Connaître les Enfants du Pays...

Biographie de Simon-Jude Honnorat

(1783 - 1852)



par
François Arnaud.

Né le 3 avril 1783 , à Allos , tout en haut du bassin du Verdon, au hameau du Haut-Villard , à l'altitude de 1759 mètres , il apprenait les premiers éléments du français et les premières notions du latin chez le curé de l'endroit , lorsque la Révolution vint le priver de son maître , émigré à la suite de son refus de prêter le serment civique.
Il avait six ans à peine.

"Livré à moi-même , dans un âge où je ne connaissais d'autre langue que le dialecte du pays , je me vis forcé , malgré le vif désir que j'avais de m'instruire , d'interrompre des études à peine commencées." Il put se procurer un vocabulaire provençal-français , in-4° , de 1785 , qui lui fut de peu de secours , étant spécial au dialecte de Marseille et laissant tout à désirer sous le rapport de l'exécution. Note (1)"N'espérant pas cependant de pouvoir en trouver un plus complet , je formai un volume de papier blanc , auquel je donnai la même pagination et je commençai à y inscrire mes observations , mes corrections et mes additions."Voilà la première idée et l'origine de son dictionnaire , auquel il a travaillé pendant cinquante ans , après avoir appris l'espagnol , l'italien et le portugais , outre le latin et le grec.

Marié à seize ans , à Mlle. Rose Gariel , fille du notaire d'Allos , il allait , deux ans après , faire à Grenoble ses études de médecine et y conquit l'estime et l'amitié de Dominique Villars , le célèbre botaniste , professeur à l'Ecole centrale de l'Isère , dont il rédigea les leçons à l'âge de dix-neuf ans. Note (2)

Villars le tenait en très grande estime et composa pour lui un herbier de 1300 espèces dont il lui fit cadeau et que le docteur Honnorat conserva pieusement à côté de celui qu'il devait créer lui-même. Note (3)

L'Ecole de médecine de Grenoble ayant été fermée en 1802 , Honnorat laissa au pays sa jeune femme et ses deux enfants et vint continuer pendant cinq ans ses études à Paris.

Ici un détail bien caractéristique que je tiens de M. Pin , ancien directeur de l'Ecole normale de Barcelonnette en 1844 , originaire du Villard-Haut d'Allos , comme le docteur Honnorat , et , qu'il avait connu et accompagné dans ses courses d'herborisation :

"Une mère à Vizille épiait chaque jour au passage de la voiture de Gap vers Grenoble , si elle trouvait une figure engageante pour lui confier son fils.
Celle de M. Honnorat lui sourit sur l'impériale ; malle et fils y furent hissés ;
à Paris , deux chambres , l'une pour le jeune tuteur (dix-neuf ans) , l'autre pour le pupille qui ne pouvait entrer ni sortir sans traverser celle du mentor.
Le pupille , beau vieillard , venait de Vizille en 1859 , 1860 , 1861 , faire sa visite à Mme. Gandalbert , la fille du docteur."
A Paris, ce furent cinq années de labeur acharné , pendant lesquelles il apprit trois langues et enrichit son vocabulaire provençal-français de 30.000 mots.
En 1807, il fut reçu docteur en médecine de la Faculté de Paris , titre particulièrement distinctif à cette époque , et , résistant aux instances des savants qui voulaient le retenir à Paris où un avenir brillant lui était assuré , il rejoignit sa femme et ses enfants et vint se fixer à Digne , où il a passé le reste de ses jours dans la pratique austère de la charité et du devoir.

Nous ne suivrons pas M. Gueit dans l'exposé de cette longue et admirable carrière médicale , nous ne dirons pas la grande part qu'il a prise à la création de l'établissement d'orphelins de Digne , son dévouement pendant l'épidémie de fièvre maligne de 1814 , dont il faillit être victime , pendant les épidémies de petite vérole de 1828 à Digne et de 1844 à Oraison , ni son habileté comme chirurgien ; la ville de Digne n'a pu les oublier.
Nous voulons montrer la profondeur du sillon tracé par le docteur Honnorat dans les sciences qui ont occupé tous les loisirs d'une existence si laborieuse.

Imbu des leçons de Villars , honoré de son amitié , le docteur Honnorat devait conserver toute sa vie la passion des études d'histoire naturelle et enrichir cette science , sans réclamer le bénéfice de ses patientes recherches et de ses découvertes , que d'autres s'attribuaient sans aucun scrupule.
C'était le lot ordinaire des savants modestes qui n'appartenaient pas à la science officielle.

