Choix de Lecture

TROISIÈME PARTIE.
Depuis l'annexion à la Savoie, en 1388,
jusqu'au traité d'Utrecht, en 1713.

CHAPITRE I.

1.Nice appelle à son secours le comte de Savoie.

2. Convention préliminaire entre ce prince et les députés de Nice.

3.Charte de donation signée à Nice.

4. Les députés de Barcelonnette et d'Allos se rendent dans cette ville.

5.Le comte de Savoie à Barcelonnette.

6. Fâcheux résultats de notre séparation de la Provence.

7.Raymond de Turenne ravage la vallée du Verdon.

8. Trêves de 1389 et de 1400.

9. Amédée VIII et la reine Yolande.

10.Terre-Neuve.

11. Les premiers princes de Savoie qui régnèrent sur nous.

(1388-1472.)

1 - Au printemps de 1388, le sénéchal de Provence,George de Marle, passa le Var à la tête des troupes de Louis Il, comte de Provence, et vint assiéger Nice. Les habitants de cette ville, n'ayant pas dans leurs murs les moyens de défense dont ils avaient besoin, envoyèrent aussitôt trois députés au roi de Naples, leur souverain.

Ladislas et Marguerite, sa mère et sa régente, étant alors dans l'impossibilité d'envoyer la force armée réclamée par les Niçois, les autorisèrent a choisir pour leur défenseur le prince qui aurait leur confiance, pourvu qu'il ne fût pas de la maison d'Anjou.

La ville de Nice envoya trois députés à Amédée VII, comte de Savoie, et, comme il n'y avait pas de temps à perdre, elle les chargea de traiter avec lui.

2. - Les préliminaires du traité ou plutôt de l'acte de donation, signés à Chambéry, le 6 du mois d'août 1388, contenaient les articles suivants :

A. - Le comte Amédée s'engageait a réunir immédiatement un corps d'armée pour aller délivrer Nice et à marcher en personne contre les ennemis de cette ville.

B. - Il prenait sous sa protection les quatre vigueries de Nice, de Sospel, de Puget-Théniers et de Barcelonnette et promettait de défendre leur territoire.

C. - Les habitants de ces vigueries devaient, aussitôt après la levée du siège de Nice, reconnaitre Amédée VII pour leur souverain adoptif, lui faire hommage et serment de fidélité.

D. - Le roi Ladislas conservait ses droits souverains sur tout le comté pendant trois ans, à partir du jour de la convention, de sorte que si, à l'expiration de ce délai, il était en mesure de payer au comte de Savoie tous les frais de guerre, de défense et d'occupation, il serait aussitôt remis en possession de sa souveraineté.

Le comte de Savoie arriva devant Nice le 2 septembre; son avant-garde campa sur la colline de Cimiez, et il s'établit lui-même à l'abbaye de Saint-Pons. Le sénéchal de Provence, prévoyant que ses troupes allaient se trouver entre deux feux se retira, pendant la nuit suivante.

3. - On prépara ensuite de part et d'autre l'acte de donation, où il fut stipulé que les habitants des quatre vigueries nommées dans la convention préliminaire de Chambéry obéiraient au comte en bons et loyaux sujets et qu'ils conserveraient tous leurs privilèges, immunités et franchises, notamment la juridiction de leurs consuls au civil et au criminel, enfin toutes les concessions accordées par Charles II d'Anjou, par la reine Jeanne, etc.

Cette charte, rédigée par le secrétaire du comte et par celui de la ville, fut signée sous un ormeau, en face de l'abbaye de Saint-Pons, le 25 septembre 1388.

Amédée VII fit son entrée dans Nice le 6 octobre, et, après avoir reçu les clefs du châtean, il se rendit à la cathédrale, où l'on chanta de solennelles actions de grâce.

