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TROISIÈME PARTIE.
Depuis l'annexion à la Savoie, en 1388,
jusqu'au traité d'Utrecht, en 1713.

CHAPITRE IV.

1. Le protestantisme et les vestiges des Vaudois dans les Alpes.

2. Troubles et ravages à Castellane, à Senez, à Barrême, à Digne , dans la vallée du Verdon, etc..

3. Mort du duc de Savoie ; les guerres de religion ; la Ligue.

4. Dévastations à Annot à Thorame-Haute à Tartonne; siège de Colmars.

5. Le nouveau duc de Savoie défend la Ligue en Provence.

6.Tristes vicissitudes dans le district de Barcelonnette ; siège de cette ville par Lesdiguières

7.Siège d'Allos par un de ses lieutenants.

8.Vigoureuse défense du capitaine Sicard; capitulation ; calamités publiques ; le traité de Vervins

(1559 - 1598.)

 

1.Pendant les guerres de François Ier et de Charles-Quint, le venin de l'hérésie protestante se répandait non seulement en Allemagne mais en France, en Savoie, etc.. , sous le nom séduisant de réforme évangélique.

" On touchait au moment d'une grande crise....
Les esprits étaient en fermentation ; les nouvelles idées de réforme se propageaient d'autant plus rapidement qu'elles n'étaient, pour la plupart de ceux qui les embrassaient, que le prétexte d'une réforme politique ; car, suivant la remarque de Bossuet, " il ne se forme jamais de secte dans l'Eglise, qui ne soit disposée à former un parti dans l'Etat."...

Au premier cri de réforme qui se fit entendre en Allemagne, répondit bientôt, de toutes parts, cette foule d'hommes hardis qui , sans frein dans leurs moeurs, comme dans leurs opinions n'attendaient que l'occasion de se rallier sous une bannière quelconque
Note(1)

Il y avait des Vaudois dans nos Alpes et en Piémont, depuis le XIIIe siècle. Débris des anciens hérétiques de ce nom, ces sectaires possédaient des terres sur les bords du Var et 24 villages sur les rives de la Durance, au pied du Lubéron.

Dès qu'ils eurent connaissance de l'hérésie des luthériens , ils se mirent en rapport avec eux , et, de bonne heure, leur pasteur, Georges Morel, fut envoyé en Allemagne.

Ils furent condamnés avec une excessive rigueur , en 1540 , par le parlement de Provence.

Les ducs de Savoie employèrent de meilleurs moyens pour ramener à l'église catholique les Vaudois de leurs États. Vers 1520, Charles III écrivait à Symphorien de Bullioud, évêque de Glandèves, de travailler à leur conversion.

"Leur nid principal, lui disait-il, est à Giause ; choisissez de préférence les capucins et employez de douces exhortations ( exortazione amorose).. S'ils s'obstinent, remettez-les aux officiers de justice."
Et il ordonnait aux juges de seconder les efforts du clergé.
Note(2)

Emmanuel - Philibert, son fils et son successeur, avait pour principe qu'il ne faut pas employer la force contre les opinions religieuses, et, bien que les Vaudois piémontais fussent de véritables révoltés, il ne les fit attaquer à main armée qu'après avoir usé envers eux, en 1560 et en 1561, de tous les moyens de persuasion.
Note(3)

2. Dans l'ancien diocèse de Senez, " le premier signal des troubles religieux parti de Genève eut son écho à Castellane , en 1559. Un sieur Brun de la Caille avait reçu dans sa maison un émissaire genevois, qui fit entre autres adeptes Antoine et Paul Richieud, sieurs de Mauvans. Avec les nouvelle doctrines, la discorde s'introduisit dans les familles, les esprits s'aigrirent, et l'on finit par en venir de la discussion à des luttes sanglantes.
Un jour que la foule assiégeait la maison du prêche, en criant :
Fouaro Lutherians ! Fouaro Huguanauts !
ceux-ci répondirent par des coups de mousquet, tuèrent ou blessèrent (plusieurs ) personnes et sortirent de la ville en proférant des menaces de vengeance et d'extermination.
porte de l'annonciade

"Tandis que Paul de Mauvans courait à Aix demander justice au parlement, Antoine, son frère, à la tête de trois cents sectaires, se met à saccager le pays. Il pille et incendie le couvent et l'église des Augustins, massacre tout ce qu'il rencontre sur ses pas et se jette ensuite avec sa bande sur l'évêché de Senez, dont il dévaste l'antique cathédrale et le palais épiscopal, brûle la maison du chapitre et, de là, vient tomber sur Barrême.

"Le village n'étant pas fortifié, les assaillants ne rencontrèrent pas une longue résistance. Les habitants, rançonnés à discrétion, durent se résigner et voir l'église de Saint-Jean ruinée, etc.. L'église collégiale de Saint Jacques subit le même sort.

" Notre - Dame du Bourg , à Digne, et son chapitre cathédral ne sont pas mieux traités.Puis le torrent dévastateur se précipite, par Mezel, dans les diocèse de Riez, de Fréjus et de Glandèves, portant de toute parts le pillage, le meurtre et l'incendie."
Note(4)

Dans le diocèse d'Embrun, les calvinistes s'établirent dans le Queyras par les moyens les plus odieux et les plus violents.
Cependant le comte de Sommerive, qui commandait l'armée catholique, faisait le siège de Sisteron, dont les protestants s'étaient emparés.
Le comte de Carces, le brave Crillon et d'autres intrépides guerriers combattaient à ses côtés.
La ville fut prise en 1562, après trois mois de siège et plusieurs assauts meurtriers, malgré l'arrivée de Mauvans et de Lesdiguières, accourus au secours des assiégés.
Ce dernier s'empara d'Embrun en 1585.

