CHAPITRE IV.
1. Le protestantisme et les vestiges des Vaudois dans les Alpes.
2. Troubles et ravages à Castellane, à Senez, à Barrême, à Digne , dans la vallée du Verdon, etc..
3. Mort du duc de Savoie ; les guerres de religion ; la Ligue.
4. Dévastations à Annot à Thorame-Haute à Tartonne; siège de Colmars.
5. Le nouveau duc de Savoie défend la Ligue en Provence.
6.Tristes vicissitudes dans le district de Barcelonnette ; siège de cette ville par Lesdiguières
7.Siège d'Allos par un de ses lieutenants.
8.Vigoureuse défense du capitaine Sicard; capitulation ; calamités publiques ; le traité de Vervins
(1559 - 1598.)
" On touchait au moment d'une grande crise....
Les esprits étaient en fermentation ; les nouvelles idées de réforme se propageaient d'autant plus rapidement qu'elles n'étaient, pour la plupart de ceux qui les embrassaient, que le prétexte d'une réforme politique ; car, suivant la remarque de Bossuet, " il ne se forme jamais de secte dans l'Eglise, qui ne soit disposée à former un parti dans l'Etat."...
Au premier cri de réforme qui se fit entendre en Allemagne, répondit bientôt, de toutes parts, cette foule d'hommes hardis qui , sans frein dans leurs moeurs, comme dans leurs opinions n'attendaient que l'occasion de se rallier sous une bannière quelconque
Note(1)
Ils furent condamnés avec une excessive rigueur , en 1540 , par le parlement de Provence.
"Leur nid principal, lui disait-il, est à Giause ; choisissez de préférence les capucins et employez de douces exhortations ( exortazione amorose).. S'ils s'obstinent, remettez-les aux officiers de justice."
Et il ordonnait aux juges de seconder les efforts du clergé.
Note(2)
Emmanuel - Philibert, son fils et son successeur, avait pour principe qu'il ne faut pas employer la force contre les opinions religieuses, et, bien que les Vaudois piémontais fussent de véritables révoltés, il ne les fit attaquer à main armée qu'après avoir usé envers eux, en 1560 et en 1561, de tous les moyens de persuasion.
Note(3)
" Notre - Dame du Bourg , à Digne, et son chapitre cathédral ne sont pas mieux traités.Puis le torrent dévastateur se précipite, par Mezel, dans les diocèse de Riez, de Fréjus et de Glandèves, portant de toute parts le pillage, le meurtre et l'incendie."
Note(4)
La fin du siège de Sisteron permit au général de Sommerive de diriger un de ses lieutenants vers Senez, où les cent routiers laissés par Mauvans possédaient toujours le château épiscopal et tenaient toute la contrée en alarmes.
Note(5)
Ils furent délogés de ce lieu, le premier occupé par les religionnaires.
L' erreur ne tarda pas de produire ses fruits.
En 1561 , les habitants de ces mêmes vallées qui avaient accepté les doctrines nouvelle attaquèrent les châteaux à main armée, profanèrent ou abattirent les églises.
Le duc de Savoie, toujours partisan des moyens de persuasion, prescrivit qu'on n'employât, pour les combattre, que les armes de l'apostolat catholique.
Il fit appeler, pour ce ministère tout à fait évangélique, deux religieux de la compagnie de Jésus, Antoine Possevin et Louis Codret. Le père Codret, dit Marcellin Fournier,
Note(6) travailla dans les deux vallées de Sture et de Barcelonnette, pitoyablement corrompues par l'hérésie , etc. mais celle de Barcelonne davantage.
En l'une, où le français n'était point si commun, il prêchait en italien ; et l'autre, la plus proche d'Embrun , en français.
