Jacques-Antoine Manuel


(1775-1827)

Manuel est certainement l'enfant illustre de la Vallée dont on connait le mieux le nom, parce qu'une place et la rue principale de Barcelonnette lui ont été dédiées.
S'il est souhaitable de rappeler les circonstances qui permirent à son nom de passer à la postérité, il faut aussi reconnaître en Manuel un homme très brillant qui n'a jamais cherché la célébrité et que d'autres circonstances auraient pu rendre encore plus célèbre, autant que Paul Reynaud, par exemple.

A ce propos, il faut souligner qu'un parallèle entre Manuel et Paul Reynaud ferait apparaître un grand nombre de points communs.

Jacques-Antoine Manuel vit le jour, le 19 décembre 1775, à La Conchette commune de Barcelonnette.
Il était le vingt et unième enfant du premier magistrat de Barcelonnette, son père ayant été nommé Premier Consul en 1774.

Il est vraisemblable que le milieu où Manuel vit le jour et grandit, était propre à lui donner le goût de la liberté puisque, il faut le rappeler, avant la Révolution, la communauté de Barcelonnette s'administrait elle-même en choisissant ses magistrats.

Tout jeune, il fut placé au collège des Doctrinaires de Nîmes.
En 1789, à l'âge de 14 ans, il était en deuxième année de philosophie, lorsque les premiers troubles éclatèrent dans le Midi.
Ses études s'arrêtèrent là. Il fallait donc qu'il ait eu une brillante intelligence pour mener la carrière que l'on connaît avec le peu de bagage dont il était muni.

En 1793, à l'âge de 17 ans, il se porta volontaire dans l'armée de la Révolution.
Il ne tarda pas à être nommé officier. En cette qualité il prit part à la campagne d'Italie et, sur le champ de bataille d'Arcole, fut promu capitaine.

Mais blessé peu de temps après, il dut quitter l'armée et donner sa démission (1).

Sa convalescence achevée auprès des siens, il retourna en Italie, cette fois pour travailler dans le commerce chez un parent, mais abandonna rapidement cette voie.

Encouragé par son cousin Fortoul, avocat à Digne, il décida de suivre la carrière du barreau et c'est bien dans ce domaine qu'il put s'épanouir et réussir.

Il passa sa licence en droit, un examen assez sommaire à l'époque, il faut bien le dire.

Manuel débuta ainsi comme avocat devant le tribunal de Digne, et si brillamment, que son cousin lui conseilla d'exercer en appel.

Il résolut donc de se fixer à Aix-en-Provence, en 1798.
En peu d'années sa réputation s'étendit à toute la Provence, ce qui lui procura une petite fortune et le plaça bien en vue dans la brillante société aixoise.
Bien que célibataire, son salon et ses bals étaient très fréquentés.
En 1811, Manuel fut désigné comme membre du Conseil de l'Ordre.

C'est toujours à Aix qu'il commença à s'intéresser aux questions politiques, peut-être au contact de Fouché qu'il fréquenta au moment où Napoléon l'éloigna de Paris.

Sa famille et ses amis étaient très nombreux dans le département des Basses-Alpes.
En 1815, on vint lui proposer d'être candidat à la députation.

Il n'accepta pas; les électeurs de Barcelonnette et Digne l'élirent cependant à une importante majorité.
Une telle élection est chose rare, ce qui le toucha et la lui fit accepter.
On rapporte qu'il déclara alors :"J'accepte une mission dans laquelle il peut y avoir du danger, et dont le refus mettrait en doute mon patriotisme et mon courage".

Dans les débats il ne tarda pas à se faire remarquer, en particulier dans ceux qui suivirent la bataille de Waterloo.

Après la dissolution de la Chambre, il se fixa à Paris, et ne put se faire inscrire au Tableau des avocats à cause de ses opinions.
Il avait, en effet, pris position pour Napoléon II, contre Louis XVIII, maintenant au pouvoir.
Il ouvrit alors un cabinet d'avocat-consultant qui fut très fréquenté.

Nommé député, en 1818, par les électeurs du Finistère et de la Vendée, il opta pour la Vendée qui devait le réélire en 1820 et en 1823.

Manuel n'était pas foncièrement hostile aux Bourbons, mais il chercha toujours à préserver les conquêtes de la Révolution dans la crainte que le pouvoir absolu ne menaçât la liberté à laquelle il était tant attaché.

Dans ces conditions, ses discours, bien vite, irritèrent profondément les royalistes, majoritaires à la Chambre des Députés.

