandes du général d'Uxelles, que fuyait Marie Bellon, n'avaient donc pas encore envahi notre territoire lorsqu'elle s'y réfugia ; mais elles l'envahirent bientôt, comme le prouve un acte de vente, rapporté plus haut où il est dit que la maison de Catherine Magnaudi "fut brûslée, au mois d'août (1628 ) , par les Français du camp du marquis d'Uxelles", et que les vivres étaient fort chers à Allos.

Ces soldats, ou d'autres également inhumains, commirent plus tard de nouveaux excès, dont on parle dans une délibération du conseil du 30 octobre 1638.

C'est ce que l'on a appelé le sac d'Allos, locution laconique des historiens, qui nous rappelle le pillage, la destruction et tous les crimes que commet ordinairement une troupe de ravageurs indisciplinés, lorsqu'un pays tombe en son pouvoir.
Le texte italien n'est pas moins énergique : il dit tout cela par le mot saccagement, et il ajoute qu'Allos fut occupé par les envahisseurs pendant de nombreuses années, sacchegiato et occupato da molti anni...
Note(4)

Jamais depuis l'invasion des Sarrasins, Barcelonnette et Allos n'avaient eu à subir d'aussi horribles traitements.

3.- Cependant le siège de La Rochelle, qui retenait Louis XIII et Richelieu loin de l'Italie, se termina le 30 octobre 1628 , par la reddition de cette place.
Le roi de France et le cardinal, son ministre, partirent pour les Alpes, au milieu de l'hiver de 1629 , et arrivèrent à Embrun le 26 février.
Dès les premiers jours de mars, l'armée française, qui se composait de 25.000 hommes , traversa le mont Genèvre, malgré les glaces et les barricades du pas de Suse ; l'armée du duc de Savoie fut obligée de battre en retraite, et la paix fut signée à Suze, le 11 mars 1629.

Mais cette campagne fut aussi inutile qu'elle avait été brillante.
Le duc de Nevers fut encore inquiété dans la possession de Mantoue et de Montferrat, et les français passèrent de nouveau les Alpes pour défendre ses droits.

Cette deuxième expédition, aussi heureuse que la première, intéresse particulièrement notre région , puisqu'alors nos pères étaient redevenus français ; c'est ce qui résulte des deux documents suivants, sans parler de ceux qui appartiennent à l'Histoire générale.

Barcelonnette envoya une députation à la cité d'Embrun, vers le cardinal de Richelieu, général de l'armée de Sa Majesté très chrétienne, pour prêter, entre les mains de M. de Montréal, hommage de fidélité à Sa Majesté.

Les députés étaient au nombre de trente, et l'acte en vertu duquel ils prétêrent serment, au nom de tous leurs concitoyens , est daté du mois de mai 1630.
Note(5)

Au printemps de cette année, le gouvernement français avait donc encore une fois repris possession de nos pays.

Richelieu inaugura les opérations militaires de la campagne de 1630 par la prise de Pignerol et fit ensuite la conquête de la Savoie, sous les ordres de Louis XIII, qui voulut partager les dangers et les fatigues de ses soldats.

C'est là que ce prince reçut la supplique des habitants de Barcelonnette et de ses dépendances , qui lui demandaient de les réunir, non au Dauphiné, mais à la province de Provence , et de les traiter, en toute occurrence, à l'égal de ses sujets de cette province, surtout pour l'affouagement.
Il leur accorda ce qu'ils sollicitaient, et l'acte de concession, qu'il signa au camp d'Annecy, porte la date du 28 mai 1630.
Note(6)

Le duc de Savoie ne devait pas survivre à ses revers. Le 26 juillet 1630, il fut emporté : selon les uns, par une attaque d'apoplexie; d'après d'autres, par la peste qui sévissait dans son armée comme dans l'armée française.
Après sa mort, le sceptre ducal de Savoie passa entre les mains de son fils, Victor-Amédée Ier, qui put faire jouir ses sujets de la paix préparée à Ratisbonne et définitivement signée à Cherasco, sur la Stura, le 6 avril 1631.
Par ce traité,Barcelonnette, Allos, etc.. , furent rendus à la Savoie, pour ne revenir à la France que par le traité d'Utrecht.

4.- En 1629 et en 1630, la peste ne sévissait pas seulement en Italie, mais dans le midi de la France, surtout en Provence. En compulsant avec soin les archives des communes de la région des Alpes provençales, nous pouvons suivre pas à pas sa marche jusqu'à Allos.

Elle dépeupla Digne en 1629 (juin-septembre ).

Gassendi affirme que la population de cette ville était alors de 10.000 âmes et qu'elle fut réduite à 1500.
Note(7)
À Castellane, les pestiférés furent transportés au delà du Verdon et soignés sous des tentes.
"Il y périt beaucoup de monde."
Note(8)

Manosque, Riez , Sisteron , Seyne , Gap et Embrun furent cruellement éprouvés.
La mort frappait partout ; des familles entières disparaissaient, et on ne savait pas toujours à qui leurs biens devaient être attribués.

Dans la plupart des testaments faits à Barcelonnette en 1.630 , les notaires déclarent que les testateurs sont atteints de la maladie contagieuse, ou qu'ils craignent d'être surpris par icelle , à cause du progrès qu'elle fait en ce pays.
L'un de ces malades , Pierre Léautier, dicta ses dernières volontés dans des circonstances et en des termes tels qu'il faut les relater sans y changer une syllabe :"S'étant mis dehors et sur la porte d'une hutte ou sorte de cabane qu'il a à une sienne terre , de là , où clairement et aisément s'entendait (il se faisait entendre) aux témoins , distants de lui (d') environ vingt pas , a dit qu'il se trouvait atteint du mal de contagion depuis trois ou quatre jours et, pour telle raison , voulait faire son testament."

Pendant le mois septembre de la même année, la communauté de Barcelonnette emprunte 3300 écus, "pour les urgentes affaires d'icelle , attendu qu'il est impossible de trouver , à présent , dans le pays , ni argent, ni imposition , à cause de la maladie contagieuse qui règne puis (depuis) quelques mois ; joint la mort de la très grande part des hommes du consulat et l'autre partie étant presque tous malades."
Note(9) (septembre 1630 , insinué en 1632.)

Par ces détails aussi intéressants que navrants , nous savons que la peste de 1630 désola Barcelonnette, un an après avoir dépeuplé Digne.

Le terrible fléau ravageait en même temps la haute vallée du Verdon.
Les actes des notaires , ainsi que les actes administratifs , la construction de chapelles et autels, et enfin, la tradition ne permettent pas le moindre doute sur cette simultanéité.

A Allos comme à Barcelonnette, presque toutes les donations testamentaires de l'année 1630 sont faites par des personnes atteintes de la maladie contagieuse.

Voici, parmi ces nombreux testaments , ceux qui intéressent particulièrement notre histoire.

Le 31 juillet 1630 , Barthélémy Pascal, dictant ses dernières volontés , relativement à son enterrement , "juge que sera impossible de pouvoir exercer les cérémonies que par ci-devant s'usaient (étaient d'usage) en ensevelissant les morts, attendu la maladie contagieuse qui règne audit Allos et spécialement au forestage du Villard, où il habite".

Le 4 août 1630 , Jacques Columby, prêtre et vicaire perpétuel à Allos,
Note(10) "considérant qu'en ce temps que la maladie contagieuse fait grand progrès et ravage , non seulement aux villes circonvoisines , mais encore au présent lieu, l'on ne peut avoir commodité de notère (sic), pour disposer de ses biens .......
d'ailleurs qu'il a délibéré de n'abandonner point la ville pour avoir moyen de secourir les pauvres atteints de le la maladie, à tout son possible au moins spirituellement , a fait et ordonné son dernier et valable testament."

Le 8 août 1630 , Laurens Audemard, fils de feu Melchior, "ordonne qu'après sa mort soit érigée et bastie, aux dépens de son héritage, une chapelle de la grandeur de celle de Saint-Barthelemy, qui est près du pont en allant à l'église paroissiale de ce lieu, sous le titre de saint Roch et saint Melchior,
Note(11) dans une propriété qui qu'il a au plan Notre-Dame , appelée a quo de Maiximin , proche le chemin qui va vers Colmars , du côté de la ville, etc....

"Fait et publié audit Allos, dans l'aire du testateur , étant lui au devant de la porte de sa grange , distante d'environ six pas , n'osant approcher , à cause de la maladie contagieuse."

Par un codicille du 16 du même mois, Laurens Audemard indiquant avec une précision plus grande encore à ses héritiers qu'ils devaient faire construire , la chapelle de Saint-Roch et de Saint-Melchior "dans son champ , au plan Notre-Dame , confrontant , du levant, la chapellenie de messire Jacques Columby, (du midi) et du couchant , le riou du Chadoulin et le Verdon".
Et ce codicille fut fait et publié , ajoute le notaire, "dessous le verger et à l'opposite des Escassias".