La fin du siège de Sisteron permit au général de Sommerive de diriger un de ses lieutenants vers Senez, où les cent routiers laissés par Mauvans possédaient toujours le château épiscopal et tenaient toute la contrée en alarmes.
Note(5)
Ils furent délogés de ce lieu, le premier occupé par les religionnaires.

Tel fut , dans notre région, le commencement des guerres civiles, causées par la prédication des doctrines de Luther et de Calvin et qui portent le nom de guerre de religion.
Comment aurions-nous pu échapper à ce fléau, qui nous menaçait de toutes parts ?
On se battait à Entrevaux, à Castellane, Senez, à Digne , Sisteron, à Gap, dans le Queyras, en Piémont , etc., et ce cercle de feu devenait plus étroit de jour en jour.

Déjà , la persécution sévissait même à Allos ; la vallée du Verdon ne possédait plus qu'un seul prêtre, le prieur d'Allons.
Honoré Bouche dit, en effet, qu'en 1562, par conséquent pendant la première guerre de religion, il n'y avait plus, dans le diocèse de Senez , que trois prieurs, savoir ceux de Chasteuil , Taloire et d'Allons ; un seul vicaire, celui de Tartonne et quelques chanoines.

D'ailleurs, nous l'avons déjà dit , plusieurs vallées alpines avaient été autrefois de véritables nids de Vaudois, et les nouveaux hérétiques qui renouvelaient leurs erreurs trouvaient facilement crédit en ces lieux.
Marcellin Fournier fait remarquer qu'il se réfugièrent en grand nombre dans les vallées de Sture et de Barcelonnette et que leur présence attira l'attention d'Emmanuel - Philibert, dès les années 1559.
Il ajoute que ce prince, après avoir accordé un peu trop de liberté à ces révoltés contre l'Eglise catholique et contre l'Etat, chargea un capitaine de justice nommé Corbis, assisté de Thomas Jacomel, inquisiteur, de les poursuivre à Larche et à Meyronnes.

L' erreur ne tarda pas de produire ses fruits.
En 1561 , les habitants de ces mêmes vallées qui avaient accepté les doctrines nouvelle attaquèrent les châteaux à main armée, profanèrent ou abattirent les églises.
Le duc de Savoie, toujours partisan des moyens de persuasion, prescrivit qu'on n'employât, pour les combattre, que les armes de l'apostolat catholique.
Il fit appeler, pour ce ministère tout à fait évangélique, deux religieux de la compagnie de Jésus, Antoine Possevin et Louis Codret. Le père Codret, dit Marcellin Fournier,
Note(6) travailla dans les deux vallées de Sture et de Barcelonnette, pitoyablement corrompues par l'hérésie , etc. mais celle de Barcelonne davantage.
En l'une, où le français n'était point si commun, il prêchait en italien ; et l'autre, la plus proche d'Embrun , en français.

3-Charles IX, roi de France, mourut en 1574 et il eut pour successeur Henri III , son frère, roi de Pologne.
Ces événements s'accomplirent entre la quatrième et la cinquième guerre de religion, car les premières de ces guerres eurent lieu sous Charles IX, et les dernières, sous Henri III.

Pendant ce temps , les protestants de Provence poursuivaient de leur haine le comte de Carces, chef des catholiques de cette province.
La mère de Charles IX, Catherine de Médicis, crut qu'elle les apaiserait en le remplaçant dans ses fonctions de gouverneur de Provence par le maréchal de Retz.
C'est alors que l'on donna le nom de Carciste aux catholiques et celui de razats aux protestants et aux politiques mécontents.

Le maréchal de Retz était allé en Pologne, au-devant du nouveau roi, quand la ville de Grasse , fut le théâtre des premiers troubles entre carcistes et razats, et ce nouvel incendie s'étendit bientôt jusqu'au sommet des Alpes.

Pendant l'été de 1574, les razats s'emparèrent de Riez, de Digne, d'Annot, où ils commirent d'horribles excès.
Ils se dirigèrent ensuite vers la haute vallée du Var , du Verdon et de l'Ubaye et mirent à feu et à sang tous les pays qu'il rencontraient sur leur passage.
Les historiens ne parlent ici, il est vrai, que des vigueries de Barcelonnette et de Guillaume ; mais il est impossible que les bourgs d'Allos et de Colmars, qui se trouvent sur la seule voie praticable entre Guillaumes et Barcelonnette, n'aient pas partagé leur malheureux sort.

En 1577, le duc de Savoie, accompagné de son fils, Charles Emmanuel, reçut , à Nice, les députés des communautés de la viguerie de Barcelonnette et des autres vigueries du comté de Nice, qui renouvelèrent leur hommage de fidélité et offrirent à leur souverain un don spontané de 25.000 florins pour le trésor ducal.Charles Emmanuel Ier

Emmanuel - Philibert mourut en 1580, après avoir réparé tous les désastres du règne précédent.
Pendant qu'il portait la couronne ducale de Savoie, les successeur de François Ier se succédaient rapidement sur le trône de France
Henri II régna douze ans (1547 - 1559) ;
François II , un an (1559 - 1560) ;
Charles IX , quatorze ans (1560-1574),
et Henri III , 15 ans (1574-1589).

C' est pendant le règne de ce prince que " la Ligue naquit des convictions religieuses et des sentiments patriotiques des catholiques".
Les protestants ayant obtenu par la faiblesse de la royauté une sorte de gouvernement, des finances et une armée, les catholiques voulurent avoir les mêmes avantages dans l'intérêt de la religion.
Il y eut donc, à cette époque, en Provence, comme ailleurs, trois armées :
celle du roi,
celle des catholiques, dont de Vins était le chef,
et celle des protestants, dont les principaux chefs furent de Mauvans, le baron de Allemagne et de Lesdiguières , etc..
Ajoutons que, pour nous, il y avait une quatrième armée, celle du duc de Savoie, qui venait assiéger Barcelonnette et les communes de son district, dès que les Français s'en étaient emparés.