4.- Les députés de Barcelonnette et d'Allos, furent probablement témoins de la signature de la charte et de l'entrée de leur souverain dans la ville. Nous savons, en effet, que ceux de Barcelonnette partirent le 14 ou le 15 septembre, pour aller prêter serment de fidélité. Or, on ne voyageait pas rapidement alors, et, d'ailleurs, les envoyés de nos communes ont pu prolonger leur séjour à Nice pour assister à l'entrée triomphale du comte Amédée dans cette ville. Ajoutons que nos pays n'occupaient pas les dernières places dans le mouvement qui entraînait les populations du comté de Nice vers ce souverain.
Dès le 10 mai 1388, Barcelonnette et Allos avaient manifesté le désir d'être réunis à la Savoie.
Note(1)

5. "La politique savoisienne se montra digne de l'hommage dont elle était l'objet. Elle l'accepta sans scrupule, ne voyant là qu'une occasion nouvelle d'étendre les limites de ses petits Etats. Déjà, le comte Amédée VII s'était avancé sans obstacle jusqu'à Pontis, tâchant d'attirer à lui la ville de Seyne, qui s'était mise en mesure de repousser l'agression. Ayant reçu la proposition de s'entendre avec ses voisins de Barcelonnette et de faire avec eux une trêve, Seyne ne voulut y consentir que moyennant l'accession des bailliages de Sisteron, de Digne et de Castellane. Invitée à y entrer, la ville de Sisteron répondit qu'elle ne pouvait rien sans l'autorisation du sénéchal., auquel du reste elle allait en référer.
Note(2)
En attendant, elle envoya des émissaires sur les lieux prendre des informations, et il fut reconnu en effet que le comte de Savoie, à la tête de trois cents lances et plus, occupait la vallée de Barcelonnette . "
Note(3)

Ces intéressants détails, empruntés aux archives de Sisteron, nous prouvent non seulement l'empressement du comte Amédée à prendre possession des localités qui se donnaient à lui, mais l'ambition qu'il avait d'étendre ses possessions, même au delà du comté de Nice, s'il le pouvait. Il est regrettable que M. de Laplane, après avoir dit que ce prince était dans la vallée de l'Ubaye en 1388, ne précise pas davantage et ne nous apprenne pas s'il se dirigeait vers Nice ou s'il était de retour de cette ville.

Nous savons d'ailleurs. par des historiens niçois, qu'à son retour il remonta le Var jusqu'à Saint-Martin d'Entraunes mais ces historiens ne nous disent pas non plus si de là il entra ou non dans la vallée du Verdon, pour arriver à Barcelonnette.

6. - Quoi qu'il en soit, la donation du comté de Nice à la Savoie était un fait accompli le 28 septembre 1388.

Aux limites naturelles de la France et de l'Italie méridionales furent substituées des limites arbitraires, séparant des populations unies par les mêmes intérêts, les mêmes aspirations, préparant ainsi des malaises, des troubles et, par conséquent des guerres fréquentes et désastreuses.

Aussi, dès que le comte Amédée eut repassé les Alpes, les populations voisines des frontières improvisées entre la Provence et le comté de Nice comprirent les funestes effets de l'annexion de ce comté à la Savoie.

En effet, entre les habitants des deux rives du Var et, plus haut entre Allos et Colmars, comme entre le Lauzet et Seyne, les rapports étaient incessants et indispensables. Or, ces rapports devenaient difficiles et dans certains cas impossibles, à cause des réglementations et prohibitions fiscales ou autres imposées aux pays frontières.

De leur côté " les habitants de Barcelonnette, en se donnant à la Savoie étaient loin d'avoir prévu tous les inconvénients attachés à la nouvelle position qu'ils allaient se faire. Ils repoussaient la seconde maison d'Anjou ; ils ne voulaient pas qu'elle régnât sur eux ; mais ils ne voulaient, ni ne pouvaient rompre entièrement avec leur ancienne patrie, à laquelle ils étaient comme enchaînés par tous les besoins et les habitudes de la vie. Cependant leurs relations ne pouvaient plus être les mêmes; elles avaient nécessairement changé de nature.
A des rapports bienveillants, fondés sur la communauté d'intérêts, avaient succédé des dispositions ombrageuses et souvent hostiles; les convois qui partaient de Barcelonnette n'étaient plus assurés d'y revenir ; les habitants de Seyne les arrêtaient au passage ; ces convois avaient principalement pour objet le transport des vins de Provence ."
Note(4)
Les muletiers d'Allos, qui allaient chercher le vin dans le Var, se trouvaient en présence des mêmes difficultés, en passant à Colmars, à Saint-André , à Castellane, etc.

7. - L'insurrection du vicomte Raymond de Turenne, sénéchal de Stanislas de Duras, contre les princes d'Anjou et leurs partisans en Provence, ne peut pas être passée sous silence dans l'Histoire d'Allos, parce que ce terrible aventurier ravagea la vallée du Verdon et que les habitants d'Allos eurent sans doute à souffrir de sa présence à Colmars, en 1390.