C'est ainsi qu'en entomologie , si le docteur Bois-Duval lui a dédié un des plus beaux papillons d'Europe , le Thaïs Honnoratii Note (4),
d'autres se sont attribués les suivants , qu'il avait découverts aussi :
Papillo alxanor , Salyrus Cleanthe , Satyrus Scipio , Palymnatus Donzelii , Palymnatus Ripetii.
Note (5)

Parmi les coléoptères , M. le comte Dejean lui a dédié le pterostichus Honnoratii et le carabus Honnoratii.

Sa collection paléontologique , très riche en fossiles , en bélemnites surtout , avait été signalée à Cuvier. Note (6)
Blainville lui a dédié deux bélemnites , le paleoteuthis Honnoratianus et le rhyncoteuthis Honnoratianus.
D'Orbigny lui a dédié :
l'ammonites Honnoratiana , le toxoceras Honnoratianus , et M. Léveillé , le crioceratites Honnoratii.

En botanique , une graminée inconnue des botanistes porte son nom , la festuca Honnoratiana ; elle lui a été dédiée par M. Donzel.

Son herbier fut commencé en 1808 ; il y travaillait encore quarante ans après , et , déjà paralysé du côté droit , il dictait encore à sa fille un :Mémoire sur les plantes du Dauphiné , in-8° , de 450 pages ,
une :
Table alphabétique des noms patois ou vulgaires que les plantes portent dans les Basses-Alpes
et une :
Classification des divers genres par famille.
Et que d'autres travaux perdus !

Qu'il eût intéressant d'y trouver exposées les théories scientifiques du docteur Honnorat ?
On en retrouve la trace dans son dictionnaire , par les définitions si exactes des noms des différents êtres qui composent les trois règnes de la nature.

Le docteur Honnorat était un croyant , un catholique fervent , que les théories nouvelles n'avaient pas ébranlé.

J'en trouve la preuve au mot sumi, punaise , où il dit :
La punaise des lits offre une particularité remarquable qui est d'être aptère ( sans ailes) , quoiqu'elle appartienne à une famille dans laquelle on compte plus de mille espèces ailées.
Partant d'un principe vrai , que l'exercice donne un grand développement aux organes , tandis que l'inaction produit l'effet contraire , M. de Lamark a cru pouvoir attribuer à cette cause , l'absence des ailes de la punaise des lits , qui , ne s'en servant pas , les a vues disparaître peu à peu.
La même chose a lieu à l'égard de l'oestre des moutons (V. Barbin ) , qui , appartenant à un genre ailé , est cependant aptère.

"Nous croyons qu'on peut expliquer ce fait d'une manière plus satisfaisante par l'application de cette loi générale de la nature , que chaque être n'a reçu du Créateur que ce qui lui était indispensable pour son existence.
Des ailes étant inutiles pour des êtres qui ne doivent non seulement pas voler , mais auxquels cette faculté serait nuisible , puisqu'elle pourrait les écarter de leur proie , ils en ont été privés par l'une de ces prévoyances admirables si communes dans la nature."

La masse des faits accumulés par Darwin aurait-elle réussi à ébranler les convictions scientifiques du docteur Honnorat et à l'amener à admettre la théorie du transformisme ?
Je ne le crois pas ; le docteur Honnorat s'est toujours montré intransigeant en religion comme en politique ; il ne pardonna jamais à Louis-Philippe son usurpation et refusa la croix de la Légion d'Honneur que lui offrit le gouvernement de Juillet.
Il était du reste d'accord avec la science officielle de son temps.
M. Pin m'écrit :
Sous le ministère Chaptal , on voulait publier un ouvrage pour l'agriculture ; mais il fallait désigner les plantes avec les dénominations connues dans les diverses régions.
De Candolle fut chargé de l'ensemble , Honnorat fut désigné pour la Provence et le Languedoc.
Courses multiples de divers côtés , dénominations non moins diverses et multiples suivant les localités , plus d'une rame de papier couverte par notre savant compatriote......
puis l'impossibilité administrative de donner suite au projet de publication.