4. - En 1574, les protestants promenèrent de nouveau le fer et le feu jusque dans notre vallée et celle de la Vaïre.
Ils s'emparèrent de Riez , de Gréoux , de Puimoisson, d'Espinouse, de Digne, de Seyne, du Poil, de Majastres, de Tartonne, de Thorame-Haute et d'Annot.
Honoré Bouche, à qui nous devons le récit de leurs dévastations, fait remarquer que les sieurs de l'Iscle et Espagnolet commandaient la colonne qui surprit Annot, Thorame-Haute, Tartonne et les pays voisins et qu'ils exerçaient partout les plus incroyables cruautés, meurtres, voleries et profanations, renversant les autels, démolissant les chapelles, brûlant les images, abattant les croix, emportant les calices et tous les précieux ornements des églises.

Pour mettre un terme à ces brigandages, le maréchal de Retz envoya dans les Alpes le comte de Carces et le baron de Vins, avec ordre de poursuivre partout les Huguenots et de les déloger de leurs positions.
De Vins
Note(7) parcourut le val de Barrême, arriva jusqu'à Thorame-Haute et fit impitoyablement passer aux fil de l'épée de l'Iscle, Espagnolet et leurs compagnons d'armes, enfermés à Tartonne, au Poil et à Majastres.

Quatre ans plus tard, la vallée du Verdon était encore une fois ravagée par les Huguenots.
Le capitaine Jacques Arnaud d'Entraunes, neveu des frères de Mauvans, se dirigea vers Colmars, à la tête de cent vingt hommes, et surprit cette place, la veille de Noël de l'an 1578.
Il parcourut toute la vallée, saccageant et détruisant tout sur son passage, jusqu'à Château Garnier.

Dès que la nouvelle de cette invasion fût connue à Barrême, le seigneur de ce lieu partit également avec cent vingt hommes, malgré la rigueur de l'hiver.
Cette vaillante petit troupe de six-vingt hommes, comme dit un vieux texte
Note(8) ramassant les circonvoisins, assiégea Colmars, où les ennemis s'étaient enfermés.
Le lendemain, jour des Innocents, le capitaine Amaudric, de Digne , amena aux assiégeants un contingent de cinquante arquebusiers.
La place ne résista pas longtemps ; la plupart des soldats Huguenots furent tués ; les autres faits prisonniers et conduits à Barrême, sous bonne escorte.

La vallée de Colmars et d'Allos était délivrée; mais les prisonniers ne demeurèrent pas longtemps entre les mains de leur vainqueurs, car un détachement de razats commandé par le sieur de Verdaches surprit Barrême et les emmena, avec d'autres prisonniers.
Le capitaine Arnaud recouvra ensuite sa liberté, mais il n'échappa que pour quelque temps au châtiment qu'il avait mérité.
Il fut pendu à Seyne, en 1586, par ordre du duc d'Epernon.
Note(9)

Il paraît certain que le chef Huguenot d'Entraunes n'épargna pas les habitants d'Allos, sujets comme lui du duc de Savoie.
En effet, il combattait dans les rangs d'une armée ennemie de son souverain, et chez lui, d'ailleurs, la haine du sectaire ne s'arrêtait pas devant le patriotisme.

La guerre continuait toujours en France, et de déplorables événements s'y accomplissaient.

En 1588, par conséquent deux ans après la huitième guerre de religion, dite guerre des trois Henri (1586) , Henri de Guise fut assassiné à Blois par les gardes du roi, et le duc de Mayenne le remplaça dans le commandement général des ligueurs de tout le royaume.
Un an après, le 1er août 1589, le roi Henri III fut lui-même poignardé, pendant que les troupes royales faisaient le siège de Paris.
Ces morts violentes étaient de nature à rendre de plus en plus implacable la guerre entre la Ligue, le protestantisme et la royauté.

5. - La Valette, le gouverneur de Provence, ayant convenu avec Lesdiguières, le plus vaillant des chefs Huguenots, que leurs troupes à agiraient de concert contre la Ligue, les catholiques ligueurs Provençaux, trop faibles pour résister aux forces réunies de leurs ennemis, tournèrent leur regard vers le duc de Savoie.
Pendant qu'on délibérait sur le projet d'envoyer une députation à ce prince, qui occupait un rang distingué parmi les souverains de l'Europe par ses talents militaires et son dévouement à la religion catholique, les pays frontières des Alpes attiraient l'attention des belligérants.

"Les Français entretenaient des intelligences à Barcelonnette, par l'entremise de Louis Brunet.
Ce traître leur ayant indiqué les moyens de surprendre la ville, qu'une seule compagnie d'infanterie gardait assez négligemment, l'ennemi y arriva de nuit, attacha un pétard à la porte, sans être découvert, et enveloppa la garnison dans les casernes avant qu'elle eût pris les armes.
À la nouvelle de ce malheur,
Note(10) le comte de Lucerne, gouverneur de Coni, se porta avec deux mille hommes à Brezès, dans la vallée de Sture, afin d'arrêter les Français, s'ils tentaient de passer en Piémont, et l'on expédia un courrier à Charles Emmanuel, alors occupé en Savoie."

Ce prince, malgré les préoccupations que lui donnaient les progrès des Genevois, ne voulait pas laisser Barcelonnette entre les mains des Français, et il préparait une expédition pour reprendre cette ville.
Il confia cette mission au comte de Saint-Front, qui passa bientôt le col de Largentière, se fortifia à Maison-Méane et à Larche, afin de prévenir les attaques de l'ennemi et se mettre en état de lui résister.
Il paraît que le duc de Savoie voulait diriger lui-même cette expédition et qu'il se préparait à partir de Turin, lorsque les députés des ligueurs de la Provence arrivèrent dans cette ville.