Disons enfin que, le 7 septembre 1630 , Jeannette Viole, épouse de Louis Pellissier, de Bouchiers, légua à la chapelle de Saint-Roch, qui était alors en construction,
Note(12) cinq florins payables après son décès , et que les témoins requis pour son testament, "publié audit Allos, en Bouchiers au Serret", ne le signèrent pas , à cause de la maladie contagieuse.

Bouchiers eut beaucoup à souffrir de la peste.

D'après une tradition que les habitants se transmettent de génération en génération comme l'expression fidèle de la vérité , ce pays comptait alors soixante feux , dont les trois-quarts étaient à droite du torrent appelé la Sausse, qui partage le territoire en deux parties inégales.

La redoutable maladie visita toutes ces habitations et dépeupla entièrement deux hameaux , celui des Colombiers , voisin de la Colette , et une agglomération , au quartier du Serret.
Les derniers survivants de ces petites localités furent témoins de scènes de désolation inénarrables.
Ils appelaient leurs voisins , distants , à vol d'oiseau , d'un kilomètre , et , lorsque leurs cris demeurèrent sans réponse , ils comprirent que la mort avait achevé son oeuvre de destruction.
Ce dialogue , au moment suprême , est encore plus émouvant que celui qui eut lieu, à Barcelonnette, entre un pestiféré , son notaire et les témoins de son testament.

Cependant les habitants de la rive droite du torrent de la Sausse avaient échappé aux ravages du fléau et ils attribuèrent leur préservation à saint Roch , à saint Sébastien et à sainte Anne, qu'ils avaient priés avec confiance et auxquels ils avaient fait une promesse , au moment du danger.
Cette promesse et son heureux résultat sont consignés dans une inscription placée au bas d'un tableau de l'ancienne église et dont voici la teneur :
"MMes. Jehan François et Jehan Laurans Pélicier, frères à feu André d'Allos, habitans au forestace de Bouchiers, ont fait ceste... et présent rétable à la dévotion et prières de M. Saint Roc et Mme sainte Anne et saint Sébastien, en l'an 1631 , l'ayant promis en 1630, que Nostre Seigneur les a voulu, par sa sainte grâce, conserver de la maladie contagieuse."

Il y avait aussi dans l'église de Bouchiers, et sans doute depuis la même époque, un autel latéral dédié à saint Roch.
La tradition, que j'ai suivie scrupuleusement dans mon récit,
Note(13) nous dit encore que, pendant longtemps, les fidèles qui avaient éprouvé les effets de la protection de ce saint se placèrent du côté de son autel, pendant la messe et les autres offices religieux.

Lorsque l'épidémie fut arrivée au terme de sa période aiguë,
les consuls et le conseil de la communauté d'Allos s'occupèrent des moyens à prendre pour la faire disparaître complètement et surtout pour en empêcher le retour.

Le 7 novembre 1630, ils firent, devant notaire, avec un religieux franciscain, un accord, dont je cite textuellement les clauses les plus importantes :
"Le R.P François Bastety, du couvent des Observantins de Narbonne, se charge, moyennant sept cents francs, de bien et dûment désinfecter et purifier toutes maisons, meubles et linges qui se trouvent ou se trouveront infectés et soupçonnés de maladie contagieuse et médicamenter toutes personnes qui seront atteintes d'infection de peste, dans l'enclos, hameaux et terroir d'Allos."

Il paraît que les désinfectants employés par ce religieux étaient surtout les fumigations de genièvre et la vapeur de plantes aromatiques, à odeur forte, car il fut stipulé dans la convention qu'on lui fournirait lesdites plantes et le cadé.

La communauté s'engagea, en outre, à payer un supplément , si le désinfecteur était obligé de prolonger son séjour, au-delà du terme fixé par les contractants.

On croyait en avoir fini avec la peste et les désinfections, lorsqu'on fut obligé de s'en occuper de nouveau , en plein hiver.
Le 17 février 1631 , le Conseil s'assembla à cet effet, et les consuls proposèrent de purifier quelques maisons, pour éviter quelque sinistre.
Le conseil somma les consuls de se pourvoir d'un purificateur, qui fut Louis Roux , de Colmars.

Enfin, au mois de mars, tout danger ayant disparu et les habitants s'étant remis à leurs travaux ordinaires, Laurens Audemar, qui avait été épargné par le fléau, fit bâtir lui-même la chapelle de saint-Roch , non au bas du verger, sur la rive droite du Chadoulin, comme il en avait eu le projet, mais non loin de la rive droite du torrent de Ribious, à gauche de la route d'Allos à Colmars, dans son champ appelé la à quo d'Adrienne Blanche.

Par un acte de prix fait, passé devant maître Piny , notaire ducal , Laurens Allegre s'engagea à construire ladite chapelle "à l'honneur de dieu et sous le titre de saint Roch ; savoir est ( sic) :
en longueur deux cannes et neuf pans largeur, comme la crotte et les murailles de la chapelle de sainte-Marguerite, au rif des Isnards ; l'autel et la corniche, comme la chapelle de saint-Roch, à la Beaumelle promettant, le dit Allègre, rendre le tout parachevé, a saint Jean-Baptiste, le 24 juin , moyennant vingt-quatre écus de trois livres."

Les quartiers de la Beaumelle et de la Foux, qui, par leur situation entre Allos et Barcelonnette, étaient plus exposés que le Villard et Bouchiers, furent cependant préservés du fléau.
C'est ce qui résulte du témoignage de la tradition, de l'existence, pendant plus de deux cents ans, d'une chapelle dédiée à saint Roch et d'un document historique contemporain.

La tradition relative à cette préservation est aussi bien établie et aussi constante que celle de Bouchiers.

La chapelle de Saint-Roch fut bâtie, pendant que la peste décimait Allos, non loin de celle de Notre-Dame de Lumières, qui est aujourd'hui l'église paroissiale de la Beaumelle, et on y plaça un tableau portant l'inscription suivante :

" Cette chapelle et le présent tableau ont été faits aux dépens de MM. Jehan-Antoine Giraud et de Joseph Pascalis, d'Allos, au mois d'août 1630."

Ce modeste monument de la piété d'autrefois tombait en ruine lorsque, en 1891, le conseil de fabrique de la Beaumelle décida de le remplacer par un oratoire qui continue de rappeler la protection de saint-Roch.

Le document historique contemporain est un acte de quittance du 17 septembre 1630, par lequel Pierre de Castellane, coseigneur de Claret, gouverneur d'Allos, déclare avoir reçu de la communauté une contribution de guerre de 418 écus.
Note(14)
Honoré Pascalis, notaire, qui rédigea cet acte, dit qu'il fut " fait et publié audit Allos, à la barre des Auchias, en présence de noble Antoine de Castellane, sieur de Salerne ; Me. Michel Laurens, notaire du Lauzet, et messire Jacques Columby, prêtre et vicaire dudit Allos, témoins à ce requis et appelés, ne s'étant pas signés au protocole, ni les parties, à cause du soupçon de maladie contagieuse."

On avait donc établi, au quartier des Auches, une barrière pour empêcher la peste d'envahir la Beaumelle et la Foux.
Note(15)

C'est là que se réunissaient les habitants des quartiers pestiférés et de ceux qui ne l'étaient pas, lorsqu'ils avaient à traiter des affaires urgentes.

Ils s'arrêtaient, les uns en amont, les autres en aval de la barrière, à la distance voulue pour s'entendre, sans s'exposer au mal contagieux.

Ils évitaient surtout le moindre contact, et c'est pourquoi les notaires n'y faisaient pas signer leurs actes.

L'établissement et le maintien de cette barrière n'auraient pas eu leur raison d'être si les sections de la Foux et de la Beaumelle avaient été atteintes comme le chef-lieu.

5.- La quittance du 17 septembre nous apprend, en outre, qu'en 1630 Allos avait un commandant ou gouverneur et une garnison française.

Noble Pierre de Castellane, dont j'ai prononcé le nom, commandait, " comme lieutenant du sieur de la Bastie, depuis le 22 juillet, dans l'église de la présente ville d'Allos, pour le service du roi, et Antoine de Castellane, sieur de Salerne, lui succéda comme gouverneur dans ladite église.

Quant à la garnison qui était sous les ordres du gouverneur d'Allos, le conseil de cette communauté, réuni le 17 février 1631, donna charge aux consuls de faire ouïr des témoins pour savoir quel nombre de soldats avait tenus le sieur de Salerne, jadis gouverneur de l'église d'Allos."

Sous la domination savoisienne comme sous la domination française, Notre-Dame de Valvert était gardée par des soldats, avait une garnison.

C'est ce que nous savons par l'acte de baptême de l'un de nos homme célèbres , Alexandre Piny.

"L'an 1640 et le 25 du mois de février, jey batisé Alissandre Pin..., dans l'église Saint-Sabatien (Saint-Sébastien), estant tene (tenue) l'église en garnison. Le tout faict par moy sous signe : Audoul, phre vicaire."

Mais pourquoi les gouverneurs d'Allos étaient-ils appelés gouverneurs de l'église, ou dans l'église ?