En 1577, le duc de Savoie, accompagné de son fils, Charles Emmanuel, reçut , à Nice, les députés des communautés de la viguerie de Barcelonnette et des autres vigueries du comté de Nice, qui renouvelèrent leur hommage de fidélité et offrirent à leur souverain un don spontané de 25.000 florins pour le trésor ducal. | ![]() |
Pour mettre un terme à ces brigandages, le maréchal de Retz envoya dans les Alpes le comte de Carces et le baron de Vins, avec ordre de poursuivre partout les Huguenots et de les déloger de leurs positions.
De Vins Note(7) parcourut le val de Barrême, arriva jusqu'à Thorame-Haute et fit impitoyablement passer aux fil de l'épée de l'Iscle, Espagnolet et leurs compagnons d'armes, enfermés à Tartonne, au Poil et à Majastres.
Dès que la nouvelle de cette invasion fût connue à Barrême, le seigneur de ce lieu partit également avec cent vingt hommes, malgré la rigueur de l'hiver.
Cette vaillante petit troupe de six-vingt hommes, comme dit un vieux texte
Note(8) ramassant les circonvoisins, assiégea Colmars, où les ennemis s'étaient enfermés.
Le lendemain, jour des Innocents, le capitaine Amaudric, de Digne , amena aux assiégeants un contingent de cinquante arquebusiers.
La place ne résista pas longtemps ; la plupart des soldats Huguenots furent tués ; les autres faits prisonniers et conduits à Barrême, sous bonne escorte.
La vallée de Colmars et d'Allos était délivrée; mais les prisonniers ne demeurèrent pas longtemps entre les mains de leur vainqueurs, car un détachement de razats commandé par le sieur de Verdaches surprit Barrême et les emmena, avec d'autres prisonniers.
Le capitaine Arnaud recouvra ensuite sa liberté, mais il n'échappa que pour quelque temps au châtiment qu'il avait mérité.
Il fut pendu à Seyne, en 1586, par ordre du duc d'Epernon.
Note(9)
La guerre continuait toujours en France, et de déplorables événements s'y accomplissaient.
"Les Français entretenaient des intelligences à Barcelonnette, par l'entremise de Louis Brunet.
Ce traître leur ayant indiqué les moyens de surprendre la ville, qu'une seule compagnie d'infanterie gardait assez négligemment, l'ennemi y arriva de nuit, attacha un pétard à la porte, sans être découvert, et enveloppa la garnison dans les casernes avant qu'elle eût pris les armes.
À la nouvelle de ce malheur, Note(10) le comte de Lucerne, gouverneur de Coni, se porta avec deux mille hommes à Brezès, dans la vallée de Sture, afin d'arrêter les Français, s'ils tentaient de passer en Piémont, et l'on expédia un courrier à Charles Emmanuel, alors occupé en Savoie."
Ils étaient au nombre de quatre, et Elzéar de Rastel était leur chef.Note(11)
Le duc leur donna audience le 11 mars 1590, promit de prendre en main la défense des catholiques, leurs concitoyens, et il ne tarda pas d'envoyer des troupes et de l'argent.
Il prit même , peu de temps après, l'engagement d'aller en personne en Provence.
"J'y entrerai par Barcelone, écrivait-il, le 22 mars, aux magistrats ligueurs d'Aix ; j'espère remporter cette ville à mon arrivée et , de là, pénétrer dans la province.
Je désire que vous fassiez marcher une armée vers Riez, afin que, nos forces étant voisines, nous les puissions joindre plus aisément et employer où il sera nécessaire...
J'espère, après les fêtes de Pâques, m'acheminer à Barcelone."
Mais, n'anticipons pas sur les événements et reprenons le récit des troubles dont nos pays eurent à souffrir après la prise de Barcelonnette, dès les premiers jours de cette année.
Note(12)
Le massacre des habitants du Châtelard répandit la terreur partout.
Les habitants de Jausiers prirent la fuite, pour ne pas éprouver le même sort, et le capitaine du Collet, commandant la place de Barcelonnette, promit de se rendre dès que l'artillerie piémontaise serait en face des murailles de la ville.