Ils étaient au nombre de quatre, et Elzéar de Rastel était leur chef.Note(11)
Le duc leur donna audience le 11 mars 1590, promit de prendre en main la défense des catholiques, leurs concitoyens, et il ne tarda pas d'envoyer des troupes et de l'argent.
Il prit même , peu de temps après, l'engagement d'aller en personne en Provence.
"J'y entrerai par Barcelone, écrivait-il, le 22 mars, aux magistrats ligueurs d'Aix ; j'espère remporter cette ville à mon arrivée et , de là, pénétrer dans la province.
Je désire que vous fassiez marcher une armée vers Riez, afin que, nos forces étant voisines, nous les puissions joindre plus aisément et employer où il sera nécessaire...
J'espère, après les fêtes de Pâques, m'acheminer à Barcelone."

Contrairement à ce premier projet, il entra en Provence par le col de Tende, au mois d'août de la même année.
Le gros de son armée passa le Var, le 4 septembre, sous les ordres du général Martinengo. Le duc marchait à la tête de la cavalerie.
Il fit son entrée à Aix le 18 octobre suivant et y fut proclamé lieutenant-général de la Provence, le 23 de ce mois, par les Etats assemblés par son ordre.

Mais, n'anticipons pas sur les événements et reprenons le récit des troubles dont nos pays eurent à souffrir après la prise de Barcelonnette, dès les premiers jours de cette année.
Note(12)

6. - Nous avons déjà dit que le comte de Saint-Front, chargé de reprendre possession de cette vallée, s'était arrêté à Maison-Méane et à Larche et qu'il s'y était fortifié en prévision d'un retour offensif des français.
Il attendait six pièces de canon expédiées de Turin depuis le 15 mars, mais qui étaient encore à Coni, à cause de la difficulté des chemins.

Malgré ce contretemps, la colonne Saint-Front reçut l'ordre de continuer sa marche et les soldats qui la composaient furent heureux de quitter les sources de l'Ubayette, où ils avaient beaucoup souffert. Ils culbutèrent partout les Français, jusqu'à la Condamine.

Là , leur chef voulait s'arrêter de nouveau, croyant que, sans artillerie, il ne pourrait s'emparer des châteaux du Châtelard et de Jausiers ; mais l'ardeur de ses soldats était telle qu'il céda à leurs instances.
Le Châtelard fut pris d'assaut, et ceux des assiégés qui ne tombèrent pas sous le fer des vainqueurs périrent dans les précipices voisins de ce village.

Le massacre des habitants du Châtelard répandit la terreur partout.
Les habitants de Jausiers prirent la fuite, pour ne pas éprouver le même sort, et le capitaine du Collet, commandant la place de Barcelonnette, promit de se rendre dès que l'artillerie piémontaise serait en face des murailles de la ville.
Le comte de Saluces affirme qu'un accord fut signé dans ce sens
Note(13) et que Saint-Front envoya chercher l'artillerie à Coni.

Pendant ce temps, du Collet fit connaître sa situation à Lesdiguières et à la Valette, qui lui envoyèrent deux cents hommes de cavalerie et cinq cents fantassins.
Il reprit alors l'offensive, attaqua le chevalier de Saint-Jean de Jérusalem qui commandait à Faucon au nom du duc de Savoie et poursuivit le comte de Saint-Front, qui s'était replié aux Sanières.
Bientôt, les Piémontais évacuèrent Jausiers et le Châtelard.
Harcelés par les Français, ils jetaient leurs sacs et leurs fusils et fuyaient en désordre jusqu'au-delà de la frontière, à Démont et à Brezès, où ils trouvèrent les canons qu'ils avaient attendu en vain de l'autre côté des Alpes.

Pour réparer cet échec, le duc de Savoie envoya de nouvelles troupes sous les ordres du général Martinengo, qui commandait la cavalerie.
Ce général partit de Brezès le 29 juin 1590 et arriva devant Barcelonnette le 5 juillet, avec douze cents hommes.
Il s'empara de la ville et se dirigea sur Méolans, qui se rendit sans résistance.
Il se préparait à faire le siège du Lauzet, lorsqu'un ordre formel de Charles Emmanuel le rappela en Piémont.
Il établit Salinas, capitaine espagnol, gouverneur de Barcelonnette, et il alla se mettre aux ordres du duc, qui , nous l'avons déjà dit, lui donna le commandement de son principal corps d'armée, partant pour la Provence.

L'auteur de l'Histoire militaire du Piémont et Guichenon, qui a écrit celle des princes de Savoie, font remarquer que le Lauzet était, après le départ du général Martinengo, le seul village du district de Barcelonnette appartenant encore aux Français.
Allos avait donc déjà été replacé sous la domination du duc de Savoie, mais peut être un peu plus tard que Barcelonnette, car , au mois de janvier, les communications entre ces deux pays sont difficiles et souvent impossibles.
D'ailleurs, nos ancêtres passaient alors par tant de vicissitudes qu'il ne savaient pas toujours à qui ils appartenaient : sujets du duc de Savoie, au premier jour du mois de janvier 1590, ils devenaient Français avant la fin de ce mois, pour redevenir savoisiens le 5 du mois de juillet, et les six derniers mois de cette malheureuse année apportaient encore d'autres changements politiques et de nouvelles épreuves.

En effet, Lesdiguières, sachant que Charles Emmanuel préparait une expédition pour la défense des catholiques ligueurs de Provence, ne négligeât rien pour le retenir dans ses États.
C'est pour cela qu'il fit, selon l'expression de l'historien Guichenon quelques entreprises sur Barcelonnette.
Le capitaine Valvera, qui commandait la place de Saint-Paul, lui donna bientôt l'occasion de s'emparer de la partie haute de cette vallée.
Cet officier, doué de plus de bravoure que de prudence, partit, avec toute sa petite garnison pour tenter un coup de main du côté de Guillestre.
Dès qu'il fut arrivé à Vars, les troupes de Lesdiguières l'enveloppèrent, le firent prisonnier avec les cent hommes qui lui restaient encore et marchèrent vers Saint Paul , pour en prendre possession, ainsi que du hameau des Gleisoles, qui alors était fortifié.

