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TROISIÈME PARTIE.
Depuis l'annexion à la Savoie, en 1388,
jusqu'au traité d'Utrecht, en 1713.

CHAPITRE V.

1. Courte durée de la paix de Vervins ; traité de Lyon ; l'armée de Lesdiguières à Barcelonnette.

2.Le duc de Savoie établit les insinuations dans ses États.

3.L'enseignement libre à Allos, en 1610.

4.Préfecture de Barcelonnette.

5. Le Sénat souverain de Nice approuve les contributions de guerre imposées à Allos.

6.Impôts, donatifs, dettes , emprunts , trésoriers communaux, etc..

7.Vente conditionnelle des montagnes du Laus, de Valplane , etc...

8.Disette générale.

(1598- 1628.)

 

1.- Le traité de Vervins était utile à la Savoie, en lui permettant de garder la neutralité et , par conséquent, de vivre en paix avec les nations voisines.

Henri IV en fut si content qu'en le signant il dit au duc d'Espernon :
"De ce coup de plume, je viens de faire meilleure besogne que je n'en eusse fait de longtemps avec les plus vaillantes épées de ma noblesse."

Malgré cela , la paix ne dura que pendant quelques mois, après lesquels la possession du marquisat de Saluces amena une rupture entre le duc de Savoie et le roi de France.
Henri IV fit immédiatement envahir les Etats Sardes par deux armées, dont il confia le commandement aux maréchaux de Biron et de Lesdiguières.
Après quelques victoires remportées par les Français, les négociations furent reprises à Lyon, au commencement de l'année 1601 , et la paix y fut signée le 17 février.

Pendant cette guerre, les Français avaient repris la vallée de l'Ubaye et ils ne consentirent à l'évacuer qu'après avoir fait payer des contributions de guerre par les habitants.

"Monsieur de Lesdiguières , dit à ce sujet le comte de Saluces, refusait de retirer ses troupes de la principauté de Barcelonnette et de la vallée de la Maïra, avant qu'on eût acquitté les contributions imposées durant la guerre, et il fallait le satisfaire après d'inutiles contestations."

C' est par suite de ces contributions forcées , conséquence de guerres incessantes, que les communes et les habitants étaient obérés et trop souvent hors d'état de payer leurs dettes.
On employait alors, pour obtenir de l'argent de ceux qui n'en avaient plus , les moyens les plus rigoureux.
L'autorité militaire imposait une garnison aux communes ; les autorités judiciaires et civiles faisaient mettre en prison les consuls, comme nous le dirons en parlant des impôts , donatifs , etc..

2. - Par un édit du 20 avril 1610, le duc de Savoie établit l'insinuation dans ses États.

Cette institution était déjà connue des Romains, qui donnaient ce nom au dépôt légal des actes qu'ils voulaient rendre authentiques, insinuatio, in acta publica relatio.
Dans l'ancien droit français on distinguait l'insinuation légale, pour assurer la publicité des donations, et l'insinuation fiscale, pour la perception des droits de mutation.
Cette institution existe encore aujourd'hui, sous le nom d'enregistrement.

En vertu de l'édit de 1610 , trois bureaux d'insinuation furent établis dans la vallée de Barcelonnette ; le premier, à Barcelonnette, pour Barcelonnette, Allos, Entraunes et Saint-Martin d'Entraunes ; le deuxième, primitivement à Saint-Paul, plus tard à Meyronnes, pour Saint-Paul, Meyronnes, Larche, le Châtelard et Jausiers ; le troisième, à Méolans, pour Méolans, Revel et le Lauzet.

Les notaires et les particuliers étaient obligés de transcrire ou de faire transcrire leurs actes, en entier, sous peine de nullité, dans les registres de l'insinuation.
Les communes étaient également soumises à cette obligation, excepté pour les élections des consul, des conseillers, des officiers municipaux, etc..

Dans une excellente étude sur l'établissement et le fonctionnement de l'insinuation de la vallée de Barcelonnette,
Note(1) Monsieur Isnard, archiviste des Basses-Alpes , fait remarquer qu'elle avait une organisation spéciale, qu'elle dépendait d'une juridiction particulière, que le juge qui avait la haute main sur cette insinuation et connaissait de toutes les contestations et contraventions en la matière, était nommé directement par les ducs de Savoie et, plus tard, par les roi de France.