Hélas ! c'est parce que l'église paroissiale, Notre-Dame de Valvert, était devenue le dépôt des munitions de guerre et peut-être la caserne de leurs soldats.

D'ailleurs, il aurait été imprudent de ne pas garder militairement cet édifice, qui se trouve hors des anciens remparts, car les ennemis auraient pu s'en emparer et se fortifier dans sa puissante tour.

6.- Une autre affaire importante occupa ensuite le conseil communal du 17 février 1631.

Une ordonnance de Louis XIII de l'an 1626 avait prescrit la démolition des fortifications devenues inutiles, et les municipalités étaient chargées de ces démolitions.
Le maréchal de Montréal voulut profiter de la courte durée de la domination française sur nos pays (du printemps de 1630 au 6 avril 1631), pour faire démolir la citadelle et les remparts d'Allos.

Mais la municipalité différait l'exécution de cet ordre, à cause de la peste et peut-être aussi dans l'espérance de conserver les fortifications.

Voici le résumé des débats qui eurent lieu, à ce sujet, entre les membres du conseil et les consuls.

Après avoir pris connaissance d'une lettre de Me. Jacques Grassi, de Barcelonnette, invitant les consuls d'Allos " à s'acheminer à Méolans par devers M. le lieutenant de Digne, pour répondre aux demandes faites à ladite communauté par le sieur d'Hugues, gouverneur du Lauzet", l'assemblée invite les consuls à faire ce voyage.

Les consuls répondent qu'ils ne le peuvent sans avoir certains papiers,
"particulièrement l'ordre de la démolition des murailles, laxé par le sieur de Montréal, maréchal de camp", et ils ajoutent que cet ordre qui, antérieurement, était chez Louis Arnaud, ancien consul, est actuellement à la Collette, chez Jean-Baptiste Sicard, dont la maison est encore infectée, et d'où, par conséquent, on ne peut le retirer sans commettre une grave imprudence.

" C'est pourquoi le conseil somme les consuls de se procurer un purificateur, pour purifier lesdits papiers, autrement proteste ne pouvoir faire fin (à) l'ordre de ladite démolition desdites murailles."

Dans cette discussion peut-être plus apparente que réelle et à travers ces phrases d'une si singulière structure, on voit que les membres du conseil et les consuls se résignent avec peine à voir disparaître leurs fortifications.

Dès les premiers jours du mois d'avril 1631, la Savoie prenait de nouveau possession du haut Comté de Nice, et, le 3 juin de la même année, la communauté d'Allos chargea Esprit Piny, notaire et consul, Pierre Magnaud, docteur en droit, et Pierre Pascalis, notaire et receveur du prince Maurice,
"de se présenter par devant le molt illustre seigneur Barthélemy de Gubernatia, sénateur, préfet et gouverneur de Barcelonnette..., pour prester au nom de tous les habitants le serment de fidélité, au bénéfice du sérénissime prince Maurice, cardinal de Savoie.
Note(16)

Le duc Victor-Amédée, au nom duquel son frère, le cardinal Maurice, reçut le serment de nos pères, s'occupait du bonheur de ses sujets avec un zèle éclairé.

A l'exemple de François Ier, roi de France, il ordonna la tenue d'un registre des naissance, des décès, etc.; il taxa le prix des médicaments et le salaire des ouvriers.
Note(17)

Mais les populations des pays frontières avaient toujours à souffrir de la gêne des communications, et, en 1633, Benoît Magnaudi, natif d'Allos, religieux trinitaire, fut obligé de présenter des lettres patentes pour venir habiter en France.

7.- Victor-Amédée mourut en 1637, après avoir déclaré que la duchesse Chrétienne, dite Madame Royale, serait régente de son fils, François-Hyacinthe, âgé de 5 ans.

Ce prince, dont plusieurs historiens ont passé le nom sous silence, à cause de son règne éphémère, mourut après quelques mois et eut pour successeur Charles-Emmanuel, son frère, qui n'avait que 4 ans et dont Chrétienne fut aussi régente.

Les princes Maurice et Thomas, dont la révolte avait attristé les dernières années du règne de Victor-Amédée déclarèrent alors ouvertement la guerre à la duchesse régente.

Ils étaient soutenus par les Espagnols, tandis que les Français combattaient pour la duchesse.

Enfin, le 14 juillet 1641, ils signèrent un accord qui fit cesser la guerre civile.p

Les princes Maurice et Thomas furent déclarés lieutenants généraux des Etats de Savoie et en quelque sorte co-régents du duc, leur neveu.
Le cardinal Maurice, à qui les députés d'Allos avaient prêté serment de fidélité, en 1631, devant le préfet de Barcelonnette, devint lieutenant général de tout le Comté de Nice, et nous dirons bientôt ce qu'il fit pour la fondation du collège de Barcelonnette.

8.- Malgré les dissensions à la Cour de Savoie et les troubles dans les provinces, le conseil d'Allos s'occupa, en 1636 et 1641, de la réglementation de la boucherie.

La vente de la viande n'était pas abandonnée alors à la libre concurrence des vendeurs et des acheteurs, comme aujourd'hui.

Le 30 octobre 1636, le conseil de la communauté passa un bail avec Monet Michel et lui céda la boucherie, à l'encan et à la chandelle.

Le 28 avril 1641, le même monopole fut cédé à Jacques Jullian , aux conditions suivantes :
"Livrement de la boucherie de ce lieu d'Allos, en faveur de Jacques Jullian....
Il sera tenu, depuis ce jour ( 28 avril 1641) jusqu'au premier du prochain carême, de bailler à tous les habitants indifféremment et toutes les fois qu'ils voudront la chair de mouton et de veau à 6 liards la livre et la chair de brebis à 5 liards..., à condition qu'aucun autre, dans le consulat d'Allos, ne pourra vendre, ni débiter de chair aux habitants ou autres, même à ceux qui font hostellerie, lesquels seront tenus de se pourvoir à ladite boucherie, à peine de 10 livres."

Note(18)

9. - Le collège de Barcelonnete fut fondé en 1646.

En prévision de cette fondation, noble Jeanne Pellissier, d'Allos, veuve de feu Arnaud, de Méouilles, avait légué, dès le 26 septembre 1630, la somme de 60 écus aux Révérends Pères de la Doctrine chrétienne, régents du collège de Barcelonnette .
Note(19)

En 1645, la communauté d'Allos promit 100 ducatons , c'est-à-dire 600 livres, monnaie de France, en se réservant le droit de revenir sur sa promesse, si le collège n'était pas ouvert dans deux ans.

Malgré la non-réalisation de cette condition, la donation fut maintenue, et il en est fait mention dans l'acte du 24 septembre 1651, qui fixa avec plus de précision la date de l'ouverture du collège :
"Et commenceront, à la prochaine feste de saint Luc, 18 octobre 1651, à condition toutefois que, pour les cinq premières années consécutives..., ne seront les Révérends Pères attenus de maintenir, pour ledit collège, sineque (seulement) deux régents idoines et capables.

"Que pour l'entretien des Révérends Pères..., qui seront employés à la régence dudit collège, lesdites communautés leur payeront annuellement, dans cette ville de Barcelonnette, mille trente-huit livres de vingt sols la chascune, monnaie présentement courante en France, savoir :
la moitié d'icelle, à chascune feste de saint-Michel, et l'autre moitié, à chascune feste de Pasques..., chascune desdites communautés, à raison de ses feux, ne comptant toutefois la communauté d'Allos que pour les cent ducatons qu'elle a donnés en capital, outre les intérêts jà échus, sans comprendre aussi en rien ni pour rien lesdits lieux d'Entraunes et Saint-Martin, qui jusqu'ici ne se trouvent, à ce sujet, en rien obligés, et, cas qu'ils veuillent contribuer à l'égal des autres, jouiront aussi, au même égal, de l'utilité, profit et avantages."

La somme promise par la communauté d'Allos se trouvait augmentée de moitié, et elle n'avait pas encore été payée le 12 janvier 1659.

En ce jour, le conseil, réuni pour l'élection de deux défenseurs et de douze conseillers, reçut des administrateurs du collège la demande de 150 ducatons, et il ordonna " aux modernes consuls de faire les instances et les poursuites nécessaires contre les quatre consuls vieux, leurs devanciers, rière (chez) lesquels se trouvait l'argent, et de satisfaire les RR. Pères ".

Ces religieux étaient tenus, aux termes de leur convention avec le conseil de la communauté, d'enseigner la foi catholique, apostolique et romaine, et d'établir un cours de philosophie, dès que les revenus de l'établissement auraient augmenté de 300 livres.

Ajoutons, pour ne pas revenir sur ce sujet, que Napoléon ordonna, en 1808, de prélever au profit de l'Université, qu'il venait de fonder, le vingtième de la rétribution payée ou censée payée par chaque élève, et que, pour ne pas ruiner le collège de Barcelonnette, le gouvernement impérial porta d'office cet impôt inqualifiable au budget des communes de l'arrondissement.