Une garnison française à Saint-Paul, c'était pour le duc de Savoie la perte imminente de Barcelonnette et de ses dépendances.
C'est pourquoi ce prince n'hésita pas à diriger de ce côté une colonne de deux mille cinq cents hommes, sous les ordres du comte de Leyni, qui revenait d'une mission militaire en Espagne.
De Leyni fit démolir les fortifications des Gleisoles, obligea la garnison de Saint-Paul à capituler, la remplaça par une compagnie d'infanterie savoisienne et retourna immédiatement en Piémont, pour reprendre le commandement important dont il était chargé dans l'expédition de Provence.
Lesdiguières essaya de l'arrêter sur les frontières, au-delà du col de L' Argentière, en attaquant son arrière-garde ; mais le général italien ne se laissa pas tromper par cette manoeuvre ennemie et il arriva à Coni , où le duc l'attendait avec impatience.

Les troupes françaises s'emparèrent de nouveau de Saint Paul, mais d'une manière déloyale, s'il faut en croire l'auteur de l'Histoire militaire du Piémont.

"Le capitaine Strata, dit-il, s'étant avancé en parlementaire, sans prendre aucune précaution de sûreté, fut arrêté prisonnier, et, pendant que sa troupe, le sachant au camp ennemi, se croyait en sûreté, les Français entrèrent dans les retranchements.
Une partie de la garnison se jeta dans l'église , où elle se défendit jusqu'à ce que, la porte en ayant été abattue par le canon, la plupart de ceux qui s'y trouvèrent perdirent la vie."

Les troupes de Lesdiguières assiégèrent ensuite Barcelonnette.
Le comte Boéro, gouverneur de cette ville après le capitaine Salinas, fut obligé de se rendre, et les milices savoisiennes évacuèrent complètement la vallée de l'Ubaye, pour aller se fortifier à Démont et attendre une occasion favorable pour reprendre l'offensive.

Tout ne déplaisait pas à Charles Emmanuel dans cet état de choses, car Lesdiguières, malgré son infatigable activité, ne pouvait pas harceler en même temps l'armée savoisienne qui défendait nos montagnes et celle qui opérait dans la Basse-Provence.

Cependant la duchesse de Savoie, qui gouvernait les états Sardes pendant l'absence de son époux, se demandait si la fidélité des habitants de la vallée de Barcelonnette et le petit nombre de soldats qu'y avait laissés Lesdiguières ne lui permettraient pas de la reconquérir, lorsqu'un gentilhomme, Jean de Faucon, seigneur du Sauze, lui proposa fort à propos un moyen de réaliser ses désirs.
Le projet du sieur du Sauze fut examiné, et on le trouva d'autant plus acceptable qu'il ne demandait pas un seul soldat au gouvernement de la duchesse.
Il consistait dans la préparation d'un mouvement contre la domination française et en particulier contre Lesdiguières, l'ennemi implacable des catholiques.

Lorsque Jean du Sauze crut que le moment d'agir était venu, il réunit les habitants de la campagne , les décida à le suivre, et, dans la nuit du 22 décembre 1590 , ils escaladèrent les remparts, à deux endroits, sans rencontrer de résistance.
La garnison française, surprise comme les habitants, essaya de résister en s'enfermant dans une église mise en état de défense ; mais les assiégeants ayant mis le feu au couvent attenant (le couvent des Dominicains sans doute), elle capitula , pour ne pas périr dans les flammes.
Note(14)
Du Sauze fut nommé gouverneur de Barcelonnette, en récompense de son courage et de ses succès.

C'était pour la cinquième fois que les habitants de la vallée de l'Ubaye , d'Allos et de Saint-Martin d'Entraunes changeaient de souverain pendant le cours de l'année 1590, et tous ces changements s'opéraient d'une manière violente, par des invasion à main armée, des sièges meurtriers, des assauts, des capitulations.
Allos et Saint-Martin ont pu, il est vrai, grâce à leur situation, ne pas subir toutes les épreuves infligées à Barcelonnette et aux villages voisins de cette ville.
Mais comment auraient-ils pu, tôt ou tard, ne pas partager leur sort ?

Un an ne s'était pas écoulé depuis que du Sauze gouvernait Barcelonnette, au nom du duc de Savoie, lorsque Lesdiguières vint la reprendre, au nom du roi de France.
D'après les mémoires qui existent, en copie du XVIe siècle, à la Bibliothèque Nationale, Lesdiguières s'était préparé depuis longtemps à ce siège et il avait fait réparer les chemins du côté du Lauzet, pour le passage de cinq pièces de canon, qui arrivèrent le 19 octobre 1591.
Le gouverneur capitula le lendemain, "de sorte que, le lundi 21 du dit mois, au matin, le sieur du Sauze et quatre cents soldats sortirent désarmés et sans bagages, furent conduits en lieu de sûreté, au chemin de Piémont, sous les promesses par eux faites de ne se retirer à Démont, ancien domaine du marquisat de Saluces, ni à Allos, en Terre-Neuve, ni à Digne, en Provence, pour porter les armes, durant trois mois...
Cela fait, Lesdiguières alla assister Monsieur de la Vallette pour le siège de Digne."
Note(15)

Le journal de ses opérations militaires ajoute qu'il passa à Selonnet, séjourna au Brusquet et qu'il campait devant Digne le 31 octobre.
Du Sauze fut condamné à mort par un conseil de guerre savoisien, pour n'avoir pas su défendre la place dont il était gouverneur.
L'auteur de l'Histoire du diocèse d'Embrun fait remarquer que Lesdiguières laissa dans la vallée de Barcelonnette "quelques troupes, avec un nombre de Huguenots de différents pays.Ceux-ci commirent bien des impiétés, surtout contre les églises et contre leurs ministres ; ils firent mourir le curé et les autres prêtres de Barcelonnette, en haine de la foi.
La paroisses resta quelque temps sans prêtres...