"Furieux de se voir dépouillé par Louis II de plusieurs terres qu'il avait reçues de la reine Jeanne, il rassemble autour de lui, dit Honoré Bouche, les anciennes bandes de Charles de Duras, tous les meurtriers, voleurs, larrons, brigands, faux monnayeurs et autres gens de sac et de corde, qu'il réunit à ses troupes, et se met à faire des courses par toute la Provence."

Il fond tout à coup sur Castellane, détruit le pont du Verdon et, ne pouvant s'emparer de la ville, ravage tous les pays d'alentour.
Ensuite, dit Laurensy, l'orage se tourna tout entier du côté de Colmars....
Ces brigands prirent leur route du côté de Senez, et tous les lieux situés sur leur passage furent saccagés.
"Le village de Boades fut alors détruit de fond en comble et n'a plus reparu depuis.
Après avoir livré Senez au pillage, les bandits tombent sur Barrême, qui est rançonné à son tour; puis, remontant la vallée de l'Asse par Moriez, ils pénètrent dans celle du Verdon et vont assiéger le château de Vauclause.
Repoussés par Jacques de Villeneuve Vauclause, ils marchent sur Thorame et, de là, sur, Colmars, qu'ils réduisent en cendres.

" Cependant un édit royal avait déclaré Raymond de Turenne hors la loi et convoqué les Etats généraux à Aix pour le 15 août 1390. Les trois ordres y furent représentés, savoir le clergé, par les évêques de Digne, de Senez et autres; la noblesse, par Hélion de Villeneuve, seigneur de Trans, tant pour lui et ses terres que pour ses frères Géraud et Antoine, seigneurs de Flayosc, et de Barrême; et les communautés, par Antoine Roque, pour Castellane et les places comprises dans son bailliage.

" On y résolut :
1° une alliance offensive et défensive contre le vicomte de Turenne;
2° une levée de gens de guerre qui devait comprendre trois cents lances, divisées en dix détachements de trente cavaliers armés de toutes pièces et suivis chacun d'un écuyer et d'un valet d'armes; de plus, quatre mille arbalétriers, les uns à cheval, les autres à pied, et enfin trois cent cinquante fantassins, sans compter les contingents d'Arles, Tarascon et autres villes.

L'armée fut mise sous le commandement général de Charles prince de Tarente, frère du roi et gouverneur de Provence, et, en son absence, sous les ordres de Georges de Marle, son lieutenant et grand sénéchal.
3° Pour les subsides et les contributions de guerre, on décida que tout le monde y participerait, sans excepter ni laïques, ni ecclésiastiques, ni les cardinaux et le pape lui-même, pour les bénéfices qu'ils possédaient en Provence. Tous enfin, communautés et ordres religieux, barons, seigneurs et gentils-hommes furent taxés à trois pour cent de leurs rentes et revenus.

" Cela fait, les opérations commencèrent. Georges de Marle se mit en marche, pour aller au secours de Colmars; il fit détruire, par mesure de sûreté, le château de Vauclause et, apprenant que l'ennemi, chassé des environs de Colmars par Isnard de Glandèves, revenait sur Digne à travers les montagnes, lui-même rebroussa chemin. Turenne, après avoir dévasté les bailliages de Digne, de Sisteron et de Forcalquier, repassa le Rhône et se sauva en Languedoc."

Lorsque la ville de Castellane " voulût reconstruire le pont du Verdon, elle obtint de la reine régente Marie de Blois, des lettres patentes, en date du 29 février 1394, permettant de consacrer à cette entreprise tous les revenus du domaine royal à percevoir pendant deux années, tant à Castellane et son bailliage que dans tout le val de Barrême.

En outre, le pape d'Avignon, Benoît XIII, à la requête d'Isnard de Saint-Julien, évêque de Senez, accorda des indulgences à quiconque voudrait contribuer par ses aumônes à la reconstruction du pont. Les offrandes furent abondantes, et, en moins de cinq ans, l'ouvrage se trouva terminé, dans les conditions d'élégance et de solidité qu'il présente encore de nos jours." Note(5)

8.- Tant de maux obligèrent les comtes de Provence et de Savoie à s'entendre pour traiter de la paix, et le pape Clément VII se porta lui-même comme médiateur entre eux. Les envoyés des deux princes se réunirent à Nice, où ils signèrent, le 11 octobre 1389, une trêve de douze années.

