Rédigé par le Docteur Gérard PERRIN-GOURON Publié avec l'autorisation de l'Académie Delphinale de Grenoble. |
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Alphonse Eugène BEAU (1815-1893) Ses origines, son oeuvre scientifique, sa vie | ||
Alphonse Eugène BEAU, qui se fera appeler BEAU de ROCHAS |
Alphonse Eugène Beau, dit Beau de Rochas, . | ||
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Thermodynamicien |
Voici brièvement présentées, sa vie et son oeuvre en trois volets successifs :
ses ascendants
ses travaux
enfin le " roman" de sa vie.
Fils d'Alexandre François BEAU, natif de Serres en Dauphiné, et de Lucrèce Thérèse Henriette JACQUES de ROCHAS, descendante d'une vieille famille dignoise, les JACQUES, Alphonse BEAU est le fruit d'un mélange de sang dauphinois et provençal.
** La famille BEAU est originaire du Bas-Dauphiné.
On la trouve à NYONS, puis à SERRES.
Le ménage a huit enfants.
En 1804, il publie un recueil de vers :
A 35 ans, en 1806, il se marie "confortablement".
Notable par ses fonctions, sa fortune, il devient Conseiller Municipal.
En 1815, Napoléon quitte l'île d'Elbe. Alexandre BEAU retrouve ses convictions profondes, et conduit la petite délégation dignoise, tardivement alertée, qui va aux devants de l'Empereur.
Ils signalent l'état d'indifférence et le désarmement de la ville, évoquent les possibilités...
Ces choses dites, Beau rapporte que son épouse, après avoir perdu deux garçons morts en bas âge, est de nouveau enceinte.
Quelques jours plus tard, devant les hésitations des responsables préfectoraux, Alexandre Beau somme le remplaçant du Préfet CLEMENT, et les Hauts Fonctionnaires réunis à l'Hôtel Départemental, de reconnaître l'autorité impériale, par écrit et séance tenante.
Il propage largement le "Pacte Fédératif dit de Toulon", projet d'action politique favorable à l'Empire et satire très appuyée du récent retour à la Royauté et du gouvernement de Louis XVIII.
Dans les premiers jours d'Avril, le 9 exactement, madame Beau donne le jour à un solide garçon.
Les dignois, indifférents et las des promesses politiques non appliquées, désirant avant tout la paix, répondent fort mal aux demandes de la nouvelle conscription exigée par Paris.
Et puis, l'aventure impériale tourne court. Louis XVIII revient.
Les fidèles de l'Empereur sont maintenant pourchassés.
Le nouveau père se réfugie dans sa propriété des Grillets sur la commune d'Aiglun.
Une nuit, le repère aiglunois est cerné par la gendarmerie. Alexandre Beau, accusé d'espionnage, est arrêté et placé en résidence surveillée, avec d'autres bonapartistes, à Barcelonnette, petite sous-préfecture perdue de l'Ubaye. La détention est assez douce. Alexandre Beau échappe avec facilité à la surveillance policière et se présente devant... le préfet royaliste VILLENEUVE, affirmant son attachement au .... Roi, et sollicitant sa réintégration dans les Contributions. Il n'est pas entendu, et est démis de toutes ses charges municipales et professionnelles. C'est sa traversée du désert. Mais il ne fait plus de politique. Percepteur municipal de la ville préfectorale, il devient aussi, en décembre 1842, le premier caissier de la Caisse d'Épargne nouvellement créée.
En dépit de son âge avancé, il prend en charge l'éducation des orphelins.
Dès le XIV° siècle, les Jacques sont apothicaires à Digne. Cette famille a donné quelques vingt cinq seigneurs à ce petit village dominant la vallée de la Bléone.
Le petit-fils d'Anne, Jean-Antoine JACQUES, conseiller du Roy, épouse en 1742, Elisabeth de THORON de la ROBINES de SENIERES.
Il réside à Orléans, tout près de la place du Martois. Comme on peut le penser, les deux frères orléannais sont royalistes et férocement légitimistes. A Digne, Jean-Joseph a deux enfants : Cette saga familiale va marquer Alphonse BEAU, et il nous faut la connaître pour comprendre ce nom créé de toutes pièces : Cette initiative sera mal acceptée des descendants puînés, mais bien les seuls légitimes, des Rochas d'Aiglun.