"En outre de l'herbier général , j'ai su par Honnorat qu'il en avait plusieurs particuliers pour quelques localités :
Faillefeu , les bords de la Durance à Avignon, etc....
Note (7)
"En 1850 , je lui fis une visite dans son cabinet et pus voir son herbier général composé de vingt à vingt-cinq énormes volumes , grand format , reliés en planchettes.
Il eut l'obligeance d'en ouvrir un et d'en tourner quelques feuilles .
Je pus admirer la parfaite préparation , disposition et conservation des plantes , avec tous leurs organes essentiels.
Il y avait même un encadrement aux feuilles reproduisant en dessin les caractères de la famille."

Qu'est devenu cet herbier ?

M. Pin va nous le dire :
"En 1852 , je rencontrai à Seyne un M. Larey ou Hortet , qui m'annonça que le docteur Honnorat était à l'agonie , et il ajouta qu'au nom de la Société linnéenne de Lyon , il offrirait 20.000 francs de l'herbier général , si la famille voulait s'en dessaisir.
"L'année suivante , remontant d'Aix , en vacances , je m'arrêtai à la ferme-école de Paillerols , pour saluer mon ancien collègue Aubert Pierre , de la Conche , et lui demandai une flore pour examiner quelques plantes des environs :
" - Laquelle ? Nous avons l'herbier de M. Honnorat.
" - Comment ?
" - M. Raibaud Lange l'a acheté à la vente , avec d'autres articles de ses collections.
" - A quel prix ?
" - Cent francs !!
"Vous dire si j'ai pris ma course au risque de ne pas trouver de gîte dans la nuit.
L'indignation me donnait des jambes.
"J'ai appris plus tard que le fils Honnorat , grand commerçant à Lille , était arrivé à Digne pour la liquidation et , pressé de repartir , avait fait procéder à la vente du cabinet.
La bibliothèque fut réunie à celle du conseiller Gariel et vendue à Grenoble à des prix dérisoires.
En 1859 , je trouvai la flore entre les mains de M. Verlot :
" - Quel prix ?
" - Vingt sous !

" Sic transit gloria mundi ."
M. Gueit , dans son opuscule précité , dit que l'herbier général fut vendu par M. Raybaud Lange au fils de M.Rendu , inspecteur général de l'agriculture.
Ce n'est pas précisément exact.
J'ai eu l'honneur de voir à Paris son fils , M. le docteur Rendu , professeur à l'Ecole de médecine , qui m'a dit que son père et lui avaient puisé à plusieurs reprises dans l'herbier d'Honnorat , mis à leur disposition par M. Raybaud Lange ; mais qu'ils n'en avaient jamais fait l'acquisition.
Il a eu l'obligeance de me montrer son propre herbier et quelques types déterminés par Honnorat avec le plus grand soin.Enfin Mme. veuve Raybaud Lange , interrogée , écrit :
" L'immense herbier de M. Honnorat , travail de toute sa vie , est venu en notre possession au moment où mon mari ne s'occupait presque plus de botanique.
Il contenait beaucoup de plantes rares et intéressantes.
M. Rendu en a pris pour sa belle collection , notamment une grande quantité de mousses.
Le reste a été livré aux recherches de plusieurs botanistes , dont les noms mêmes m'échappent.
Le dernier , après trois jours entiers de travail , n'a rien laissé que ce qui était bon à brûler."


Quel honneur pour la ville de Digne si elle avait conservé ce monument scientifique !
Mais nul n'est prophète en son pays.
M. Gueit , outre les trois ouvrages de botanique ci-dessus énoncés , signale encore d'autres ouvrages du docteur Honnorat :
  • Le catalogue des insectes de Provence.
  • La flore des insectophiles , avec les herborisations du docteur Honnorat dans les Basses-Alpes.
    ( Ces deux dernièrs énoncés au catalogue de la bibliothèque du docteur Honnorat - [1853 , imprimerie Maisonville , page 146 ]- que possède la bibliothèque publique de Grenoble ) .
  • Dictionnaire des synonymes provençaux , dont le manuscrit a été vendu en 1853 , à Grenoble , avec les autres ouvrages de sa bibliothèque.
  • Procès criminel intenté au sieur Dominge (Digne , imprimerie Guichard , 1834 ).
  • Table bibliographique des ouvrages provençaux imprimés depuis le XVI siècle. Note (8)

    Je puis ajouter à cette liste des oeuvres d'Honnorat , grâce à M. de Gaudemard , son ami , et à M. Isnard , archiviste des Basses-Alpes , un Essai historique.
    C'est une étude sur les vieilles familles de la bourgeoisie et de la noblesse de Digne , dont le manuscrit a été acquis par un bibliophile de l'Ardèche , M. de Rozière , et dont M. Paul Arbaud , le savant bibliophile d'Aix , possède une copie.