Barcelonnette eut à payer de ce chef 600 francs; Saint-Paul, 80 francs; le Lauzet, 100 francs; Allos, 150 francs; Uvernet, 80 francs; Fours, 50 francs, etc.

10. - Les habitants de Saint-Pons de Barcelonnette devaient 1870 écus à un juif de Coni, nommé Suzon Lates.
L'origine de cette dette remontait au 20 décembre 1612.

L'université de Saint-Pons, fatiguée de payer les intérêts de cette somme, à raison de 18 pour cent, décida, en 1654, de se soustraire à cette usure par trop hébraïque.

Elle fit avec Me. Pierre Magnaudy, avocat, et Jean Audiffred, chirurgien, un accord qui lui permit de rembourser à Suzon Lates tout ce qui lui était dû.

Un notaire d'Allos, noble Honoré Pascalis, intervint dans ces affaires comme vice-patrimonial, c'est-à-dire receveur des domaines du prince Maurice de Savoie.

11. - Nous lisons, dans un acte de procuration du 12 décembre 1661, que " le sieur Honoré Pascalis, prêtre, était official forain pour Mgr. L'évêque de Senez, en ce lieu d'Allos ."
Note(20)

Allos était donc doté, et probablement depuis longtemps, d'une officialité foraine, non à cause de l'importance de la population, mais parce que nos pères étaient sujets des ducs de Savoie, tandis que leur évêque était français.
"Les officialités foraines, disent Richard et Giraud,
Note(21) étaient nécessaires pour la commodité des habitants d'une autre monarchie ou dans le ressort d'un autre parlement."

En effet, les souverains ne permettaient pas aux évêques de nationalité étrangère d'exercer la juridiction contentieuse dans leurs Etats, ni d'y traiter des questions mixtes.

En 1697, Jean Soanen, évêque de Senez, nomma Honoré Pascalis, vicaire perpétuel, official; Antoine Ollivier, curé de Bouchiers, promoteur; Louis et Joseph Piny, notaires, greffiers.

"Etant dûment informé, dit le prélat, dans cette dernière nomination qui est écrite en français, de la capacité, expérience, probité et religion de maîtres Louis et Joseph Piny père et fils, du lieu d'Allos, dans les Etats de Savoye, les nommons et établissons solidairement, et l'un en l'absence de l'autre, nos greffiers au tribunal de notre officialité d'Allos ."
Note(22)

Dans la vallée de Barcelonnette, Charles Pascalis, prieur commandataire de Notre-Dame de Moulanès, qui posa la première pierre du couvent de Faucon, le 9 juin 1675, était official général de l'archevêque d'Embrun, dans les terres de Savoie.

12 .- Allos était le siège d'une commanderie de l'ordre religieux et militaire des Saints-Maurice et Lazare.

Par un acte de donation du 25 août 1662, don Carlo Avogadro, comte de Lozzolo, chevalier dudit ordre, commandeur de la commanderie de Saint-Pierre d'Allos, fut, en cette qualité, mis en possession de la montagne d'Autapie, confrontant : au levant, le Verdon; au midi et au couchant, le territoire de Colmars; au nord, le territoire d'Allos.

Cette donation fut précédée de différentes transactions entre la communauté d'Allos, l'évêque de Senez, noble Louis Audibert, du Puget, et son frère, qui, à des titres divers, étaient propriétaires de la montagne ou avaient des droits sur elle.

Le 14 décembre de la même année, le commandeur de la commanderie de Saint-Pierre, agissant au nom du conseil dudit ordre religieux, vendit Autapie à noble Jacques Pascalis, notaire, moyennant 500 écus d'or d'Espagne.

En attendant le payement intégral, le vendeur prit hypothèque sur un immeuble de Jacques Pascalis,
" una pradana, situata nel vallone di Vaudemar, territorio di Allos " , estimée 100 écus d'or.

L'acte, rédigé en italien, fut fait et publié à Barcelonnette, dans le couvent des Dominicains, par-devant Me. Magnaudi, notaire ducal, en présence du R.P. Fre. Sébastien Caire, prieur, du R.P. Fre. Réginald Piny, dudit couvent, etc.

13 . - Pendant ce temps, les nations voisines de la Savoie guerroyaient entre elles, et le comté de Nice eut beaucoup à souffrir.

Le traité de Westphalie, en 1648, et celui des Pyrénées, en 1659, permirent enfin au duc de Savoie de réparer les désastres de la guerre.

Il encouragea l'agriculture, accorda des récompenses et même des titres de noblesse à ceux qui défrichaient les terrains incultes.

Malheureusement, la mort le surprit, en 1675, à l'âge de 40 ans, et son successeur, Victor-Amédée II, avait à peine 9 ans.


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(1)Ce témoin est Marcellin Fournier, auteur de l'Histoire générale des Alpes-Maritimes, etc., publiée par M. l'abbé Paul Guillaume, en 1890; 3 vol. in- 4°, Gap, imprimerie Jouglard.
- Le P. Fournier était alors professeur de rhétorique au collège des Jésuites, à Embrun.
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(2) Honoré Bouche était chanoine de la métropole d'Aix, docteur en théologie et prévôt de Saint-Jacques de Barrême.
C'est là qu'il a écrit l'Histoire de Provence, 2 volumes in-folio.
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(3) Archives des Basses-Alpes, série B, registre 155.
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(4)Contrairement à l'usage établi chez nous, depuis l'édit de Villers-Cotterets (1539), d'écrire en français les délibérations, les actes des notaires, etc., la délibération du 30 octobre 1638 fut rédigée en italien.
Voici le passage historique le plus remarquable de cette délibération : " Representande l'immensita di debiti communi contratti par supplere alli occurenti delle guerre ed invasione d'inimici daqualli, e stato, il presente luogo, sacchegiato ed occupato da molti anni."
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(5) Cet acte ne fut insinué qu'en 1632. (Archives des Basses-Alpes, série B, registre 120. )
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(6) Voir la supplique des habitants de Barcelonnette et la réponse de Louis XIII, dans la remontrance adressée à Louis XIV, après le traité d'Utrecht.
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(7) Cum antea, adusque decies millia numerarentur , vix enumerari, sub mali finem, plus quam quingenti suprà mille, potuerint. (Notitia Ecclesioe Diniensis, p.28 )
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(8) Histoire de Castellane, par le prieur Laurensi, n° 93.
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(9) "Ce mal invisible qu'apportait le vent, qu'on respirait avec l'air, qu'on s'inoculait par le toucher, presque par la parole et le regard..., fit, en Italie, en France, en Savoie, des ravages dont nos plus terribles épidémies contemporaines ne donnent qu'une faible idée." ( Histoire de Savoie, par Saint-Genis, t. II, pp. 290-291.)
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(10) Le vicaire perpétuel était inamovible et ne différait du curé que par le nom.
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(11) C'est sans doute parce que son père s'appelait Melchior que Laurens Audemard voulait dédier à ce saint et à saint Roch la chapelle dont il préparait la construction.
Cette partie de son projet ne se réalisa pas, comme on le verra bientôt.
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(12) Cette chapelle est évidemment celle de la Beaumelle, qui fut construite pendant l'épidémie, un an avant celle de Saint-Roch des plans d'Allos.
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(13) J'ai recueilli et étudié cette tradition sur les lieux, lorsque j'étais curé de Bouchiers.
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(14) Le quartier du Seignus paya 84 écus ; celui de la Foux, 54.
A ceux qui ne pouvaient pas payer en argent, on saisissait de gros bestiaux, des bêtes à laine, etc...
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(15) La garde de cette barrière par des soldats ou par les habitants requis pour cela était facilitée par le voisinage du Verdon.
D'après un procès-verbal d'enchères d'un pont à une arche, au lieu dit la Goutette, ce pont fut construit en 1683.
Il n'existait donc pas encore en 1630.
(Archives départementales, série B, folio 82.)
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(16) Archives des Basses-Alpes, B, 22.
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(17) Durante, Histoire de Nice, t. II, p.449.
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(18) Archives des Basses-Alpes, B, 25, fol. 867.
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(19) Archives des Basses-Alpes, B, 20, fol.679.
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(20) Archives des Basses-Alpes, série B, fol. 211.
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(21) Dictionnaire des Sciences ecclésiastiques.
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(22)Archives de l'évêché de Senez, actes épiscopaux de Jean Soanen.
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Choix de Lecture


CHAPITRE VII.

1.Le duc de Savoie épouse une nièce de Louis XIV.

2. Fondation dite Pré-de-Dieu.

3. Erection des paroisses de la Beaumelle et de Bouchiers.

4. Chapelle de Saint-Antoine de Padoue à Chauvet et dans l'église paroissiale d'Allos.

5. Catinat s'empare de la Savoie et de Nice; les Autro-Sardes prennent Embrun et brûlent Gap..

6. Les Français envahissent la vallée de Barcelonnette; le marquis de Parelles la reprend.

7. Siège de Colmars; Villars-Colmars, Beauvezer et Allos, livrés aux flammes.

8.Combats à Barcelonnette; contributions de guerres à Allos.