Le colonel Albert de Rochas d'Aiglun, membre de l'Académie Delphinale et de la Société Scientifique et Littéraire des Basses-Alpes, ne nous dit rien, dans ses souvenirs familiaux, sur ce lointain cousin qu'il connaît, mais qu'il veut ignorer.
Dans cette dernière cité, Guillaume, négociant en grains et futur grand père du savant, épouse Dorothée AUGIER, au patronyme roturier cachant dans son ascendance de très grands noms du Midi :
URRE, GLANDEVES, VITROLLES, PORCELLET, BEAUMONT.
Le dernier garçon, Alexandre, naît le 8 février 1771. Nanti d'une solide formation, il voudrait se lancer dans la Poésie.
Mais, esprit pratique, à 18 ans, il est à Saint-Domingue pour gérer les propriétés familiales sises dans cette île.
La révolte des Noirs déclarée dans la nuit du 22 au 23 août 1791, le chasse.
C'est un homme de couleur, un cocher, l'un des meneurs de l'insurrection, qui permet cette évasion, car il le considère comme un "bon blanc".
Réfugié sur un navire qui regagne la métropole, le jeune homme aux idées avancées, échappe au naufrage de son bâtiment
Le voici de retour à Serres, en pleine Révolution.
Il vit les idées de son temps.
A 20 ans, il est le commandant de la Garde Civile de sa ville natale.
Lorsque la Patrie est proclamée en danger, il s'engage dans l'Armée.
Nous ignorons ses campagnes.
Nous le trouvons, en 1803, à Digne, contrôleur aux Contributions Directes.
poèmes amoureux
strophes à la gloire de l'Empereur
et un pastiche des "Embarras de Paris" de Boileau, transposé sur Digne...
Parallèlement, il adhère à la Franc-Maçonnerie (il est trésorier de la loge Saint-Jean d'Ecosse de l'Orient de Marseille)
et assume la charge de Secrétaire Général de la Fédération Bonapartiste des Basses-Alpes.
En 1814, il signe, comme les autres conseillers municipaux, une pétition pleine de flagornerie adressée par la ville de Digne à Louis XVIII accédant au trône des Bourbons.
Quatre personnes en tout et pour tout.
Avec lui, le directeur des Postes ROUSTAN,
le receveur général du département LAVALETTE,
un commis des Contributions Directes MORTENON.
Le parrainage impérial proposé ou demandé, est alors accordé, sous réserve... que ce soit un garçon...
Désormais son engagement bonapartiste est dominant.
Il accompagne le général DROUOT chez l'imprimeur de la Préfecture Guichard, et relève de nombreuses erreurs d'écriture, notamment sur une phrase célèbre de la proclamation à l'Armée. "L'Aigle aux couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame".
Le 11, celui-ci est présenté par son père, seul, et muni d'une autorisation écrite de l'évêque de Digne, à la Cathédrale Saint-Jérôme, pour y être ondoyé, simplement ondoyé, par le curé TURPIN.
Des clans se forment. La ville connaît des heures d'agitation.
Sise à quelques kilomètres en aval du chef-lieu, cette retraite permet de conserver un oeil sur Digne, et par le col de Fontbelle, de joindre facilement Sisteron, où le préfet impérial DIDIER s'est retiré avec quelques partisans.
Il doit attendre 1822, pour obtenir un poste de percepteur à Oraison, et 1824 pour revenir enfin à Digne. Cette fois-ci, définitivement.
Il se consacre à sa vie familiale attristé par la mort de son épouse en 1855, puis deux ans plus tard, par celle de sa fille, veuve laissant quatre enfants.
Il meurt en 1861, à 90 ans, après, pratiquement, soixante et douze années de vie professionnelle.
En décembre 1651, ou janvier 1652, François Jacques - veuf deux fois - épouse Anne, l'héritière unique d'Antoine de Rochas, dernier seigneur d'Aiglun.
Bâtie en 1555, l' église Sainte-Magdeleine domine toujours, seule aujourd'hui, le "rochas".
Il se donne du Jacques de Rochas, et avec la complicité de son frère Jean-François, prieur de Beaujeu, entend transmettre frauduleusement à ses trois garçons avec le nom de la grand-mère, les avantages liés à la noblesse.
Arrêté à Saint-Tropez, libéré sur intervention de la municipalité d'Aiglun, il est reconnu officiellement roturier.