Mais les habitants ne furent pas, pour cela, moins attachés à la religion de leurs pères...
Il s'unirent tous pour la défense de la religion, prirent les armes contre les Huguenots et les chassèrent, en 1599, non seulement de la ville, mais de toute la vallée."
Note(16)

Cependant le duc de Savoie était encore en Provence, et, le 15 décembre 1591, il fut vaincu à Vinon, le commandant de l'aile gauche de son armée se noya, avec un certain nombre de ses soldats, dans les eaux du Verdon. À la suite de ce revers, les espérances qu'il avait fondées sur son expédition s'évanouirent de jour en jour, et, le 30 mars 1592, il reprit la route de Nice, ne laissant que quelques garnisons italiennes sur le territoire français.
D' ailleurs, la Ligue, qui l'avait appelé en Provence, allait bientôt disparaître ; elle n'avait plus de raison d'être après l'abjuration d'Henri IV, qui eut lieu le 25 juillet 1593.

En 1594, les Français envahirent le comté de Nice, par Barcelonnette et par la Basse-Provence. Ils occupèrent Saint-Dalmas, Saint-Étienne, Entraunes, Saint-Martin, etc..
Ils perdirent bientôt ces petites places, mais les reprirent encore, après une nouvelle trêve qui expira en 1597.
C'est alors qu'eut lieu le siège d'Allos, dans des circonstances qui lui donnèrent une véritable importance.

7.- "Le 21 juillet, le capitaine Sicard, commandant dans les Allos, ayant une entreprise sur le Tranchet... , fut repoussé, y ayant laissé trente-six des siens morts, des principaux et plus mauvais garçons." Note(17)

MM. Douglas et Roman, auteurs des Actes et Correspondances de Lesdiguières,
Note(18) se demandent si le Tranchet n'est pas le Fanguet, petit hameau en amont d'Allos, sur la rive droite du Verdon.
Il me semble que ce nom a plus de similitude avec Tronchon, quartier voisin du Détroit, dont le torrent sépare le territoire d'Allos de celui de Colmars.
L'attention du capitaine Sicard étant naturellement attirée de ce côté, à cause des événements dont la haute vallée du Var était le théâtre.
Entraunes et Saint-Martin étaient occupés par les troupes du général de Mirabel, par suite de la trahison du capitaine Pascalis.

Le comte de Beuil , gouverneur de Nice, ayant appris qu'Allos était menacé, envoya le capitaine Bartoli, pour fortifier la garnison.
Deux autres capitaine, Signoret de Bonne et Bonada, entraient également dans cette place.

Le prince de Piémont retira une partie des troupes occupées à garder les frontières de Maurienne et dirigea deux mille hommes vers Barcelonnette.
Note(19)
Le général chargé du commandement de cette colonne "apprit, en arrivant à Coni, dit le comte de Saluces, que le château d'Allos devait être bientôt attaqué ; il pressa sa marche, comptant dégager la place ou se mesurer avec les assiégeants ; mais ses troupes, presqu'entièrement composées de recrues, refusèrent de s'engager dans les hautes-Alpes ,
Note(20) qu'il fallait traverser, et le général, n'ayant pu ramener ses soldats, n'eut d'autre ressource que de jeter un renfort dans la place.
Le capitaine Vivalda entra heureusement, avec sa compagnie, dans le château d'Allos, où il se trouva y avoir une garnison de trois cents hommes, aux ordres du capitaine Sicard.

"Cet officier était regardé par les Français comme l'auteur des entreprises que les Savoyards tentaient souvent sur les places voisines ; son activité était, en effet, très grande, et dernièrement encore il venait de tenter, quoique malheureusement, la surprise du Lauzet.
Monsieur de Bonne et les officiers qui partageaient avec lui le commandement des troupes françaises, dans la vallée de Barcelonnette, crurent important de déposter Sicard et mirent le siège devant Allos, avec trois mille hommes. On força les paysans des environs à réparer les chemins par lesquels en voulait conduire l'artillerie."
Note(21)

Le siège d'Allos aurait donc eu lieu , d'après l'auteur de l'Histoire militaire du Piémont, non seulement afin que le duc de Savoie ne possédât plus cette place, mais encore parce que le capitaine Sicard, par son ardeur belliqueuse, avait attiré plusieurs fois les troupes savoyardes dans les localités voisines.

8.- Quoi qu'il en soit, le bouillant capitaine avait combattu pour son pays, au nom du duc de Savoie, son souverain, et il le défendit de nouveau vaillamment pendant le siège de 1597.
Le déploiement considérable de forces fait à l'occasion de ce siège s'explique, avons-nous dit, par les circonstances.
Le gouvernement savoyard savait que les rapports entre Barcelonnette et Nice étaient indispensables et qu'ils ne pouvaient avoir lieu que par Allos ou par Saint-Etienne.
Note(22)

Il ne fallait donc pas permettre à l'ennemi d'occuper ces places.
C'est pourquoi, au premier signal du danger, les capitaines Bartoli, Signoret de Bonne, Bonada et Vivalda y furent appelés, avec leurs compagnies.
Ruffia, général de l'artillerie, et Barbo, autre officier général, reçurent aussi, successivement, l'ordre de se rendre à Allos, le premier avec deux mille recrues, et le deuxième à la tête d'une forte colonne; mais Ruffia fut arrêté par la mutinerie de ses soldats, et Barbo, par les neiges qui recouvraient les montagnes.