9.Démolition du clocher d'Allos.

10. Les dragons de Berwik campent à Allos.

11.Magasins de foin à Allos et à la Foux; fin de la domination de la Savoie sur nous.

(1675-1713.)

1.- Nous touchons au dernier quart de siècle de la domination des princes de Savoie sur nos contrées.
Le jeune duc Victor-Amédée II, qui venait de prendre possession de son trône, et Louis XIV, dont il épousa la nièce, Anne d'Orléans, ne descendront dans la tombe qu'après le retour des habitants de Barcelonnette et d'Allos à la France.

Mais avant de parler des événements qui, pendant le règne de ces souverains, attirèrent sur nos pères de douloureuses épreuves et les détachèrent définitivement de la Savoie, je reviens sur quelques faits qui n'ont pas encore trouvé leur place dans mon récit et qui donnent une idée exacte des mœurs, de la foi et même du langage de cette époque.

2.- Au-dessus du masage (hameau) de la Foux, terroir d'Allos, se trouve une montagne, ou quartier d'herbage, appelé l'Adrech de Juvellet et Serre-Guimbert, et un pré appelé Pré-de-Dieu....

De temps immémorial, les possesseurs d'icelle montagne ont annuellement fait faire, le jour de la feste Dieu, au retour de la procession...., une oraison générale, ou soit requiem pour les morts, et payé aux RR. curé et prestres qui assistent à cette prière leurs chandelles, aussi bien qu'au sonneur des cloches, porteur d'eau bénite, porteur de la croix, et depuis, payé aux sieurs baile et consuls, défenseurs et secrétaire de la communauté, le disner honeste. .

Or, il arriva qu'en 1660 les prêtres, de concert avec les administrateurs civils, prétendirent que le Pré-de-Dieu appartenait à la communauté et qu'ils pouvaient en employer le produit comme ils l'entendaient, par exemple le donner à l'église paroissiale.

Cette prétention fut cause d'un procès devant le Sénat de Nice, et ce procès était encore pendant, le 20 juillet 1670.. lorsque entre les RR. curé et chapelains de la paroissiale du lieu d'Allos, jointe la communauté dudit lieu, d'une part, et les sieurs Jacques Gariel, docteur médecin, Pierre et Jacques Gariel frères et Me Pol, d'autre part, fut convenue la transaction suivante :
.1° Que doive cesser ledit procès et soit non avenu;
2° Que lesdits oncle et neveux Gariel, comme possesseurs de la montagne de Juvel, leur père, et par conséquent du pré nommé Pré-de-Dieu..., et leurs successeurs continueront annuellement et perpétuellement à faire faire. ledit jour de la feste Dieu ladite oraison, sur le cimetière de ladite paroisse, au retour de la procession; et payeront pour icelle, au sieur curé et autres prêtres qui s'y trouveront, cinq soldis, monnaie ducale, pour chascun, cinq autres soldis au sonneur des cloches, un sol au porteur de la croix et demi-sol à celui qui porte l'eau bénite; et, outre ce, payeront aux sieurs baile et consuls, défenseurs et secrétaire, le disner honeste, selon la qualité du lieu..., dans la maison propre d'iceux Gariel frères,ou dans une des hostelleries.
Note (1)

L'acte fut fait et publié à Allos, devant la chapelle du Jésus, en présence des sieurs Laurent Fortoul, de Jausiers, Claude, notaire, et Jean-Baptiste Amelly, d'Allos .

Les auteurs de cette pieuse fondation l'établirent au chef-Iieu de la communauté, soit parce qu'ils y étaient domiciliés, soit parce que Allos était l'église matrice.
C'est ce qui explique pourquoi il n'est pas question de la paroisse de la Foux, qui cependant avait été érigée avant cette époque.

3. -L'érection des paroisses de la Beaumelle et de Bouchiers eut lieu trois ans après la conclusion du procès du Pré-de-Dieu.

Les habitants des quartiers .de la Baume, de la Beaumelle, de 1'Hubac ,
Note (2) de Valboyère et du Collet avaient dejà fait présenter à ce sujet une requête à l'évêque de Senez, lorsque, le 24 octobre 1672, ils se réunirent au hameau du Collet de la Siacrète (?), à l'aire d'Henri Motet, par-devant Me Pierre de Blieux, notaire ducal, constituèrent leurs procureurs :
Marc-Antoine, avocat, Sébasien Millou, Antoine Pelat, etc., et les chargèrent de présenter une nouvelle requête à leur évêque, alors à Allos, en cours de visite pastorale.

Par une ordonnance du 6 octobre 1673, Mgr. Louis- Anne de Villeserin déclara églises paroissiales la nouvelle église construite au lieu de la Beaumelle et une autre au forestage de Bouchiers, ordonnant que tous les sacrements y seront administrés et que les morts seront inhumés aux cimetières, près lesdites églises.

Par respect pour l'église matrice et pour marquer la dépendance des nouvelles paroisses, le prélat statua que les habitants de la Beaumelle et de Bouchiers demanderaient, chaque année, au vicaire d'Allos la permission de faire la communion pascale dans leurs églises respectives et qu'ils assisteraient, le jour de la.Fête-Dieu, aux offices et à la procession du Saint Sacrement, à Allos.

En vertu de ce principe, ils étaient aussi obligés de faire de même le jour de l'Assomption, fête patronale d'Allos, et des vestiges de cet usage se sont conservés jusqu'à nos jours.

Il fut convenu, en outre, qu'on ne pourrait jamais rien demander aux décimateurs ,
Note (3) ni aux vicaires d'allos ; que l'entretien des curés, les ornements, la construction et les réparations de leurs églises seraient à la charge des nouveaux paroissiens.

On indemnisa même le vicaire perpétuel d'Allos, qui était alors Pierre Pascalis.
A cause du casuel qu'il perdait. les différents quartiers de la Beaumelle lui payèrent la somme . de deux cent cinquante livres. et Bouchiers cent cinquante, une fois payées, pour être par lui: employées à l'acquisition de fonds ou de cens annuels qui devaient demeurer perpétuellement unis au bénéfice de la vicairie d'allos. pour les revenus être: perçus par le vicaire et ses succeseurs.

4. -Pour grouper ici les oeuvres pies établies dans la vallée de la Beaumelle et de la Foux, avant la fin de ce siècle, ajoutons la fondation d'une chapelle de Saint-Antoine de Padoue dans un hameau de la Foux.

Antoine Pascalis, de Chauvet, considérant que les habitants de ce lieu ont à faire un trajet difficile et quelquefois impossible en hiver pour se rendre à l'église paroissiale, surtout lorsqu'ils sont malades ou infirmes, eut la pensée de faire bâtir une chapelle "audit forestage, au devant des maisons. où il sera trouvé à propos de la faire, de deux cannes de long et d'une canne et demie de large, sous le titre de saint Antoine de Padoa, de sainte Brigide (sic) ; et pour telle fondation donna deux sesterées de la terre appelée les Rousses ."
Il établit en même temps une fondation de douze messes par an, qui devaient être dites dans cette chapelle, tous les quinze jours, pendant les mois de mai, de juin, de juillet, d'août et de septembre, pour la rémission des péchés du fondateur.
Fait et publié au masage de Chauvet. dans la maison dudit Me Antoine Pascalis, en présence de messire Jean Martin, curé 'de la Foux, etc., le 7 janvier 1692.
Note (4)
Le notaire Honoré Pascalis prend le titre de notaire royal, parce que, pendant les guerres. dont nous allons parler, l'administration française avait encore repris possession de notre région.

Peu de temps après, l'église paroissiale d'Allos, Notre-Dame de Valvert, fut aussi dotée d'une fondation, sous le vocable de saint Antoine de Padoue,mais sans l'adjonction du nom de sainte Brigitte.

La dévotion à ce saint, si populaire aujourd'hui, n'était donc pas inconnue de nos ancêtres.

5. -Les Vaudois, dits Barbets, chassés du Piémont en 1686, voulurent y rentrer en 1690.

"Si le duc de Savoie ne fit pas naître ce projet, dit le comte de Saluces, il y a du moins apparence qu'il le favorisa : le retour de ces montagnards courageux, devenus les ennemis de la France, ne pouvait qu'être uitle à Victor-Amédée ."
Note (5)

Dès que Louis XIV eut appris que son neveu avait adhéré à la ligue d'Augsbourg, il lui déclara la guerre, le 20 juin 1690.

Le général de Catinat lui infligea une sanglante défaite à Staffarde, occupa toute la Savoie et s'empara de Nice, après un siège de deux jours.

En 1692, ce général étant rentré en France, le duc de Savoie et le prince Eugène, à la tête des Austro-Sardes, envahirent le Dauphiné et s'emparèrent d'Embrun et de Gap ,
Note (6) mais leur armée fut bientôt obligée de battre en retraite.

Catinat reprit l'offensive en 1693, et, le 4 octobre, il remporta, dans les plaines de la Marsaille, entre Turin et Pignerol, une victoire décisive.