Le comte Amédée s'engagea à ne pas étendre les limites de ses Etats au delà du Var et à ne pas aider Raymond de Turenne. Ce dernier engagement avait une grande importance pour le bien public, puisque le terrible aventurier était sénéchal de Ladislas , fils de Charles de Duras.

Malheureusement, la trêve de Nice n'engageait pas ce prince, dont les partisans, dès les premiers mois de l'année 1390, chargèrent Raymond de Turenne de soulever les sujets de Louis II en Provence, tandis qu'ils combattraient eux-mêmes son armée dans le royaume de Naples.

Le 12 juillet 1400, fut signée, à Paris, une nouvelle trêve de douze ans, qui n'était que le renouvellement de celle de 1389.

Voici dans quelles circonstances :
Pendant que les ambassadeurs de Louis II étaient en Espagne pour traiter de son mariage avec la princesse Yolande, ce prince alla à Paris, avec son frère Charles, pour soumettre à son cousin le roi de France certaines affaires, dont la plus importante, au jugement de l'historien Honoré Bouche, était le recouvrement des comtés de Nice et de la Savoie.

Il voulait même les recouvrer par les armes ; mais le royaume de Naples, qu'il fallait sans cesse reconquérir, et le mauvais état de ses autres affaires l'en empêchèrent. Il se contenta donc de conclure une deuxième trêve, en renouvelant l'ancienne pour une nouvelle période de douze ans, pendant laquelle les sujets des deux souverains de Provence et de Savoie pourront, selon leur volonté,

" aller, venir, passer, repasser, converser ensemble, séjourner, marchander, porter et faire porter des vivres ou provisions, tant par terre que par mer, et spécialement le sel des gabelles de Nice, mais pour leur usage seulement ".

Ces détails pratiques, empruntés au texte de la trêve, nous disent combien étaient devenues délicates et suspectes les relations journalières entre les pays limitrophes.

9. - Amédée VIII, dit le Pacifique, qui était alors notre souverain, n'avait que huit ans lorsqu'il succéda à son père, en 1391.
Sa mère, Bonne de Savoie, qui, en qualité de régente, prit les rênes du gouvernement, était capable de gouverner et elle fit beaucoup de bien à ses sujets.

En 1416, le jeune comte fit ériger la Savoie en duché par l'empereur Sigismond, à l'entrevue de Nice. Il reçut en même temps le titre de vicaire de l'empire, titre qui, comme celui de duc, rehaussait son autorité aux yeux de ses peuples.

Un acte non moins habile, mais qui lui fait moins d'honneur, fut celui que fit ce prince lorsqu'après la mort de Louis II (1417), il régla diplomatiquement l'annexion de Terre-Neuve par un traité avec Yolande, régente, pendant la minorité de son fils, Louis III.

Voici comment le grave historien de Sisteron, M, de Laplane, parle de ce traité :
"Depuis que la maison de Savoie s'était emparée du comté de Nice et de la vallée de Barcelonnette (1388), jamais la tranquillité n'avait été entièrement rétablie sur les nouvelles frontières.
C'est un fait dont nos registres conservent de nombreux témoignages, notamment aux années 1405 et 1409.
Ce n'était point la guerre, mais un mouvement, une agitation indéfinissables, devenus pour les pays voisins un continuel sujet d'alarmes....
Le comte, depuis peu devenu duc, ne manqua pas de saisir ce moment pour présenter à la régente un état d'avances considérables faites par son aïeul au service de la maison d'Anjou, pendant les guerres de Naples; demande légitime peut-être, mais évidemment destinée à surprendre la reine au milieu de trop d'embarras pour qu'il fût en son pouvoir d'y faire honneur. Aussi, ne pouvant échapper au présent, elle sacrifia l'avenir. Elle fit l'abandon définitif de tous les droits qu'elle, son fils et leurs descendants avaient sur les terres de Nice et de Barcelonnette. A ce prix, la maison de Savoie se tint pour satisfaite."