Il prononça des discours remarquables sur des sujets les plus divers comme :
l'organisation du Conseil d'Etat,
la législation dans les colonies,
l'instruction publique, etc..,
sans cesse en opposition avec les ultra-royalistes.

Le 27 février 1823, les parlementaires abordaient la question de la guerre d'Espagne.
Manuel voulant établir que les rois perdent leur trône en cherchant un appui à l'étranger, fut amené à faire allusion à notre propre histoire.
La majorité crut qu'il voulait faire l'apologie du régicide et par la bouche de M. Forbin des Issarts, déclara qu'il fallait l'exclure.
Le président leva la séance pour éluder le problème.
Le lendemain, M. de la Bourdonnaye renouvela la demande d'exclusion.
Manuel monta à la tribune, démontra qu'il n'avait jamais fait l'apologie du régicide, mais la demande d'exclusion fut prise en considération pour être exminée le 3 mars.

Ce jour-là Manuel déclara entre autres :
"Si je cherchais ici des juges, je n'y trouverais que des accusateurs.
Ce n'est pas un acte de justice que j'attends, c'est à un acte de vengeance que je me résigne...
Arrivé dans cette Chambre par la volonté de ceux qui avaient le droit de m'y envoyer, je ne dois en sortir que par la violence de ceux qui n'ont pas le droit de m'en exclure..."

L'exclusion fut prononcée.

Le lendemain, fidèle à ses engagements, Manuel revint prendre sa place à son banc, à côté de Lafayette.

Le président pria Manuel de se retirer.

"M.le Président,répondit-il, j'ai annoncé hier que je ne céderais qu'à la violence, aujourd'hui je viens tenir ma parole."

On fit appel à la garde nationale, mais le sergent Mercier refusa de faire exécuter l'ordre.
Un colonel de gendarmerie obtint de ses hommes que Manuel fût empoigné et sorti de la salle.
Une foule innombrable accueillit Manuel à sa sortie du Palais-Bourbon et le reconduisit triomphalemnt jusqu'à sa maison.

Ainsi se termina la carrière politique de Manuel qui ne fut pas réélu en 1824.
Malade depuis plusieurs années, il s'éteignit à l'âge de 52 ans, le 20 août 1827, à Maison, près de Paris, chez son ami Laffitte.

Ses obsèques eurent lieu cinq jours plus tard à Paris, bien que le préfet de police ait tout essayé pour en précipiter le déroulement.
La presse fut censurée et ne put annoncer la disparition de Manuel aux Parisiens.
Cependant, d'après Mignet qui fit une relation de ses obsèques, la foule qui suivait le cercueil était de l'ordre de 40000 personnes
(2).

Le cortège se mit en marche dès 9 h. à Maisons et arriva à 17 h. au cimetière du Père-Lachaise.
Le corbillard portait les couronnes que Manuel avait reçues de Grenoble, Lyon et Tours après son expulsion triomphale de la Chambre des Députés.
Le sergent Mercier qui avait refusé de l'expulser, déposa sur son cercueil la couronne civique que lui offrit alors la Garde Nationale et dit:
"Cette couronne lui appartient autant qu'à moi, car si j'ai montré quelque énergie, c'est lui qui m'avait donné l'exemple du courage ".

Un escadron de gendarmerie intervint pour que le corbillard ne fût pas tiré par des jeunes gens mais par des chevaux; il fallut alors toute la diplomatie de Laffitte pour que cet incident ne dégénerât pas en bataille.

Un frère de Manuel qui vivait à Paris avec lui, rue des Martyrs, l'accompagnait.

Sur la tombe Manuel reçut un dernier hommage de Laffitte, de M. de Schonen, conseiller à la Cour royale de Paris et du général Lafayette, autre illustre défenseur de la liberté.

Au-delà des événements qui lui apportèrent la gloire, il apparaît que Manuel était de la race d'homme brillante mais totalement désintéressée, sans autre ambition que de rester fidèle à ses idées, et particulièrement à la liberté.

A ce titre seul, on peut convenir que notre concitoyen mérite bien que sa petite patrie lui ait toujours rendu hommage, depuis 1833, année où fut inauguré son monument sur la place qui porte maintenant son nom.

Pierre Martin CHARPENEL.

NOTES.(1) Au musée de Barcelonnette, on peut voir le congé délivré par l'Armée d'Italie, le 17 fructidor, an VIII. retour

(2) L'opuscule écrit par Mignet fut saisi et détruit, et valut un procès à son auteur. retour

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