    Enfin la bibliothèque de Grenoble possède le manuscrit d'une monographie de la Provence ; le manuscrit , de 90 feuillets , porte le n° R. 7667.
    Tous les travaux du naturaliste Honnorat auraient suffi pour mettre hors pair un savant ; mais combien ils sont dépassés par ceux du philologue !

    Ce dictionnaire provençal-français , commencé par l'écolier , porté à 45.000 mots par l'étudiant , avait atteint , en 1840 , 72.000 mots.

    Au point de vue du nombre , quelle distance parcourue depuis les dictionnaires antérieurs à celui d'Honnorat !

    Le Diccionnari moundi , ou dictionnaire de la langue toulousaine de Donjat , n'en contenait que 3.000.
    Celui du P. Pellas , provençal-français , 12.000.
    Celui de Sauvage , languedocien-français , 15.000.
    Le vocabulaire provençal-français , par une Société de gens de lettres , 13.000.
    Le dictionnaire patois du bas limousin , 8.000.
    Celui de M. Garcin , 10.100.
    et celui de M. Avril , 12.000.
    En outre, ces dictionnaires s'occupaient fort peu de l'étymologie , n'indiquaient pas la nature des mots , négligeaient les consonnes finales , ne donnaient ni la prononciation figurée , ni les synonymes du même mot et se contentaient enfin des définitions les plus défectueuses.
    C'étaient des catalogues de mots sans orthographe fixe.
    La langue provençale n'avait encore ni syntaxe , ni orthographe , ni fixité.
    Honnorat se mit à l'oeuvre et fit une grammaire qui contenait :un traité sur l'origine et la formation de la langue ;
    un traité sur l'orthographe
    un traité sur la prononciation ,
    avec une notice bibliographique sur les ouvrages imprimés dans cette langue.

    Cette oeuvre capitale a été perdue dans la tourmente de la liquidation de sa succession ; perte irréparable , perte impardonnable !

    Nous pouvons nous faire une idée de l'importance de ce travail par les bribes qu'il en expose dans les 80 pages de son Projet d'un dictionnaire provençal-français , qu'avec une modestie et une franchise admirables et dont peu d'exemples ont été donnés , il soumit
    " aux différentes Académies des provinces méridionales de la France et à toutes les personnes qui voudraient seconder l'auteur par leur concours , ou l'éclairer par leurs lumières".

    Comment analyser une oeuvre aussi substantielle ?
    Il faudrait tout citer.
    Je n'en donne un rapide aperçu que pour engager les philologues à le relire , même après les oeuvres si puissantes de la seconde moitié du XIX° siècle.

    Pour débrouiller le chaos orthographique du provençal , il reconnaît qu'il n'y a qu'un guide , l'étymologie et d'abord la recherche des langues mères d'où le provençal est dérivé :
    le grec , le celte et le latin dégénéré ou le roman.
    Cette dernière langue , existant bien avant le serment de Strasbourg ( 842 : premier document roman écrit connu ) , était née de l'ignorance et de la barbarie qui suivirent de près la chute de l'Empire romain , où la langue latine savante n'était plus comprise.
    Elle établit les articles , dont le grec avait laissé une idée , par la combinaison des pronoms latins ille , illa , illi , illae et des prépositions de et ad , d'où sont venus el , lo , la, las , los , à los , de los , etc.,
    et en provençal lou , de lou ou doou , das , pour de las , etc....
    Puis on supprima les désinences qui tenaient lieu de ces articles et on fit abus , d'abusus ; amar , d'amare , argent d'argentum , etc...
    Puis intervint l'habitude barbare de tronquer les mots , de les syncoper :
    ama ,d'anima ; manicla , de manicula ; paraoula , de parabola ; surplis , de superpellicium.
    Les nombreuses substitutions d'une lettre à une autre , ou métagramme :
    amada, pour amata ; rada , pour rata.
    Il indique dans le dialecte de Barcelonnette le d changé en y : mountaya , pour mountada , amaya , pour amada , etc.....