Assermenté en 1790, il deviendra chanoine, professeur au Séminaire et secrétaire de l'Académie du Loiret.
Il fait un riche mariage, en épousant une orléannaise, Henriette de GOURDINEAU de CHANDRY.
Puis il revient, retrouve ses biens, et entame une carrière politique.
Maire de Cravant (village proche de Beaugency, où il possède le château de Laie), il est membre du Collège électoral du Loiret, administrateur des Hospices d'Orléans; il sollicite et obtient.... la Légion d'Honneur.
Veuf, sans descendant, il souhaite un héritier.
Un garçon qui deviendra, oubliant son patronyme, le docteur en médecine Joseph-Henri de Rochas de la faculté de Paris.
"Beau de Rochas".
Aujourd'hui encore, le rejet familial est de règle, malgré le sérieux de l'oeuvre scientifique.
Elle couvre deux chapitres
** Formé sur le terrain, Alphonse Beau travaille d'abord à Digne.
Il serait dit aujourd'hui architecte, ingénieur de travaux publics; il relève des plans :
C'est à cette occasion qu'il rencontre un grenoblois, polytechnicien, responsable départemental de l'hydrologie :
Philippe BRETON
Les deux hommes partagent les mêmes idées philosophiques et sociales et resteront amis leurs vies durant.
Puis, il commence à voyager et à travailler loin de Digne.
En Arles où il étudie les possibilités de dessalement de la Camargue afin de permettre la culture des céréales
en Corse où il met en route une carrière d'extraction de granit et porphyre, sans être indemnisé correctement.
En 1850, avec Philippe BRETON, il étudie les causes de la rupture, le jour même de son inauguration, du câble télégraphique anglais Douvres-Calais.
Les deux ingénieurs trouvent la cause du désastre, et définissent la théorie mathématique dite "de la chaînette" que l'on utilise aujourd'hui encore pour toute pose de câbles aériens ou sous-marins.
Ils lancent le câble français à la Noël 1851.
Ce dernier fonctionnera correctement plus de quinze ans.
Rapport est fait à l'Académie des Sciences.
Deux livres répandront cette technique, dont l'un imprimé à Grenoble, chez Maisonville sur les quais.
En 1852, Beau de Rochas s'installe à Paris.
Il prend son premier brevet de "plan-carnet", ancêtre de nos actuels guides urbains.
Il en réalise l'édition pour la ville de Paris.
Il est également appelé comme expert à Dijon, pour soutenir une proposition de construction de docks reliant routes, canaux et voies ferrées dans un unique complexe commercial.
Deux promoteurs et propriétaires de terrains s'affrontent sur le choix de l'emplacement.
La querelle durera dix ans, sans aboutissement.
Au lendemain du rattachement de la Savoie et de Nice, en 1861, alors qu'il travaille pour la Société des Chemins de Fer du Midi, il propose un tracé de voie ferrée "Grenoble-Gap-Digne-Nice" avec deux raccordements :
Six ans plus tard, il dépose un brevet intéressant la navigation.
Il entend économiser le transfert du fret par un système de "bateau-dock éclusé":
ainsi la haute mer sera accessible aux péniches, et les canaux aux navires maritimes de taille moyenne.
Il s'intéresse aussi au "Touage".
Système qui en utilisant la force du courant d'une rivière, permet à une embarcation de remonter celle-ci, par l'intermédiaire d'une chaîne sans fin reposant sur le fond.
En 1868, des industriels parisiens lui demandent d'étudier les répercussions financières d'un système d'assurances pour les accidents du travail.
Cette oeuvre nous étonne par sa froideur et sa vision strictement financière d'un problème humain.
Où est l'utopiste généreux que nous connaissons!....
Nous préférons penser, avec Jacques PAYEN, à une commande et un travail .... de "type alimentaire".
Le voici en 1881, conférencier devant la Société des Études Maritimes et Coloniales de Paris.
Il expose trente années de recherches ... et de déboires, pour construire un tunnel sous la Manche entre Calais et Douvres, par assemblage de tubes métalliques montés sur la terre ferme puis immergés et tirés au large.
Le texte imprimé de cet exposé est dédié à son ami de toujours Philippe Breton.
