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DEUXIEME PARTIE
Depuis l'an 1000 jusqu'à l'annexion à la Savoie en 1388

CHAPITRE II.

1. Fondation de Barcelonnette.

2.Obligation d'accompagner le comte dans les cavalcades jusqu'à Allos inclusivement.

3.Règlements établis en Provence pour les cavalcades.

4.Contingent à fournir par chaque communauté.

5.Valeur du terroir d'Allos, au XII° siècle, d'après le nombre de feux.

6.Impôt foncier payé par les habitants d'Allos.

(1231-1233.)

 

1. - La vallée de Barcelonnette, dit l'auteur de l'Histoire d'Embrun ,
Note(1) comprend les communautés du Lauzet, de Méolans, de Revel, de Barcelonnette, de Jausiers, du Châtelard, de Saint-Paul, de Meyronnes, de Larche et d'Allos.

La fondation de la ville qui a donné son nom à cette vallée n'est donc pas un événement étranger à notre histoire, soit parce qu'Allos est une des communes de Barcelonnette, soit parce qu'il est nommé dans l'acte de cette fondation dont je cite la partie la plus importante.

Au nom de Notre Seigneur Jésus. Ainsi soit-il.
"L'an de la Nativité 1231 et le 9 des calendes de mars, faisons connaître a tous, autant présents que futurs, que le seigneur Raymond-Bérenger, par la grâce de Dieu illustre comte et marquis de Provence et comte de Forcalquier, d'une part ; et Etienne Grand, Rostang de Faucon , syndics de la communauté des lieux fortifiés de Faucon et de Drolhe, syndici ab universitate de Falcone et de Drolha ,
Note(2) à ce spécialement constitués, d'autre part; en leur nom et au nom de la communauté, sont convenus entre eux de ce qui suit:

"A savoir qu'ils batiraient et construiraient une ville du nom de Barcelonnette, située contre ledit lieu de Faucon et celui de Drolhe.

"D'abord ledit comte convient et promet, par lui-même et par les siens, aux syndics susnommés, qui acceptent, tant en leur nom qu'au nom de ladite communauté, de leur donner, en dehors de toute contradiction, un lieu et emplacement où ils puissent se transporter, y bâtir et avoir leur domicile a perpétuité; de telle sorte que, si quelqu'un leur suscite un procès ou une contestation quelconque, au sujet desdits lieux et emplacements, ledit seigneur comte doit se porter partie pour les sauvegarder et les défendre et rendre lesdits lieux et emplacements francs et quittes, a ses frais et dépens............

"Quant aux syndics, ils ont promis et concédé, en leur nom et au nom de ladite communauté, audit seigneur comte et aux siens, pour chaque canne de terrain et emplacement où ladite ville sera construite, assigné à chacun des habitants et accepté par eux, un denier viennois, qui sera payé chaque année, en la fête de la Nativité de Notre Seigneur.

"Les habitants ont, en outre, promis et convenu de donner, tous les ans, audit seigneur comte et aux siens, mille sols viennois pour les cavalcades.

2. "De plus, ils ont promis de suivre le seigneur partout, pour les cavalcades, toutes les fois que cela sera nécessaire audit seigneur comte et aux siens, jusqu'à Beaujeu, jusque dans la vallée de Turriers et à Brésiers; et, de là, en remontant en deça de la Durance, jusqu'à l'extrémité supérieure du Comté, et du côté de Saint-Paul et de Meyronnes, aussi loin que s'étend le Comté; et, d'un autre côté, dans les vallées de Saint-Etienne, de Guillaumes, de Colmars et d'Allos, ainsi que sur tous les points compris entre ces limites, mais non au delà, et ils doivent être présents dans la chevauchée ou cavalcade, à la disposition du seigneur comte."
Note(3)

L'acte de fondation de Barcelonnette, faisant mention d'Allos, à propos des cavalcades , me donne l'occasion de parler ici de l'organisation de ces milices et d'autres choses relatives a la situation faite a nos pères, au XIIe siècle.
Trop longtemps, dans la première partie de cette histoire, il a fallu raconter des expéditions militaires, des batailles, des massacres et d'autres calamités publiques; il est temps d'écrire autre chose que ce que l'on a appelé, par une heureuse syncope, dit M. Lecoy de la Marche, l'histoire-bataille "
Note(4)