    Ensuite il indique ;
    La métathèse ou la transposition de lettres : trouba , pour turba.
    L'aphérèse ou retranchement d'une lettre ou d'une syllabe au commencement d'un mot :
    poustema , pour apostéma ; ord , pour sordidus.
    La prosthèse , ou addition d'une lettre au commencement d'un mot :
    apruna , pour prunum ; brusc , pour ruscus ; clap pour lapis.
    L'apenthèse , interpolation d'une lettre dans le milieu d'un mot :
    cendres, pour céneres ; perdris , pour perdix.
    L'onomatopée ou imitation du son :
    tinton , cacareliar ....
    Il n'oublie pas les altérations de mots :
    Kilogramme , en tilograna, tilo ; madur en mûr , meir ....,il les compare aux hybrides , aux mulets , et montre qu'ils sont inféconds et qu'on peut toujours retrouver le mot primitif en voyant les composés du même mot.
    Ainsi le mot :
    buàya dont les composés sont bugadoùm , bugadièra et le vrai radical bugad .

    Avec quelle ingéniosité il montre que la langue provençale est plus régulière que la langue française , que chaque radical y forme une famille naturelle , tandis qu'en français les radicaux sont souvent mêlés dans la même famille.
    Ainsi pour l'eau , le provençal a le radical aigu ou aig du mot latin aqua , radical invariable ,
    tandis que le français a :
    aigu , pris du roman : aiguade , aiguiera ;
    aqu , dérivé du latin : aquarelle , aqueduc ,aqueux ;
    ev , pris de la langue d'oil : evier...
    De même pour le radical past, unique en provençal ,
    le français a :
    pât : pâte pâtissier , empâter ...
    past : pastel , pastiche , pastille ...
    petr : pétrir , pétrin , pétrisseur ...

    Il en conlut que l'orthographe du provençal doit être constante , forcée , invariable et que son dictionnaire sera non celui de la langue telle qu'elle a existé autrefois , non celui de la langue telle qu'elle existe aujourd'hui , ce qui serait impossible pour un dictionnaire général à cause de la variété des dialectes; mais bien celui de la langue telle qu'elle doit être , en comprenant tous les dialectes , mais en n'admettant comme mot fondamental que celui qui dérive le plus directement de la langue mère.

    Ensuite il montre avec quel soin il a approfondi l'étude préliminaire des radicaux , des désinences et des prépositions.
    Les exemples qu'il donne de ses études sur les radicaux :
    bourg , canab ,
    sur les désinences :
    ier , iera , alha ,
    sur la préposition :
    de , des , sont tout à fait remarquables.

    Supérieure est vraiment l'étude de la question de l'orthographe , où il démontre que l'orthographe du provençal , comme celle du français , doit être étymologique , parce que cette langue s'est formée par écrit et non par tradition orale comme l'italien , qui distingue ses mots semblables par la prononciation au moyen de l'accent tonique :
    prîncipi , les princes , et princîpi, les principes.
    tandis que le provençal et le français les distinguent par l'orthographe :
    ceint , cinq , sain , saint , sein , seing.
    Note (9)
    Il montre l'influence de la position de l'accent tonique , qui rend plus sonore la voyelle qui la porte et éteint le son des autres voyelles comme dans âigla et aigloùn qui se prononce eigloùn, mais doit quand même s'écrire aigloùn et comme dans cômté et comtêssa, qui se prononce coumtéssa, mais doit s'écrire quand même comtêssa.
    Il montre la nécessité d'écrire les consonnes finales , quoiqu'elles ne se prononcent souvent pas , sauf dans la montagne où les anciens usages se sont conservés.
    Il proteste contre la tendance de substituer l'o à l'à final des substantifs et des adjectifs féminins , ce que défendent l'étymologie et la création des composés.
    Comment écrire reglo et ensuite reglament ?
    L'aet l'o qui terminent les mots , quand ils ne portent pas l'accent tonique , doivent être prononcés éteints , comme des e muets , dont le plus ou moins d'ouverture distingue les dialectes.
    Il n'admet donc pas l'altération de l'a final en o ou en e , non plus que celle de ion en ien , ioun , iou , ia , au.
    Quoique Honnorat ait consacré plus de cinquante pages à l'étude de ces questions dans l'opuscule que nous venons d'analyser si rapidement , il ajoute :Pour ne pas fatiguer plus longtemps l'attention des personnes qui me font l'honneur de me lire , je terminerai ici ce que j'avais à dire sur l'orthographe et je réserverai de plus amples détails pour le traité qui lui sera spécialement consacré dans la grammaire."Si la disparition du manuscrit de cette grammaire est impardonnable , il est un mystère que je n'ai pu percer , malgré plusieurs années de patientes recherches.
    Comment se fait-il que le docteur Honnorat n'ait pas publié , avant ou en même temps que son dictionnaire , cette grammaire , qu'il annonçait six ans auparavant dans son Projet d'un dictionnaire provençal-français , comme devant précéder le dictionnaire ?
    Cet opuscule est de 1840 et le dictionnaire n'a été publié qu'en 1846 et 1847.
    Le titre même du dictionnaire porte :
    "...précédé d'une grammaire , qui contiendra un traité sur l'origine et la formation de la langue ,un traité sur l'orthographe et un traité sur la prononciation , avec une notice bibliographique sur les ouvrages imprimés dans cette langue."
    En outre , dans le dictionnaire même il renvoie à chaque instant à la grammaire
    Note (10)
    Donc, en 1847, quand le dictionnaire était sous presse , la grammaire était prête.
    Qui est-ce qui a pu en retarder et finalement en empêcher la publication ?
    Est-ce le manque de force ?
    M. Gueit , il est vrai , nous apprend qu'en 1845 , un an avant la publication de son dictionnaire , le docteur Honnorat fut frappé d'une attaque d'apoplexie qui lui paralysa le côté droit ; mais il ajoute qu'il eut l'énergie de corriger les épreuves de son dictionnaire , de dicter à sa fille Mme. Gandalbert , la table alphabétique des noms patois des plantes des Basses-Alpes et une classification des divers genres par famille.
    Après la publication du dictionnaire et jusqu'à son décès , il inscrivit ses additions , environ 2.000 mots ou observations , sur un exemplaire de son dictionnaire où il avait fait intercaler entre chaque feuillet une feuille de papier blanc.