On commença alors à préparer la paix.
Le duc de Savoie poursuivit les négociations jusqu'en 1696.
Malgré l'empereur d'Autriche et le roi d'Espagne ses alliés, un traité de paix entre la France et la Savoie fut signé à Turin, le 29 août, et ce traité fut confirmé à Riswich, en 1697.
Les sujets de Victor-Amédée purent enfin respirer, après six ans de guerres et de malheurs; mais hâtons-nous de dire quelles furent les épreuves des habitants du haut comté de Nice, pendant les campagnes de Catinat, en Piémont, en Savoie, etc.

6. -Le général de Larray, qui commandait un corps d'armmée dans le Dauphiné, voulut faire contribuer les communautés de Barcelonnette à l'entretien de l'armée française.
C'était leur offrir la puissante protection de Louis XIV, pendant la guerre qui commençait en 1690.
Les habitants de la vallée, au lieu de répondre à cette invitation, appelèrent à leur secours Victor-Amédée II, duc de Savoie, leur souverain, qui envoya un officier général, avec mission d'organiser la résistance à l'invasion française.
"Tout l'été se passa en alarmes.
Les Piémontais épuisèrent les ressources du pays à amasser des provisions et des munitions, à des travaux de fortifications ."
Note (7)

Cependant ce furent les Français, dit le comte de Saluces, " qui se mirent les premiers en mouvement et chassèrent les Savoyards de la vallée de Barcelonnette ".
Note (8)
Ils étaient commandés par les généraux de Larray et de Bachevilliers.
Leur séjour dans la vallée ne se prolongea pas au delà d'une semaine (du 17 au 24 novembre).
Les contributions de guerre qu'ils imposèrent aux habitants étaient fort lourdes, mais ils n'eurent pas le temps de les percevoir intégralement et ils emmenèrent des otages pour assurer le payement de celles de Barcelonnette, des Thuiles, etc.

Aussitôt après leur départ, le génaral de Parelles arriva à Barcelonnette par Larche, avec une armée de plus de cinq mille hommes, qui acheva de ruiner la ville et la vallée.

Le conseil des quatre quartiers de Barcelonnette (14 janvier 1691) fait un exposé navrant " de la misère et calamité dans laquelle se trouve ce pays, tant d'abord par l'entrée de l'armée française, saccage, payement de contributions et séjour d'icelle pendant sept jours, que par l'entrée et secours des troupes de Son Altesse Royale, le 24 novembre (1690), excédant cinq mille hommes; ce qui réduit les pauvres habitants aux abois, se trouvant destitués de tout ce qui est requis pour la vie humaine et pour la subsistance des bestiaux".
Le conseil énumère ensuite et règle les dépenses de la guerre :
trente-deux mille rups de foin, mille émines d'avoine, vingt cannes de bois, cent charges de blé et cent pistoles par quartier.
Enfin il nomme des députés chargés de demander au duc de Savoie le déplacement des troupes laissées pour la défense de la vallée, dont l'entretien coûte, outre le bois, six sols par soldat, chaque jour, payables par anticipation .
Note (9)

Après avoir rétabli l'autorité savoyarde dans toute la vallée, le général de Parelles envahit le territoire français, en s'emparant d'Ubaye et de Saint-Vincent.
Il voulait aussi s'emparer de Seyne, mais il craignit d'être enveloppé par les troupes françaises et il rentra à Barcelonnette, après avoir rançonné et brûlé plusieurs villages.

7. - De Parelles fit aussi une expédition dans la vallée du Verdon, pour surprendre Colmars, le premier pays de France dans cette vallée.
Mais le col de Bachasse, qu'il fallait franchir, était déjà couvert de neige, et on obligea les habitants des pays voisins à ouvrir le passage.
Le départ de cette colonne, composée en grande partie de religionnaires, c'est-à-dire de protestants ou de Vaudois, répandit la terreur jusqu'à Castellane et dans la véllée de l'Asse.
"Soudain le bruit se répand, dit le chanoine Cruvellier, que les Huguenots sont à Colmars.
Toute la population est dans l'alarme; on s'arme à la hâte; les sieurs de Moriez, de la Forest, etc., sont envoyé en éclaireurs à la frontière, et, bientôt après, sur l'ordre du comte de Grignan, gouverneur de Provence, on lève, dans le val de Barrême, une compagnie de quarante-huit hommes, avec un tambour et deux sergents, sous la conduite du capitaine de la Forest.
Ils partirent le 27 août 1690 .
Note (10)

"Il n'y avit pas de temps à perdre...; un corps de troupes débouchait par Allos et venait mettre le siège devant Colmars, qui oppose aux Piémontais une vigoureuse résistance.
En revanche, l'ennemei saccage le Villars-Colmars et Beauvezer.
En route,la petite troupe, grossie par les volontaires des autres communes, refoule vers Colmars les pillards étrangers, et, de son côté, la garnison de la place, avertie de l'approche des renforts, tombe à l'improviste sur les assiégeants, qui, se voyant pris entre deux feux, sont mis en déroute... et rejetés au delà de la frontière."

La frontière était alors le détroit entre Colmars et Allos, et c'est vraisemblablement en poursuivant les vaincus que les milices victorieuses, pour venger les villages incendiés, souillèrent leur victoire en brûlant et saccageant la communauté d'Allos .
Note (11)

Il n'est malheureusement pas possible de révoquer en doute la réalité de ce désastre immérité et que nos ancêtres eurent à subir à cause de leur nationalité ou parce que plusieurs d'entre eux avaient été entraînés par la violence avec la colonne du marquis de Parelles.

Ainsi finit, pour la vallée du Verdon, la campagne de 1690.
On répondait au pillage et à l'incendie par d'autres pillages et d'autres incendies.

8. - Les campagnes de 1691 à 1694, sans être pour notre pays aussi désastreuses que celles de 1690, furent pleines de troubles, de craintes et d'épreuves.
"Au commencement de 1691, le marquis de Vins, lieutenant-général des armées du roi de France, était à Seyne, à la tête d'un corps de quatre mille hommes.
Il fit sommer les communautés de la vallée de Barcelonnette de se soumettre et de se préparer à le recevoir.
Des députés furent, en conséquence, envoyés à Seyne, où ils s'entendirent avec les commissaires français ."
Note (12)

Nous lisons, dans le manuscrit de M. Gariel, d'Allos, que " les communautés obéirent à ces ordres avec beaucoup d'exactitude.
M. de Julien, qui y commandait les troupes ducales, se retira, avec tout son monde, à la barricade de Meyronnes, par ordre de la cour de Turin, sur l'appréhension qu'on avait que ses troupes ne fussent surprises et environnées.
Le 19 avril, le marquis de Vins entra dans la vallée et il campa le même soir à Barcelonnette, sans désordre, publiant partout qu'on n'avait rien à craindre et qu'on pouvait vivre en toute sorte de sûreté."

Il attaqua l'ennemi dans ses retranchements de Meyronnes, l'en délogea, non sans peine, et l'obligea à repasser la frontière.
Malheureusement, il fut inhumain à l'égard des populations de la vallée, après les avoir soumises à l'autorité française.
S'il faut en croire l'auteur dudit manuscrit d'Allos et d'autres historiens, il brûla Meyronnes, pendant que le général de Larray brûlait Saint-Paul.
.Il saccagea ensuite les Gleisoles, le Châtelard, Jausiers, Barcelonnette, Revel, Méolans et le Lauzet.
Les Français possédèrent nos pays jusqu'au mois de juillet 1692.

Quoique protégée par les montagnes contre les dévastations dont Barcelonnette était le théâtre, la vallée d'Allos ne put en être entièrement préservée.
Lorsque Catinat assiégea Coni, le duc de Savoie appela aux armes toutes ses milices et toutes les forces de ses vassaux .
Note (13)

Dès les premières campagnes de la guerre de 1690, Allos eut donc à fournir son contingent de troupes et à payer des subsides et des contributions de guerre tantôt à Victor-Amédée, tantôt à Louis XIV, suivant les vicissitudes de la vallée.
Ajoutons que nos pères étaient trop rapprochés de la vallée de l'Ubaye pour n'être pas victimes des maraudeurs qui accompagnaient les armées et pour n'avoir pas à souffrir du passage et du logement des troupes.
Nous savons , en effet, par l'Histoire de Barrême, que, le 21 mars 1691, le conseil de cette communauté se plaignait d'avoir trop souvent à loger des soldats par centaines et par milliers, qu'il n'y avait plus dans le pays ni vivres, ni crédit, et que, pour échapper aux charges écrasantes qui pesaient sur eux, les habitants s'expatriaient.
Nous allons voir bientôt que les habitants d'Allos imitèrent ceux de Barrême.

Le marquis de Parelles reprit Barcelonnette en 1692, mais il essaya en vain d'aller plus loin.
"Pendant que le gros de l'armée des alliés faisait la guerre en Dauphiné, dit le comte de Saluces, il tenta de pénétrer en Provence depuis Barcelonnette.Il fut repoussé à l'attaque d'Ubaye et il dut se faire transporter à Saluces, où il mourut de ses blessures."