3. - Les cavalcades étaient, en temps de paix, des courses militaires plus ou moins pompeuses, pour faire un cortège d'honneur au comte; en temps de guerre, de véritables milices qui le suivaient au combat. Elles se composaient non seulement de cavaliers, comme leur nom l'indique, mais de fantassins et de soldats de toutes armes. Les articles, et les détails suivants vont nous les faire connaître suffisamment.
Note(5)

A. -"Les barons, nobles et simples habitants feront au seigneur comte le service de cavalcade, dans la forme ci-après exprimée. Tous les nobles ou simples hommes possédant biens ou les ayant possédés dans les comtés de Provence et de Forcalquier et leurs héritiers seront tenus de servir la cavalcade, pendant quarante jours, à leurs frais, en marchant contre tous ceux qui attaqueraient ledit seigneur comte, lors même que les ennemis seraient étrangers auxdits comtés. Dans ces quarante jours, seront compris les jours d'aller et de retour, calculés à raison d'un jour par six lieues."

B. -"Lorsque ledit seigneur comte fera le siège d'un lieu, d'un château, d'une ville,
Note(6) ou d'une cité quelconque et qu'il aura fait appel d'une cavalcade, tous ceux qui y seront tenus devront se rendre, sous la conduite dudit seigneur comte ou de son bailli, ce qui s'applique à tous ceux qui sont à six lieues a la ronde de la place assiégée."

C. -" Les barons et nobles qui auraient déjà servi une cavalcade devront, si, dans la même année, une armée ennemie venait à envahir lesdits comtés et faisait le siège de quelque ville ou château, servir une nouvelle cavalcade de quarante jours."

"Ce qui est dit d'un soldat avec un cheval armé, doit s'entendre du chevalier revêtu d'un haubert (cuirasse) et de chausses , d'un haubergeon, d'un bouclier et d'un casque de fer."

D. -"Les chevaliers non requis par le seigneur comte, outre les quarante jours susdits ou quarante autres jours, sont tenus de demeurer aux cavalcades si la guerre se prolonge, moyennant indemnité, à la charge dudit seigneur comte; indemnité de dix livres viennoises pour quarante jours, ou de cent sols viennois, suivant que le soldat est armé ou non."

E. - " Si un chevalier, durant la cavalcade, perd son cheval et ses armes ou s'ils lui sont enlevés, le prix lui en sera remboursé par les gens du château ou de la ville d'où il est parti, savoir: dix livres viennoises ou cent sols viennois, suivant qu'il aura perdu cheval et armes ou cheval seul, et cela dans l'intervalle de trois mois.

4. - Les règlements fixaient, en outre, le contingent imposé à chaque localité. Ce contingent variait, avec le temps et selon les circonstances.
Ainsi Sisteron fournissait cinq cavaliers et cent fantassins, en 1245-1285, sous le roi Charles d'Anjou.
En 1257, ce nombre s'éleva; d'un trait de plume, selon l'expression de M. de Laplane, à deux cents hommes, par conséquent à un homme par feu.
Il descendit à cinquante hommes, en 1359, la population ayant été décimée.par la peste et éprouvée par le passage des bàndes de Cervole, surnommé l'Archiprêtre.
Thorame-Haute et Thorame-Basse devaient fournir un soldat et un cheval armé. Or, nous verrons bientôt que le terroir de Thorame-Haute était estimé dix feux, celui de Thorame-Basse sept, et celui d'Allos neuf.

D'après cette statistique, qui ne peut pas nous tromper, le contingent imposé à notre pays pour les milices dites cavalcades était au moins d'un cavalier armé aux frais de ses concitoyens et qui, au retour, rendait ses armes à la commune.
Camille Arnaud, de Forcalquier,
Note(7) dit que certaines communes obligeaient les soldats libérés à rendre aussi leurs habits militaires ou bien les en laissaient possesseurs, avec ordre, de ne les porter que les jours de fêtes.
Ce détail a son prix, car il peint les moeurs simples d'alors.

Les cavalcades étaient générales ou particulières, est-il dit dans une concession faite à Ansouïs, par une ordonnance de 1319.
Debet facere. cavalcatas, generaliter et specialiter, Dominus Elzianius de Anssoyssio pro terra sua.