Par ce traité, qui fut signé le 5 octobre 1419, neuf ans après l'expiration de la trêve de 1400,

" la reine Yolande céda tous les droits qu'elle, son fils et leurs descendants avaient sur le comté de Nice et la vallée de Barcelonnette. Le duc, de son côté, lui fit cession de cent soixante mille francs ou de deux millions cinquante mille livres qui lui étaient dus pour les dépenses que son aïeul, Amédée VI, avait faites, lorsqu'il conduisit des troupes au secours de Louis Ier, dans le royaume de Naples. Note(6)

Telle fut en substance la cession régulière de nos contrées à la Savoie.
Jusque-là , les accords intervenus depuis l'année 1388, entre nos souverains respectifs, avaient un caractère essentiellement provisoire, et, dans la dernière trêve, il était même stipulé que, pendant l'intervalle convenu, on s'occuperait à vérifier les droits réciproques.

A partir de 1419, les ducs de Savoie ne manquèrent pas de répondre à toutes les demandes en revendication en invoquant, pour justifier de leur légitime possession, la cession diplomatique et définitive de la reine Yolande.

C'est ce qui a fait dire à Honoré Bouche que cette souveraine commit " un grand manquement en remettant la ville de Nice, Villefranche, la Turbie, Sainte-Agnès, Sospel, Lucéram, Saorge, Saint-Martin, Saint-Etienne et sa vallée, tout le comté de Barcelone (Barcelonnette) et sa vallée, Allos, Vinay, Jausiers et les autres places et châteaux de toute cette contrée qu'on nomme Terre-Neuve". Note(7)

10. - Les historiens de Provence donnèrent désormais ce nom à ladite contrée qui s'étend depuis Nice jusqu'à Barcelonnette, parce qu'elle était une possession, une terre nouvelle pour les Savoisiens.
Elle comprenait, comme on le voit d'après l'énumération de Bouche, une partie seulement de l'ancienne province des Alpes-Maritimes telle que l'empereur Auguste l'avait établie ,
Note(8) et le département actuel Note(9) de ce nom, plus Barcelonnette et Allos.

Le touriste qui fait l'ascension du mont Pelat, dans le canton d'Allos, peut, du haut de cette cime de 3053 mètres d'altitude, faire lui-même à grands traits la description topographique de Terre-Neuve.
Il a, au nord, la vallée de l'Ubaye, avec ses monts alpestres, dont l'un, l'aiguille de Chambeyron, n'a pas moins de 3400 mètres d'élévation; au levant, une forêt de cimes dénudées d'où émerge, vers le nord-est, le mont Viso, le géant des Alpes Cottiennes; au couchant, la vallée du Verdon, qui prend naissance aux plus bas contreforts de Siolane et reçoit ensuite par un de ses affluents, le Chadoulin, les eaux du lac d'Allos; au midi enfin, ce lac et le Var, qui, après un parcours de 135 kilomètres, a des orangers sur ses rives, avant de se jeter dans la mer, au sud-ouest de Nice.

Terre-Neuve a donc, malgré son peu d'étendue, toutes les latitudes, et les climats les plus différents s'échelonnent pour ainsi dire depuis les sources glacées de l'Ubaye, non loin desquelles vivent, à 1900 mètres d'altitude, les habitants de Maurin, jusqu'aux plages de la Méditerranée, dont l'une a mérité le nom de petite Afrique.

11. - Désormais, l'histoire de la Savoie n'est pas pour nous une histoire étrangère, et ses comtes et ducs, qui régnèrent sur nos ancêtres jusqu'en 1713, ont leur place dans le catalogue de nos anciens rois.
Les trois premiers sont Amédée VI, Amédée VII et Amédée VIII.

Déjà, nous avons dit comment l'annexion du comté de Nice à la Savoie se prépara, pendant le règne du premier de ces princes, fut accomplie par le deuxième et réglée diplomatiquement par le troisième.

Amédée VI, dit le Comte vert, parce qu'il parut dans un tournoi avec des armes vertes et sur un cheval carapaçonné de vert, mourut en 1383, après un règne de quarante ans.
Il fut, par conséquent. contemporain de la reine Jeanne et il combattit avec son fils adoptif pour venger sa mort.

Amédée VII, son fils, dit le Rouge, lui succéda à l'âge de vingt ans.
Il fit ses premières armes sous Charles VI, roi de France, et il épousa une princesse française, Bonne de Berry.
Il mourut en 1391 après un règne de huit ans.

Le fils d'Amédée VII prit le nom d'Amédée VIII. Bonne de Bourbon, sa grand'mère, fut déclarée régente, et son administration toute française ne contribua pas peu à rendre les princes de Savoie populaires en Terre-Neuve.

