Je chante le plus grand des combats héroïques,
Les merveilleux exploits et les luttes épiques
Où les vrais champions du Droit et de l'Honneur
Ont vaincu le Barbare et dompté sa fureur.
Lutte immense où, pareils à des vagues hurlantes,
Les peuples acharnés, en des joutes ardentes,
Sur terre, dans les airs, dans l'abîme des flots,
A torrents ont versé du sang et des sanglots.
Homériques tournois dont l'immortelle gloire
Fait pâlir les clartés dont s'honore l'Histoire;
Ni preux, ni chevaliers, ni hier nos vieux grognards
N'ont jamais fait plus haut planer leurs étendards !
Vrai combat de Titans où les forces rivales
Ont usé tour à tour de bombes colossales,
De liquides ardents, de la flamme et du fer,
Et d'engins monstrueux que dut vomir l'enfer !
Rencontre sans égale et pleine d'épouvante,
Telle qu'avec horreur l'eût décrite le Dante;
Lutte à mort où l'espace et le temps confondus
Ont broyé sous leur poids et vainqueurs et vaincus !
Longtemps les noirs sillons creusés par la mitraille
Resteront empourprés du sang de la bataille,
Avant de voir germer, sous les pas des Français
Et de leurs alliés, les lauriers de la Paix !!!
Je Chante les héros qui, d'une âme sereine,
Sans reproche et sans peur sont tombés dans l'arène;
Ceux qui, bien loin là-bas, victimes du devoir,
A l'ombre du drapeau dorment sous le ciel noir.
Martyrs de la Patrie ! O vous dont la vaillance
A d'un sang généreux ressuscité la France,
Ouvert à ses espoirs les plus beaux horizons
Et gravé sur son front le plus pur des blasons !
Vous qui, toujours vibrants au sein de la tempête,
Au souffle des obus ne courbiez point la tête
Et marchiez sans faiblir sous l'outagan de feu !
O nobles fils des Francs ! O coeurs chéris de Dieu !
Vous avez, en luttant, en mourant pleins de gloire,
Fait rayonner partout l'immortelle victoire !
Les champs de vos exploits sont des terrains féconds
Où germent les lauriers qui vont fleurir vos fronts;
Et le Monde, admirant vos visages si graves,
A déjà salué la médaille des braves
Qui, sur votre poitrine, et tel un soleil d'or,
Sans tache resplendit d'un magique décor.
Ah! que vous êtes beaux, petits soldats de France !
Combien nous vénérons votre noble vaillance !
Car, si la France vit, si ses foyers sont doux,
Si l'épouse, aujourd'hui, peut recevoir son époux;
Si le fils, au retour, put embrasser sa mère;
Si la soeur, toute émue, a retrouvé son frère;
Si le toit paternel est encore debout;
Si les champs des aïeux sont fertiles partout,
C'est à vous qu'on le doit, à vous dont l'oeuvre austère
A su d'un sang vermeil féconder cette terre,
A vous qui revenez glorieux et vainqueurs,
En semant de la joie et du baume en nos coeurs !
Je chante les sanglots, les douleurs, les alarmes
Qui partout ont jailli sous le fracas des armes;
Les pleurs des fiancés et des mères en deuil
Qui n'ont point vu leur fils dormir dans un cercueil,
Et qui, le coeur brisé par un tel sacrifice,
Ont bu jusqu'à la lie aux flots du noir calice,
Pendant que leurs époux, leurs enfants, leurs yeux clos,
Au loin agonisaient dans les champs de repos,
Etendus, tous sanglants, fauchés par la mitraille,
Dans la tranchée en feu que broyait la bataille !
Non, non, ne pleurez plus ! Assez de vos soupirs !
Car vos enfants chéris sont tombés en martyrs.
Levez-vous ! haut les coeurs ! ô mères admirables !
Ne restez plus ainsi, tristes, inconsolables ;
Vos regards éperdus tournés vers l'avenir,
Vaillantes vous vivrez dans votre souvenir !
Ces fils que vous aimiez resteront, à toute heure,
Les hôtes bienveillants de votre humble demeure;
Ils seront près de vous à l'aurore, le soir,
Lorsqu'auprès du foyer vous viendrez vous asseoir.
A la vive clarté que projette la flamme,
L'aïeul vous ouvrira les secrets de son âme !
Il vous répétera, sans se lasser jamais,
Les récits merveilleux de nos héros français;
Il vous dira le but de leur oeuvre guerrière :
En chassant l'ennemi là-bas sur la frontière,
Les preux de la Revanche, en un geste éclatant,
Au prix du sang versé voulaient, en combattant,
Que le toit paternel fût le paisible asile
Où l'on pourrait s'aimer ; où l'enfance fragile
Grandirait à l'abri de ses rêves d'azur;
Où des berceaux naîtrait le bonheur le plus pur,
Quand l'enfant offrirait ses baisers à sa mère ;
Où le bon laboureur, ignorant la misère,
Pût sans crainte, en rentrant, le coeur vibrant d'espoir,
Réunir sa famille aux agapes du soir.
Et l'aïeul qui vécut la terrible tourmente
Dira combien pour tous fut cruelle l'attente !
" Maintenant, mes enfants, en paix je puis mourir,
" Ma journée est finie et je vais vous bénir !