Même lorsqu'elles étaient générales, elles ne devaient pas dépasser certaines limites. Les communes de la vallée de Barcelonnette n'étaient pas tenues, selon l'acte de fondation de cette ville, de suivre le comte au delà de Saint-Paul, de Saint-Etienne, de Guillaumes, d'Allos et de Colmars, etc.
Les habitants de Sisteron s'arrêtaient au Verdon, et ceux de Grasse au Rhône.

Les militaires étaient ordinairement armés, équipés et montés aux frais des seigneurs, des prélats ou des communes.
Le chef de l'Etat n'avait donc qu'à ordonner, et les hommes arrivaient armés, équipés et montés.
Ces levées avaient lieu selon la volonté du prince, c'est-à-dire quand il en avait besoin, retentis cavalcatis ad nostrant voluntatem, disait Raymond Bérenger, dans une concession faite aux habitants de Verdaches, en 1237.

5. - Après avoir constaté quelle était la situation de nos ancêtres relativement au service militaire, demandons à l'administration chargée de la perception des impôts les renseignements qu'elle peut nous donner sur la valeur du territoire d'Allos et les impositions que l'on payait à cette époque.

Honoré Bouche, dans les Additions à la Chorographie et à l'Histoire de Provence ,
Note(8) nous fait connaître le nombre de feux de toutes les communes de la vallée de Barcelonnette :
" La ville de Barcelonnette, vingt-un feux.
" Jausiers, cinq feux et demi.
" Castellet et Tournoux, deux feux et demi.
"Saint-Paul, six feux.
"Larche, trois feux.
" Méolans et Revel, quatre feux trois quarts.
"Lauzet,un feu un quart.
" La ville d'Allouez, neuf feux.

Ainsi signé:
" Touttour, consul d'Aix et procureur du pays.
" De Pontevès, consul d'Aix et procureur du pays.
Antoine Albert, consul d'Aix et procureur du pays. "

D'après ce document officiel et textuellement reproduit, Allos occupait le deuxième rang parmi les communes de la vallée et avait l'honneur de porter le nom de ville, comme Barcelonnette.

Mais qu'entendait-on par feu au moyen âge et, en particulier dans cet important document ?
C'était un mot de convention qui exprimait, en matière fiscale, une valeur en biens fonds de 50,000 à 55,000 francs.
Pour en comprendre parfaitement la signification, il faut le comparer à l'affouagement et au cadastre.

Le mot affouagement, d'après le chanoine Cruvellier, " désigne une opération par laquelle chaque localité était estimée, à quotité de feux, proportionnellement à la valeur foncière de ses propriétés roturières".

Le cadastre capistratum était une autre opération par laquelle on déterminait la cote foncière à payer par chaque propriétaire.

Le feu était donc à l'affouagement ce que le cadastre était au feu.
"De même que l'affouagement des biens de la Provence servait à répartir les charges entre les communautés, dit M. Damase Arbaud, de même le cadastre fut le moyen employé pour faire supporter également les tailles entre les possesseurs des biens."
Note(9)

Le feu, avons-nous dit, exprimait une valeur foncière de 50,000 à 55,000 francs.
Charles Bouche et le docteur Honnorat donnent leur préférence à ce dernier chiffre.
" En Provence, dit le premier, on donne le nom de feu à une certaine étendue de terrain.
On l'estime 55,000 livres, 27,500 livres font la moitié du feu ; 13,750 en font le quart."

Note(10).
Notre savant compatriote dit aussi que le feu indiquait une valeur supérieure à 50,000 francs.
Il ajoute que, en économie politique et domestique, ce mot ne désigne plus aujourd'hui qu'un ménage, une maison, un foyer (focus) ,
Note(11) et que ce fut sous Charles VII qu'on substitua les cadastres au payement des impôts par feu".
Note(12)

Ainsi, d'un côté, feu, employé comme terme fiscal, désignait une valeur de 55,000 francs, d'après plusieurs auteurs, et, d'un autre côté, nous savons que notre pays était affouagé à raison de neuf feux.

La valeur totale du terroir d'Allos s'élevait donc à la somme de 495,000 livres, en chiffres ronds à 500,000 francs; somme considérable, surtout si l'on tient compte de la valeur élevée de l'argent a cette époque.
Note(13)
En effet, le territoire de Barrême n'était estimé que 325,000 francs et celui de Manosque 2,262,000 francs, tandis que les terres d'Allos valaient un demi-million .