Amédée VIII fut un excellent prince et le premier duc de Savoie, mais sa vie offre d'étonnants contrastes.
Il gouverna d'abord ses Etats avec tant de sagesse et de prudence qu'il mérita le surnom de Salomon de son temps; mais, après la mort de la reine, il quitta le monde et voulut vivre dans la solitude, près de Thonon, dans la Haute-Savoie, où il institua l'ordre de chevalerie de Saint-Maurice.

Le 5 novembre 1439, il fut élu anti-pape par le concile schismatique de Bâle.

Comme il était sans culture théologique, il eut la faiblesse de se laisser conduire à Bâle, où il fut couronné, en 1440, et prit le nom de Félix V, malgré les protestations du pape légitime, Eugène IV, de Charles VII, roi de France, et de tous les véritables catholiques.

L'évêque de Nice suivit son ancien souverain et entraîna son diocèse dans le schisme.
Barcelonnette et Allos se trouvaient heureusement dans de meilleures conditions pour résister à ce dangereux entraînement, car l'archevêque d'Embrun et l'évêque de Senez, dont ils dépendaient, n'étaient pas sujets des ducs de Savoie.

Félix V était anti-pape depuis neuf ans, lorsque sur les instances du roi de France, il renonça à la dignité suprême qu'il n'aurait pas dû accepter, et le pape Nicolas V, qui avait succédé à Eugène IV, valida les actes de son pseudo-pontificat, pour la tranquillité des consciences.

Il mourut à Genève , en 1451.
La Savoie lui doit un bon code de lois.
Il eût été un prince accompli si, après avoir porté si dignement la couronne ducale, il avait su résister à l'ambition de porter la tiare.

Louis Ier, second fils d'Amédée VIII, gouvernait déjà les Etats Sardes, depuis 1434, lorsque son père mourut. Il s'allia avec le roi de France, Charles VII, par le mariage de sa fille Charlotte avec le Dauphin, qui fut ensuite Louis XI.

Sous ses auspices, un riche gentilhomme, Paganino Delpozzo, fit à ses frais une route muletière entre la Savoie et Terre-Neuve.

Du côté de l'Italie, cette route traversait la chaîne de montagnes qui aboutit à Vinay et dans la vallée de Coni; du côté de la Provence, elle était établie sur les rives de la Vésubie. Elle était entièrement pavée comme les anciennes voies romaines. La somme considérable employée à la construire devait être couverte par le produit des taxes imposées, avec l'autorisation du duc, aux voyageurs et aux marchandises. Les populations riveraines du Var témoignèrent leur reconnaissance à Paganino, et le duc le récompensa.

Mais les habitants de la partie montagneuse de Terre-Neuve n'avaient pas de moindres obstacles à surmonter lorsque des affaires sérieuses les appelaient au delà des monts, et ils demandèrent à ne pas être compris dans le ressort de la cour de Chambéry.

Louis Ier comprit la légitimité de leur demande, et, par lettres patentes du 5 mai 1451, il rattacha Barcelonnette et Allos à la cour juridictionnelle de Nice, qui, plus tard, en 1614, devint une sorte de cour de cassation, sous le nom de Sénat souverain.

Ce prince prit également en considération les plaintes que ses nouveaux sujets lui adressaient contre les usures des juifs.
Par une ordonnance du 11 juillet 1451 il fixa l'intérêt courant de l'argent dans le commerce à vingt francs pour cent, avec défense aux juifs, sous peine d'une amende de cent marcs d'argent, de renouveler pendant l'année les contrats avec leurs débiteurs. Par le taux de cet intérêt, on peut se faire une idée de la rareté de l'argent et des usures monstrueuses auxquelles les juifs se livraient, vers le milieu du XVe siècle.
Note(10)

Le roi René, comte de Provence, était contemporain du duc Louis Ier, et il lui demanda la reddition du comté de Nice à la Provence.

La séparation de cette contrée de la mère patrie et l'acte de cession de la reine Yolande semblaient avoir reçu la sanction du temps, mais le Bon Roi ne pouvait se faire à l'idée d'une séparation définitive.
Une régente est la tutrice de son pupille, se disait-il; a t-elle pu valablement aliéner les biens de ce pupille ?

Il avait le projet de recouvrer ces biens par les armes, et, en effet, il les reconquit quelque temps après; mais ce retour de nos pays à la Provence, dont il est question dans l'Histoire du diocèse d Embrun, dans la remontrance au roi Louis XIV, après le traité d'Utrecht, etc., est passé sous silence par plusieurs historiens, parce qu'il fut de courte durée.