Le comte de Saluces affirme qu'un accord fut signé dans ce sens
Note(13) et que Saint-Front envoya chercher l'artillerie à Coni.
Lorsque Jean du Sauze crut que le moment d'agir était venu, il réunit les habitants de la campagne , les décida à le suivre, et, dans la nuit du 22 décembre 1590 , ils escaladèrent les remparts, à deux endroits, sans rencontrer de résistance.
La garnison française, surprise comme les habitants, essaya de résister en s'enfermant dans une église mise en état de défense ; mais les assiégeants ayant mis le feu au couvent attenant (le couvent des Dominicains sans doute), elle capitula , pour ne pas périr dans les flammes.
Note(14)
Du Sauze fut nommé gouverneur de Barcelonnette, en récompense de son courage et de ses succès.
Un an ne s'était pas écoulé depuis que du Sauze gouvernait Barcelonnette, au nom du duc de Savoie, lorsque Lesdiguières vint la reprendre, au nom du roi de France.
D'après les mémoires qui existent, en copie du XVIe siècle, à la Bibliothèque Nationale, Lesdiguières s'était préparé depuis longtemps à ce siège et il avait fait réparer les chemins du côté du Lauzet, pour le passage de cinq pièces de canon, qui arrivèrent le 19 octobre 1591.
Le gouverneur capitula le lendemain, "de sorte que, le lundi 21 du dit mois, au matin, le sieur du Sauze et quatre cents soldats sortirent désarmés et sans bagages, furent conduits en lieu de sûreté, au chemin de Piémont, sous les promesses par eux faites de ne se retirer à Démont, ancien domaine du marquisat de Saluces, ni à Allos, en Terre-Neuve, ni à Digne, en Provence, pour porter les armes, durant trois mois...
Cela fait, Lesdiguières alla assister Monsieur de la Vallette pour le siège de Digne."
Note(15)
Mais les habitants ne furent pas, pour cela, moins attachés à la religion de leurs pères...
Il s'unirent tous pour la défense de la religion, prirent les armes contre les Huguenots et les chassèrent, en 1599, non seulement de la ville, mais de toute la vallée."
Note(16)
7.- "Le 21 juillet, le capitaine Sicard, commandant dans les Allos, ayant une entreprise sur le Tranchet... , fut repoussé, y ayant laissé trente-six des siens morts, des principaux et plus mauvais garçons." Note(17)
MM. Douglas et Roman, auteurs des Actes et Correspondances de Lesdiguières,
Note(18) se demandent si le Tranchet n'est pas le Fanguet, petit hameau en amont d'Allos, sur la rive droite du Verdon.
Il me semble que ce nom a plus de similitude avec Tronchon, quartier voisin du Détroit, dont le torrent sépare le territoire d'Allos de celui de Colmars.
L'attention du capitaine Sicard étant naturellement attirée de ce côté, à cause des événements dont la haute vallée du Var était le théâtre.
Entraunes et Saint-Martin étaient occupés par les troupes du général de Mirabel, par suite de la trahison du capitaine Pascalis.
Le prince de Piémont retira une partie des troupes occupées à garder les frontières de Maurienne et dirigea deux mille hommes vers Barcelonnette.
Note(19)
Le général chargé du commandement de cette colonne "apprit, en arrivant à Coni, dit le comte de Saluces, que le château d'Allos devait être bientôt attaqué ; il pressa sa marche, comptant dégager la place ou se mesurer avec les assiégeants ; mais ses troupes, presqu'entièrement composées de recrues, refusèrent de s'engager dans les hautes-Alpes ,
Note(20) qu'il fallait traverser, et le général, n'ayant pu ramener ses soldats, n'eut d'autre ressource que de jeter un renfort dans la place.
Le capitaine Vivalda entra heureusement, avec sa compagnie, dans le château d'Allos, où il se trouva y avoir une garnison de trois cents hommes, aux ordres du capitaine Sicard.