Parmi les 361 registres in-folio de l'insinuation de Barcelonnette et de Saint Paul Val-des-Monts, analysés par Monsieur Isnard, les quarante-deux premiers concernent Allos et contiennent de précieux documents sur l'administration communale, les événements politiques, les guerres, en un mot, sur la vie civile et religieuse de nos pères, pendant plus de cent ans.
Dans la vallée, l'insinuation ne fut supprimée, il est vrai, que par l'édit royal de 1723 ; mais , pour Allos, le 42e et dernier registre ne va pas au-delà de l'année 1717.
Les communes devaient fournir un local pour ces archives, et, en 1615, la commune d'Allos contribua pour la part qui lui revenait aux frais de construction "d'une crote (salle voûtée), où devaient reposer les papiers de l'insinuation", dans l'hôpital de Barcelonnette.

3.- L'année même de l'institution de l'insinuation chez nous (1610), un différend, qui ne doit pas être passé sous silence, s'éleva entre les habitants et les consuls.
Honoré Lyons , Claude Pascal et autres habitants d'Allos adressèrent au consul Louis Millon une protestation et une sommation, afin d'obtenir un maître d'école pour la jeunesse, disant qu'en cas contraire ils en prendraient un aux frais de la communauté.
En mettant ainsi les consuls en demeure d'établir un maître d'école aux frais de la commune, leurs administrés réclamaient l'instruction gratuite, non comme une chose nouvelle, mais comme un usage établi et dont la cessation leur donnait le droit de se plaindre.
Et cet usage était probablement très ancien puisque le troisième et le quatrième Concile de Latran, avaient ordonné en 1179 et en 1215, que chaque église de paroisse eût une école gratuite et que quiconque était apte à enseigner eût le droit de le faire.
C'était la liberté de l'enseignement la plus étendue que l'on puisse concevoir.

4. - En 1611 , les habitants de la vallée de Barcelonnette demandaient un préfet, et et le duc de Savoie le leur accorda en 1614.

Il paraît que le magistrat supérieur appelé autrefois bailli, plus tard vicaire, est nommé annuellement par les communautés de la vallée, n'avait plus l'autorité nécessaire pour défendre et protéger le pays contre "les entreprises des voleurs, bandits et autres malandrins".
C'est pourquoi on demanda à Charles Emmanuel de supprimer le vicariat et de le remplacer par une Préfecture.

Deux ans après le 22 janvier 1613 , Antoine Desdier, député de Barcelonnette, Antonio Marino, député du val de Stura , Cotolenc, député de L'Argentière, de Fanni, député de Jausiers et du Châtelard, Honorat Signoret, député de Saint-Paul, Esprit Pinoncely, député de Larche, Bellon, député de Meyronnes , Esprit Maurin, député de Revel, Pierre Magnaudi député d'Allos, Porcellet , député d'Entraunes et de Saint-Martin, présentèrent à ce sujet une nouvelle requête à leur souverain.

Enfin, le 22 septembre 1614, le duc de Savoie prononça la suppression du vicariat, nomma un préfet, qui devait être remplacé après avoir exercé ses fonctions pendant trois ans , chargea les communes de pourvoir aux frais de son logement, de lui assurer un traitement de 400 écus et cinquante écus à deux soldats de justice.

Le préfet de Barcelonnette avait le rang de sénateur, pendant la domination de la Savoie.
Sous la domination française, la vallée étant devenue une sénéchaussée, il fut élevé à la dignité de sénéchal.
Il connaissait, en appel, de toutes les causes civiles et, en première instance, des affaires criminelles, comme le juge ordinaire qui fut institué pour supprimer les consuls souvent illettrés.
Son ressort comprenait les vallées de l'Ubaye , d'Allos, de Saint-Martin d'Entraunes, de la Sture, de Brezès et de l'Argentière.