*  * *
"Laissez dans vos coeurs purs rayonner l'allégresse :
"Si Dieu prit en pitié votre tendre jeunesse,
" Vos pères, vos aînés tombés au champ d'honneur
" Ont, en mourant pour vous, scellé votre bonheur !
" Et vous, mères en deuil, aux longs voiles funèbres,
" Ne laissez point vos coeurs se remplir de ténèbres ;
" Car, vous avez comme eux, en un geste vaillant,
" Par vos nobles vertus repoussé l'assaillant ;
" Et, malgré sa fureur, ses rapines, ses crimes,
" Malgré le sang versé par de saintes victimes,
" Sous les coups répétés du plus mortel affront,
" Vous avez tout souffert, mais sans courber le front !
" La victoire est venue apaiser vos alarmes ;
" Vos fils, du haut du ciel, étancheront vos larmes ;
" Sachant qu'ils sont tombés victimes du devoir,
" Sans perdre leur amour vous pourrez les revoir :
" Ils seront près de vous, lorsque dans la chaumière,
" Aux pieds du crucifix vous direz la prière ;
" Et comme fit jadis la Mère des douleurs,
" En regardant le Christ vous sécherez vos pleurs !
" Comme Elle vous avez gravi le Golgotha,
" Mais c'était le devoir, il vous réconfortera !
" Vous saurez sur l'autel de la Patrie en flamme
" Offrir en holocauste une part de votre âme,
" Et, stoïques toujours, refouler dans vos coeurs
" Vos doux rêves brisés, vos tragiques rancoeurs !
" En invoquant Celui qui, pour sauver la Terre,
" Versa son sang divin sur la Croix du Calvaire,
" Vous n'hésiterez pas, car vos fils, à leur tour,
" Pour sauver leur Pays ont eu le même amour !"
Voilà ce que l'aîeul, assis auprès de l'âtre,
En réchauffant ses doigts à la flamme bleuâtre,
Redira tous les soirs à ses petits enfants
Perchés, tout radieux, sur ses genoux tremblants.
Nos valeureux Croisés, dans un effort suprême,
En sauvant la Patrie ont écrit un poème
Dont l'éclat fulgurant, vengeant tous nos revers,
Sous tous les horizons éclaire l'Univers,
O combats surhumains ! ô splendide victoire
Qui n'a point sa pareille aux fastes de l'Histoire !
O chevaliers du Droit et de la Liberté !
Héros dignes d'entrer dans l'immortalité !
En luttant, comme Jeanne à l'assaut des Tourelles,
Que firent nos vainqueurs ? Ils ont donné des ailes
Aux peuples opprimés ; ils ont dompté les flots ;
Ils ont brisé les fers, au fond de leurs cachots,
A ceux qui, sans amis, sur la terre étrangère,
Soufraient d'ennui, de faim, en appelant leur mère
Qui, bien seule au foyer, le coeur triste et front bas,
Priait pour eux, le soir, en leur tendant les bras !
Tels les preux de Roland aux défilés d'Espagne,
Combattants de la plaine, enfants de la montagne,
Ont osé, jusqu'au bout, accomplir leur devoir.
Sans peur devant la force et méprisant le nombre,
Ils allaient droit au but. Bien souvent, malgré l'ombre
Que fait planer la Mort sous un trop lourd pressoir,
Ils furent, ces héros, ces vainqueurs de Guillaume,
Des géants à Verdun, des lions dans la Somme,
Des colosses au front, des aigles dans les airs !
Aux engins meurtriers et cruels des barbares
Ils surent opposer les vertus les plus rares,
Défendre nos drapeaux sur terre et sur les mers.
Au fond des noirs boyaux, sous la pluie et la neige,
Invoquant le Seigneur qui bénit et protège,
Ils rêvaient maintes fois du foyer paternel :
Alors, des blonds enfants se présentait l'image,
Leur souvenir ému réveillait leur courage ;
Souffrir, mourir pour eux c'était si naturel !
Tels étaient ces soldats sous la faux gigantesque
Que plongeait dans leurs rangs le barbare tudesque ;
Mais, malgré la fureur et les coups du Titan,
Malgré les durs assauts de la horde géante,
Qui croyait vaincre alors en semant l'épouvante,
Nos preux ont résisté comme un chêne à l'autan !
Et le ciel a daigné couronner tant de gloire
En offrant au pays des lauriers de victoire :
Nos fils, d'un coup d'épée et d'un trait de burin,
Ont à jamais gravé la frontière du Rhin;
La France a reconquis son antique domaine,
Ses deux jumelles soeurs : l'Alsace et La Lorraine !
Ils ont fait plus encor : dignes de leurs aînés,
Ils ont brisé les fers des peuples opprimés ;
A la Pologne en pleurs sur sa terre sanglante,
A la Serbie en deuil et presque agonisante,
A la noble Belgique arrachée aux Germains
Ils ont ouvert le seuil de vastes lendemains,
Et pour couronner l'oeuvre, en un geste sublime,
Nos modernes Croisés sont entrés dans Solime Note(1).
Où, vengeant les revers des antiques tournois,
Ils ont, sur le Croissant, fait rayonner la Croix !
" O Muse, à mes accents daigne accorder ta lyre,
" Evoquant tour à tour les pleurs et le sourire !
" Que ces chants d'Epopée, en doux échos du ciel,
" Rendent à nos héros un hommage immortel !"
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