"Cet officier était regardé par les Français comme l'auteur des entreprises que les Savoyards tentaient souvent sur les places voisines ; son activité était, en effet, très grande, et dernièrement encore il venait de tenter, quoique malheureusement, la surprise du Lauzet.
Monsieur de Bonne et les officiers qui partageaient avec lui le commandement des troupes françaises, dans la vallée de Barcelonnette, crurent important de déposter Sicard et mirent le siège devant Allos, avec trois mille hommes. On força les paysans des environs à réparer les chemins par lesquels en voulait conduire l'artillerie."
Note(21)
8.- Quoi qu'il en soit, le bouillant capitaine avait combattu pour son pays, au nom du duc de Savoie, son souverain, et il le défendit de nouveau vaillamment pendant le siège de 1597.
Le déploiement considérable de forces fait à l'occasion de ce siège s'explique, avons-nous dit, par les circonstances.
Le gouvernement savoyard savait que les rapports entre Barcelonnette et Nice étaient indispensables et qu'ils ne pouvaient avoir lieu que par Allos ou par Saint-Etienne.
Note(22)
Une tradition toujours vivante chez nous, malgré ses quatre cents ans d'existence, affirme que les troupes de Lesdiguières arrivèrent par Barcelonnette, qu'elles firent passer leur artillerie sous la roche de Siolane et par la Sestrière, qu'elles jetèrent sur le Verdon, en amont du village de la Foux, un pont qui existe encore, le pont de l'Abraou.
Note(23)
La même tradition dit, en outre, que ces troupes établirent, au nord-ouest d'Allos, sur le plateau du Seignus-Bas, une batterie qui battit en brèche les remparts de la citadelle ou château d'Allos,
Note(24) et le nombre considérable de boulets trouvés dans la terre, au sud-est de la place, vient, bien à propos, confirmer cette tradition,
Note(25) qui est, d'ailleurs, appuyée sur les documents les plus irrécusables.
Le 5 décembre suivant, Lesdiguières, par un billet laconique, traçait en ces termes l'itinéraire que le comte de la Roche
Note(27)
devait suivre après le siège d'Allos :
"Le régiment du sieur de la Roche passera par Colmars, Seyne, la Bréole, la Saulse, Laragne, Montjay, Remusac (Drôme), et de là à son quartier."
Note(28)
Il est donc absolument certain que le comte de la Roche a fait le siège d'Allos sur l'ordre de Lesdiguières, son général en chef, et que ce siège a eu lieu dans le courant du mois de novembre ou pendant les premiers jours du mois de décembre 1597.
Note(29)
Notes ( 29 ) :
(1) Histoire de Sisteron,t.II,pp.32-33.
(3) Histoire militaire du Piémont, t.II,pp.290-307.
(4) Histoire de Barrême, oeuvre posthume du chanoine Cruvellier, pp.39-40.
(6)Histoire des Alpes-Maritimes et Cottiennes, t.II,pp.547-548.
(8) Ecritures de maître Audravi, notaire à Barrême.
(9) Histoire de Sisteron, t.II, p.129.
(11) France pontificale, diocèse de Riez, p. 120.
(13) Histoire militaire du Piémont, par le comte de Saluces, t. II, p.347.
(14) Histoire de Nice, par Durante, t. II, p. 371.
(15) Mémoires à M. Vulson, publiés dans les Actes et correspondance de Lesdiguières, par MM. Douglas et Roman, t. III, pp. 228-229. | ![]() |
(17) Journal des guerres de Lesdiguières, de 1585 à 1597.
(18) Trois volumes in-4°, voir Index du t. III.
(21) Histoire militaire du Piémont, t. II, pp. 505-506.
(23) Ce pont porte ce nom parce que le lit du Verdon a la profondeur d'un abîme, en cet endroit.
(26) Actes et Correspondance de Lesdiguières, t. I, pp. 313-314.