Lorsque sa judicature comptait trois ans révolus, il était remplacé, mais il ne pouvait quitter sa résidence qu'après un délai de quinze jours appelé syndication, pendant lesquels il rendait compte de son administration.
Des criées annonçaient aux habitants que, s'ils avaient à se plaindre de lui, ils pouvaient exposer leurs griefs.
À la fin de ce temps d'épreuve, il recouvrait sa liberté, ou bien, s'il y avait lieu, il était jugé par des magistrats supérieurs.
"Il n'y a rien de meilleur pour contenir les juges dans leur devoir, disait un président du Sénat de Nice,
Note(2) que de leur faire rendre compte de leur conduite, à la fin de leur administration.
Cet usage était établi en France, et il s'est conservé en Italie.
Je crois qu'il est très utile de le maintenir dans la vallée de Barcelonnette, où il est établi, et de faire rendre le syndicat aux préfets, mais sérieusement, sans complaisance, et que ce syndicat soit reçu par un commissaire du parlement et non par le successeur du préfet, qui pourrait user d'indulgence, afin qu'on en usât envers lui."
Note(3)

5. - C'est le Sénat de Nice qui statuait sur les plaintes portées contre les préfet de Barcelonnette.
Cette cour suprême fut établie par lettres patentes du 8 mars 1614 , par Charles Emmanuel, qui lui concéda toutes les attributions et prérogatives qu'avaient le Sénat de Turin et celui de Chambéry.
Elle avait donc la mission de rendre comme eux la justice avec une indépendance qu'on a rarement contestée, dit un historien savoyard.
Pour honorer les premiers magistrats qui en firent partie, le duc les fit installer en sa présence, " avec la plus grande pompe militaire et religieuse".
Note(4)

La création de ce sénat souverain fut un heureux événement pour nos pays, qui , comme je l'ai déjà fait remarquer, avaient des facilités de communication avec Nice, tandis que des distances et des montagnes presque infranchissables les séparaient de Chambéry et de Turin.

Les sénateurs niçois eurent à prononcer une sentence sur le différend entre la communauté d'Allos et le maréchal de Lesdiguières, différend qui remontait, sans doute, au siège d'Allos par les troupes du comte de la Roche, en 1597.
Nous trouvons, en effet, dans les actes des notaires , de 1617 à 1620 , deux quittances, dont l'une de 90 écus et l'autre de 70, donnés à la communauté et aux consuls " par le sieur Georges Provensal, agent et procureur de Mgr. de Lesdiguières, en déduction de la somme principale adjugée au dit Seigneur par sentence sénatoriale."
Le Sénat de Nice avait donc approuvé les contributions de guerre imposées aux habitants d'Allos par Lesdiguières.

6. - Les impôts ou taille que nos ancêtres payaient à leurs souverains étaient, à l'origine, des dons gracieux ; mais ces dons devinrent obligatoires, même en conservant le nom désormais dérisoire de donatifs.
On distinguait deux sortes d'impôts de ce genre, les donatifs annuels et les donatifs accidentels.
Les uns et les autres avaient en général pour base les propriétés des contribuables ; mais les premiers étaient perçus régulièrement , et les deuxièmes suivant les circonstances, par exemple à l'occasion de la naissance d'un prince, de sa majorité, de son mariage, du départ du souverain pour une expédition militaire , etc..
A ces impôts ordinaires et extraordinaires, il faut ajouter les contributions de guerre, si fréquemment imposées et si durement exigées par les chefs des milices, amis ou ennemis, le logement et les vivres pour leurs soldats et leurs chevaux.

Voici à ce sujet , quelques extraits des insinuations d'Allos :
En 1610 , les habitants adressent une énergique protestation au sieur d'Amy, lieutenant du comte de la Roche, " couronel", commandant les troupes du duc de Savoie dans la viguerie de Barcelonnette, pour obtenir l'observance des règlements de guerre qui avaient été enfreints à leur préjudice.
Note(5)

En 1520, la commune d'Allos achète douze mulets, "les plus beaux qui se puissent trouver, pour les envoyer au sérénissime prince majeur de Savoie".

En 1622, Bonfils, de Nice, procureur fiscal, se rend en personne à Allos, "pour imposer une taille de 4 florins par livre, destinée à payer certaine finance, demandé par le sérénissime pince Thomas de Savoie".
Le conseil général de la communauté d'Allos réuni par ordre du baile ducal, Me. Jean-Michel, vote cet impôt demandé ou plutôt exigé, en prévision du mariage du prince Thomas, qui eut lieu en 1625.

Le 20 mai 1624, Madeleine Fornier, d'Allos, demande la délivrance de son mari, Jean Fornier , " détenu prisonnier, d'ordre de Me.Pascalis, notaire, commissaire député par le sacré conseil à Turin", pour obtenir le paiement de quatre cents ducatons effectifs promis au sérénissime prince Thomas de Savoie.
Note(6)

En 1626, nous trouvons un bail d'exaction des tailles imposées sur la communauté d'Allos, "pour dépenses du Seigneur comte Flaminio, délégué par Son Altesse à la réception des soldats français de passage à la ville et vallée de Barcelonnette".