1886 et 1887. L'ingénieur lance l'idée de conduire les eaux du lac Léman à Paris pour faire tourner des turbines électriques; peut-être en relation avec son ami Marcel DESPREZ, membre de l'Institut, qui étudie les possibilités de transport de courant continu sur de longues distances.
Il se penche aussi sur la réalisation d'aménagements africains :
barrages-retenues d'eau, création d'oasis artificielles, réseau ferré transsaharien.
Il ne gagne à tout cela, qu'un surnom, celui d'Africain.
Voici ce que nous connaissons, actuellement, de cette oeuvre d'ingénieur de grands travaux.
Dans le contexte de développement de l'époque, il y a quelques grandes idées prémonitoires :
Mais ce ne sont pas ces propositions pour avant-gardistes qu'elles soient qui font entrer le nom de Beau de Rochas dans l'histoire des Sciences,
c'est en Thermodynamique Appliquée.
** Le monde industriel du temps utilise de plus en plus le moteur mécanique comme source d'énergie :
soit machines à vapeur puissantes mais lentes à mettre en route, devant être conduites et entretenues par des chauffeurs de métier
soit moteurs à explosion de conception récente, alimentés au gaz de ville, fonctionnant à la pression atmosphérique, d'entretien simple, peu volumineux, pratiques par leur rapide montée en puissance, mais gourmands en carburant, et de faible rendement (moins de quatre chevaux).
Leur succès dans les petites et moyennes entreprises est néanmoins considérable.
Le 16 janvier 1862, Beau de Rochas dépose auprès de la Société de Protection Industrielle un brevet n°52-593
"nouvelles recherches et perfectionnements sur les conditions pratiques de la plus grande utilisation de la chaleur et en général de la force motrice,
avec application aux chemins de fer et à la navigation".
Ce très volumineux travail d'une cinquantaine de pages est plus une somme de connaissances scientifiques de pointe, qu'un brevet à visée industrielle et commerciale.
Mais il permet de faire reconnaître formellement l'antériorité du texte.
Ceci sans avoir à régler les annuités demandées pour sa protection juridique durant 15 ans.
Beau de Rochas, désireux avant tout de "propriété intellectuelle", ne payera donc jamais ces dites annuités.
Il en avait cependant, alors, les moyens.
Dans cette étude, l'ingénieur définit de nombreux aménagements à apporter aux machines de divers types pour les rendre plus performantes.
Abordant le moteur à combustion interne, appliquant la compression préalable du gaz, il donne, à la page 31, la définition du cycle à quatre temps :
"dans une période de quatre courses consécutives:
Beau de Rochas précise que l'inflammation du gaz détonnant préalablement comprimé, peut être provoquée par une étincelle ou bien spontanée par auto-allumage, le gaz explosant lorsque sa compression atteint des valeurs très élevées.
Les principes fondamentaux des moteurs modernes sont ici définis sans équivoque.
Mais il faut attendre 1878, 1883, et 1897, pour que Nicolas OTTO, Etienne LENOIR, Rudolf DIESEL enfin, réalisent des moteurs puissants, dépassant les 100 C.V., économes en carburant, d'un faible poids, capables d'intéresser les industriels et aussi de mouvoir des véhicules.
Avec le cycle à quatre temps la voie est ouverte à la puissance industrielle, aux grands transports mécaniques terrestres et maritimes, et à la conquête de l'air.
Les brevets 153-164 et 165-176 de 1883 et 1884, ainsi que l'additif de 1886, traitent encore de problèmes concernant les machines à vapeur, les moteurs à gaz.
Il s'agit de perfectionnements dont certains encore non appliqués, interpellent les motoristes actuels.
** Le principe de propulsion par réaction est connu et exploité depuis l'antiquité.
Nous le voyons avec les fusées chinoises, la "colombe" d'Architas de Tarente
( c'est, 350 ans avant J.C., et pour le plus grand étonnement des fidèles, une vessie animale gonflée d'air, recouverte de plumes, fixée au plafond du temple, et évoluant en tous sens, dès que lâchée )
la pyrotechnie italienne, et surtout le "moteur à poudre" présenté devant l'Académie des Sciences à Paris, puis à Colbert, par Christian HUYGENS.
Ce dernier avait pressenti la puissance extraordinaire d'un tel système et les voies ouvertes dans tous les domaines, mais n'avait pas poussé plus loin son expérimentation.