    M. Paul Arbaud , l'heureux possesseur de cet ouvrage , m'a fait l'amitié de me le confier Note (11)  et j'ai constaté que toutes les additions et observations sont de la main du docteur Honnorat , d'une écriture un peu tremblée mais encore très lisible et sans ratures ; ce n'est donc ni la force , ni l'énergie mentale qui ont fait défaut au docteur Honnorat pour publier cette grammaire qu'il devait considérer comme son oeuvre capitale , ne faisant qu'un avec son dictionnaire.

    Je suppose que c'est l'argent seul qui a manqué.
    J'ai retrouvé un prospectus de la souscription du dictionnaire , qui a été lancé à la fin de 1841.

    Il dit que l'ouvrage sera terminé , ou précédé d'une grammaire contenant etc....,
    et il annonce qu'un vocabulaire français-provençal le complètera.
    La souscription n'a pas dû être importante , puisque six ans au moins après , une affiche-réclame que nous devons à l'obligeance de M. Maignien , bibliothécaire à Grenoble , annonce que le prix primitif de 40 francs était réduit à 30 francs payables par semestre et porte ce nota significatif :
    "Le premier tirage n'ayant été fait qu'au nombre de 600 exemplaires , les personnes qui ne veulent pas attendre le second , qui n'aura peut-être pas lieu avant longtemps doivent se presser de faire leur demande ."Cet appel désepéré n'a pas dû être suffisamment entendu et je suppose même que la souscription complète des six cents exemplaires n'aboutit pas , quoique le Ministère de l'instruction publique en eût pris cent.

    Je pense même que la souscription fut annulée par le docteur Honnorat , car cet homme , si consciencieux , si scrupuleux dans ses engagements , aurait donné à ses souscripteurs tout ce que le prospectus leur avait promis.
    Le prospectus s'adressait spécialement aux communes , et je n'en connais pas une seule dans l'arrondissement de Barcelonnette qui possède le dictionnaire.
    La publication du dictionnaire a donc été une opération désastreuse au point de vue financier et le docteur Honnorat n'a pas dû retrouver la compensation des dépenses considérables qu'il a dû faire pour l'immense correspondance qu'a dû entraîner sa préparation , à une époque où une lettre et sa réponse coûtaient 2 fr.50 , et surtout pour l'édition de ce volumineux ouvrage de 2.400 pages avec le vocabulaire , et dans la composition duquel entraient douze caractères différents , alors que l'imprimerie coûtait fort cher.
    Les économies du docteur Honnorat , qui avait treize enfants , et qui était si modéré dans la fixation de ses honoraires et si généreux pour les pauvres gens , ne devaient pas être bien fortes.
    Depuis deux ans , du reste , la paralysie lui avait supprimé les ressources qu'il tirait de sa profession et le 30 décembre 1846 , année de la publication du premier volume de son dictionnaire , il empruntait par obligation notariée à Rose Breton , veuve Nolin , la somme de 1.500 fr. qui ne fut remboursée qu'après son décès.
    Note (12)
    Tout fait donc présumer qu'il a été dans l'impossibilité matérielle de publier sa grammaire , dont le manuscrit était certainement achevé en 1841 , lors de l'envoi de ses prospectus de souscription qui l'annonçaient , et à plus forte raison en 1847 , lors de la publication du dictionnaire qui y renvoyait le lecteur.

