Lo darnier sirventès...

Paladin de la Provence féodale et dernier de nos seigneurs, Boniface de Castellane compose des sirventès dont trois sont parvenus jusqu'à nous.
D'un genre poétique et satirique particulier à la Provence, ces pièces ont été exhumées au début du XIX° siècle par
l'Histoire littéraire de la France (tome XIX. p.480 à 496.), ouvrage commencé par les Bénédictins de la Congrégation de Saint-Marc, continué par les membres de l'Institut (Académie royale des Inscriptions et Belles Lettres), édité à Paris par Firmin-Didot en 1838.
Amos Parducci a publié ces sirventès en 1920 dans une revue consacrée aux langues et littératures romanes Romania ( t.XLVI. p.478 à 511 ), avec étude historique de Boniface VI, traduction et commentaires en italien.
En 1951, Louis Jacob, archiviste-paléographe, les a publiés à son tour dans les Annales des Basses-Alpes d'après le manuscrit M.145 et C.381 de la Bibliothèque Nationale avec traduction et explication.
Nous présentons ici, le troisième que nous avons extrait d'un article intitulé
"Le troubadour Boniface VI de Castellane",
paru dans le numéro 1 de l'an 2000 de la revue verdon,
publication de "Pays et Gens du Verdon :
Deux autres sont visibles à cette adresse :
Sirventes de Boniface VI de Castellane

  • I. Si tot no m'es fort gaya la sazos,
    un sirventès ab digz cozens,
    en cuy diray contra tots recrezens.
    als Provensals paubres e cossiros
    que non lur laysson braya
    esti Frances, a l'avol gen savaya;
    ans lo tenon tant en menhs de nonre,
    e ges per tant non lur clamon mercé.
  • I. Puisque la saison n'est pas très gaie,
    je ferai un sirventès avec des paroles cuisantes,
    dans lequel je dirai contre tous ces gens vils
    aux Provençaux pauvres et affligés,
    qu'ils ne leur laissent même pas leurs pantalons
    ces Français, à ces gens misérables;
    ainsi ils les considèrent comme moins que le néant,
    et personne pourtant ne demande grâce.
  • II. Alqu's tolon de lur possessios,
    e ges so non es franc lur argens;
    e'ls tramet homs, cavaliers e sirvens,
    cum si eron trotiers o vils cussos,
    en la tor dreg Blaya.
    E non lur cal si-n son mort o n'an playa
    ab qu'el ayon de quasqun so que te
    Ara vejatz van a bona fe !
  • II. Ils privent certains de leurs possessions
    sans pour autant les laisser disposer de leur argent librement
    ils envoient soldats, chevaliers et servants,
    comme s'ils étaient de la piétaille ou des gueux
    dans la tour vers Blaya
    Et peu leur importe s'ils en meurent ou sont blessés,
    puisqu'ils ont pris à chacun ce qu'il possédait
    Voyez maintenant comme ils ont l'air de bonne foi !
  • III. De trahidors,de fals e de glotos
    si son partitz de mi ab lur fals gens
    E non o planc, qu'ieu non valray ja mens,
    et atendray, qu'enquer ay fortz maizos
    et ay ma gent veraya.
    El trahidor van sen, Dieus los dechaya !
    E no men cal si grans poder l'en ve :
    aital faran al Comte quon a me.
  • III. Des traîtres, des fourbes et des misérables
    m'ont abandonné ainsi que leurs serviteurs
    Je ne m'en plains pas car je ne vaudrais pas moins
    et j'attendrai car j'ai encore de nombreuses maisons
    et j'ai mes gens sûrs.
    Et les traîtres s'en vont, Dieu les ruine !
    Et peu m'importe s'ils en acquièrent un grand pouvoir :
    ils feront au Comte ce qu'ils m'ont fait.
  • IV. L'evangelis ditz aquestas razos
    que qui auci murir deu eyssamens.
    E sil Coms es d'avol balay sofrens,
    alcunas vetz trobaran ocayzos !
    E conquis plus gent Blaya
    lo pros Carles, que no y ac pres de playa
    de Balba, Res e Blieu, que si mante,
    et Arles non conquis trop miels, so cre.
  • IV. L'évangile enseigne cette maxime
    celui qui tue doit périr de la même manière.
    Et si le Comte est d'humeur remuante
    bientôt il trouvera une occasion !
    Il conquit plus aisément Blaya
    le preux Charles, où il n'a reçu de coups
    que Balba, Riez et Blieux qui résistent,
    et Arles qu'il ne conquit pas, je crois.
  • V. S'ieu m'encontre un jorn ab sos bailos,
    quem guerreyo,yeu los faray dolens :
    tant y ferray que mos brans n'er sanglens
    e ma lansa n'er un pauc tronchos
    a qui per els s'esmaya
    ni, a son tort, ad els fugir s'asaya,
    s'ieu no l'aussisc, jamai jassa be
    ab ma dompna, qu'am mais que nulha re.
  • V. Si je rencontre un jour ses intendants,
    qui me font la guerre, je les châtierai :
    je les frapperai si fort que mon épée sera sanglante
    et ma lance émoussée
    Et celui qui leur cède
    ou, sans raison, se risque à fuir devant eux,
    si je ne le tue pas, que jamais plus je ne couche
    avec ma dame, que j'aime plus que tout.
  • VI. Lo dous dezirs m'apaya
    qu'ieu ai de lieys, e ja Dieu cor no m'aya,
    Mauri, s'ieu may non l'am que nulha re.
    E ai en dreg, qu'ilh fa aital de me.
  • VI. Le doux désir que j'ai d'elle m'apaise,
    et que Dieu n'ait pas de compassion pour moi
    Mauri, si je ne l'aime pas plus que tout autre chose.
    Et je suis sûr, qu'elle éprouve la même chose pour moi.
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