La colonne qu'il commandait prit ses quartiers d'hiver dans la vallée.
Elle en fut chassée, en 1693, par l'armée française, qui l'occupa jusqu'au traité de paix de Ryswick.

La campagne de 1694 n'a rien de particulier pour notre histoire.
Mais voici une délibération de 1695 que je reproduis,parte in quâ , même avec ses incorrections, parce qu'elle est un exposé aussi touchant que fidèle de la situation de nos pères, pendant la guerre de 1690-1696 :

"L'an 1695 et le sèze jour du mois de feuvrier, dans la maison du sieur Jean Piny, notaire, et par-devant et par licence d'honnête Laurens Millou, baile et juge ordinaire en cette ville et communauté d'Allos, s'est assemblé les hommes et particuliers raillables du quartier du Seignus, membre et quarte part de cette communauté
Note (14).............

"Etant informés d'une lettre de Son Excellence Mgr. le maréchal de Catinat, qu'ils n'auraient plus à chercher de ressources et qu'il fallait se mettre en état de payer les six mille livres auxquelles cette communauté avait été réglée, à considération du quartier d'hiver des troupes, dans la vallée de Barcelonnette; informés d'ailleurs et voyant que le service du roy ne pouvait être que retardé, si les six mille cinq cents livres qui les concernent à payer doivent venir des impositions faites ou à faire; attendu la saison à laquelle nous sommes, étant impossible aux trésoriers de faire procéder aux exécutions contre les retardataires et faire transmarcher les bestiaux, au lieu du tribunal, pour les faire inquanter; outre qu'il y a une bonne partie des taillables hors du lieu pour gagner leur vie, et des autres qui y possèdent les meilleurs biens et habitent les uns à Nice, les autres en la ville de Barcelonne et sa vallée.
Il faudrait de trop grands frais pour les aller rechercher, outre la difficulté qu'ils font de payer et la précaution qu'ils ont que leurs deniers soient divertis comme il est arrivé, etc...,
délibèrent de payer les cinq cents escus qui les touchent par voie d'emprunt, après l'emploi des deniers que le sieur Honoré Pascal se trouvera avoir exigé et non payé, de la taille de vingt sols par once que lui ordonné par le seigneur préfet de Barcelonnette, de lever sur les habitants audit quartier."

Les trois autres quartiers d'Allos délibérèrent également, pendant l'année 1695, sur les moyens à prendre pour assurer le payement des contributions de guerre exigées par le maréchal de Catinat.

La délibération du conseil de la Foux est semblable, dans la première partie, à celle du Seignus, mais elle se transforme ensuite en requête suppliante et habile et elle contient des détails dont l'importance, pour notre histoire, n'échappera pas à mes lecteurs.
Après avoir choisi comme député Joseph Bourillon et Pierre Gariel, avec mission de se transporter à Barcelonnette et d'y emprunter de qui ils pourront , les habitants de la Foux, présents au conseil, les chargent " de représenter à nos seigneurs les commandants pour Sa Majesté, en la vallée de Barcelonne, que de tout temps immémorial cette communauté d'Allos a eu quatre quartiers, savoir la Ville, le Villar, le Seignus et la Foux, qui est le plus pauvre des quatre, pour être situé sur la montagne, et subjet à la gelée, et a souffert, des quatre parts les trois, du logement des dragons de M. de Valanée; que les quartiers ont leur cadastre séparé, qu'ils font la création d'un consul séparément...,
suppliant très humblement de les laisser, dans leurs anciennes coutumes
leur consul (étant) aussi bien que les autres, trésorier nay (né), etc."

La Ville, le Villard et Bouchiers votèrent une taille de vingt sous, au lieu de recourir à un emprunt.
La base de cette taille était, on le sait, la contenance et la valeur des propriétés de chaque habitant; c'est ce que l'on appelait impôt par once de registre , c'est à dire taille cadastrale.

L'année suivante amena des charges plus lourdes encore.

La communauté contracta une obligation de deux mille livres pour délivrer divers habitants d'Allos, " retenus otages et prisonniers au camp de Sainte-Brigide et à la prison de Coni, d'où ils ne furent élargis qu'en payant la susdite somme, à laquelle la communauté avait été taxée, pour raison des hommes qu'elle devait fournir à la milice de toute la vallée".
Le camp ou plutôt le fort de Sainte-Brigide était dans les environs de Pignerol.
Il fut pris par les Français, puis repris par l'armée du duc de Savoie et enfin entièrement détruit.
Note (15)

Le 6 novembre 1695, les consuls reçurent l'ordre de pourvoir au logement des troupes de MM. de Julien et de Berri, qui venaient prendre leurs quartiers d'hiver à Allos.
Leur tâche était difficile, car un nombre considérable d'habitants étaient absents et d'autres étaient dépourvus des ressources nécessaires pour loger les soldats et fournir le foin des chevaux.

Le conseil communal, voyant que la plupart des familles étaient surchargées et que la situation devenait intolérable, se réunit sur la palce voisine du portail de France, appelée, jusqu'à nos jours, lou Pourtaou, et imposa une taille de douze sous par once, destinée à couvrir
" tous les frais soufferts par les habitants, s'élevant à onze mille deux cents livres, soit pour les quartiers d'hiver des troupes de M. de Julien et de M. de Berri, soit pour le port des fusils et des soliers et les frais des ustensiles ".
Note (16)

Le 24 juin suivant, cete taille fut élevée à trois livres six sols et elle fut ensuite soumise au conseil des quartiers.

Les conseils des quartiers de la Ville, de Bouchiers-Villard, du Seignus et de la Foux n'acceptèrent, pour leurs sections respectives, ni l'une ni l'autre de ces tailles :
la première leur parut insuffisante; celle du 24 juin, excessive, et ils votèrent une imposition de quarante sous par once.

La campagne de 1696 fut la dernière de la guerre de 1690, mais elle ne fut pas la fin des embarras financiers de nos pays.
Même après le traité de Turin (octobre 1696) et de celui de Rysvick (1697), qui replacèrent Barcelonnette et Allos sous la domination de la Savoie, il fallut établir de nouveaux impôts, pour éteindre les dettes contractées pendant la guerre.
Allos, Bouchiers-Villard, le Seignus et la Foux établirent une taille de trente-quatre sous par once.

9. - Ajoutons, enfin, qu'un des effets, les plus regrettables pour nous, de la guerre de 1690-1696 fut la destruction du clocher de Notre-Dame de Valvert.

"Ce clocher d'une belle et ancienne structure, qu'on a cru de Charlemagne, comme celui de Digne, fut démoli par un ordre trop précipité, dans la dernière guerre, qui finit en 1696, et sa chute ruina la voûte."

Soanen, évêque de Senez, auquel j'emprunte cette citation ,
Note (17) ajoute que "la voûte du sanctuaire de Notre-Dame de Valvert a été plusieurs fois démolie par les guerres, comme il paraît dans la visite de 1602".

Ce n'était donc pas la première fois que l'église paroissiale d'Allos avait à souffrir des guerres de cette époque.

Il est fâcheux que le procès-verbal de la visite de 1602 n'existe plus dans les archives de Senez.
Il nous dirait peut-être si la voût du sanctuaire de Notre-Dame de Valvert a été détruite par le marquis d'Uxelles, par les troupes du général de Parelles ou par d'autres.
Nous savons, d'ailleurs, par des documents historiques de 1630 et de 1640, que notre église paroissiale était alors occupée par des munitions de guerre et par des soldats et que leur chef était commandant dans l'église d'Allos.

Malgré les prescriptions du zélé prélat, disant que s'il n'y était remédié la chute du clocher gâterait tout, la communauté n'osa pas entreprendre la réparation des dégats, soit parce qu'elle n'en avait pas les moyens, soit à cause de la multiplicité des affaires qu'elle avait à traiter, dans ces temps troublés.

Il y avait, en effet, toujours des troubles.
Une nouvelle et longue guerre désolait alors l'Italie et les Alpes et mettait nos pères dans l'impossibilité de réparer les désastres de celle de 1690-1696.

Charles II, roi d'Espagne, qui mourut le 1er novembre 1700, n'ayant point d'héritiers, avait légué ses Etats au duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV.
Ce prince fut proclamé roi à Madrid, à Naples, à Milan, etc.
L'empereur d'Allemagne protesta immédiatement, déclara qu'il revendiquerait par les armes la couronne de Charles II et forma une nouvelle coalition contre Louis XIV.
Ce fut le commencement de la guerre de la succession d'Espagne, qui dura treize ans (1701-1713).
Victor-Amédée combattit d'abord avec les Français, pendant les campagnes de 1701 et de 1702; mais, en 1703, il se déclara pour leurs ennemis.