Cependant, le roi René ne voulut pas que son silence autorisât Louis Ier à garder Terre-Neuve, et, le 29 novembre 1464; il envoya à la cour de Savoie son avocat fiscal, pour sommer cette cour de restituer Nice, Puget-Théniers, Barcelonnette, etc. Le comte de Savoie répondit que ses titres étaient irrécusables qu'il les maintiendrait avec l'aide de Dieu et de son épée.

L'ambassade de René à la cour de Chambéry n'eut pas d'autre résultat, et le duc Louis Ier mourut à Lyon, l'année suivante (1465).

Amédée IX, son fils, lui succéda.
Dans la personne de ce prince, un saint monta sur le trône ducal de la Savoie.
Il s'illustra par la pratique de toutes les vertus, traita les pauvres comme ses amis et les amis de Dieu, et son duché fut appelé le Paradis des pauvres.
Il fut père de dix enfants, dont deux régnèrent après lui.
Il se déchargea en grande partie du gouvernement de ses Etats sur la reine Yolande, sa femme, soeur de Louis XI, et sur son frère, Philippe de Bresse.
Son corps fut affligé de continuelles maladies, dont il profita pour sanctifier son âme.
Un historien raconte que, lorsque ce prince fut en danger de mort, trente mille personnes, ayant à leur tête l'évêque de Turin, firent une procession de pénitence pour demander sa guérison.
Il mourut la veille de Pâques de l'an 1472, à l'âge de trente-sept ans, après en avoir régné sept.
L'Eglise l'a mis au nombre des saints, et l'on célèbre sa fête le 30 du mois de mars.

Ainsi, nos pères, après avoir eu le regret de voir un de leurs souverains, Amédée VIII, antipape, eurent le bonheur d'appeler bienheureux Amédée IX, son petit-fils.

Pendant la deuxième année du règne de ce prince, la paix fut troublée dans la partie la plus méridionale de Terre-Neuve.

Nice, ayant eu à se plaindre des ravages exercés sur les territoires d'Eze, de la Turbie, etc., en demanda réparation au seigneur de Monaco et le fit attaquer par mer et sur terre.
La place soutint un siège opiniâtre et ne se rendit qu'à la dernière extrémité, le 3 août 1466.
Ce siège attira un fléau encore plus redoutable que la guerre et qui désola la Provence, pendant de longues années.
Note(11)

La peste se déclara dans l'armée du seigneur de Monaco et se communiqua aux assiégeants.
Nice enregistra bientôt huit mille morts, et un grand nombre de villages des environs se dépeuplèrent entièrement.

Après avoir sévi sur les bords de la mer, la terrible maladie se répandit dans toute la région de Terre-Neuve.
Ni l'air pur, ni l'altitude des hautes vallées du Var, du Verdon et de l'Ubaye ne purent en préserver les habitants de Guillaumes, d'Allos, de Barcelonnette, etc.
Les populations, profondément religieuses, priaient avec ferveur.
On faisait partout, disent les historiens de Nice, des fondations pieuses, on établissait des chapellenies, on accordait des chartes de liberté pour la cessation du fléau et le salut de l'âme des donateurs.

Notes (11) :

(1) Histoire de Nice et des Alpes-Maritimes,t. I, p. 255.

(2) Histoire de Sisteron, t. I, pp. 183-184

(3) La lance était composée de trois et quelquefois de cinq hommes.
La force armée du comte Amédée, dans la vallée de Barcelonnette, pouvait donc s'élever à 900 ou à 1500 hommes. (V. Ducange.)

(4) Histoire de Sisteron t. Il, p 453

(5) Histoire de Barrême, pp. 30-32.

(6) Papon, Histoire de Provence , t. III, p. 321.

(7) Histoire de Provence, t II, p. 43.

(8) Voir plus haut, dans la première partie.

(9) Le département des Alpes-Maritimes a été formé en 1860 par l'annexion de Nice à la France.

(10) Durante, Histoire de Nice, t. II, p. 120.

(11) A Sisteron, les officiers royaux prirent la fuite, en 1479 et en 1480, le conseil s'assemblait et les notaires publiaient les testaments extra muros, à cause de la peste, propter pestem prob dolor ! (Notaire Bertrand Arpilhe, f° 75.)