    Il a dû renoncer , la mort dans l'âme , à la publication de cette oeuvre didactique , résumé des études philologiques de toute sa vie ; mais il ne pouvait prévoir que ce qui resterait de l'édition de son dictionnaire serait vendu au poids du papier et que le manuscrit de sa grammaire disparaîtrait sans laisser de traces.

    Toutes nos recherches pour le retrouver ont été vaines et c'est sans grand espoir que nous faisons ici un appel à tous ceux qui pourraient nous donner un indice quelconque pour diriger des recherches ultérieures.

    Notes :

    Note (1) Ce devait être le Dictionnaire de la Provence et du Comtat-Venaisson d'Achard ( Aix , 1785 ) .
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    Note (2) Leçons élémentaires d'histoire naturelle professées par le citoyen Villars , rédigées par Honnorat son élève. Grenoble , an XI , in 4° de 292 pp.
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    Note (3) L'herbier de Villars fut acquis en 1853 , à la mort d'Honnorat , par M. Reinaud de Fonvert , d'Aix-en-Provence. M. Amédée de Fonvert , décédé à Aix , en 1872 , a légué cet herbier à M.J. Achintre , de la même ville , avec lequel il avait publié , en 1871 , un catalogue raisonné des plantes des environs d'Aix (préface du Catalogue de J-B. Verlot , 1872)
    M. Victor Achard , conservateur du musée d'histoire naturelle d'Aix , m'écrit :
    Quoique héritier de l'herbier de mon ami Achintre , je ne constate que quelques traces de la collection Honnorat ; par-ci, par-là, je lis :
    legs Honnorat ; à coup sûr il n'a pas vingt types.
    J'ignore complètement ce qu'est devenu l'herbier. depuis cinq ans, conservateur du musée de la ville, je lui ai fait cadeau des 12000 plantes que je possédais.

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    Note (4) Très recherché et qui se paie 5 francs.
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    Note (5) Annales des Basses-Alpes , 1840.
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    Note (6) Cette remarquable collection a disparu tout entière dans les soubassements de l\'hôtel Boyer-Mistre (boulevard Gassendi à Digne ) , lors de la construction de cet hôtel sur l\'emplacement de la maison du docteur Honnorat.
    Si les géologues le savaient !
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    Note (7) L\'herbier de Faillefeu est chez Mme. Tessier , ex-propriétaire de La Forêt.
    Je n\'ai pu trouver trace de celui des bords de la Durance à Avignon. F.A.
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    Note (8) Le manuscrit de cet ouvrage contenait 475 articles ; mais il manque un cahier , du n° 243 , Favre au n° 390 , Mourgues.
    Il est terminé par trois cahiers conteant 191 énonciations d'ouvrages anonymes , aux pseudonymes provençaux.
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    Note (9) Malgré l'autorité d'Honnorat , nous n'avons pas adopté , pour le Vocabulaire barcelonais , l'orthographe étymologique qui était justifiée dans un dictionnaire de la langue provençale rêvée par lui , mais ne pouvait convenir au dialecte spécial d'une petite région.
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    Note (10) Voir : 1er. Vol. , lettre A , page 1 , 3° colonne
    et au mot Accent , page 19 , 1ère colonne.
    Voyez pour plus de détails la grammaire à l'article accent.
    De même dans la 1ère colonne du Tome II aux lettres :
    E  page 1 et G  page 304
    et 2° vol : N page 698 et QU page 980 et S page 1111.
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    Note (11) J'y ai pris les mots notés par l'auteur comme spéciaux à notre langage et marqués au vocabulaire par deux astérisques **.  F.A.
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    Note (12) Bibliothèque de Grenoble.
    Note du notaire liquidateur de la succession contenue dans un cartable intitulé don de M. Maignien.
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    Histoire d'Allos  Allos


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