Du côté des Français, le mouvement ne fut pas moins considérable.
On comptait au nombre des assiégeants le régiment du comte de la Roche, les contingents disponibles des garnisons de Barcelonnette et la colonne de Mirabel, officier général de l'armée du duc de Guise.

Une tradition toujours vivante chez nous, malgré ses quatre cents ans d'existence, affirme que les troupes de Lesdiguières arrivèrent par Barcelonnette, qu'elles firent passer leur artillerie sous la roche de Siolane et par la Sestrière, qu'elles jetèrent sur le Verdon, en amont du village de la Foux, un pont qui existe encore, le pont de l'Abraou.
Note(23)

La même tradition dit, en outre, que ces troupes établirent, au nord-ouest d'Allos, sur le plateau du Seignus-Bas, une batterie qui battit en brèche les remparts de la citadelle ou château d'Allos,
Note(24) et le nombre considérable de boulets trouvés dans la terre, au sud-est de la place, vient, bien à propos, confirmer cette tradition,
Note(25) qui est, d'ailleurs, appuyée sur les documents les plus irrécusables.

J'ai déjà parlé du témoignage du comte de Saluces, disant que les officiers qui commandaient les troupes de la vallée de Barcelonnette mirent le siège devant Allos et quelles difficultés ils eurent à vaincre pour le transport de leurs pièces de canons.
Les assiégeants venaient donc pour la plupart, avec l'artillerie de campagne, de la vallée de l'Ubaye.

Les auteurs des Actes et Correspondance de Lesdiguières nous disent quel était leur chef, par quelle voie ils retournèrent, etc.

Le 18 octobre 1597, Lesdiguières écrivait de Pontcharra, commune du canton de Goncelin, arrondissement de Grenoble, au duc de Montmorency :
"Je suis contraint par la saison, la nécessité des maladies et faute de moyens, de séparer cette armée...
Cependant ladite armée, toute séparée, ne perdra point le temps, car je l'occuperai, chacun en son endroit, si bien qu'elle rendra du service.

DEDANS CINQ OU SIX JOURS,UNE PARTIE ASSIEGERA ALLOS,
PLACE QUI EST AUX TERRES-NEUVES DU COMTE DE NICE.".
Note(26)

Tout est important dans cette lettre, la date, la cause de la division de l'armée, le service qu'elle rendra en assiégeant Allos, etc.

Le 5 décembre suivant, Lesdiguières, par un billet laconique, traçait en ces termes l'itinéraire que le comte de la Roche
Note(27) devait suivre après le siège d'Allos :
"Le régiment du sieur de la Roche passera par Colmars, Seyne, la Bréole, la Saulse, Laragne, Montjay, Remusac (Drôme), et de là à son quartier."
Note(28)

Ce billet est suivi d'une note, de la main de M. de la Roche :
"Mandement de M. de Lesdiguières, LORSQUE JE VENAIS AVEC MON REGIMENT DU SIEGE D'ALLOS."

Enfin Lesdiguières disait, le 18 du même mois, dans une lettre de reproches au comte de la Roche :
"J'ai entendu dire qu'à votre retour d'Allos vous avez pris un autre logis (logement du régiment) que celui que je vous ai ordonné."

Il est donc absolument certain que le comte de la Roche a fait le siège d'Allos sur l'ordre de Lesdiguières, son général en chef, et que ce siège a eu lieu dans le courant du mois de novembre ou pendant les premiers jours du mois de décembre 1597.
Note(29)

Il est vrai que c'était une époque bien mal choisie, pour des opérations militaires dans nos montagnes, mais la guerre a des exigences inexorables et parfois elle ne tient compte ni des saisons, ni des dangers auxquels elle expose les soldats.

Le comte de Mirabel, dont le nom ne doit pas être confondu avec celui de Miribel, malgré l'alliance qui eut lieu entre ces familles, combattit donc, à la tête de sa colonne, à côté du comte de la Roche, sous les murs d'Allos.
L'historien Durante lui attribue exclusivement le mérite d'avoir pris cette place :
"Ce général, dit-il, prit d'assaut Allos, malgré la vigoureuse résistance du capitaine Sicard."

Cette assertion est excessive et incomplète.
Elle va au delà des limites de la vérité, en insinuant que son héros a surmonté tous les obstacles; elle ne dit pas assez, en donnant le nom de château aux fortifications.

De Mirabel a pu monter courageusement à l'assaut, mais il n'a pas eu le mérite de diriger les opérations du siège.

Il y avait bien à Allos un château ou citadelle, mais il y avait aussi des remparts.
La charte de 1385, dont nous avons donné plus haut de nombreux extraits, ne permet pas d'en douter.
Il y est fait mention des portes de la ville, en particulier du portail Bouchier, des tours assez spacieuses pour qu'on pût y ménager des habitations, des charges que l'entretien et la réparation des fortifications imposaient aux habitants, etc.

Les conditions imposées à la garnison d'Allos par le comte de la Roche paraissent avoir été identiques à celles que Lesdiguières avait édictées, en 1590, à Barcelonnette.
Les soldats italiens furent autorisés à sortir sans armes et à retourner en Piémont par la seule voie encore ouverte, celle de Colmars, Entrevaux et Nice.

Les assiégeants, après avoir rétabli l'administration française, hâtèrent leur départ, à cause de la rigueur de la saison et de la difficulté de pourvoir à leur ravitaillement, dans une petite localité.

Les habitants d'Allos se trouvaient sans provisions, au coeur de l'hiver, et grevés d'une forte contribution de guerre :
c'étaient les rudes épreuves de la disette après les horreurs de la guerre, hélas !
et cette triste situation était devenue générale.
Partout, on gémissait sur la rareté des subsistances, sur le manque d'argent et de bras pour cultiver la terre, sur la peste enfin, qui faisait de fréquentes apparitions.