L' an 1627 le conseil général de la communauté d'Allos, congrégé par-devant Jean-Ange de Bessan, préfet et gouverneur de Barcelonnette, donne procuration à maître Honoré Pascalis, notaire ducal, le charge de se transporter en Nice et d'y emprunter la somme nécessaire pour payer madame la marquise de Riva.

Mais les emprunts contractés pendant des calamités publiques sont ordinairement de mauvaises opérations financières, et l'emprunt qu'Honoré Pascalis allait négocier à Nice coïncidait avec les nouveaux troubles qui désolaient la vallée de Barcelonnette.
En effet, au mois d'août de l'année 1628, Catherine Magnaud, "se trouvant en nécessité par la grande cherté des vivres, à Allos, et ayant été sa maison brûlée par les Français du camp du marquis d'Uxelles ", vendait une terre, un chasal et un bois, pour se procurer les choses les plus indispensable à la vie.

A cause de cela, Me.Vincent Pellat, consul, ne consentit à faire payer les tailles, en cette même année, moyennant un droit de recette 18 francs pour-cent.
Note(7)
En général, les communautés de la vallée donnaient la perception des tailles à l'encan à ceux qui offraient les meilleures conditions.
Jausiers et Allos avaient cependant un trésorier nommé par les conseillers.
Le trésorier de Jausiers devait être natif du pays , y posséder pour 25 florins de registre, n'être pas débiteur de la communauté, ni en procès avec elle et fournir une bonne caution.

La prévision des dépenses et des recettes annuelles, que nous appelons aujourd'hui budget, était faite avec soin, surtout pour les dépenses, et portait le nom de causat.
Le causat était préparé, chaque année, par le soin des consul et des syndics défenseurs.
L'Assemblée générale des chefs de famille votait ensuite les tailles nécessaires pour équilibrer ce budget, et enfin le trésorier était chargé de l'exaction des dites tailles et du paiement des dépenses.
Les versements qu'il était obligé de faire dans la caisse de l'Etat, à Nice, à Turin ou à Aix,
Note(8) avaient lieu à ses frais et à ses risques et à ses périls ; il devait rendre compte de tout ce qu'il avait perçu, malgré les variations , alors très fréquentes, dans la valeur des monnaies.
Nos ancêtres ne perdaient donc pas de vue l'administration intérieure et savaient maintenir chez eux la vie communale, même au milieu des guerres et des bouleversements politiques qui les ruinaient.

Vers l'an 1629, le sieur d'Hugues, seigneur de Turriers, gouverneur du château du Lauzet, ayant réclamé des subsides , donatifs, cavalcades et entretiens de guerre, sa demande, qui avait pour objet une somme considérable, fut soumise à l'appréciation du Seigneur de Salernes.
Celui-ci fixa le chiffre total de ces dettes à 4.822 livres.
La communauté d'Allos paya cette somme en nature, savoir :
132 pièces de drap cordeilhat , et le reste en bétail.
Le seigneur de Salernes était alors gouverneur
Note(9) d'Allos.

En 1632, le capitaine Jean-Antoine Cellano, nouveau gouverneur du fort du Lauzet, formula une plainte assez grave contre les habitants d'Allos.
Il les accusa d'agression contre lui, et l'affaire fut portée devant le duc Victor-Amédée lui-même.
Déjà , son délégué , Charles Garanta, préfet de Coni, avait pris en main la defense du capitaine Cellano, lorsque la communauté d'Allos arrêta les poursuites, en faisant concession au cardinal Maurice, prince de Savoie, et à Jean Ange de Bessan , gouverneur de Barcelonnette, "de diverses créances s'élevant ensemble à 8.180 florins".

Ainsi chaque année ajoutait de nouvelles difficultés à la situation financière du pays.

En 1633, on adressa au duc de Savoie une pressante supplique, pour obtenir un délai dans le paiement d'un donatif de 500 ducatons, "en considération de la pauvreté notoire des habitants, qui, obstant le mauvais temps, n'ont pas encore pu faire la récolte de leurs fruits et se trouvent contraints à liquider une grande multiplicité de dettes".