La raison de cette différence, nous l'avons donnée en disant que le nom d'Allos vient d'alleux alodes, le pays des terres libres, en ce sens qu'elles ne payaient aucune redevance aux seigneurs, au IXe siècle. Et il en était encore ainsi au XIIIe siècle ; il n'y avait donc pas ou presque pas de terres seigneuriales, tandis qu'il y en avait beaucoup à Manosque et plusieurs à Barrême.
Or, ces terres n'étaient pas affouagées; en d'autres termes. elles étaient exemptes de l'impôt par feux.

6. En 1551, un trésorier général, nommé Jean Vitalis, fut envoyé, dit Honoré Bouche, pour exiger la cote de six florins par feu par toute la Provence et par cette vallée.
Ce chiffre nous fait connaître la quotité de l'impôt foncier payé par nos ancêtres au moyen âge.
Les florins qu'ils devaient pour leurs terres sont estimés vingt francs par M. de Laplane, qui n'est pas contredit, dans cette estimation, par M. Damase Arbaud.

On payait donc alors, chez nous, un impôt de 180 francs par feu et 1,090 francs pour tout le territoire.

Cet impôt était modéré, puisque chaque étendue de terrain de 55,000 francs, qui vaudrait aujourd'hui plus de 100,000 francs, ne payait que 180 francs. Mais il y avait d'autres impôts.

Nous avons déjà parlé des cavalcades, devenues des redevances fiscales; nous parlerons bientôt des quistes, du cens, de la prestation, du droit d'albergue, etc., perçus à Allos. Contentons-nous de mentionner ici la rève, qui touchait à tout, selon l'expression de M. Damase Arbaud.
Note(14)
Elle saisissait les marchandises, à leur entrée comme à leur sortie de la ville. Elle prenait sa part du salaire de l'ouvrier.
Elle intervenait dans les contrats, pour prélever sa portion dans le prix des ventes; etc.
Les notaires et les procureurs lui devaient une portion de leurs bénéfices.
La rève n'était donc pas ce qu'elle est aujourd'hui.

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(1) L'abbé Albert, curé de Seyne.
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(2) Drole (Drolhia) était un village situé dans un quartier où est actuellement Saint-Pons, puisque Uvernet, qui fait face à cet endroit, porte le nom d' Ubac de Saint-Pons, dans les anciens cadastres.
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(3) Les habitants s'engageaient donc à suivre le comte en ses marches guerrières dites cavalcades, " quando necesse erit usque ad Bellum Jocum (Beaujeu), et usque in valle de Turiis et usque ad Brezes; et aliunde superiùs citrà Druentiam, usque ad caput comitatûs; et a partibus Sancti-Pauli de Meyronne, quantum protenditur comitatus, et ab alia parte, usque ad vallem Sancti Stephani et in valle de Guillelmo et in valle de Collismartio et de Alloz, et infra dictos terminos per totum, ulterius non tenetur ".
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(4) La Société au XIIIe. siècle,p. 24.
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(5) Ces articles sont extraits des règlements pour le service des cavalcades en Provence.
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(6) Ce mot signifiait, au moyen âge, non une cité, mais un bourg, une agglomération quelconqne d'habitants, In castro,vel villa,vel civitate.
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(7) Histoire de la Viguerie de Forcalquier
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(8) Histoire de Provence, t. I, p. 927.
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(9) Etudes historiques sur la commune de Manosque au moyen âge, p. 209.
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(10) Essai sur l'Histoire de Provence, t. I, p. 45.
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(11) Cette acception du mot feu n'était pas inconnue au XIIIe siècle, puisque Raymond Bérenger, dans un acte de 1237, déclare que quiconque a une habitation particulière a un feu: Ille autem intelligetur focum habere qui habet proprium domicilium, in castro, vel villa, vel civitate.
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(12) Voir Dictionnaire provençal-français, t. II, 295.
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(13) Le chanoine Cruvellier, après avoir dit que Barrême était affouagé à raison de six feux et demi et que la valeur du territoire était, par conséquent, de 325,000 livres, ajoute que, par suite de la dépréciation de l'argent, cela représenterait aujourd'hui plus d'un million. Allos valait donc, au XIIIe siècle, plus d'un million de notre monnaie.
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(14) Etudes historiques sur la commune de Manosque au moyen âge, p.229.
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