Cependant un rayon d'espérance annonçait des temps moins troublés; la paix fut signée à Vervins, le 2 mai 1598.
Ce traité nous rendit à la Savoie, et les Français évacuèrent Barcelonnette, Allos, Saint-Martin-d'Entraunes, etc.

Notes ( 29 ) :

(1) Histoire de Sisteron,t.II,pp.32-33.

(2) Le Puget-Théniers, Guillaumes, Saint-Martin, Antraunes, etc...,appartenaient au diocèse de Glandèves et étaient alors sous la domination des ducs de Savoie.

(3) Histoire militaire du Piémont, t.II,pp.290-307.

(4) Histoire de Barrême, oeuvre posthume du chanoine Cruvellier, pp.39-40.

(5) Jean Clausse, qui était alors évêque de Senez, était peut-être déjà parti pour se rendre à la dernière session du Concile de Trente.

(6)Histoire des Alpes-Maritimes et Cottiennes, t.II,pp.547-548.

(7) Le peuple surnomma ce guerrier matinier ,parce que sa vigilance et son activité ne permirent jamais à ses ennemis de le prendre au dépourvu. (Papon, t.IV, p.205.)

(8) Ecritures de maître Audravi, notaire à Barrême.

(9) Histoire de Sisteron, t.II, p.129.

(10) Ce mot trahit une plume italienne. En effet, c'est le comte de Saluces, colonel de l'armée des Etats Sardes, qui parle ainsi dans l'Histoire militaire du Piémont , t. II, p. 341.

(11) France pontificale, diocèse de Riez, p. 120.

(12) " Le comte de la Roche, de la maison de Flotte, en Dauphiné, Briquemaut et le capitaine Collet, au mois de janvier 1590, surprirent Barcelonnette, où commandait pour son altesse (le duc de Savoie) Alexandre Grimaldi, seigneur de Beuil, avec garnison de Piémontais. De Beuil fut mené prisonnier à la Vallette, à Cisteron (Sisteron ?), et Collet demeura gouverneur de Barcelonnette.

La Forteresse de Sisteron en 1638

(13) Histoire militaire du Piémont, par le comte de Saluces, t. II, p.347.

(14) Histoire de Nice, par Durante, t. II, p. 371.

(15) Mémoires à M. Vulson,
publiés dans les Actes et correspondance de Lesdiguières,
par MM. Douglas et Roman, t. III, pp. 228-229.

Lesdiguières

(16) Cette attitude énergique des catholiques explique pourquoi les protestants, qui avaient des temples presque partout dans l'archidiocèse d'Embrun, n'en ont jamais eu à Barcelonnette. ( Histoire du diocèse d'Embrun, t. I, p. 362.)

(17) Journal des guerres de Lesdiguières, de 1585 à 1597.

(18) Trois volumes in-4°, voir Index du t. III.

(19) Le passage suivant, emprunté à Guichenon, explique pourquoi un contingent si considérable marchait sur Allos :
" Le général de l'artillerie, Ruffia, fut envoyé du côté de Barcelonnette, sur les avis que l'on eut que les ennemis avaient paru avec quinze cents hommes proche du château d'Allos, où commandait le capitaine Jérôme Sicard, originaire du lieu.
La garnison était forte, car, outre ce que Bartoli et Signoret y avaient mené, Bonada, gouverneur de Démont, y avait envoyé cent soldats, et Gérard Vivalda y était entré avec (sa compagnie)." ( Histoire de la maison de Savoie, t. II, p. 33.)

(20) Le comte de Saluces ne veut pas parler ici du département actuel des Hautes-Alpes, mais des montagnes de Saint-Dalmas, de Fours, etc..,
par où les troupes venant du Piémont ont dû arriver à Allos.
En effet, si elles avaient essayé de suivre l'Ubaye, elles auraient été arrêtées par les garnisons françaises de Barcelonnette, de Saint-Paul, de Jausiers, etc...

(21) Histoire militaire du Piémont, t. II, pp. 505-506.

(22) " Les Français, maîtres de cette place (Allos) et de Saint-Etienne, coupaient les communications de la principauté de Barcelonnette au comté de Nice."
( Histoire militaire du Piémont. )

(23) Ce pont porte ce nom parce que le lit du Verdon a la profondeur d'un abîme, en cet endroit.

(24) M. Hyacinthe Gariel, ancien conseiller à la Cour royale de Grenoble, mort à Allos en 1849, avait, dans les archives de sa famille, des renseignements précieux sur le siège d'Allos par les troupes de Lesdiguières.
Ces archives ont été transportées à Grenoble, après la mort de M. Gariel.

(25) A 200 mètres environ d'Allos, en suivant le chemin du Villard et sur le bord du Chadoulin, le propriétaire d'un moulin et d'une forge a découvert, en creusant des fondations, plusieurs de ces boulets.
Ils sont de dimensions différentes : 0,m13 et 0,m08 de diamètre.

(26) Actes et Correspondance de Lesdiguières, t. I, pp. 313-314.

(27) Paul de la Roche, sieur de Grane, colonel, fils d'Antoine, châtelain de Grane, et d'Antoinette Fayolle.
Ne pas confondre avec Balthazar Flotte, baron, puis comte de la Roche des Armands, qui eut la tête tranchée en 1614, pour assassinat.

(28) Les neiges, qui avaient empêché les troupes italiennes commandées par Barbo d'arriver à Allos, ne permirent pas à celles du comte de la Roche de retourner par Barcelonnette.

(29) Le comte de Saluces dit que, le 8 décembre, les Français purent approcher deux canons des remparts.Cette date est trop reculée.
Si le siège n'avait commencé que le 8 de ce mois, la capitulation n'aurait eu lieu que vers le 12.
Or, comment le régiment de la Roche, en partant d'Allos après le 12 décembre, aurait-il pu déjà être installé dans ses quartiers d'hiver avant le 18,
jour où Lesdiguières écrivit sa lettre de reproches.