Cette multiplicité de dettes et l'impossibilité de répondre aux plus impérieuses exigences jetaient la communauté dans de lamentables convulsions ; on ne parvenait à satisfaire quelques créanciers que par les plus douloureux sacrifices.
L'administration municipale vendait tantôt de nombreuses pièces de draps fabriqués par les habitants et donnait en paiement des impositions communales, tantôt des troupeaux de bêtes à laine, tantôt les herbages des montagnes.

Elle céda pour quinze ans, par arrentement, la secrétairerie (secretarie !) du baile et des consul d'Allos, "aux fins d'employer l'argent en provenant à l'extinction d'une partie de la somme de 900 doubles d'or (dus) au prince cardinal de Savoie, ayant droit de dame marquise de Riva".
Hélas ! On vendît même les montagnes.

7 - Dès l'année 1610 , elle avait cédé le Laus et Valplane à Honoré Caméran, de Nice, dont le fils devint , plus tard, préfet de Barcelonnette.
Cette cession permettait, il est vrai, de payer les dettes les plus pressantes mais elle fut la source d'une série de contestations et de procès qui durèrent pendant près de trois-quarts de siècle (1610 - 1680).

La première de ces contestations se termina, en 1638 , par une transaction, au terme de laquelle le Laus et Valplane avaient été aliénés, "avec toutes les prairies attenantes, pour solder les créances de ladite communauté, s'élevant à 1100 ducatons,
Note(10) avec une réserve, au profit des habitants d'Allos, de couper du bois sans abus, pour réparer leurs cabanes, et de prendre du plâtre dans les mines
Note(11) de la montagne."
Note(12)
Cet acte, rédigé en italien, fut signé par les membres du conseil d'Allos, réunis en présence de Me. Jérôme Marcel Vinaldo, sénateur et conseiller délégué par le duc de Savoie.

Une deuxième transaction, du mois d'août 1643, termina également les difficultés soulevées dans le cours de cette année.
Déjà, on pouvait reprocher à Honoré Caméran de ne pas payer certaines impositions communales, et l'on comprend les instances que faisait la communauté pour les percevoir.
En effet, elle négociait alors, par l'entremise de Claude Arnaud, sieur de Méouille, un nouvel emprunt "pour payer la subvention de gens de guerre, en quartiers d'hiver dans la vallée, et pour la compulsion desquels sont en ce lieu trois compagnies de cavaliers du sieur de Turenne."
Note(13)

Le 30 mars 1664, le conseil général d'Allos délibéra sur les moyens à employer pour recouvrer les montagnes qu'il avait cédées à regret et il imposa de nouvelles tailles "aux fins de racheter les montagnes du lac et de Valplane, engagées pour satisfaire aux occurrences de guerres et invasions des ennemis, qui non seulement avaient hostilement occupé ce lieu, mais encore avaient saccagé et brûlé icelui".
Tel est , d'après les insinuations du bureau de Barcelonnette, le sommaire, beaucoup trop laconique, de la délibérations de 1664 , pour le rachat des montagnes.
Les sacrifices et les efforts du conseil de la communauté n'obtinrent malheureusement aucun résultat.

En 1673, le procès fut repris, sous une autre forme :
On protesta contre "le règlement des droits et raisons prétendus par le susdit Caméran sur la montagne du Laus", et les parties choisirent pour arbitre Horace de Provane, gouverneur et préfet de Barcelonnette.
Mais ce compromis et cet arbitrage eurent le sort des transactions précédentes et les antagonistes gardèrent leurs prétentions et leurs espérances.

Enfin, le dix-sept novembre 1680 , eurent lieu un nouvel arbitrage, une cinquième et dernière transaction et la liquidation des frais du procès.

Honoré Caméran fut déclaré possesseur légitime des montagnes du Laus et de Valplane et exempt des tailles communale dite tailles foraines ; mais il demeura obligé, comme tout le monde, de payer toutes les autres tailles.
Pour justifier l'exemption accordée au possesseur de nos montagnes, la transaction fait connaître en ces termes l'emploi du produit des tailles foraines :

Dépenses de l'horloge, honoraires du médecin, gages du sergent de ville et du tambour de la communauté, pavé des rues.
Note(14)

Honoré Caméran promit de faire construire, près du lac, une cabane pour les filets des pêcheurs (pour les attraits, dit le texte de la transaction !).
Je pense que cette cabane servait aussi d'abri pour les possesseurs des filets.