10. - En 1705, le duc de Berwik s'empara de tout le comté de Nice et rasa les fortifications du château de cette ville.
Voici comment, d'après ses mémoires ,
Note (18) il organisa ensuite la défense des Alpes :
"Je me fis, dit-il,l'idée d'une ligne dont le centre avançait, et la droite et la gauche étaient en arrière, en sorte que je faisais toujours la corde et que les ennemis nécessairement faisaient l'arc.
Je pris Briançon pour le point fixe de ce centre du gros de mes troupes, d'où je devais les faire filer sur la droite ou sur la gauche.
Ma ligne droite passait par la vallée de Barcelonnette et tombait, par le col de la Caillole, dans la vallée d'Entraunes.
Pour assurer mes communications de ce côté, je fis faire un camp retranché à Tournoux.

J'arrivai à Briançon le 27 juin 1710...Je donnai à M. d'Artagnan, lieutenant-général, six bataillons et deux régiments de dragons, pour la défense du Var; je mis à Seyne deux régiments de dragons; dans le camp de Tournoux, en Barcelonnette,, dix batailons...
Je fis venir en Provence, à Colmars, le sieur d'Artagnan avec trois bataillons et deux régiments de dragons, afin de tenir en communication libre, de ce côté-là, le camp de Tournoux."

Par cet envoi de troupes dans la vallée du Verdon, le maréchal de Berwik modifiait, par une amélioration notable, sa ligne de défense à droite, car il était plus uitle et plus facile de relier Tournoux au Var, par Allos et Colmars, que par la Caillole et Entraunes.
On peut même dire qu'une nouvelle ligne de défense était en quelque sorte substituée à la première et qu'il y a lieu également de substituer ici le nom d'Allos à celui de Colmars.
C'est ce qui résulte des délibérations de la communauté d'Allos, en 1710 et en 1711 :
" Des troupes, composées tant de dragons que d'infanterie, passant en cette ville (et y) ayant séjourné, leur a fallu fournir du foin et paille, ayant les consuls fait faucher beaucoup de près...,
lesquelles ont causé beaucoup d'autres désordres aux blés et marsailles, spécialement d'iceux qui sont auprès du campement
Note (19)..."
De plus, obtenu de M. d'Artagnan ordre aux communautés d'Entraunes et Saint-Martin de payer, à proportion des frais des troupes qui ont passé, séjourné et campé ici.
Comment M. d'Artagnan aurait-il pu faire rembourser ces frais à Allos, si ces troupes n'y avaient pas été envoyées ?

Le procès-verbal de la délibération de 18 janvier 1711 nous donne des détails empreints de tant de droiture et de bonne foi qu'ils ne pourraient permettre le plus léger soupçon à ce sujet.
Le marquis Leguerchois appela auprès de lui deux consuls d'Allos, "avec pouvoir de transiger, par-devant ledit seigneur, et recevoir sa justice pour les mille cent livres environ que cette communauté est à recevoir de celles d'Entraunes et Saint-Martin, pour reste de fournitures par celle-ci faites, par ordre, à son relèvement, de Mgr. le comte d'Artagnan.
Celle-ci a supporté tous les fardeaux de la guerre, tandis que celle-là n'a supporté aucun faix...
Et qu'ainsi il ne resta pas d'autre moyen à cette communauté d'Allos, pour satisfaire au payement de son fourrage demandé par le magazin de Barcelonne, que l'exaction de cette somme, tous les fourrages ayant été consommés, tandis que ces communautés-là ont sauvé jusqu'à la dernière plante et n'ont pas souffert la perte d'un chou."

11. - La question de la fourniture des fourrages avait alors une telle importance qu'on établit à Allos et à la Foux des magasins pouvant en contenir neuf cent cinquante quintaux.
La communauté fournissait aussi des bois, contribuait à l'entretien de l'hôpital de Barcelonnette, du fort de Larche, du Castellet, etc.
En 1710, elle fut chargée du transport de cent trente-huit plaches destinées aux fortifications de Larche.

Le marquis de Leguerchois, maréchal de camp, dont on rencontre si souvent le nom dans les ordres de contributions de guerre envoyés à la communauté d'Allos, était commandant ordinaire des troupes françaises dans la vallée de Barcelonnette, pendant que Berwik commandait en chef l'armée chargée de la défense des Alpes.

Le général italien de Thaun pénétra dans la vallée en 1710, s'empara du château de Larche, campa à Fouillouse, etc.; mais cette occupation ne fut pas de longue durée, et le maréchal de Berwik se contenta de surveiller cette colonne, pour l'empêcher de pénétrer dans la basse Provence, en suivant l'Ubaye, les rives du Verdon ou le Var.

Cependant la longueur de la guerre de la succession d'Espagne, le manque de récoltes, la famine, qui imposa de si dures privations, pendant et après l'année 1709, faisaient désirer la paix, et les chefs des peuples la préparaient dans leurs conseils.
Tandis qu'on discutait les articles du traité d'Utrecht, nos pères se demandaient avec anxiété s'ils continueraient d'être sujets du duc de Savoie ou s'ils redeviendraient Français.
Le maréchal de Berwik, qui avait protégé leurs foyers, en défendant les Alpes avec autant d'habileté que de vaillance, sut encore les défendre dans les négociations de la paix.
Grâce à son intervention, Barcelonnette et ses douze communautés allaient être rendues à la France.

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(1)Archives départementales des Basses-Àlpes, B, 34, 335-337.
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(2) L'Hubac ne serait-il pas le hameau de Primien ?
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(3) Les décimateurs étaient l'évêque de Senez et le curé d'Al!os. Le produit de la dîme, qui a été si injustement critiquée, leur permettait de contribuer à la réparation des édifices consacrés à Dieu, de fournir ce qui était nécessaire au culte divin et d'assurer aux prêtres un modeste traitement; ,lorsque les bénéfices dont ils étaient pourvus étaient insuffisants.
Comme les autres articles du budget ordinaire, la dime était votée par le conseil de la communauté, divisé en autant de sections que de quartiers : la Ville, le Villard et Bouchiers, le Seignus et Primin, la Foux et la Beaumelle.
On donnait dix agneaux au vicaire perpétuel d'Allos.
Voici d'ailleurs, à ce sujet, un extrait d'une délibération du conseil d'Allos, en date du 25 juin 1678, sur les dépenses de la communauté.
" Pour payement à faire à celui qui fait brusler la lampe (du Saint-Sacrement), au sonneur des cloches, pour le maintien de la fontaine, pour les agneaux au R. viquaire (sic), pour le R.P. prédicateur, pour l'horloge et réparation d'icelui, pour les stipendis au seigneur préfet et pour les soldats de justice, pour les donatifs à Son Altesse le duc de Savoie, pour le dixme à Mgr. de Senez, pour le maintien des chemins, pour la poudre, le jour de la feste Dieu, pour le maintien des ponts, etc...
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(4)Archives départementales, B, 38, fol.64, verso, in fine.
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(5)Histoire militaire du Piémont, t. V, p, 6.
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(6)"On sait, dit M. l'abbé Guillaume, archiviste des Hautes-Alpes, que le duc de Savoie, après avoir pénétré dans le Haut-Dauphiné par le col de Vars (26 juillet 1692), s'empara successivement de Guillestre ( 1er août), d'Embrun (16 août) et de Gap (19 aouût), qu'il incendia, ainsi qu'une infinité de bourgs et de villages, en se retirant, en septembre de la même année."
Histoire générale des Alpes-Maritimes, par Fournier, t.III, p. 102, note 4.
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(7) Annales des Basses-Alpes, t. II, p. 90.
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(8) Histoire militaire du Piémont, t. V, p. 67.
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(9)Archives départementales, B, 216, fol. 432.
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(10) Le marquis de Parelles arriva à Barcelonnette le 24 novembre 1690.
La délibération des quatre quartiers de Barcelonnette ne permet pas le moindre doute sur cette date.
On ne peut donc pas dire, avec l'auteur de l'Histoire de Barrême, auquel je vais emprunter une citation importante, que le départ des volontaires et le siège de Colmars ont eu lieu au mois d'août.
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(11) Ainsi s'exprime M. Jullien, ancien inspecteur des monuments des Basses-Alpes, résumant un manuscrit que lui avait confié M. Gariel, d'Allos, ancien conseiller à la cour de Grenoble.
M. Jullien l'appelle avec raison " un magistrat aussi recommandable par son profond savoir que par la loyauté de son caractère".
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(12) M. Julien, inspecteur des monuments dans les Basses-Alpes.
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(13)Histoire militaire du Piémont, t. V, p. 42.
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(14) La vallée d'Allos était divisée en quatre parties, savoir:
la Ville (quartier de), au midi; Bouchiers et le Villard, au levant; le Seignus et Primin, au couchant, et la Foux et la Beaumelle, au nord.
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(15)Histoire militaire du Piémont, t. V, p. 73.
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(16)Archives des Basses-Alpes, B, 39, fol.3.
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(17) Visite pastorale à Allos, en 1712.
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(18)Mémoires du Maréchal de Berwik, t. II, p. 66.
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(19) Ces troupes campèrent au Plan d'Allos, dans les terres du sieur Pascalis, consul. (Délibération du 31 août 1710.)
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