A l'Exposition Internationale d'Electricité de Paris de 1881, Gaston TISSANDIER présente un dirigeable qui suscite l'intérêt des militaires désireux de matériels d'observation.
Les possibilités de manoeuvre de cet engin aérien sont très limitées.
Juste BUISSON et Alexandre CIURCU, deux journalistes passionnés de mécanique, suggèrent de diriger cet aéronef avec un propulseur à gaz comprimé muni de tuyères orientées.
L'expérience n'est pas acceptée.
Les deux hommes vont donc, plus prosaïquement, étudier leur moteur-fusée sur une barque.
En août 1886, Buisson et Ciurcu font évoluer avec succès une embarcation sur la Seine.
Ces tentatives sont suivies de près, surtout par le Ministère de la Guerre.
Pour résoudre le problème de la mise en tension permanente du réservoir d'air sous pression, ils font appel à une machine à feu.
Le 16 décembre 1886, l'engin construit assez légèrement, explose.
Buisson est tué, ainsi que le jeune garçon qui tenait le gouvernail du bateau.
Ciurcu peut se sauver à la nage.
Traduit en justice pour homicide, il est acquitté.
Il poursuit quelques temps ses travaux en utilisant des wagonnets sur rail dans une poudrerie de la banlieue parisienne.
Puis, il abandonne ses recherches pour regagner son pays d'origine, la Roumanie.
A Paris, on ne veut plus entendre parler de propulsion par réaction.
Quant au manuscrit de Beau de Rochas il est rangé soigneusement sur les rayons de la bibliothèque de l'Académie des Sciences, et ... oublié pendant quatre-vingts ans.
** En 1890, Alphonse Beau pense à un moteur expérimental de laboratoire, sur lequel nous ne possédons aucune précision en dehors d'une très vague description donnée ultérieurement par deux ingénieurs alors débutants.
Ce travail sera interrompu par la mort de son auteur.
C'est un véritable roman.
** Tout commence à Digne, avec le parrainage impérial, l'ondoiement autorisé par Monseigneur de MIOLLIS (le Monseigneur MYRIEL de Victor Hugo), et jamais complété; aucun parrain ne pouvant remplacer l'Empereur.
Suivront les premières années, difficiles, avec un père déchu et sans fonctions officielles, nourrissant sa famille des seules ressources foncières.
Et voici qu'en 1823, l'oncle-chevalier Henri-Justin de Rochas, qui ignore, sans aucun doute, toute l'action politique d'Alexandre Beau, fait une très curieuse proposition.
Il veut bien prendre en charge l'éducation de son petit-neveu, sous la condition qu'il porte les deux noms paternel et maternel.
Il sera Beau de Rochas.
Le vieil homme, maire de Cravant et membre du Collège Électoral du Loiret, incite sa nièce dans une lettre que nous possédons, à demander au Maire de Digne une... falsification d'état-civil.
Pour lui, cela relève de la routine. Alphonse sera son unique héritier, et celui de son frère le chanoine.
Cela sous entend que le garçonnet agé de sept ans quitte son père et sa mère pour Orléans.
La proposition est acceptée, mais la pièce d'état-civil truquée n'est pas fournie, et au Collège Royal d'Orléans le jeune garçon entreprend, surmontant son bégaiement, d'excellentes études.
Il figure chaque année au palmarès du collège, sous le seul nom d'Alphonse Beau, et brille dans toutes les disciplines.
Un été, sa mère et sa soeur Elisabeth, séjournent quelques semaines au château de Laie.
C'est, sans doute à cette occasion, que l'histoire paternelle est confirmée.
Dans l'esprit du fils, l'admiration pour le père grandit, d'autant plus que les deux grands oncles, âgés, avec des idées légitimistes bien ancrées, et très sévères sur le chapitre de l'éducation, ne peuvent soutenir le parallèle.
Alphonse étudie alors à Digne, la Géométrie, certainement avec un ami de son père, Joseph-Louis BEAUDUN.
Lors du Conseil de Révision de 1835, il se déclare "artiste"
(on dit aujourd'hui ingénieur).
Grand (1,78 mètre), reconnu apte physiquement malgré son bégaiement, et ayant tiré un mauvais numéro, il fait un service militaire que nous n'avons pu préciser.
Puis il revient chez lui.
En 1842, un incendie éclate à Digne.
Tout le monde se place sous les ordres de deux personnes.
Un certain MAUREL, menuisier d'un certain âge.