De leur côté, les habitants d'Allos ne renoncèrent ni à la revendication du droit de propriété, ni à leurs autres droits.
En effet, il est stipulé, dans le contrat :
que la communauté a tous droits qui pourrait lui compéter pour le rachat ;
que l'on pourra faire du charbon, soit au Laus, soit à Valplane,
Note(15) en ayant soin toutefois de ne pas détruire le gazon et de ne pas établir les charbonnières trop près des cabanes.

J'ajoute que chacun pouvait extraire du plâtre des carrières de la Caillole, mais que personne ne pouvait introduire le bétail ni gros, ni menu, dans les pâturages desdites montagnes.

Le procès soutenu par la communauté d'Allos dura soixante-dix ans (1610-1680) et coûta 1400 livres, non comprises 818 livres de frais supplémentaires qui portent la dépense totale à la somme importante de 2218 francs.
Voici, sur ce compte, quelques détails qui nous font connaître les mœurs et les usages d'alors, ainsi que la joie de nos pères, à l'issue de cette importante affaire :
Pour le dîner d'un jour, au départ des arbitres :........3 fr.
Aux ecclésiastiques pour le chant du Te Deum :......3 fr.
Bois de chauffage de la soirée de l'accord
(soirée du mois de novembre )..................................2 fr.
Au sonneur de cloches :.........................................10 sols.

Pendant que se déroulait ce long procès, la communauté d'Allos fut contrainte de faire une nouvelle aliénation de territoire.
Vers l'an 1658, elle céda à Me. Jean-Ange Pascalis, notaire, une partie de la montagne de la Sestrière.

8 - La triste situation financière d'Allos était celle de toute la région.
Les habitants d'Entrevaux étaient éprouvés par des misères continuelles.
Note(16)

A Barrême, on ne pouvait payer les intérêts des sommes dues par la commune qu'en faisant de nouveaux emprunts.

A Embrun , on retenait comme otages les consuls de Barcelonnette, et, à Barcelonnette, on infligeait la même peine aux consuls d'Entraunes, jusqu'à ce que ces deux communautés eussent intégralement soldé les contributions qui leur avaient été imposées.

Pour ne pas interrompre l'ordre logique, j'ai tracé ici, par anticipation, le tableau succinct de ces douloureuses épreuves, pendant le XVII° siècle.
*Je reprends maintenant l'exposé des événements de cette époque, auxquels se rattachent d'autres faits importants de notre histoire.

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(1) Introduction à l'inventaire sommaire des archives départementales.
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(2) Henri de Lombard de Gourdon était président du Sénat en 1705; il mourut en 1720.
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(3) Cet usage n'a pas été conservé par Louis XIV, après le traité d'Utrecht.
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(4) Durante, Histoire de Nice, t. II, p. 401.
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(5) Archives des Basses-Alpes, série B 11, folio 12.
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(6) Trop souvent, on retenait en prison, comme otages, les consuls d'une commune, pour l'obliger à payer des impôts ou des contributions de guerre.
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(7) C'est le plus fort droit de recette ou exigatis que l'on connaisse.
En temps de paix, il ne dépassait pas le 3 ou le 4 pour cent.
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(8) Le trésorier d'Allos envoyait, par exemple, le montant des donatifs à Nice quand nous appartenions à la Savoie, à Aix quand nous faisions partie du royaume de France.
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(9) C'est la qualité qui lui est donnée dans les actes d'un notaire ducal.
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(10) Monnaies d'argent qui valait, paraît-il, comme le ducaton de Hollande, 7 fr.81c.
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(11) Il y avait et il y a encore aujourd'hui, au quartier de la Caillole et près du lac, du plâtre gris et du plâtre blanc.
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(12) Archives des Basses-Alpes, série B, 24.
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(13) On voit par cette citation que les habitants d'Allos étaient obligés, en 1643, de payer des contributions de guerre non seulement pour les troupes en quartier d'hiver dans la vallée de Barcelonnette, mais pour trois compagnies de cavalerie chargées de faire sortir les susdites troupes de la vallée, qui ne pouvait plus pourvoir à leur subsistance.
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(14) Telles étaient alors les dépenses ordinaires de la communauté d'Allos.
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(15) Il y avait donc beaucoup de bois, à cette époque, dans les montagnes du Laus et de Valplane; s'il n'y avait pas eu des forêts considérables, on n'aurait jamais autorisé les particuliers à y faire du charbon.
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(16) Essai historique sur Entrevaux, par M. Albin Bernard, 1889.
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