Et un jeune du pays, le "fils Beau".
Le feu est maitrisé.
Deux médailles d'Argent avec diplôme du Ministre de l'Intérieur sont accordées.
Sur le parchemin d'Alphonse, est mentionnée la profession d'Ingénieur Civil.
** Sa réputation de technicien s'étend au département d'abord, puis plus loin.
S'il conserve son adresse à Digne, au domicile paternel, il voyage pour son travail :
Marseille
Arles
la Corse
l'étranger peut-être aussi, puisqu'il parle dans sa correspondance de la Hollande, d'Angleterre, d'Espagne, et qu'il semble connaître ces pays.
En 1848, il se lance en politique, et présente sa candidature aux élections législatives.
Soutenu par le journal "le Socialiste des Basses-Alpes" :
Il termine son programme par ce bel envol:
"Plus de contrainte, plus de force, plus de violences, amnistie générale, oubli du passé, abolition de la peine de mort"
Mais ces principes utopiques ne rencontrent pas l'appui escompté, et le fils Beau retire sa candidature.
Sa profession de foi très personnelle, conservée dans les Archives Départementales, nous permet de juger, et d'admirer, la taille morale de son auteur.
Au même moment la municipalité dignoise, comme c'en est la mode en France, élève un monument à la gloire de son grand homme, Pierre GASSENDI.
Alphonse Beau en dirige l'érection au pied de la ville, entre le cours des Arès et le Pré de foire.
Les travaux commencent en 1843, mais le financement prévu est couvert avec difficulté et lenteur.
Pour accélérer les choses, des simplifications sont envisagées en 1851.
Lésé dans ses conceptions initialement proposées et acceptées, blessé dans sa fierté, violent dans sa protestation, l'ingénieur jette sa démission.
Le 2 décembre 1851, le Prince-Président dissout l'Assemblée et prolonge son mandat.
Ce coup d'état est violemment rejeté par quelques rares départements, dont les Basses-Alpes.
Alphonse Beau, à la tête d'une dizaine d'hommes, s'empare de l'Hôtel Préfectoral.
Celui la même, où son père avait en 1815, fait reconnaître l'autorité impériale.
Le lendemain, Digne est envahie par quelques dix mille révoltés en armes venant du sud du département.
Pacifiste proclamé, Alphonse se retire.
Il ne figurera pas dans le "Comité Central de Résistance".
La force militaire, envoyée de Marseille, rétablit l'ordre dans le sang à la bataille des Mées.
Et 1.548 bas-alpins sont arrêtés et traduits devant les tribunaux militaires.
Beau, avec le matricule 906, est jugé le 15 février 1852.
Peu engagé, d'une famille honorablement connue, sa condamnation est légère :
déplacement et résidence surveillée.
Mais la peine ne sera remise qu'avec l'amnistie générale du 15 août 1859.
** Alphonse Beau obtient de vivre à Paris, cela arrange finalement ses projets professionnels.
Par ambition ou par défit, il se fait appeler Beau de Rochas, et timbre sa correspondance aux armes des Rochas d'Aiglun.
Ce choix est assez curieux.
Descendant, par sa grand-mère paternelle d'ancêtres prestigieux, déshérité par ses grands oncles qui avaient forgé ce patronyme en l'attirant à Orléans, pourquoi se rattacher aux Rochas d'Aiglun, petits seigneurs bas-alpins, dont les branches puînées vivent encore en Dauphiné ?...
ignorance de la généalogie paternelle, déférence envers sa mère ?
A Paris, Alphonse Beau de Rochas, maintenant connu pour la réalisation du câble sous-marin, et avec l'aisance financière que lui accorde sa famille, fréquente les bibliothèques scientifiques.
En janvier 1857, sa soeur, Élisabeth LAUGERY, veuve en première noce d'Alexandre de LAMONTA, d'origine grenobloise, et dont elle a quatre enfants, meurt.
Elle est célèbre dans le Midi pour des écrits poétiques qui lui ont valu le surnom de "Muse des Alpes".
Frappé de condamnation, le jeune ingénieur, qui a toujours été soutenu moralement et même financièrement, par cette soeur d'une année sa cadette, laisse son père prendre, seul, la charge des orphelins.
Le 5 août suivant, à Paris, Alphonse épouse Élisabeth LEMARIEE, de dix sept ans plus jeune.
De bonne éducation, dessinatrice, aquarelliste, fille d'un négociant en vin du boulevard du Temple, la jeune mariée est de santé fragile, de celles qui, toujours maladives, n'ont pas d'enfants mais s'avancent dans la vieillesse.
Admiratrice inconditionnelle et follement amoureuse de son mari, elle le soutiendra fidèlement dans les mauvais moments qui ne vont pas manquer au ménage.
La même année Albert de Rochas d'Aiglun vient à Paris pour préparer l'École Polytechnique.
Il intégrera dans la même promotion qu'Hippolyte Sadi Carnot, futur président de la République, et neveu de Nicolas Léonard Sadi CARNOT, fondateur de la Thermodynamique.
Beau, en tant qu'ami de Philippe Breton, ou en tant que lointain cousin d'Albert, rencontre les élèves de la Grande École, et peut donc lire le livre fondamental de Nicolas Léonard Sadi Carnot de 1824 dont il n'existe plus qu'un seul exemplaire :
"Réflexions sur la puissance motrice du feu" et les "notes ultérieures de 1831"
** C'est l'époque des grands travaux. L'Europe s'équipe d'usines, de voies ferrées. Hausmann reconstruit Paris.
Le dynamisme industriel est formidable.
La compétition est sévère.
Beau de Rochas, ingénieur indépendant, farouchement solitaire, reconnu des milieux scientifiques et industriels parisiens de son temps, avec une certaine formation de base, bien que sans spécialisation d'école, ne manque pas d'atouts et espère la gloire et la fortune.
Mais il n'a, en rien, le tempérament d'un homme d'affaire.
Fier et ombrageux, gêné par son élocution, certainement trop bavard dans les conversations industrielles qui réclament une part de secret, il ne sait pas "se vendre".
Il avance de grands projets :
Ainsi, Étienne LENOIR fait construire par MIGNON et ROUARD dans leurs ateliers de la rue Oberkampf, un moteur deux temps, grand succès commercial - plus de deux cents exemplaires seront vendus - mais reste indifférent aux possibilités d'amélioration, que lui propose notre savant.
Sur le plan financier, Beau de Rochas obéissant à ses espérances, plus qu'à la sagesse, fait aussi des investissements, toujours très risqués, comme l'achat de vastes terrains dans l'oued Rhir, en Algérie, où, selon lui, la construction d'une voie ferrée s'imposera.
Ses disponibilités immédiates sont courtes.
A ce régime, sa fortune, difficile à évaluer, mais certaine, va très sérieusement diminuer.
Sans qu'il en arrive à la pauvreté absolue, que certains lui ont trop facilement prêtée pour des raisons qui n'ont rien d'historiques, la vie quotidienne n'est pas facile.
** La gloire espérée va venir de manière totalement inattendue.
C'est la Justice qui fait appel à ses travaux, mais pour défendre d'autres intérêts que les siens.
Voici comment.
La guerre de 1870 s'est terminée par la mise à genoux de la France.
Il faut payer, mais l'espoir de la revanche est déjà là.
Bien entendu, les français boudent les produits allemands.
Et voici qu'un ancien représentant de commerce germanique, bricoleur passionné, Nicolas OTTO, rêvant d'automobile, donc d'un moteur mécanique léger, puissant, peu gourmand en carburant, présente en 1878, après de longues recherches...
et un séjour à Paris, un moteur à quatre temps qui répond à ces désirs.
Ce moteur d'application d'abord industrielle, détrône les vieux moteurs à gaz.
Le constructeur parisien, Étienne Lenoir, sourd aux propositions faites en 1862, voit ses affaires menacées.
Il réagit et met sur le marché, en 1883, le premier quatre temps français, plus performant.
Le représentant parisien des moteurs Otto, l'attaque en contrefaçon.
Le tribunal de Paris, saisi en 1885, se penche sur le litige, et, faisant appel à des experts, déboute les allemands le 12 août 1885.
Nicolas Otto avait bien pris des brevets, mais, en 1862, un français avait déjà défini le principe du cycle à quatre temps à compression préalable.
L'antériorité est incontestable.
"Ma seule gloire - écrit-il - est de voir mon nom mentionné dans les grandes inventions du siècle, à l'Exposition Universelle".
De nombreux scientifiques connaissent l'ingénieur solitaire, ses recherches, sa fortune malmenée, sa gêne chronique, et pensent qu'il n'est pas juste de ne lui accorder que les honneurs.
Un complot amical est alors ourdi, mais dans la plus grande discrétion, "car la fierté blessée de l'inventeur est redoutable".
Ces intervenants sont nombreux, tant à l'Académie des Sciences, qu'à la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale.
Ils ont noms :
Nous ne citons que ceux dont nous possédons les témoignages écrits.
En 1890, le prix TREMONT de l'Académie des Sciences, porté au double de sa valeur habituelle (soit 2.000 francs-or) lui est remis pour l'ensemble de son oeuvre.
L'année suivante, la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale lui offre, avec une médaille, le prix de mécanique d'une valeur de 3.000 francs-or.
Beau de Rochas habite alors Vincennes, il a dépassé les soixante quinze ans; c'est un vieillard sec, fier, très droit, encore solide, ne redoutant pas la marche à pied, et toujours passionné d'étude.
** Victime d'une congestion pulmonaire consécutive à un refroidissement mal soigné, il meurt le 27 mars 1893 à son domicile vincennois.
L'état civil enregistre le décès d'Alphonse Eugène Beau.
Son convoi funèbre, civil, suivi par quelques célébrités scientifiques, le conduira au cimetière de Fontenay-sous-Bois.
Aucune mention n'évoque sur la pierre tombale le travail accompli.
Madame Beau survivra vingt sept ans à son mari, elle habite un appartement neuf, confortable, dans le même quartier; elle est servie par deux domestiques.
Elle se fait nommer madame la Comtesse de Rochas, mais ne travaillera jamais à faire reconnaître l'oeuvre scientifique de son époux.
Elle meurt en 1920, fâchée avec ses descendants, laissant ses biens à sa bonne, Victoire.
Le registre des décès de Vincennes lui accorde ce nom devenu célèbre :
En 1936, deux vieux ingénieurs, Jules SALOMON et Marcel LUNET, évoquent publiquement leurs jeunes années et la silhouette du chercheur encore célèbre chez les motoristes.
La Société des Ingénieurs de l'Automobile reprend leurs propos par le truchement d'André LABARTHE, qui prononce une conférence très imagée, sans fondement historique, mais qui a des suites.
On peut voir à Paris :
La ville de Digne en a fait l'égal de son illustre prévôt Pierre GASSENDI.
Elle a baptisé à sa mémoire :
En 1993, de nombreuses cérémonies ont marqué le Centenaire de sa mort :
Et reprenant, la veille même de l'exposition, les archives familiales, ses arrières petits neveux, ont trouvé un portrait photographique pris à Vincennes dans ses dernières années.
Fermant les yeux le 27 mars 1893, au soir d'une longue vie, Alphonse Eugène BEAU, petit garçon ondoyé dans l'attente d'un parrain prestigieux :
l'Empereur, pouvait, à juste titre, être fier de l'œuvre accomplie par Alphonse BEAU de ROCHAS.
Rédigé pour l'Académie Delphinale par le docteur Gérard PERRIN-GOURON, ce travail est le fruit des recherches d'une équipe conduite par :
Nous avons bénéficié du concours de :
" BEAU DE ROCHAS DEVANT LA TECHNIQUE ET L'INDUSTRIE DE SON TEMPS "
(en français)
HISTORY OF TECHNOLOGY, 1985, edited by Norman SMITH
Imperial College, London
MENSELL PUBLISHING LIMITED London & New York
Références à l'UTOPIE pour BEAU de ROCHAS à ORLEANS (1822 – 1831)
1515 – 1551 l'Utopie, roman de Thomas More.
le Gouvernement des Savants, de Saint-Simon
1814 Réorganisation de la Société Européenne, de Saint-Simon
1825 journal "le Producteur" d'Enfantin
le Nouveau Monde Industriel et Sociétaire, de Fourrier
journal "le Globe"
l'Économie Politique, d'Enfantin
UTOPISTES :
Thomas MORE
Charles FOURIER
Claude Henri de ROUVROY, comte de SAINT SIMON
BAZARD SAINT AMAND
Victor CONSIDERANT
Barthélemy Prosper ENFANTIN
Adolphe BLANQUI
Michel CHEVALIER
Les frères PEREIRE
Ferdinand de LESSEPS
Histoire d'Allos ![]() |